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CHANT SECOND.

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Table des matières

ARGUMENT.

Fêtes de Dresde. — Passage du Niémen. — Présages. — Dévouement d’un escadron polonais. — Entrée à Vitepsk. — Prise de Smolensk. — Combat de Valoutina. — Distribution d’aigles et de croix sur le champ de bataille. — Discours de Napoléon à ses maréchaux.

Le Niémen.

Dresde! lève ton front, pavoise tes murailles!

Car l’homme du destin et le Dieu des batailles

Arrive, accompagné comme un triomphateur,

Des flots respectueux d’un peuple adulateur.

Les villes, lui dressant des arches de verdure,

Offrent des deux côtés pour vivante bordure

Nobles et paysans qui, lui battant des mains,

Affamés de sa vue, encombrent les chemins.

Leur ardente pensée, amante des prodiges,

S’enflamme, et du génie adorant les prestiges,

Tous volent sur sa trace, humblement orgueilleux

D’admirer de si près un être merveilleux:

Son image en leurs cœurs se grave tout entière,

Et l’un dans le palais, l’autre dans la chaumière,

Un. jour, de ses exploits prolongeant les récits,

Diront à leurs enfans de surprise indécis:

J’ai vu Napoléon... et l’avide auditoire

N’osera plus nier sa fabuleuse histoire.

Mais l’heure des combats approche; en ses remparts,

Rendez-vous animé des plaisirs et des arts,

Dresde interrompt le cours de ces jeux magnifiques

Qui charment du héros les loisirs pacifiques,

Lorsque, nouveau spectacle offert aux spectateurs,

Un parterre de rois applaudit ses acteurs1. Plus de malheurs fictifs, de drame imaginaire! C’est un drame réel, un drame sanguinaire Qui, de son premier acte à son dernier instant, Tiendra dans la terreur l’univers haletant. Elles ne brillent plus ces nuits resplendissantes, Où des femmes, de grâce et d’attraits ravissantes, Par leur danse légère et leurs tendres accords De nos guerriers séduits excitaient les transports. Leurs concerts désormais, c’est le choc de l’épée! Une journée entière au carnage occupée, Voilà leur seule fête et, pour lit de repos, Ils n’auront au bivac que de sanglans drapeaux!

Alors Napoléon se déclare, et la terre

Écoute en frissonnant l’annonce de la guerre.

«Soldats! l’honneur parlait, vous l’avez entendu.

» Le cours de nos exploits, quelque temps suspendu,

» Recommence plus vaste et la journée arrive

» Qui va du Niémen nous soumettre la rive.

» Contre nous Alexandre, au mépris des traités,

» Fait marcher des soldats! et par eux arrêtés,

» Nous subirions la paix, condamnant nos bannières

» A repasser du Rhin les honteuses frontières!

» Entre le déshonneur et la guerre placés,

» Nous choisissons la guerre... Il nous a menacés...

» Que bientôt, châtiant ses paroles hautaines,

» Nos canons par delà les flots du Rorysthènes

» Rejettent l’insolent et montrent les Français

» Toujours prêts à le vaincre, à lui céder, jamais!

» Dans leur repaire obscur refoulons ces barbares,

» Ces descendans grossiers d’un ramas de Tartares,

» Qui peut-être après nous, sauvages conquérans,

» Sur les champs du Midi rouleraient leurs torrens.

» Arrachons la Pologne au knout du Moskovite,

» Et soumis au destin, que nul mortel n’évite,

» Qu’Alexandre, vaincu par la fatalité,

» De son trône d’un jour tombe déshérité !

» Quel butin passera de ses mains dans les vôtres!

» Des trésors pour les uns, des sceptres pour les autres,

» De la gloire pour tous! suivez-moi! quand nos fronts

» Brilleront couronnés de leurs derniers fleurons,

» La France posera sa tête triomphante

» A l’ombre de la paix que la victoire enfante.

» Encore une campagne! et tous les nouveaux rois,

» D’un coup de mon épée investis de leurs droits,

» Formeront, bénissant l’astre qui les protège,

» Autour de mon étoile un immense cortége.»

