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CHANT PREMIER.

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Table des matières

ARGUMENT.

Invocation à la France. — Plaintes de la Liberté. — Napoléon annonce le projet de la guerre de Russie. — Armement. — Revue dans la cour du Carrousel. — Le Roi de Rome. — Départ.

NAPOLÉON EN RUSSIE.

Le Départ.

O France! comme toi quelle autre nation

A le droit d’entonner un chœur d’ovation?

Quelle autre aurait conduit ce grand char de batailles,

Qui, franchissant les monts ou forçant les murailles,

Parti de Tolbiac, vole à Poitiers, accourt

Des plaines de Bovine au pont de Taillehourg,

S’élance à la croisade et sous un toit de chaume

Vient prendre Jeanne-d’Arc pour sauver le royaume,

Traverse Marignan, Cérisoles, Rocroi,

Suit Villars à Denain, Maurice à Fontenoi,

De Cadix à Moskou des deux parts enveloppe

Le Nord et le Midi de la tremblante Europe,

Quand l’aigle impérial achève son travail,

Des hauteurs du Kremlin descend à Montmirail,

Et, trompant de l’Anglais l’espérance jalouse,

S’arrête encor vainqueur sous les murs de Toulouse?

Tes triomphes récens n’ont-ils pas effacé

L’éclat dont resplendit ton glorieux passé ?

Ces braves grenadiers à la taille homérique,

Ces Hercules nouveaux d’une fable historique

N’ont-ils pas dans vingt ans conquis plus de lauriers

Que leurs nobles aïeux en des siècles entiers?

Oui, la voix du canon, héraut de la victoire,

Autour de mon berceau fit résonner ta gloire,

Et le premier regard de mes yeux enfantins

Épela l’alphabet dans ces grands bulletins

Qui publiaient, au loin semant ta renommée,

Qu’un jour t’avait suffi pour détruire une armée.

Puis, lorsque les deux bras tout chargés de drapeaux,

Tu revenais t’asseoir dans un puissant repos,

Ta parole érigeait ce monument sublime

Dont le bronze ennemi de la base à la cime

S’élève entrelacé de tes lauriers cueillis

Aux plaines d’Iéna, de Wagram, d’Austerlitz.

Je palpitais d’orgueil, et si, trop jeune encore,

Dans les rangs où marchait l’enseigne tricolore,

Je n’ai pas combattu, de la voix et du cœur

J’applaudissais, enfant, tout un peuple vainqueur.

Napoléon régnait... quel esprit de démence

Tout-à-coup s’empara de ce génie immense,

Et, le précipitant du faîte des grandeurs,

Du soleil de l’empire éteignit les splendeurs?

Quand le sort, ébranlant son trône militaire,

L’envoya se heurter aux bornes de la terre,

Je trempais de mes pleurs les récits meurtriers1 De ces combats du Nord qui voyaient nos guerriers, Vaincus des élémens dans l’âpre Moskovie, Ne céder qu’aux frimas le triomphe et la vie. Fier de les admirer, que ne puis-je en mes vers Atteindre la hauteur où monta leur revers!

Vieux chantre d’Ionie, Homère! ô mon poète!

De la Muse guerrière ô sublime interprète,

Inspire moi! je vais célébrer ces combats,

Ces exploits merveilleux, ces épiques trépas,

Iliade française en grands héros fertile,

Ney, l’émule d’Ajax, Murat, l’égal d’Achille,

Et ce chef, ou plutôt ce Jupiter des rois,

Qui, de la Renommée occupant les cent voix

Du haut de son Olympe en leur base profonde

Ebranlait d’un coup-d’œil et la France et le monde.

C’était aux jours brillans où l’empire français

Pliait sous le fardeau de ses vastes succès,

Où, du Tage à l’Oder, sur chaque citadelle

La victoire arborait son étendard fidèle.

Vers un lit de lauriers la fille des Césars

Suivit Napoléon, et, charmant leurs regards,

Dans ce royal berceau l’héritier du grand homme

Pour son premier hochet prend le sceptre de Rome.

Des deux tiers de l’Europe arbitre tout-puissant,

L’Empereur est heureux, l’empire est florissant.

