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I.

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Après que, par l'intermédiaire de Julius et l'assistance du notaire, Lafcadio fut entré en possession des quarante mille livres de rente que feu le comte Juste-Agénor de Baraglioul lui laissait, son grand souci fut de n'en laisser rien paraître.

— Dans de la vaisselle d'or peut-être, s'était-il dit alors, mais tu mangeras des mêmes plats.

Il ne prenait pas garde à ceci, ou ne savait pas encore que, pour lui, désormais, le goût des mets allait changer. Ou du moins, comme il trouvait égal plaisir à lutter contre l'appétit, à céder à la gourmandise, maintenant que ne le pressait plus le besoin, sa résistance se relâchait. Parlons sans images: d'aristocratique nature, il n'avait permis à la nécessité de lui imposer aucun geste — qu'il se fût permis à présent, par malice, par jeu, et par l'amusement de préférer à son intérêt son plaisir.

Se conformant aux volontés du comte, il n'avait donc pas pris le deuil. Une mortifiante déconvenue l'attendait chez les fournisseurs du marquis de Gesvres, son dernier oncle, lorsqu'il se présenta pour monter sa garde-robe. Comme il se recommandait de celui-ci, le tailleur sortit quelques factures que le marquis avait négligé de payer. Lafcadio répugnait aux filouteries; il feignit aussitôt d'être venu précisément pour régler ces notes, et paya comptant les nouveaux vêtements. Même aventure chez le bottier. Quant au chemisier, Lafcadio jugea plus prudent de s'adresser à un autre.

— L'oncle de Gesvres, si seulement je savais son adresse; j'aurais plaisir à lui envoyer acquittées ses factures, pensait Lafcadio. Cela me vaudrait son mépris; mais je suis Baraglioul et désormais, coquin de marquis, je te débarque de mon coeur.

Rien ne le retenait à Paris, ni ailleurs; traversant l'Italie à petites journées, il gagnait Brindisi d'où il pensait s'embarquer sur quelque Lloyd, pour Java.

Tout seul dans le wagon qui l'éloignait de Rome il avait, malgré la chaleur, jeté en travers de ses genoux un moelleux plaid couleur de thé, sur lequel il se plaisait à contempler ses mains gantées couleur de cendre. A travers la souple et floconneuse étoffe de son complet, il respirait le bien-être par tous ses pores; le cou non serré dans un col presque haut mais peu empesé, d'où s'échappait, mince comme un orvet, une cravate en foulard bronzé, sur la chemise à plis. Il se sentait bien dans sa peau, bien dans ses vêtements, bien dans ses bottes — de souples mocassins taillés dans le même daim que ses gants; dans cette prison molle, son pied se tendait, se cambrait, se sentait vivre. Son chapeau de castor, rabattu devant ses yeux, le séparait du paysage; il fumait une pipette de genièvre et abandonnait ses pensées à leur mouvement naturel. Il pensait: "— La vieille, avec un petit nuage blanc au-dessus de sa tête et qui me le montrait en disant: la pluie, ça ne sera pas encore pour aujourd'hui!... cette vieille dont j'ai chargé le sac sur mes épaules (par fantaisie il avait fait à pied, en quatre jours la traversée des Apennins entre Bologne et Florence, couchant à Covigliajo) et que j'ai embrassée au haut de la côte... ça fait partie de ce que le curé de Covigliajo appelait: les bonnes actions, — je l'aurais tout aussi bien serrée à la gorge — d'une main qui ne tremble pas — quand j'ai senti cette sale peau ridée sous mon doigt... Ah! comme elle caressait le col de ma veste, pour en enlever la poussière! en disant: _figlio mio! carino!..._ D'où me venait cette intense joie quand, après et encore en sueur, à l'ombre de ce grand châtaignier, et pourtant sans fumer, je me suis étendu sur la mousse? Je me sentais d'étreinte assez large pour embrasser l'entière humanité; ou l'étrangler peut-être... Que peu de chose la vie humaine! Et que je risquerais la mienne agilement, si seulement s'offrait quelque belle prouesse un peu joliment téméraire à oser!... Je ne peux tout de même pas me faire alpiniste ou aviateur... Qu'est-ce que me conseillerait ce claquemuré de Julius?... Fâcheux qu'il soit emporté! ça m'aurait plu d'avoir un frère.

