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CHAPITRE I
II.
LES VIEILLES CHANSONS.83

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Si on a dit justement que l'Écosse avait autant de ballades que l'Espagne84, on pourrait dire, avec autant de vérité, qu'on y chante autant de chansons qu'en Italie. L'Écosse semble avoir été, de tout temps, une nation musicale. Le soutien des chansons, la musique, y tient partout sa place dans la vie populaire. Elle en accompagne tous les actes. Aux baptêmes, aux mariages, à toutes les réunions joyeuses, éclatent, avec les cornemuses, le failte, c'est-à-dire, le salut de bienvenue85; ou le pibroch, l'air martial qui rassemble le clan. Aux funérailles, le coronach gémit l'air des lamentations, si triste et si désespéré que Tennyson n'a pas trouvé d'autre mot pour rendre les sanglots suprêmes du cygne expirant86. Jadis la musique s'intercalait encore dans les intervalles de ces faits marquants, où elle intervient chez tous les peuples. Les villes avaient des joueurs de cornemuses, qui parcouraient les rues le matin et le soir87. Ce n'était pas une chose rare que les fermiers, pour exciter l'ardeur de leurs moissonneurs, leur adjoignissent un cornemusier, qui jouait tandis que les faux se démenaient dans les épis; il avait une part de moissonneur88. On rentrait la récolte au son des violons. Les concours de cornemuse étaient fréquents. Les chemins étaient parcourus par des musiciens ambulants89. Encore aujourd'hui, il est impossible de faire un voyage en Écosse sans en rapporter une vive impression musicale. Parmi les souvenirs qui nous en sont restés, deux des plus frappants sont celui d'une soirée d'été où, dans la grande rue d'Ayr, deux cornemusiers jouaient de vieux airs en marchant vite de long en large; celui de quelques heures solitaires, passées au haut de Calton Hill à voir le crépuscule descendre sur les fumées d'Édimbourg, tandis que le pibroch montait d'en bas, perçant tous les bruits confus de la cité, semblable au grillon de la vaste nuit.

Sur cette végétation de musique, se sont posées une quantité bien plus grande de chansons, car souvent elles se sont abattues à quatre ou cinq sur un seul air, comme des oiseaux sur une branche. Elles se sont ainsi multipliées à l'infini90. Le pays entier en est sonore. Tout le monde y chante. Le principal Shairp, qui a laissé lui-même quelques douces mélodies et surtout a écouté les mélodies de sa contrée avec un cœur attendri, a heureusement décrit cette universalité de chansons. «Jusqu'à une époque très récente, l'air entier de l'Écosse, parmi le peuple des campagnes, était parfumé de chansons. Vous entendiez la laitière chanter une vieille chanson, en trayant les vaches dans le pré ou dans l'étable; la ménagère vaquait à son travail ou filait à son rouet, avec un lilt sur les lèvres. Vous pouviez entendre, dans une glen des Hautes-Terres, quelques moissonneuses solitaires chanter, comme celle que Wordsworth a immortalisée. Dans les champs des Basses-Terres, à la moisson, tantôt l'un, tantôt l'autre des faucheurs prenait une mélodie vieille comme le monde, et toute la bande éclatait en un chorus bien connu. Le laboureur en hiver, en retournant le gazon vert, faisait passer le temps en bourdonnant ou en sifflant un air; même le tisserand, quand il poussait la navette entre les fils, adoucissait par une chanson le dur bruit. Jadis, la chanson était le grand amusement des paysans, lorsque par les soirs d'hiver, ils se réunissaient pour les veillées du hameau, au foyer les uns des autres. Tel a été l'usage de l'Écosse pendant des siècles.91»

Ce n'est là qu'un résumé élégant et un peu académique de ce bruissement de chansons par tout le pays. Veut-on un exemple particulier, et autrement pénétrant, de ce que pouvaient être, même en des temps proches de nous, l'influence et les bienfaits de la chanson en Écosse? C'est un passage emprunté à un livre navrant, les souvenirs de William Thom d'Inverarie, un pauvre tisserand, qui fut lui-même un poète, et qui mourut de misère, en 1850, après une vie affreuse de labeur et de famine, dont le récit mouille les yeux. Il parle de chansons populaires, de celles de Burns, du berger d'Ettrick, c'est-à-dire de James Hogg, alors dans tout l'éclat de sa production, et de Tannahill, qui avait été tisserand. Il les montre voltigeant au-dessus des métiers. Il y a dans ces lignes un tableau de misère et un hommage de gratitude qui sont d'une grande éloquence. C'est une page qu'on peut lire avec soin, car elle en apprend beaucoup sur la vie morale des plus pauvres classes en Écosse. «Comme elles résonnaient, s'écrie-t-il, au-dessus du fracas d'un millier de métiers! Laissez-moi proclamer ce que nous devons à ces esprits de la chanson, quand ils semblaient aller de métier en métier, soutenant les découragés. Quand la poitrine est remplie de tout autre chose que d'espérance et de bonheur, que le refrain salubre et vigoureux éclate: Un homme est un homme malgré tout, et le tisserand surmené reprend cœur… Qui osera mesurer l'influence de ces chansons? Pour nous, elles servaient de sermons. Si l'un de nous avait été assez hardi pour entrer dans une église, il en eût été expulsé par décence. Ses vêtements misérables et curieusement rapiécés auraient disputé l'attention des auditeurs à l'éloquence ordinaire de l'époque. Les cloches de l'église ne sonnaient pas pour nous. Les poètes en vérité étaient nos prêtres; sans eux, les derniers débris de notre existence morale auraient disparu. La chanson était la goutte de rosée qui s'assemblait pendant les longues nuits découragées, et qui était fidèle à briller aux premiers rayons du soleil. Vous auriez pu voir le Vieux Robin Gray faire venir des larmes à des yeux qui pouvaient rester secs dans le froid et la faim, dans la fatigue et la souffrance».92