Mais parmi ces concerts de victoire et de fête,

Dans ce triomphe, hélas! déplorant sa défaite,

Le front voilé de deuil, la pâle Liberté

Contemple en soupirant son autel déserté,

Depuis que, fils rebelle armé contre sa mère,

L’ambitieux héros du drame de Brumaire 2 Soumit, dans le Conseil par la force dissous, Au caprice d’un seul la volonté de tous. «O douleur! se dit-elle, on me fuit! on m’oublie! » Au prix de tant d’efforts un moment établie, » Ma puissance succombe et, traître à mon parti, » Des rangs républicains un despote est sorti! » Le casque sur son front dégénère en couronne, » Et, par moi soutenu, c’est lui qui me détrône! » Je l’aimais général, je le hais empereur; » En vain, des factions arrêtant la fureur, » Dans les flots de sa gloire il en noya la honte; » Pour m’abaisser toujours, son pouvoir toujours monte.. » Vengeons-nous! mais comment? des complots! un trépa » Non; le Français est brave, il n’assassine pas. » L’autel du despotisme attend son hécatombe. » Par la guerre élevé, par la guerre qu’il tombe! » Unis sous mon drapeau, que les rois absolus » Combattent une fois en ne m’attaquant plus! » Des bords de la Newa que jusqu’aux bords du Tibre, » Des états ébranlés pour rasseoir l’équilibre, » La vengeance se lève et que le genre humain » Ressaisisse ses droits une épée à la main! » Le génie est des cieux le plus beau privilége; » Mais quand, des nations oppresseur sacrilége, » Tel qu’un astre sanglant sur leur tête il a lui, » L’appui du bras divin se retire de lui; » L’Eternel qui d’abord aimait à le conduire, » L’envoya pour sauver et non pas pour détruire.»

Alors l’esprit guerrier dont les feux dévorans

Embrasèrent le cœur des princes conquérans,

Brûle Napoléon, et dans son sein augmente

Cette ardeur de combats qui toujours y fermente;

De ses conseils fougueux sans trêve il le poursuit,

Et dans son court sommeil le héros, chaque nuit,

Croit voir la nation, héritière des Slaves,

Ployer un front captif sous la main de ses braves.

Aux rêves de sa couche arraché brusquement,

Dans le muet travail d’un long enfantement,

Solitaire, il médite, et sa tête inclinée

Semble de l’univers porter la destinée,

Tandis qu’à la lueur d’un nocturne flambeau,

Devant lui de l’Europe étalant le tableau,

La carte se déploie et sur ses plis mobiles

Déroule les états, les fleuves et les villes,

Que le guerrier, du sort crédule confident,

Marque d’un doigt jaloux, couve d’un œil ardent.

Pour tracer à ses camps leur marche triomphale,

Le compas des cités mesure l’intervalle,

Et sa pointe acérée est comme un fer vainqueur

Qui déjà les atteint et leur perce le cœur.

Ses aigles qu’en espoir la victoire accompagne,

S’élancent de Paris, franchissent l’Allemagne,

Passent le Niémen, et des murs de Moskou,

Avec la clé du pôle attachée à leur cou,

Dans leur soif d’envahir que rien ne rassasie,

Courent se réchauffer au soleil de l’Asie.

Il s’enflamme, il s’agite: «Allons! plus de délais!

» Parlons, et que l’honneur m’arrache à ce palais!

» A moi l’appel joyeux du tambour, des cymbales,

» Le cliquetis du fer, le sifflement des balles,

» La guerre, le triomphe et, de sang tout couverts,

» Des bulletins datés du fond de l’univers!

» Qu’au seul bruit de mes pas le monde encor tressaille!

» Mon trône le plus beau, c’est un champ de bataille.»

L’Empereur, animé d’un martial transport,

S’exalte ainsi qu’aux jours où, provoquant le sort,

D’un songe ambitieux sa jeunesse occupée

Rêvait une couronne au bout de son épée.

Tant qu’il lui reste à faire, il n’a rien fait encor;

Ce trône, ces lambris ornés de pourpre et d’or,

De ces rois courtisans la foule adulatrice,

Cette couche où monta la jeune impératrice,

Ces arcs triomphateurs jusqu’au ciel élevés,

Ces autres monumens, chefs-d’œuvre inachevés,

La cité souveraine où la gloire contemple

Les dépouilles du monde accourant dans son temple,

Rien ne l’arrête; il va sur des coups incertains

Par un nouveau défi jouer ses grands destins,

Et l’échiquier fatal qui tente son envie,

Recevra pour enjeu sa couronne et sa vie.

