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L’HOMME ET L’ARTISTE

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Au mois de juin 1856, les hasards d’un noviciat administratif m’avaient condamné à habiter pendant six semaines un bourg de la Meuse qui a nom Damvillers et qui se trouve à mi-chemin de Verdun et de Montmédy. Damvillers, jadis fortifié, a eu l’honneur d’être assiégé par Charles-Quint, mais rien aujourd’hui n’y rappelle plus ces belliqueux souvenirs. La physionomie de ce gros village est toute pacifique et campagnarde. La population y est exclusivement agricole; les vergers, qui occupent l’emplacement des anciennes fortifications, forment une couronne verdoyante autour des maisons éparses au milieu d’une vallée où un tranquille ruisseau, la Tinte, serpente à travers des prés et des oseraies. A droite, un coteau de vignes en dos de chameau; à gauche, une suite de collines boisées aux plans inclinés et fuyants, enserrent le bourg dans une sorte de cirque de dimensions modestes. L’horizon est borné et le paysage assez plat. Les collines, grises ou bleuâtres, sont basses; la monotonie des prés et des champs n’est coupée çà et là que par des files de peupliers ébranchés aux profils anguleux et grêles. Les rues, boueuses, solitaires, bordées de maisons de cultivateurs aux façades peintes en gris ou en jaune sale, ont la même physionnomie effacée que le paysage. — Pour un garçon de vingt-deux ans, il n’y avait là rien de particulièrement attrayant. Je passais des soirées mélancoliques, accoudé à ma fenêtre, regardant le crépuscule descendre sur les toits de tuile brune qui encadraient platement le parallélogramme irrégulier de la grande place maussade. — Dans un coin, une massive voiture verte de marchand ambulant sommeillait à côté d’un déballage de faïences, dont la blancheur vernissée s’allumait parfois au reflet des croisées illuminées de l’auberge voisine. Ma seule distraction consistait à écouter le caquetage des fillettes assises à la porte du ferblantier, ou à suivre les ébats d’un groupe d’enfants de huit à dix ans, jouant à la balle le long du mur de la halle aux grains. Je ne me doutais guère alors qu’au nombre de ces gamins à la blouse déchirée et aux cheveux blonds en broussailles, se trouvait un des maîtres futurs de la peinture contemporaine, et que ce nom de Bastien, jeté chaque soir par des voix enfantines et répété par l’écho de la place solitaire, serait plus tard connu et acclamé dans le monde entier par tous ceux qui s’intéressent à l’art et aux artistes.

Jules Bastien-Lepage : l'homme et l'artiste

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