Non-seulement tout le monde chante des chansons, mais tout le monde en compose. La chanson est devenue une façon commune d'exprimer ses sentiments. Chacun s'en sert. Depuis les rois comme Jacques V93, et les gentilshommes de haut vol comme Montrose94, jusqu'aux paysans et aux savetiers, et, pour employer une image de Burns, depuis ceux qui sont la plume au bonnet de la société jusqu'à ceux qui sont les clous à ses souliers95, tous écrivent leur chanson. De la part des médecins, des révérends, des avocats, des maîtres d'école, cela est après tout, peu surprenant. Ces professions sont cultivées. Mais il est incroyable jusqu'à quels infimes métiers il faut descendre pour épuiser, que dis-je, pour dresser la liste de ceux qui ont contribué à l'anthologie écossaise. Un matelot comme Falconer, un savetier comme Andrew Sharpe, un bedeau comme Andrew Scott, un sonneur comme Dugald Graham, ont écrit des chansons aussi délicates que les plus savants96. Il n'est pas jusqu'à un bandit comme Macpherson qui, à la veille d'être pendu, n'ait mis ses adieux en une chanson dont les refrains ont été repris par Burns.97 Et ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que les chansonniers les plus illustres de l'Écosse, je ne dis pas sortent des rangs les plus humbles, mais y vivent98. En mettant à part Burns qui éclipse les autres, on rencontre dans l'histoire de la chanson écossaise, des noms comme de ceux de Ramsay qui fut coiffeur, et de Fergusson, un pauvre commis; de Tannahill qui était tisserand, et de James Hogg qui était berger. Cette origine populaire est même ce qui distingue le recueil des chansons écossaises de celui des chansons anglaises; celles-ci sont presque toutes dues à de véritables littérateurs99. Les femmes elles-mêmes s'en mêlaient. Quelques-unes des plus célèbres et des plus touchantes chansons leur sont dues. Les Fleurs de la Forêt sont de Miss Jane Eliot; le Vieux Robin Gray, dont parlait tout à l'heure Thom d'Inverarie, est de lady Anne Barnard; les vers mélancoliques que Burns se récitait à lui-même à Dumfries sont de lady Grizzel Baillie, sans parler des chansons de Miss Jenny Graham, de Miss Christian Edwards, de miss Cockburn, de miss Ann Home, de miss Cranstoun, de lady Nairn, et de bien d'autres. Il faut observer, pour comprendre la portée de ce fait, qu'aucune de ces femmes n'est une femme littéraire, comme Mrs Felicia Hemans, Lætitia Landon, ou Elizabeth Barrett Browning. Elles ont écrit des chansons par hasard, comme cela arrivait à des ouvriers et à des paysans, parce que tout le monde en écrivait; et quelques-unes se sont trouvées être immortelles.

Si nous voulons avoir une preuve particulière de ce fait, jetons un coup d'œil sur la vie de Burns. N'y trouvons-nous pas, dans toutes les classes et à toutes les époques, une succession de faiseurs de chansons? À Mauchline, ce ne sont de toutes parts que d'humbles poètes: c'est David Sillar, le maître d'école d'Irvine; William Simpson, un autre maître d'école à Ochiltree; c'est le brave Lapraik, le fermier dont on chantait les chansons aux veillées d'hiver100. N'est-ce pas parce qu'il avait entendu de lui une jolie chanson d'affection conjugale, que Burns, sans le connaître, lui a écrit sa première épître? Et les strophes où il lui raconte à quelle occasion il a entendu parler de lui, n'en disent-elles pas beaucoup sur les habitudes des paysans écossais, ne confirment-elles pas pleinement le passage du principal Shairp?101

Le Mardi-Gras nous tînmes une veillée,

Pour bavarder et tricoter des bas;

Il y eut grand rire et grand jeu,

Vous n'en doutez pas;

À la fin, on se mit de tout cœur

À chanter des chansons.


On en chanta une, parmi le reste,

Qui me plut par dessus les autres;

Elle était adressée par un bon mari

À une chère femme;

Elle remuait les cordes du cœur dans la poitrine,

Et les faisait vivre102.


J'ai à peine jamais entendu si bien décrit

Ce que les cœurs généreux, virils, éprouvent;

Je pensai: «Ceci serait-il de Steel,

Ou l'œuvre de Beatie?»

Ils me dirent que c'était d'un vieux brave homme

D'auprès de Muirkirk.


Cela me fit grand plaisir de l'apprendre,

Je m'informai de lui,

Et tous ceux qui le connaissaient déclarèrent

Qu'il avait un génie,

Que personne ne le surpassait, que peu l'approchaient,

Tant il était beau.


À Édimbourg, les auteurs de chansons ne se comptent plus dans le monde littéraire. Les gens les plus grands en composent, le Dr Blacklock, le Dr Beattie, Blair. Plus bas, c'est James Tytler, John Marsterston; Creech, le libraire, le sec petit Creech lui-même s'en mêle. Dans les voyages de Burns, nous le voyons aller rendre hommage au Rév. John Skinner, une des gloires de la chanson écossaise, le célèbre auteur de Tullochgorum, les délices de Burns103. Le duc de Gordon en écrit aussi104. À Dumfries, c'est un gentilhomme campagnard, comme John Riddell, un acteur ambulant, comme Turnbull105. Les femmes sont plus surprenantes encore. Dans la haute société d'Édimbourg, nous trouvons Mrs Cockburn, l'auteur des Fleurs de la Forêt, que Burns a fait insérer par Thomson dans son recueil: Les «Fleurs de la Forêt sont un charmant poème, et devraient être, doivent être mises sur les notes; mais, bien que hors des règles, les trois stances commencent: J'ai vu le sourire de la Fortune trompeuse sont dignes d'une place, ne fût-ce que pour immortaliser leur auteur, une vieille dame de ma connaissance, en ce moment vivant à Édimbourg»106. Près d'elle, Miss Cranstoun qui allait devenir la seconde femme de Dugald Stewart. Dans la bourgeoisie moyenne, nous trouvons Clarinda; dans la province, des dames comme Maria Riddell. Une fille de ferme envoie des vers à Burns107. Ce n'est pas tout. Il y a, dans les anthologies écossaises, une douce et charmante chanson qui commence ainsi:

Venant par les collines de Kyle,

Parmi la jolie bruyère fleurie,

Là, j'ai rencontré une jolie fillette

Qui gardait ses brebis rassemblées108.