Des princes de l’empire un conseil appelé

Se rassemble; trois fois le tambour a roulé ;

Un bruit d’armes frémit; l’Empereur va paraître;

D’un pas rapide il entre, et, saluant en maître,

S’assied comme absorbé dans un profond dessein,

Puis, relevant son front qui penchait vers son sein:

«Défenseurs de l’état, si ma main protectrice,

» En retenant la France au bord du précipice,

» Détrôna l’anarchie, et d’exploits en exploits

» Rendit à Dieu son culte et leur respect aux lois,

» Je règne; désormais ma tache est plus facile.

» La victoire, toujours à mon appel docile,

» Unit, pour ombrager le berceau de mon fils,

» Les lauriers de Wagram aux palmes de Memphis.

» Le léopard anglais contre l’aigle française

» Seul encor se redresse; il rugit: qu’il se taise!

» Poursuivons le partout pour le frapper à mort!

» S’il nous échappe au Sud, cherchons le dans le Nord.

» Là, sa foudre à la main, que la France l’écrase!

» Alexandre nous brave! un insolent ukase3 » D’un peuple de marchands accueillant les trésors, » De ses lointains états leur ouvre tous les ports. » Au pacte du blocus le voilà donc parjure! » Et d’un œil patient je verrais cette injure! » C’est peu: de mes décrets affectant le mépris, » Du duché d’Oldenbourg il réclame le prix, » Et jusqu’en mon palais une note exigeante » M’apporte du combat la menace outrageante! » Puisque de nos traités il a rompu la foi, » Que le glaive vengeur lui réponde pour moi, » Et de son vain orgueil dissipant le fantôme, » De la carte du monde efface son royaume!»

Un murmure flatteur succède à ce discours,

Mais une voix: «Ainsi nous combattrons toujours!

» La France resterait sans chef et sans armée!

» Qui donc la défendra? Sire! — Ma renommée.

» L’état? — C’est l’Empereur. — Vos jours? — Ils sont écrits.

» Dans mon camp à Moskou, sur mon trône à Paris,

» Je mourrai, quand mon heure enfin sera venue;

» Mais le ciel me remplit d’une force inconnue.

» Prince né de moi seul, je n’ai pas tout dompté :

» Il faut me soutenir comme je suis monté,

» Par la gloire. Marchons! m’arrêter, c’est descendre.

» Marchons, tant qu’appuyée au trône d’Alexandre,

» La punique Albion, maîtresse de la mer,

» Prodiguera son or pour combattre mon fer.

» C’est à force d’exploits qu’un empire se fonde.

» N’ayons de point d’arrêt que les bornes du monde.

» Du sceptre européen pour contenir le poids,

» Ma main est assez large et, roi de tous les rois,

» Je ne dois contempler au-dessus de ma tête

» Que ce Dieu qui, parmi la nuit de la tempête,

» Envoya mon génie, astre victorieux,

» A la terre ébranlée annoncer d’autres cieux.

» Courons d’un monde usé renouveler la face.

» Que des princes déchus la mémoire s’efface

» Devant les royautés qu’improvise en passant

» Ce bras, soutien du faible et terreur du puissant,

» Et notre dynastie, éclose de la veille,

» Des races de l’Europe est demain la plus vieille.

» La gloire de mon nom ne peut monter plus haut;

» Si je combats encor, c’est la paix qu’il me faut,

» Une paix honorable, et si bien cimentée

» Que partout, moi vivant, elle soit respectée.

» Je veux qu’on dise un jour: Napoléon premier

» A conquis l’univers pour le pacifier.»

Il se tait; captivé par sa voix souveraine

Dont le charme séduit, dont le pouvoir entraîne,

Le Conseil applaudit et ne soupçonne pas

Le gouffre que le Nord va creuser sous ses pas.

Envahir la Russie et dans sa métropole

S’asseoir, géant vainqueur, sur les glaces du pôle,

Voilà le but hardi qu’il cherche aveuglément;

Des arrêts éternels périssable instrument,

Plus il croit s’élever, plus il descendra vite

Dans l’abîme de gloire où Dieu le précipite.

Noirs présages, fuyez! un solennel décret

D’un nouvel armement a commandé l’apprêt.

Par un mot de son chef la France électrisée,

La France qui semblait de héros épuisée,

Comme aux temps fabuleux, du creux de ses sillons

Voit jaillir par milliers de jeunes bataillons.

L’étendard polonais à nos drapeaux s’allie.