Comme au bruit précurseur du réveil des volcans,

Le sol tremble ébranlé du tumulte des camps,

Quel ordre fait mouvoir et quelle ardeur enflamme

Ce corps vaste et puissant dont un seul chef est l’âme!

Tous les princes, vassaux d’un si grand suzerain,

Courtisans belliqueux, de la Baltique au Rhin

Marchent, fiers d’incliner aux yeux de son armée

Leurs vieux sceptres devant sa jeune renommée.

Sont-ce là ces guerriers qui bientôt...? La terreur

Précède encor leurs pas; le soldat empereur

Les compte avec orgueil et savamment combine

Ses plans que du génie un rayon illumine.

Macdonald de Dantzick occupe les abords;

Eugène à Pilony protège d’autres bords;

La masse de l’armée au centre est établie,

Tandis que Schwartzemberg, le roi de Westphalie

De leurs peuples amis divisés en deux parts

A sa droite, à sa gauche, étendent les remparts.

A tant d’apprêts guerriers Napoléon préside.

Kœnisberg, Thorn, Posen dans sa marche rapide

L’ont vu des ouvriers animer le travail

Et rabaisser parfois au plus humble détail

Les sublimes pensers d’une tête féconde

Que le destin moula pour contenir le monde.

Il se hâte et voudrait, vainqueur inattendu,

Foudroyer d’un seul choc l’ennemi confondu.

Depuis le jour fameux où, dans Tilsitt naguère

Deux Empereurs rivaux ont désarmé la guerre,

Pacifique témoin d’un fraternel serment,

L’antique Niémen coulait tranquillement,

Quand paraît le guerrier dont le drapeau voyage

Un jour vers le Danube, un autre vers le Tage,

Le conquérant du Tibre et le vainqueur du Nil,

Napoléon. Le fleuve hésite... osera-t-il,

Soulevant le courroux d’une onde vengeresse,

Engloutir le géant qui devant lui se dresse?

Quoique du bronze encor la voix n’ait pas tonné,

Ebloui de sa gloire, il s’arrête étonné,

Et de trois ponts français prêt à subir l’outrage,

Recule, frémissant d’une impuissante rage.

Sous l’abri des forêts, dans le creux des vallons,

Jusqu’au fleuve ennemi nos hardis bataillons

S’avancent. Des hauteurs où repose sa tente,

L’Empereur, irrité par une nuit d’attente,

Vers la conquête, objet d’un avide désir,

Semble étendre une main ardente à la saisir.

Quelques sapeurs, qu’emporte une barque légère,

Sont descendus déjà sur la rive étrangère,

Et trois cents voltigeurs, à leur tour élancés,

Vont partager des ponts les travaux commencés.

Tout s’apprête en silence et dans l’ombre s’achève.

Quel spectacle imposant, quand le soleil se lève,

Et colore les monts d’où tant de fiers guerriers,

Poussant des cris joyeux, agitant leurs cimiers,

Plantent contre les bords que leur nombre épouvante

D’étendards menaçans une forêt vivante!

Là brillent nos dragons aux casques chevelus,

Les soldats de la Garde et leurs bonnets velus,

Le shako polonais et des fils du prophète

Le turban radieux comme en un jour de fête.

Car l’aigle rassembla des bouts de l’univers

Sous un même drapeau tous ces peuples divers,

De soldats et de rois héroïque assemblage,

A qui l’honneur français ne parle qu’un langage.

Par une courte plaine on voit se diriger,

Tantôt se rétrécir et tantôt s’allonger

Leur masse qui, formant une triple colonne,

Sur trois rangs séparés à l’envi s’échelonne,

Comme d’argent et d’or un fleuve éblouissant,

Divisant en trois bras son cours retentissant,

Superbe, précipite au sein des mers profondes

L’audacieux tribut de ses fougueuses ondes.

De tous ces cavaliers, de tous ces fantassins

Quels intrépides chefs conduisent les essaims?

C’est Murat, c’est Junot, c’est Davoust, c’est Bessière,

Orgueilleux de les voir, pour franchir la frontière,

Les armes à la main, dans leurs jaloux débats,

Se disputer entre eux l’honneur du premier pas.