Burns se charge de nous apprendre qui en était l'auteur. «Cette chanson est la composition d'une Jane Glover, une fille qui n'était pas seulement une prostituée, mais aussi une voleuse, et qui, à l'un ou l'autre de ces deux titres, a visité la plupart des maisons de correction de l'ouest. J'ai recueilli cette chanson de ses propres lèvres, tandis qu'elle traversait le pays, en compagnie d'un malandrin, faiseur de tours»109. Et tous ces personnages ne sont que ceux qui traversent la correspondance incomplète d'un homme qui a peu vécu!

Dans cette atmosphère saturée de chansons, serait-il possible que Burns ait grandi, vécu, sans en profiter? Serait-il possible que, comme pour les ballades, il les ait entendues sans les goûter, qu'il les ait connues sans les imiter, qu'il n'ait pas trouvé à cueillir une feuille verte sur cette branche touffue de la littérature populaire?

On pourrait à l'avance affirmer que sa position à l'égard des chansons a dû être toute différente. Ce ne sont plus ici des aventures rétrospectives et exceptionnelles. Les chansons, étant l'explosion du sentiment, lequel est sans cesse le même, sont toujours des contemporaines, les chansons populaires surtout, qui généralement expriment un sentiment simple. Sauf l'orthographe, une chanson d'amour du XVIe siècle peut servir à un amoureux d'aujourd'hui. Avec sa vigueur de pensée qui faisait toujours porter sa poésie sur la substance des choses, Wordsworth a bien marqué cette différence entre les deux modes de poésie populaire. Lorsqu'il aperçut dans un champ la fille solitaire des Highlands qui, tout en coupant et en liant le grain, chantait pour elle-même un chant mélancolique, si bien que la mélodie emplissait le val profond, il marqua nettement le caractère des ballades et des chansons.

Personne ne me dira-t-elle ce qu'elle chante?

Peut-être ces vers plaintifs s'épanchent-ils

Pour d'anciens malheurs éloignés,

Et des batailles du temps jadis;

Ou bien est-ce un chant plus humble,

Matière familière d'aujourd'hui —

Un chagrin, un deuil, une peine naturels,

Qui ont existé, et peuvent exister encore.110


Avec les chansons, Burns était sur son terrain. Elles lui parlaient de choses qu'il avait ressenties ou qu'il avait vues circuler autour de lui. Il devait trouver en elles quelque chose de la vie actuelle, réelle, présente, telle qu'il l'aimait, la voyait et la rendait. Il devait les aimer, par suite des mêmes tendances d'esprit qui le rendaient indifférent aux ballades.

Mais ce ne sont là que des hypothèses. Les faits valent mieux. Les voici. Les chansons populaires ont été pour Burns une passion de toute la vie. Enfant, il les avait entendu chanter par sa mère, il en avait été bercé. Son premier amour fut en partie inspiré par elles, car il aima la première fillette qu'il ait aimée, la petite moissonneuse, parce qu'elle chantait doucement. Sa première composition poétique fut une chanson qu'il composa sur un reel favori de cette fillette111. Plus tard, ce fut avec un recueil de chansons qu'il commença à former son goût littéraire:

«La collection de chansons était mon vade mecum. Je m'absorbais dans cette lecture lorsque je conduisais mon chariot ou que j'allais au travail, chanson par chanson, vers par vers, notant soigneusement ce qui était vraiment tendre et sublime, de l'affectation et du clinquant»112.

Sa première ambition littéraire fut d'écrire une chanson en l'honneur du pays écossais:

Je formai alors un vœu, je me rappelle son pouvoir,

Un vœu qui, jusqu'à ma dernière heure,

Soulèvera puissamment ma poitrine,

C'est que, pour l'amour de la pauvre vieille Écosse

Je puisse faire un plan ou un livre utile,

Ou tout au moins, chanter une chanson113.


Ses premières amours s'exhalèrent naturellement en chansons; elles furent, pour lui aussi, une façon toute prête de rendre ce qu'il éprouvait. «Il faut que vous sachiez que toutes mes premières chansons d'amour furent l'expression d'une passion ardente»114. Bien qu'il n'ait écrit que relativement peu de chansons pendant la première partie de sa vie, tous les événements importants qui la traversèrent y sont représentés, tant elles étaient chez lui l'expression inévitable des émotions.

Il ne cessa jamais de s'occuper de cette forme de la littérature populaire. Lorsqu'il parcourut l'Écosse, il se fit un devoir d'aller visiter chacun des endroits rendus célèbres par les vieilles poésies. Celles-ci, étant l'œuvre du peuple et par conséquent d'une inspiration très particulière et souvent toute locale, contiennent un grand nombre de noms de localités. Elles répandent sur tout le pays le charme que les passions humaines donnent, aux yeux des hommes, aux pierres oublieuses et à l'insensible nature où elles ont frémi. Dans le recueil de Whitelaw, qui contient douze cents chansons environ, on n'en relève pas moins d'un dixième dont les titres sont des noms d'endroits: Sur les bords sinueux de la Nith, les Bouleaux d'Invermay, le Moor de Culloden, Hélène de Kirkonnel, le Château de Roslin, la Rose d'Annandale, le Buisson au-dessus de Traquair, les Gorges tristes de Yarrow, le Vallon de Glendochart, Là où le Quair coule doucement, sur les Talus sauvages du Calder, etc. Sans compter les chansons où les localités, sans former le titre, sont contenues dans le texte. Toutes les rivières et tous les ruisseaux d'Écosse s'y trouvent, et aussi des montagnes, des collines, des lochs, des gorges. On tirerait de cette anthologie une géographie complète de l'Écosse, tant elle est drument semée d'endroits célèbres. Ce sont eux que Burns alla visiter.