"Pauvre Julius! Tant de gens qui écrivent et si peu de gens qui lisent! C'est un fait: on lit de moins en moins... si j'en juge par moi, comme disait l'autre. ça finira par une catastrophe; quelque belle catastrophe, tout imprégnée d'horreur! on foutra l'imprimé par-dessus bord; et ce sera miracle si le meilleur ne rejoint pas au fond le pire.

"Mais la curiosité, c'est de savoir ce que la vieille aurait dit si j'avais commencé de serrer... On imagine _ce qui arriverait si_, mais il reste toujours un petit laps par où l'imprévu se fait jour. Rien ne se passe jamais tout à fait comme on aurait cru... C'est là ce qui me porte à agir... On fait si peu!... "Que tout ce qui peut être soit!" c'est comme ça que je m'explique la Création... Amoureux de ce qui pourrait être... Si j'étais l'état, je me ferais enfermer.

"Pas très étourdissante la correspondance de ce M. Gaspard Flamand que j'ai été réclamer comme mienne, à la poste restante de Bologne. Rien qui valût la peine de lui être renvoyé.

"Dieu! qu'on rencontre peu de gens dont on souhaiterait fouiller les valises!... Et pourtant qu'il en est peu dont on n'obtiendrait avec tel mot, tel geste, quelque bizarre réaction!... Belle collection de marionnettes; mais les fils sont trop apparents, par ma foi! On ne croise plus dans les rues que jean-foutres et paltoquets. Est-ce le fait d'un honnête homme, Lafcadio, je vous le demande, de prendre cette farce au sérieux?... Allons! plions bagage; il est temps! En fuite vers un nouveau monde; quittons l'Europe en imprimant notre talon nu sur le sol!... S'il est encore à Bornéo, au profond des forêts, quelque anthropopithèque attardé, là-bas, nous irons supputer les ressources d'une possible humanité!...

"J'aurais voulu revoir Protos. Sans doute il a cinglé vers l'Amérique. Il n'estimait, prétendait-il, que les barbares de Chicago... Pas assez voluptueux pour mon goût, ces loups: Je suis de nature féline. Passons.

"Le curé de Covigliajo, si débonnaire, ne se montrait pas d'humeur à dépraver beaucoup l'enfant avec lequel il causait. Assurément il en avait la garde. Volontiers j'en aurais fait mon camarade; non du curé, parbleu! mais du petit... Quels beaux yeux il levait vers moi! qui cherchaient aussi inquiètement mon regard que mon regard cherchait le sien; mais que je détournais aussitôt... Il n'avait pas cinq ans de moins que moi. Oui: quatorze à seize ans, pas plus... Qu'est-ce que j'étais à cet âge? Un _stripling_ plein de convoitise, que j'aimerais rencontrer aujourd'hui; je crois que je me serais beaucoup plu... Faby, les premiers temps, était confus de se sentir épris de moi; il a bien fait de s'en confesser à ma mère: après quoi son coeur s'est senti plus léger. Mais combien sa retenue m'agaçait!... Quand plus tard, dans l'Aurès, je lui ai raconté cela sous la tente, nous en avons bien ri... Volontiers, je le reverrais aujourd'hui; c'est fâcheux qu'il soit mort. Passons.

"Le vrai, c'est que j'espérais déplaire au curé. Je cherchais ce que je pourrais lui dire de désagréable: je n'ai rien su trouver que de charmant... Que j'ai de mal à ne paraître pas séduisant! Je ne peux pourtant pas passer au brou de noix mon visage, comme me le conseillait Carola; ou me mettre à manger de l'ail... Ah! ne pensons plus à cette pauvre fille? Les plus médiocres de mes plaisirs, c'est à elle que je les dois... Oh! d'où sort cet étrange vieillard?"