Tyrol, Saxe, Bavière, Allemagne, Italie,

L’Autriche que l’hymen à la France enchaîna,

La Prusse où de Rosbach s’est vengée Iéna,

Ces peuples qui de Naple aiment le doux rivage

Et ceux dont les cités se baignent dans le Tage,

Monarques et sujets, tout marche, tout s’émeut;

Le monde entier s’ébranle, un seul homme le veut,

Et cette volonté qui brise les obstacles,

Enfante, en se jouant, de faciles miracles.

Lorsque du grand départ il a fixé le jour,

Le Carrousel, ouvrant l’enceinte de sa cour,

Y reçoit les guerriers, digne orgueil de la France,

Chers à ses souvenirs, chers à son espérance,

Tous ces conscrits nouveaux qui près des vétérans

A leur premier combat iront prendre leurs rangs,

Ces savans artilleurs, ces hussards intrépides,

Ces lanciers orgueilleux de leurs coursiers rapides,

Cet agile chasseur, ce pesant cuirassier

Opposant à la mort sa poitrine d’acier,

Le dragon, le vélite, et cette vieille Garde

Dont le bandeau des rois redoute la cocarde.

Leur chef les connaît tous, ces soldats courageux

Que les plaines d’Eylau dans leurs sillons neigeux,

Les Alpes sur leurs rocs, l’Egypte dans ses sables,

Virent graver au loin des pas ineffaçables.

Tels que d’une forêt les ombrages mouvans,

Leurs plumets agités flottent au gré des vents,

Et ces mousquets égaux allongés sur trois lignes,

Ces habits où l’honneur attache ses insignes,

Ces chevrons éclatans, ces fronts cicatrisés

Que du sang ennemi les flots ont baptisés,

Ces aigles, ces canons, ces drapeaux où s’étale

D’une triple couleur l’union triomphale,

Tout brille coloré des feux de ce soleil,

Qui, d’un si beau spectacle admirant l’appareil,

Fidèle au souverain, élu de la victoire,

S’applaudit d’assister aux fêtes de sa gloire.

Sur l’astre du génie aucun nuage obscur

Ne se projette encore, et dans un ciel d’azur

Que nul sombre revers ne couvrit de son voile,

Le grand homme toujours contemple son étoile. 4

Parmi ces généraux, ces princes et ces rois,

Qui, chargés de rubans, étincelans de croix,

De leurs fronts belliqueux que la gloire environne,

Elèvent le panache ou montrent la couronne,

Un chef, reconnaissable à son chapeau guerrier,

Simple en ses vêtemens, conduit un blanc coursier.

Il paraît.... Ces regards qui de leur vive flamme,

Allument les rayons au flambeau de son âme,

Ce large front d’où part comme d’un arsenal

De ses coups imprévus le foudroyant signal,

Cette face romaine où, commandant la crainte,

Le souverain pouvoir a gravé son empreinte,

Ces gestes, cette voix... c’est le héros, c’est lui,

C’est lui, des nations la terreur ou l’appui,

C’est la gloire de tous sur un seul amassée,

C’est d’un siècle nouveau la vivante pensée,

C’est l’Empereur... il marche, et chaque régiment

Mêle au bruit du tambour un cri de dévouement.

Puis, il s’arrête et voit défiler son armée,

D’un mouvement précis en colonnes formée,

Au pied du pavillon où d’instans en instans

L’horloge dans les airs marque le vol du temps,

Et, frappant les soldats de sa voix solennelle,

Semble déjà pour eux sonner l’heure éternelle.

Oh! combien vont partir qui ne reviendront pas!

Mais ces graves accens, présage de trépas,

Se perdent étouffés dans l’ivresse qu’inspire

L’hymne guerrier qui veille au salut de l’empire.

Quel est d’abord ce roi qu’un généreux élan

A ravi pour l’honneur aux loisirs de Milan?

C’est Eugène; sa gloire, à deux peuples si chère,

Donne un fils à la France, à l’Italie un père.

Compagnon du héros qui daigna l’adopter,

De triomphe en triomphe on l’a vu l’escorter,

Et, fidèle au géant de la grande épopée,

Il portera pour lui son dernier coup d’épée.

Quel autre?... c’est Murat. Son cheval a frémi,

Prêt à courir soudain contre quelque ennemi.

Son sabre aventurier en lueurs flamboyantes

S’agite; sur son front des plumes ondoyantes

Voltigent au soleil; de son manteau flottant

Les vents ont caressé le velours éclatant;

Mais le cœur d’un héros n’a pas cessé de battre

Sous ces pompeux habits, parure de théâtre.