«Je suis un tel enthousiaste des vieilles chansons que, au cours de mes différentes pérégrinations à travers l'Écosse, j'ai fait un pélerinage à chaque endroit particulier où une chanson populaire a pris naissance, Lochaber et les Coteaux de Ballendaen exceptés. En tant qu'il m'a été possible d'identifier la localité, soit d'après le titre de l'air, soit d'après le contenu de la chanson, j'ai été faire mes dévotions au sanctuaire particulier de toutes les muses écossaises115».

Il devait augmenter lui-même la liste de ces pèlerinages. Il est impossible maintenant de passer près des pentes de Ballochmyle, près de l'endroit où l'Afton coule encore doucement, comme s'il se souvenait de la prière du poète, près des bords où l'Ayr baise sa rive de gravier, près des cascades d'Aberfeldy, ou des bois de Craigie-Burn, sans aller, comme lui, rendre hommage à ces sanctuaires de la chanson écossaise. Il connaissait à peu près tout ce qui avait été publié sur ce sujet. «Je vous demande la première ligne des vers, parce que, si ce sont des vers qui ont paru dans n'importe laquelle de nos collections de chansons, je les connais»116. Il n'exagérait rien lorsqu'il disait: «J'ai donné plus d'attention à toute espèce de chansons écossaises que peut-être aucune autre personne vivante ne l'a fait»117.

À cette passion pour les vieilles chansons se mélangeait, comme un des éléments dont elle était formée, un sentiment fort vif de la musique écossaise. Musique difficile à définir, difficile même à goûter au premier abord. Par le nombre des tons, les changements constants de modulation, la quantité et la variété des cadences118, elle produit un effet de singularité, d'irrégularité presque barbare, qui trouble l'oreille, et la laisse en arrière déroutée. Mais, quand on vainc ce premier malaise, le charme apparaît et, avec l'accoutumance, s'accroît. Il y a dans ces mélodies étranges une union de rudesse et d'inexprimable rêverie, quelque chose de farouche et d'impétueux, en même temps que de plaintif et de très caressant. Ces expressions paraissent et disparaissent, par notes soudaines, où la mélodie glisse avec une souplesse infinie, un instant saccadée et rauque, et tout d'un coup s'échappant fluide et limpide. Les airs les plus gais jouent dans une sorte de tristesse, et c'est une remarque très juste de Logan que «ces vieux airs, quelque lents et plaintifs qu'ils soient, peuvent généralement, avec un excellent effet, être convertis en une mesure rapide et dansante, et vice-versa119»; tant le fond de cette musique consiste en une mélancolie ardente. Et toujours ce charme pénétrant s'aiguise à ce qu'elle a d'inquiétant et d'insaisissable. Pour les Écossais, ces mélodies se marient aux aspects des lieux, et portent dans les âmes toute la poésie de la patrie.

Burns avait un sens très profond de ces airs, et on verra qu'il avait saisi ce double caractère de tristesse et de vivacité qui permet l'une ou l'autre expression, par un simple changement de mesure.

«Que nos airs nationaux conservent leurs traits naturels. Ils sont, je le reconnais, souvent sauvages et irréductibles aux règles modernes, mais de cette étrangeté même dépend peut-être une grande partie de leur effet120».

Ailleurs, il en parlait en homme qui en avait été remué jusqu'au frisson.

«Ces vieux airs écossais sont si noblement sentimentaux que, lorsqu'on veut composer sur eux, fredonner l'air mainte et mainte fois est la meilleure façon de saisir l'inspiration et de hausser le poète à ce glorieux enthousiasme qui caractérise si fortement notre vieille poésie écossaise»121.

Bien que, dans la première partie de sa vie littéraire, Burns ait composé peu de chansons, on peut dire qu'il n'avait pas cessé de se préparer à en écrire.

Aussi quand Johnson d'abord, et Thomson un peu plus tard, formèrent chacun le projet de publier un recueil de chansons nationales et lui proposèrent d'y collaborer, accepta-t-il des deux côtés avec ardeur. À propos de l'entreprise du premier, il écrivait: «Il y a un ouvrage qui paraît à Édimbourg et qui réclame votre meilleure assistance. Un graveur de cette ville s'est mis à rassembler et à publier toutes les chansons écossaises qu'on peut trouver avec la musique. J'en perds absolument la tête à ramasser de vieilles strophes et tous les renseignements qui subsistent sur leur origine, leurs auteurs, etc.122». À la proposition du second, il répondait en déclarant qu'il ne le cédait à personne en attachement enthousiaste à la poésie et à la musique de la vieille Calédonie, et en promettant son concours. Mais c'était, on se le rappelle, un concours qu'il voulait gratuit. «Dans l'honnête enthousiasme avec lequel je m'embarque dans votre entreprise, parler d'argent, de gages, de salaire, d'honoraires, serait une véritable prostitution d'âme»123. Il disait fièrement que ses chansons seraient au-dessus ou au-dessous de tout prix. Elles devaient être, en effet, «au-dessus des rubis». À partir de ce moment, il devait consacrer presque entièrement son génie à la chanson.

Burns mit à sa collaboration une condition qui fait honneur à sa clairvoyance littéraire et à son goût. C'est qu'il écrirait en écossais les chansons qu'il fournirait.

«À propos, si vous voulez des vers anglais, c'en est fait en ce qui me concerne. Que ce soit dans la simplicité de la ballade ou le pathétique de la chanson, je ne puis espérer me satisfaire moi-même que si on me permet au moins de les saupoudrer de notre langage natif»124.

Il se sentait plus à son aise dans ce dialecte qu'il avait manié depuis l'enfance et dans lequel il avait déjà écrit une grande partie de ses œuvres. Il était dépaysé lorsqu'il voulait écrire en anglais. Il employait dans sa prose un anglais fort et nerveux, mais, en poésie, il devait se contraindre pour que l'accent du pays ne reparût pas, et cette contrainte le paralysait.