Par la porte à coulisse du couloir, Amédée Fleurissoire venait d'entrer.

Fleurissoire avait voyagé seul dans son compartiment jusqu'à la station de Frosinone. A cet arrêt du train, un Italien entre deux âges était monté dans le wagon, s'était assis non loin de lui et avait commencé à le dévisager d'un air sombre qui promptement invita Fleurissoire à déguerpir.

Dans le compartiment voisin, la jeune grâce de Lafcadio, tout au contraire, l'attira:

— Ah! l'aimable garçon! presque un enfant encore, pensa-t-il. — En vacances sans doute. Qu'il est bien mis! Son regard est candide. Quel repos ce sera de dépouiller ma défiance! S'il savait le français je lui parlerais volontiers...

Il s'assit en face de lui, dans un coin près de la portière.

Lafcadio releva le bord de son castor et commença de le considérer d'un oeil morne, indifférent en apparence.

— Entre ce sale magot et moi, quoi de commun? songeait-il. On dirait qu'il se croit malin. Qu'a-t-il à me sourire ainsi? Pense-t-il que je vais l'embrasser! Se peut-il qu'il y ait des femmes pour caresser encore les veiillards!... Il serait bien surpris sans doute d'apprendre que je sais lire écriture ou imprimé, couramment, à l'envers ou par transparence, au verso, dans les glaces ou sur les buvards; trois mois d'études et deux années d'apprentissage; et cela pour l'amour de l'art. Cadio, mon petit, le problème se pose: faire accroc à cette destinée. Mais par où?... Tiens! Je vais lui offrir du cachou. Qu'il accepte ou non, nous verrons toujours bien dans quelle langue.

— Grazio! grazio! — dit Fleurissoire en refusant.

— Rien à faire avec le tapir. Dormons! reprend à part soi Lafcadio, et rabattant son castor sur ses yeux, il tâche à faire un rêve d'un souvenir de sa jeunesse:

Il se revoit, du temps qu'on l'appelait Cadio, dans ce château perdu des Karpathes, qu'ils occupèrent, sa mère et lui, deux étés, en compagnie de Baldi l'Italien et du prince Wladimir Bielkowski. Sa chambre est à l'extrémité d'un couloir; c'est la première année qu'il couche loin de sa mère... La poignée de cuivre de sa porte, en forme de tête de lion, est retenue par un gros clou... Ah! que les souvenirs de ses sensations sont précis!... Une nuit il est tiré du plus profond de son sommeil et croit rêver encore en voyant au chevet de son lit l'oncle Wladimir, qui lui paraît plus gigantesque encore que de coutume, fait comme un cauchemar, drapé dans un vaste cafetan couleur rouille, la moustache retombée et coiffé d'un extravagant bonnet de nuit dressé comme un bonnet persan, qui l'allonge jusqu'à n'en plus finir. Il tient à la main une lanterne sourde qu'il pose sur la table, près du lit, à côté de la montre de Cadio en repoussant un peu un sac de billes. La première pensée de Cadio c'est que sa mère est morte, ou malade; il va questionner Bielkowski, quand celui-ci pose un doigt sur ses lèvres et lui fait signe de se lever. En hâte l'enfant passe la robe de chambre qu'il revêt au sortir du bain, que son oncle a prise au dos d'une chaise et lui tend; tout cela, les sourcils roulés et d'un air à ne point plaisanter. Mais Cadio a si grande confiance en Wladi qu'il n'a pas peur un seul instant; il enfile ses pantoufles, et le suit fort intrigué par ses manières et, comme toujours, en appétit d'amusement.