Souvent, au premier rang, imprudent cavalier,

Il offre à tout un peuple un combat singulier,

Et, toujours du péril sollicitant le poste,

Semble un des paladins chantés par l’Arioste,

Après, marchent Junot dont le front jeune encor

Rayonne couronné des palmes du Thabor;

Oudinot qui, couvert de nobles meurtrissures,

Comme autant de chevrons étale ses blessures;

Ney qui, sage au Conseil et fougueux au combat,

Joint le sang-froid du chef à l’ardeur du soldat,

Et s’élevant toujours, d’un titre plus illustre

Au beau nom d’Elchingen ajoutera le lustre;

L’impassible Davoust, ce Fabius français

Qui, pour mieux l’affermir, diffère le succès;

Macdonald et Duroc, heureux de reconnaître

Les accens d’un ami dans la voix de son maître;

Lobau que l’Empereur appelle son lion,

Et Trévise qui semble un vivant bastion.

De l’astre impérial fidèle satellite,

De princes et de ducs quelle imposante élite

Accourt! on voit briller dans l’éclair de leurs yeux

De leurs récens exploits un reflet radieux.

Des plaines d’Austerlitz aux bords de la Calabre

Tous ont gagné leur titre à la pointe du sabre;

Ce titre est né d’hier; il est déjà partout;

Débris de cent combats, leur gloire encor debout

Plane sur l’univers, et lassant la victoire,

Ils vont recommencer leur belliqueuse histoire!

Par l’honneur entraînés vers de nouveaux périls,

Aux douceurs de la paix pourquoi s’arrachent-ils?

De nos aigles vaincus faut-il venger l’offense?

Faut-il de la frontière embrasser la défense?

Non. Des murs de Cadix aux confins d’Arkhangel

Un conquérant poursuit le sceptre universel;

Mais telle est envers lui leur sainte idolâtrie

Que dans un homme seul ils placent la patrie,

Et que ce chef trop grand pour les rendre jaloux,

Couronne leurs exploits en les écrasant tous.

Napoléon, les bras croisés sur sa poitrine,

D’un regard curieux ardemment examine

Tous ces vieux grenadiers, illustres compagnons,

Dont il sait les hauts faits et répète les noms.

Il les voit, aux accords d’une mâle musique,

Mesurer de leurs pas la marche symétrique,

Et jusque dans son cœur de ces fougueux conscrits

Comme un plus doux concert retentissent les cris.

Hélas! au même instant quelque femme éperdue,

Aux grilles de la cour peut-être suspendue,

De sa voix, de ses yeux, de ses bras maternels

Envoyait à son fils des adieux éternels,

Et l’ange des combats, plein d’une joie amère,

Souriait tristement aux larmes d’une mère!

De la longue revue impatient témoin,

L’Empereur satisfait a reconnu de loin

Cet enfant qui, bercé par l’amour de la terre,

Grandira sous l’abri du nom héréditaire.

Devant tous ces soldats qu’il n’a point vus encor,

Nouvel Astyanax effrayé par Hector,

Il ne se cache pas au sein de sa nourrice;

Le terrible appareil dont la cour se hérisse,

Le choc du fer, le bruit du tambour, du clairon,

Le galop des coursiers mordus de l’éperon,

Les casques déployant leur crinière mouvante,

Loin de troubler son cœur d’une vague épouvante,

Charment le roi de Rome, et, quand la foudre luit,

Aiglon né dans l’orage, il en aime le bruit.

De son père en ses yeux le regard déjà brille.

Parmi tant de héros, son immense famille,

Peut-il donc pressentir par un instinct d’effroi

Quel avenir l’attend, ô France! loin de toi?

L’Empereur d’une vue orgueilleuse et charmée

Admire tour-à-tour son fils et son armée,

Et trouve assez de place en son cœur triomphant

Pour l’empire du monde et l’amour d’un enfant.

Quand de tous les guerriers dont la foule l’entoure,

Les drapeaux ont reçu le sermènt de bravoure,

Joyeux, il se retire, et dès le lendemain

Ses chars bruyans du Nord ébranlent le chemin.

Sa marche est une fête à travers ses provinces.

Un monde de soldats, des maréchaux, des princes 5, La chaleur du printemps et les splendeurs du jour Escortent son départ... Quel sera son retour?

Napoléon en Russie

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