«Les chansons anglaises m'embarrassent à mort. Je n'ai pas la maîtrise de ce langage que j'ai de ma langue natale. En vérité, je pense que mes idées sont plus pauvres en anglais qu'en écossais. J'ai essayé d'habiller Duncan Gray en anglais, mais tout ce que je peux faire est déplorablement stupide.125»

En dehors de cette convenance personnelle, il y avait à ce choix une cause qui pénétrait plus avant dans les choses elles-mêmes. Burns avait bien compris que la musique écossaise, pastorale et sortie d'un peuple de bergers, s'accommodait mieux d'un langage rustique et voisin d'elle. Il avait conscience d'une sorte d'affinité entre ce dialecte dorique, comme il l'appelait, et ces mélodies de montagnes.

«Laissez-moi vous faire remarquer que, dans le sentiment et le style de nos airs écossais, il y a une simplicité pastorale, quelque chose qu'on pourrait dénommer le style et le dialecte dorique de la musique vocale, à quoi une petite dose de notre langage et de nos manières natales est particulièrement, bien plus, uniquement adaptée.126»

C'est une idée à laquelle il revenait constamment, et toujours avec une grande précision de termes:

«Il y a, dans un léger mélange de mots et de phraséologie écossais, une naïveté, une simplicité pastorale, qui est plus en rapport, du moins à mon goût et j'ajouterai au goût de tout vrai Calédonien, – avec le pathétique simple ou la légèreté rustique de notre musique nationale, que n'importe quels vers anglais.127»

Il y avait là un sens artistique très fin des rapports entre les paroles et la musique. L'œuvre de Burns y a certainement gagné. Il convient d'ajouter que la justesse de cette vue a eu une importance capitale pour l'histoire littéraire de l'Écosse. Si Burns n'avait pas été si ferme sur ce point et avait écrit pour des airs écossais des paroles anglaises, comme celles que son collaborateur Peter Pindar a pu fournir, quelle que fût du reste leur différence, l'œuvre de Thomson devenait quelque chose de mixte et d'incolore. Tout un fonds de chansons écossaises que Burns a reprises, rajeunies, ravivées, disons le mot, sauvées, était perdu. Toutes ces parcelles d'or étaient charriées dans l'oubli. L'Écosse y perdait un des titres de sa gloire littéraire.

Une fois sa résolution prise, il se mit à l'œuvre avec une vraie passion, recueillant de tous côtés de vieilles chansons, et surtout de vieux airs. Il était infatigable à cette recherche, et il est intéressant de voir où il allait récolter le moindre fragment de mélodie populaire. Tantôt il faisait chanter à sa femme les airs qu'elle savait: «l'air a été pris de la voix de Mrs Burns128». D'autres fois, il faisait sa moisson dans les campagnes: «J'ai encore chez moi plusieurs airs écossais manuscrits que j'ai recueillis en grande partie des chants des fillettes de la campagne»129. Dans son enthousiasme, il interrogeait tout le monde autour de lui: «J'ai rencontré, dans les volontaires de Breadalbane qui sont cantonnés ici, un highlander musical qui m'assure se souvenir très bien que sa mère chantait des chansons gaéliques sur Robin Adair et Gramachree»130. Les airs écossais ne lui suffisaient pas. Il en recueillait d'irlandais qui pouvaient servir de canevas à une chanson131. Il allait plus loin; il trouva un air hindou.

«Je vous envoie une curiosité musicale, un air des Indes orientales, dont vous jureriez que c'est un air écossais. J'en connais l'authenticité, attendu que le gentleman qui l'a rapporté est un de mes amis particuliers.132»

Il ne mettait pas moins d'ingéniosité à adapter les airs que d'activité à les découvrir. Tantôt, c'était un des anciens chants d'église que les gens de la Réforme, pour les rendre ridicules, avaient affublés de paroles grossières.

«Connaissez-vous une amusante chanson écossaise, plus fameuse pour son humour que pour sa délicatesse, et appelée: l'Oie grise et le Milan? M. Clarke l'a notée sur ma demande, et je l'enverrai à Johnson avec des vers plus décents. M. Clarke dit que l'air est positivement un vieux chant de l'Église romaine, ce qui corrobore la vieille tradition que, à la Réforme, les Réformés ont ridiculisé beaucoup de la vieille musique d'église en l'appliquant à des vers obscènes.133»

Tantôt, c'était un air de danse, un reel, qu'on pouvait transformer, en le jouant avec une autre expression.

«Vous connaissez Fraser, le joueur de hautbois d'Édimbourg; il est ici à instruire un orchestre pour un corps de milice cantonné dans ce pays. Parmi ses nombreux airs qui me plaisent, il y en a un, bien connu comme reel, sous le nom de la Femme du Quaker, et que je me rappelle avoir souvent entendu chanter à une de mes vieilles tantes, sous le nom de Liggeram Cosh, ma jolie fillette. Mr. Fraser le joue lentement et avec une expression qui me charme tout à fait. J'en suis devenu si enthousiaste que j'ai écrit dessus une chanson que je vous envoie, en y joignant la mesure sur laquelle Fraser joue l'air.134»

Tantôt, c'est un air de chanson comique qu'il suffirait de ralentir pour le changer en un air sentimental.

Quand elle entra, elle salua est un air plus charmant que les deux autres, et, s'il était joué en manière d'andante, il ferait une charmante ballade sentimentale135.