Ils sortent dans le couloir; Wladimir avance gravement, mystérieusement, portant loin devant lui la lanterne; on dirait qu'ils accomplissent un rite ou qu'ils suivent une procession; Cadio chancelle un peu car il est encore ivre de rêves; mais la curiosité bientôt a nettoyé son cerveau. Devant la porte de sa mère, tous deux s'arrêtent un instant, prêtant l'oreille: pas un bruit; la maison dort. Arrivés sur le palier, ils entendent le ronflement d'un valet dont la chambre ouvre près du grenier. Ils descendent. Wladi pose des pieds de coton sur les marches; au moindre craquement il se retourne d'un air si furieux que Cadio a peine à ne pas rire. Il indique une marche en particulier, faisant signe de la franchir, aussi sérieusement que s'il y eût eu péril. Cadio ne gâte point son plaisir à se demander si ces précautions sont nécessaires, non plus que rien de ce qu'ils font; il se prête au jeu et, glissant le long de la rampe, franchit le degré... Il est si prodigieusement amusé par Wladi qu'il traverserait du feu pour le suivre.

Quand ils ont atteint le rez-de-chaussée, sur l'avant-dernière marche tous deux s'assoient pour souffler un instant; Wladi hoche la tête et fait entendre un petit soupir du nez, comme pour dire: ah! nous l'avons échappé belle. Ils repartent. Quelles précautions devant la porte du salon! La lanterne, qu'à présent tient Cadio, éclaire la pièce si bizarrement que l'enfant la reconnait à peine; elle lui paraît démesurée; un peu de lune glisse par l'entrebâillement d'un volet; tout baigne dans une tranquillité surnaturelle; on dirait un étang où l'on va jeter clandestinement l'épervier; et il reconnaît bien et à sa place chaque chose, mais, pour la première fois, il en comprend l'étrangeté.

Wladi s'approche du piano, l'entrouvre, caresse du bout du doigt quelques touches qui répondent très faiblement. Tout à coup le couvercle échappe et fait en retombant un boucan formidable (Lafcadio sursaute encore en y songeant). Wladi se précipite sur la lanterne, qu'il aveugle, puis s'écroule dans un fauteuil; Cadio glisse sous une table; tous deux restent longtemps dans le noir, sans remuer, aux écoutes... mais rien; rien n'a bougé dans la maison; au loin, un chien jappe à la lune. Alors, doucement, lentement, Wladi redonne un peu de lumière.

Dans la salle à manger, de quel air il tourne la clef du buffet! L'enfant sait bien que ce n'est là qu'un jeu, mais l'oncle y semble pris lui-même. Il renifle comme pour flairer où cela sent le meilleur; s'empare d'une bouteille de tokay; en verse deux petits verres où tremper des biscuits; il invite à trinquer, un doigt sur les lèvres; le cristal sonne imperceptiblement... La collation nocturne terminée, Wladi s'occupe à tout remettre en ordre, il va rincer avec Cadio les verres dans le baquet de l'office, les essuie, rebouche la bouteille, referme la boîte à biscuits, époussette méticuleusement les miettes, regarde une dernière fois le tout bien à sa place dans l'armoire... Ni vu, ni connu.

Wladi réaccompagne Cadio jusqu'à sa chambre et le quitte avec un profond salut. Cadio reprend son somme où il 'avait laissé, et se demandera le lendemain s'il n'a pas rêvé tout cela.

Drôle de jeu pour un enfant! Qu'eût pensé de cela Julius?

Lafcadio, bien que les yeux fermés, ne dort pas; il ne parvient pas à dormir.

— Le petit vieux, que je sens là, croit que je dors, pensait-il. Si j'entrouvrais les yeux, je le verrais qui me regarde. Protos prétendais qu'il est particulièrement difficile de feindre de dormir tout en prêtant attention; il se faisait fort de reconnaître le faux sommeil à ce leger petit tremblement des paupières... que je réprime en ce moment. Protos lui-même y serait pris...

Le soleil cependant s'était couché; déjà s'atténuaient les reflets derniers de sa gloire, que Fleurissoire ému contemplait. Tout à coup, au plafond voûté du wagon, l'électricité jaillit dans le lustre; éclairage trop brutal, auprès de ce crépuscule attendri; et, par crainte aussi qu'il ne troublât le sommeil de son voisin, Fleurissoire tourna le commutateur, ce qui n'amena point l'obscurité complète, mais dériva le courant du lustre central au profit d'une lampe veilleuse azurée. Au gré de Fleurissoire cette ampoule bleue versait trop de lumière encore; il donna un tour de plus à la clavette; la veilleuse s'éteignit, mais s'allumèrent aussitôt deux appliques pariétales, plus désobligeantes que le lustre du milieu; un tour encore, et la veilleuse de nouveau: il s'y tint.