Ce n'est en aucun cas une besogne facile que d'adapter des paroles sur de la musique. Pour Burns, elle était doublement malaisée. Il avait affaire à ces airs écossais, si bizarres, si déconcertants, que c'est un tour de force que de contraindre les mots à leurs sinuosités, à leurs élans imprévus, à leurs bonds brusques, à ce quelque chose de farouche et de fuyant qui fait leur charme. Ils possèdent à un degré extrême l'étrangeté naturelle aux airs nés dans les montagnes et dans lesquels semblent avoir passé les modulations glissantes du vent. «Certaines mélodies populaires des pays de montagnes, tels que la Suisse, l'Auvergne, l'Écosse, dit M. Fétis en parlant de la mesure, sont empreintes de nombreuses irrégularités de ce genre, et n'en sont pas moins agréables. L'irrégularité est même ce qui plaît le plus dans ces sortes de mélodies, parce qu'elle contribue à leur donner la physionomie particulière, étrange, sauvage si l'on veut, qui pique notre curiosité en nous tirant de nos habitudes»136. Ici, la difficulté augmentait encore. Il est probable qu'il y a un rapport, non encore noté, entre le parler d'un peuple et ses mélodies. Ces airs, pour la plupart d'origine celtique, se dérobent à un langage d'une autre origine, ou se cabrent contre lui; leur rhythme secoue et disloque son accent. Encore ces obstacles sont-ils atténués pour les écrivains dont la langue est molle, s'étend et se plie comme de la glaise. Mais le style de Burns est compact et court; il est tout composé de mots solides. Comment les réduire à accompagner ces détours ondoyants? Que d'essais! De combien de façons il faut les placer, les déplacer, les replacer, les essayer, pour en arracher le chant désiré! C'est un travail d'une telle difficulté qu'un homme d'une grande dextérité de main, le célèbre Peter Pindar137, qui avait promis des chansons à Thomson, ne tarda pas à y renoncer. «Peter Pindar, écrivait Thomson à Burns, a soulevé je ne sais combien de difficultés pour écrire sur les airs que je lui ai envoyés, à cause de la singularité de la mesure et des entraves qu'ils imposent au vol de son Pégase»138.

Burns lui-même sentit combien cette tâche était dure et il l'avouait franchement:

«Il y a, dans beaucoup de nos airs, un rhythme particulier, une nécessité d'adapter les syllabes à l'emphase ou à ce que j'appellerais les notes qui constituent la physionomie de l'air, qui empêtre le poète et le soumet à des difficultés presque insurmontables»139.

Cependant il ne voulait à aucun prix rien changer à ces vieux airs et il exigeait que tout vînt de lui-même.

«Dans la première partie de ces deux airs, le rhythme est si particulier et si irrégulier, et de cette irrégularité dépend tellement leur beauté, qu'il faut les prendre avec toute leur sauvagerie et y accommoder les vers»140.

Aussi lui échappe-t-il à tout instant des mouvements de dépit dans cette lutte où il se croyait souvent vaincu, mais qu'il recommençait ensuite jusqu'à ce qu'il l'emportât.

«J'ai également essayé ma main sur Robin Adair et, vous le penserez probablement, avec peu de succès; mais c'est une maudite mesure, si entortillée, si extraordinaire, que je désespère de rien faire de mieux»141.

Une lettre suivante nous montre que, pendant une promenade matinale, il a repris cet air et fait une autre chanson, une de ses plus touchantes142. Presque toujours il a réussi ce tour de force. Souvent, c'était après plusieurs essais. Parfois le hasard des inspirations heureuses le lui rendait facile.

Qu'il fût obtenu d'une façon ou d'une autre, l'accord des paroles et de la musique était parfait. C'est que Burns était un véritable chansonnier, et non un poète qui écrit des poèmes plus courts sur lesquels un musicien viendra poser un air. En lui, la poésie jaillissait toute modulée, les mots se formaient tout d'abord sur un dessin de notes. La musique précédait les paroles, les préparait, les inspirait; ou plutôt il semblait qu'elles naissaient ensemble, se mariant au fond de sa pensée, et arrivant réunies en une expression à la fois musicale et parlée; les paroles donnant à la mélodie sa signification, la mélodie donnant aux paroles leur émotion. On peut dire que chacune de ses chansons est née dans un air. Lui-même en a retracé la délicate genèse, dans un passage qui montre bien ce travail intérieur.

«Il faut, dit-il en parlant d'un air, que je le garde encore quelque temps. Je ne le sais pas encore, et, jusqu'à ce que je possède complètement un air, de façon à pouvoir le chanter moi-même (tellement quellement), je ne puis jamais composer rien dessus. Ma manière est celle-ci: je considère le sentiment poétique correspondant selon moi à l'expression musicale; alors je choisis mon thème, je commence une strophe. Quand cela est composé, ce qui est généralement la partie la plus difficile de l'affaire, je vais me promener dehors, je m'assieds ici et là, je cherche du regard autour de moi, dans la nature, des objets qui soient à l'unisson et en harmonie avec les pensées de ma fantaisie ou le travail de mon cœur, fredonnant de temps en temps l'air avec les vers que j'ai formés. Quand je sens que ma muse commence à se fatiguer, je me retire au coin de feu solitaire de mon cabinet de travail, et là je confie mes effusions au papier, me balançant par intervalles sur les pieds de derrière de mon fauteuil, de façon à évoquer mes propres remarques et mes propres critiques, pendant que ma plume marche. Sérieusement, ceci, chez moi, est presque invariablement ma façon.143»

On voit reparaître à chaque instant et à tout propos cette préoccupation de la mesure, de la mélodie.

«Je suis en train de faire des vers sur Rothiemurchie's Rant, un air qui me jette en extase, et, en fait, à moins que je ne sois charmé par un air, je ne puis pas composer de vers sur lui.144»

«Je suis sorti hier soir avec un volume du Museum à la main, lorsque tournant la page où est Allan Water: «Quels vers ma Muse répétera-t-elle, etc.», il me sembla que cette chanson était indigne d'un air si délicat; je m'assis et me démenai sous une vieille épine, jusqu'à ce que j'en eusse écrit une qui s'adaptât à la mesure. Je puis me tromper, mais il me semble qu'elle n'est pas dans mon plus méchant style.145»

Dans ce travail intérieur, la poésie et la musique exerçaient l'une sur l'autre une suggestion mutuelle. Tantôt, c'était une suite de pensées qui éveillait un air:

«Avez-vous jamais senti votre sein prêt à éclater d'indignation, en lisant ou en voyant comment ces puissants gredins, qui divisent royaume contre royaume, désolent des provinces et ruinent des nations, par caprice d'ambition ou de passions encore plus méprisables? Dans une humeur de ce genre aujourd'hui, je me rappelai l'air de La rivière de Logan; il me vint à l'esprit que sa mélodie plaintive avait son origine dans l'indignation plaintive de quelque cœur indigné, souffrant, enflammé contre la marche tyrannique de quelque destructeur public, et accablé par des détresses privées, conséquences de la ruine d'un pays. Si j'ai su rendre mes sentiments, la chanson suivante doit avoir un peu de mérite.146»

Quelquefois au contraire, et plus souvent sans doute, c'était l'air qui faisait naître une suite de pensées qui aboutissaient à une chanson. C'est ainsi que fut composée la célèbre Ode de Bruce à son armée.

«Je suis charmé par maintes petites mélodies que le musicien savant méprise comme sottes et insipides. Je ne sais pas si le vieil air Hey' tutti' taitie peut être mis dans le nombre, mais ce que je sais très bien c'est que, sur le hautbois de Fraser, il m'a souvent rempli les yeux de larmes. Il y a une tradition, que j'ai retrouvée en maint endroit d'Écosse, que cet air était la marche de Robert Bruce, à la bataille de Bannockburn. Cette pensée, pendant mes promenades du soir, hier, m'échauffa jusqu'à un accès d'enthousiasme sur le thème de la liberté et de l'indépendance; je le jetai en une sorte d'ode écossaise, adaptée à l'air, et qu'on peut supposer être le discours du vaillant roi écossais à ses héroïques compagnons, le matin de ce jour mémorable.147»

Il était impossible que des poésies conçues de cette façon ne fussent pas imprégnées de musique. Toutes ces chansons, qui ont un air à leur origine et qui ne sont pour ainsi dire que des mélodies ayant pris parole, sont faites pour être chantées. La forme littéraire ne révèle que la moitié de ce qu'elles renferment. Elles sont en réalité quelque chose de plus complet et de plus profond: de légers et parfaits exemples de l'inexprimable et incompréhensible union de la pensée et de la musique.

Pendant les dernières années de sa vie, il a marché dans une véritable atmosphère de chansons. Son cerveau n'était jamais sans plusieurs airs qui y chantaient ensemble. À la moindre occasion, il s'établissait entre un de ces airs et une idée un rapport soudain, d'où une chanson sortait. Il avait généralement plusieurs chansons, qu'il prenait, laissait, menait de front. «Je prends l'une ou l'autre, selon que l'abeille du moment bourdonne sur mon bonnet148». L'image est jolie et juste. C'était, en effet, autour de son front un continuel bourdonnement musical, comme d'une ruche. À chaque instant, une abeille d'or prenait son vol, vibrante et chargée d'un miel immortel. Il s'en est échappé ainsi, de ces années sombres et désespérées, tout un essaim joyeux et brillant qui voltigera sans cesse dans les mémoires humaines. Ses dernières productions, alors que la maladie l'accablait et que la mort l'avait déjà pris par la main, furent des chansons. Les derniers vers qu'il ait écrits sont du 12 juillet 1796, neuf jours avant qu'il ne s'éteignît:

«La plus belle fille sur les bords du Devon,

Du limpide Devon, du sinueux Devon,

Veux-tu cesser de froncer tes sourcils,

Veux-tu sourire comme tu avais coutume?149


Sa vie littéraire se termine comme elle avait commencé, par une chanson d'amour.

Il a été, pour son propre compte et de son propre crû, un grand poète de chansons. Ses émotions et ses fantaisies lui ont fourni ses pièces les plus achevées. La chanson sur Mary Davidson, celles sur Mary Campbell, ou Jane Lorimer, et, dans un genre différent, son ode de Bruce, sont parmi les accents les plus passionnés et les plus fiers qui aient frémi sur les lèvres d'un poète. Elles comptent entre les perles de son génie. Mais, à côté de cette œuvre personnelle, il a accompli, en quelque sorte, une œuvre nationale. Mettant de côté et laissant intactes celles des vieilles chansons qui méritaient de vivre, il a ramassé tout le reste. Il a fait un tas avec des débris, des lambeaux de chansons, des refrains isolés, des strophes dépareillées, des titres sans chansons, des airs sans paroles, des mélodies souillées de vers ineptes ou indécents. Il a pris là-dedans son bien où il le trouvait. Avec ces fragments, il a fait une œuvre, mi-partie de restauration, mi-partie de création. Conservant tout ce qui valait quelque chose, recueillant la plus mince parcelle d'or, il tirait du moindre indice une inspiration qui s'appuyait sur lui, le développait, le complétait, et l'encadrait, avec une adresse singulière. D'autres fois, c'était une chanson tout entière qu'il modifiait. Elle était trop grossière ou trop banale; il l'épurait, gardait quelques vers, ici une strophe, là un refrain, la relevait de touches brillantes, l'animait d'un accent sincère, la rendait transformée et embellie. Il ressemblait à un grand peintre, par les mains de qui passerait une suite de vieux tableaux à moitié effacés et frustes. Tantôt il ne garderait que le sujet pour refaire la toile tout entière; tantôt il dessinerait de nouvelles têtes; tantôt il animerait les yeux et les lèvres de celles qui existent; tantôt il retoucherait l'ensemble, faisant revivre toutes ces œuvres d'une vie nouvelle et plus splendide que celle qu'elles avaient connue. Il rendrait ainsi une galerie neuve, marquée partout des traces brillantes de son pinceau aux endroits qui font vivre. C'est ainsi qu'a fait Burns. Ce qu'il a conservé de vieux fragments poétiques est devenu sien. Il a, de cette façon, composé ou refait un nombre considérable de chansons, dans tous les genres, rêveuses, joyeuses, attristées, légères, comiques, passionnées. Elles vont de l'ode guerrière ou sociale au refrain grivois, et d'une poésie élevée à l'observation réaliste. Quelques-uns de ses critiques ont estimé que ce sont elles qui le feront le plus sûrement immortel. Carlyle a dit: «De beaucoup, les pièces les plus achevées, les plus complètes et les plus réellement inspirées de Burns se trouvent sans discussion parmi ses chansons. C'est ici, bien que ce soit par une petite ouverture, que sa lumière brille avec le moins d'obstacles, dans sa plus haute beauté et sa pure clarté soleilleuse150».