— A-t-il bientôt fini de jouer avec la lumière? pensait Lafcadio impatienté. Que fait-il à présent? (Non! je ne lèverai pas les paupières.) Il est debout... Serait-il attiré par ma valise? Bravo! Il constate qu'elle est ouverte. Pour en perdre la clef aussitôt, c'était bien adroit d'y avoir fait mettre, à Milan, une serrure compliquée qu'on a dû crocheter à Bologne! Un cadenas du moins se remplace... Dieu me damne: il enlève sa veste? Ah! tout de même regardons.

Sans attention pour la valise de Lafcadio, Fleurissoire, occupé à son nouveau faux col, avait mis bas sa veste pour pouvoir le boutonner plus aisément; mais le madapolam empesé, dur comme du carton, résistait à tous ses efforts.

— Il n'a pas l'air heureux, reprenait à part soi Lafcadio. Il doit souffrir d'une fistule, ou de quelque affection cachée. L'aiderai-je! Il n'y parviendra pas tout seul...

Si pourtant! le col enfin admit le bouton. Fleurissoire reprit alors, sur le coussin où il l'avait posée près de son chapeau, de sa veste et de ses manchettes, sa cravate et, s'approchant de la portière, chercha comme Narcisse sur l'onde, sur la vitre, à distinguer du paysage son reflet.

— Il n'y voit pas assez.

Lafcadio redonna de la lumière. Le train longeait alors un talus, qu'on voyait à travers la vitre, éclairé par cette lumière de chaque compartiment projetée; cela formait une suite de carrés clairs qui dansaient le long de la voie et se déformaient tour à tour selon chaque accident du terrain. On apercevait au milieu de l'un d'eux, danser l'ombre falote de Fleurissoire; les autres carrés étaient vides.

— Qui le verrait? pensait Lafcadio. Là, tout près de ma main, sous ma main, cette double fermeture, que je peux faire jouer aisément; cette porte qui, cédant tout à coup, le laisserait crouler en avant; une petite poussée suffirait; il tomberait dans la nuit comme une masse; même on n'entendrait pas un cri... Et demain, en route pour les îles!... Qui le saurait?

La cravate était mise, un petit noeud marin tout fait; à présent Fleurissoire avait repris une manchette et l'assujettissait au poignet droit; et, ce faisant, il examinait, au-dessus de la place où il était assis tout à l'heure, la photographie (une des quatre qui décoraient le compartiment) de quelque palais près de la mer.

— Un crime immotivé, continuait Lafcadio: quel embarras pour la police! Au demeurant, sur ce sacré talus, n'importe qui peut, d'un compartiment voisin, remarquer qu'une portière s'ouvre, et voir l'ombre du Chinois cabrioler. Du moins les rideaux du couloir sont tirés... Ce n'est pas tant des événements que j'ai curiosité, que de moi-même. Tel se croit capable de tout, qui, devant que d'agir, recule... Qu'il y a loin, entre l'imagination et le fait!... Et pas plus le droit de reprendre son coup qu'aux échecs. Bah! qui prévoirait tous les risques, le jeu perdrait tout intérêt!... Entre l'imagination d'un fait et... Tiens! le talus cesse. Nous sommes sur un pont, je crois; une rivière...

Sur le fond de la vitre, à présent noire, les reflets apparaissaient plus clairement, Fleurissoire se pencha pour rectifier la position de sa cravate.

— Là, sous la main, cette double fermeture — tandis qu'il est distrait et regarde au loin devant lui — joue, ma foi! plus aisément encore qu'on eût cru. Si je puis compter jusqu'à douze, sans me presser, avant de voir dans la campagne quelque feu, le tapir est sauvé. Je commence: Une; deux; trois; quatre; (lentement! lentement) cinq; six; sept; huit; neuf... Dix, un feu...

André Gide: Oeuvres majeures

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