On peut mesurer maintenant combien les ballades et les chansons ont agi sur Burns de façon opposée. Les premières ne lui ont inspiré que de l'indifférence; il en a mal parlé, et il n'en a laissé que quelques imitations inférieures. Les secondes ont excité en lui un enthousiasme dont on retrouve l'expression à toutes les périodes de sa vie; il les a étudiées, commentées, imitées et surpassées. Il a écrit plus de trois cents chansons, et cinq ou six ballades. Tandis qu'on pourrait établir l'actif de son génie sans parler de ses ballades, et faire l'histoire de la ballade en Écosse sans même citer son nom, on ne saurait omettre ses chansons sans passer sous silence la moitié de son œuvre, ni faire l'histoire de la chanson sans le placer au premier rang.

84

Prescott. Essais de Biographie et de Critique; l'essai sur Les Chants de l'Écosse.

85

Voir sur le sens de ces mots, le livre de Logan, The Scottish Gaels, t. II. p. 285.

86

Tennyson. The Dying Swan.

87

Walter Scott. Minstrelsy of the Scottish Borders, p. 61.

88

Northern Rural Life in the Eighteenth Century, chap. XVIII, p. 143.

89

Voir J. Clark Murray. The Ballads and Songs of Scotland, p. 188.

90

J. Clark Murray. The Ballads and Songs of Scotland, p. 191.

91

Shairp Aspects of Poetry, chap. VII, p. 199.

92

Rhymes and Recollections of a Hand-loom Weaver, by William Thom, page 8.

93

The Gaberlunzie Man; the Jolly Beggars.

94

My dear and only Love.

95

To Charles Sharpe 22nd April 1791.

96

On trouvera les chansons de ces poètes dans le recueil de Whitelaw, The Book of Scottish Song. – Voir aussi les noms donnés dans The Peasant Poets of Scotland, by Henry Shanks – et les petites notices biographiques qui se trouvent dans le recueil de chansons plus récentes, intitulé Whistle Binkie.

97

Macpherson's Farewell. Voir, sur la chanson de ce bandit, la note de Chambers dans son édition de Burns, p. 213.

98

Voir W. Gunnyon. Scottish Life and History in Song and Ballad, p. 10.

99

Lire, pour saisir cette différence, la liste des noms des auteurs, dans les deux volumes de Ch. Mackay, The Book of English Songs, et The Book of Scotch Songs.

100

Voir, sur ces personnages, The Contemporaries of Burns and the most Recent Poets of Ayrshire, with selections from their writings, edited by James Paterson.

101

Epistle to Lapraik.

102

Cette chanson se trouve dans le volume The Contemporaries of Burns. Elle se trouve, un peu corrigée, probablement par Burns, dans le Scots Musical Museum de Johnson. Elle est aussi dans le recueil plus accessible de Whitelaw.

103

Voir, sur cette rencontre, The Life and Times of the Rev John Skinner, by the Rev William Walker, chap. VIII.

104

To James Hay, Nov 6th 1787.

105

To G. Thomson, 29th oct. 1793 et The Contemporaries of Burns, p. 92.

106

To G. Thomson, July 1793.

107

Voir sa biographie et ses vers, dans The Contemporaries of Burns, p. 78-92, et la lettre de Burns to Mrs Dunlop, Sept. 6th 1789.

108

Cette chanson se trouve dans The Contemporaries of Burns, dans le Museum de Johnson, et dans le recueil de Whitelaw.

109

Notes in an interleaved copy of Johnson's Scots Musical Museum.

110

The Solitary Reaper.

111

Autobiographical Letter to D r Moore.

112

Autobiographical Letter to D r Moore.

113

Epistle to the Guidwife of Wauchope House.

114

To G. Thomson, 26th Oct. 1792.

115

To G. Thomson, Jan. 26th 1793.

116

To G. Thomson, 16th, Oct. 1792.

117

Remarks on Scottish Songs.

118

Voir l'Introduction to Scottish Music, que Mr Colin Brown a placée en tête de la collection de chansons écossaises intitulée The Thistle. Notre attention a été attirée sur ce travail par un passage du Principal Shairp, dans son Essai: Scottish Song and Burns.

119

Logan. The Scottish Gaels, tom. II, p. 267.

120

To G. Thomson, April 1793.

121

Common place Book, 1784.

122

To Rev. J. Skinner, Oct. 28th 1787.

123

To G. Thomson, 16th Sept. 1792.

124

To G. Thomson, 16th Sept. 1792.

125

To G. Thomson, 19th Oct. 1794.

126

To G. Thomson, 26th Oct. 1792.

127

To G. Thomson, Jan. 26th, 1793.

128

To G. Thomson, 19th Oct. 1794.

129

To G. Thomson, April 1793.

130

To G. Thomson, August 1793.

131

To G. Thomson, Sept. 1794.

132

To G. Thomson, 19th Oct. 1794.

133

To G. Thomson, Sept. 1794.

134

To G. Thomson, June 1793.

135

To G. Thomson, Sept. 1793.

136

F. – J. Fétis. La musique mise à la portée de tout le monde, p. 105.

137

Son vrai nom était John Wolcot (1738-1819).

138

G. Thomson, to Robert Burns, Jan. 20th, 1793.

139

To G. Thomson, Nov. 8th, 1792.

140

To G. Thomson, 19th Nov. 1794.

141

To G. Thomson, August 1793 (lettre 19).

142

To G. Thomson, August 1792 (lettre 20). Voir un autre exemple de ces essais, sur Laisse-moi entrer cette nuit, dans les lettres à Thomson, d'Août 1793 et Sept. 1794.

143

To G. Thomson, Sept. 1793.

144

To G. Thomson, Sept. 1794.

145

To G. Thomson, August 1793.

146

To G. Thomson, 25th June 1793.

147

To G. Thomson, 1st Sept. 1793.

148

To G. Thomson, Nov. 14th 1792.

149

Fairest Maid o' Devon Banks.

150

Carlyle. Essay on Burns.

Robert Burns

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