Tandis que l’Empereur, immobile, encourage

Du geste et de la voix leur rapide passage,

Tous, en le saluant, défilent près de lui

Et leurs sabres levés dans les airs ont relui.

Le héros leur sourit; pourtant, malgré sa joie,

Un deuil anticipé dans ses traits se déploie.

De la fatalité le signe menaçant

S’imprime-t-il déjà sur son front pâlissant?

Prévoit-il qu’épuisé d’une constante lutte,

De bataille en bataille il courra vers sa chute?

La veille, jusqu’au fleuve arrivé le premier2, Abattu sous les pas de son ardent coursier, Il roula sur la grêve, et d’un sinistre augure Le souvenir peut-être assombrit sa figure. Le morne aspect des lieux, et la chaleur du jour, Tout l’accable; son œil ne découvre à l’entour Qu’un océan de sable et des plaines désertes De sauvages forêts lugubrement couvertes. Contre lui la nature arme ses élémens; La terre a tressailli de longs ébranlemens; Le soleil de son disque a voilé la lumière; Un vent de flamme au loin disperse la poussière. D’étouffantes vapeurs et de nuages lourds Un groupe se condense, et des roulemens sourds, Poursuivant nos soldats, font mugir sur leurs têtes Le céleste arsenal qui forge les tempêtes. O prodige! l’orage, en un point ramassé, N’envahit que l’espace où le camp est placé. Ailleurs le ciel est pur; ici gronde la foudre. Quand sa voix retentit, est-ce donc pour absoudre? Non, c’est pour condamner; son tonnerre à la main, L’éternel défenseur des droits du genre humain Veut-il fortifier cette vieille contrée Par un rempart de feu qui ferme son entrée?

Seul d’abord, et bientôt de sa Garde escorté,

L’Empereur inquiet vers Kowno s’est porté.

D’un pont dont l’ennemi rompit la dernière arche,

L’absence arrêterait Oudinot dans sa marche,

Et, de la Vilia pour traverser le cours,

Son ordre lui prépare un prévoyant secours.

L’escadron polonais qui de sonder le fleuve

Accepte hardiment la périlleuse épreuve,

Y descend; tout-à-coup sous les pieds des chevaux

Le sable se dérobe; ils nagent, mais des eaux

Le gouffre impétueux les saisit, les entraîne;

Les cavaliers, luttant contre une mort certaine,

Fiers d’expirer aux yeux du guerrier protecteur

Que la Pologne suit comme un libérateur,

Dressent vers lui la tête, et l’onde qui tournoie

Engloutit sans pitié son héroïque proie.

Mais leur bouche, des flots dominant la fureur,

Redit: Gloire à la France et vive l’Empereur!

Bien qu’ils aient disparu, sous la vague sonore

Leurs accens étouffés retentissent encore.

Trépas digne à la fois d’orgueil et de regret,

Que, muette d’horreur, notre armée admirait!

Noble Pologne! ainsi ton héroïsme éclate,

Et la France n’aura qu’une mémoire ingrate!

Au lieu de t’affranchir, quand pour elle tu meurs,

Dédaignant de tes fils les plaintives clameurs,

Comme le prix du sang qu’à grands flots tu lui donnes,

Elle ne t’enverra que de vaines aumônes!

Ah! si Napoléon eût dit un mot, un seul,

Changeant en étendard ton funèbre linceul,

Tu renaissais plus belle, et la Lithuanie,

Contre un joug despotique avec toi réunie,

Répondait toute armée au cri de liberté

Qu’à l’aspect des Français Varsovie a jeté.

Mânes des Casimir, pleurez votre royaume!

Il n’en survivra pas même un dernier fantôme.

Et toi, Poniatowski, que ton courage altier

Du trône polonais fait le digne héritier,

Au rang de ses soldats l’Empereur qui t’élève,

Te refuse ton sceptre en employant ton glaive.

Ne songeant qu’à détruire et non pas à fonder,

Des canons ennemis qui tardent à gronder,

Il appelle le bruit, et son aigle demande

Des flots d’un sang barbare une première offrande.

Du carnage envié l’espoir toujours trompeur

S’échappe... l’étranger, que disperse la peur,

Voudrait-il, de la guerre évitant le prélude,

Toujours entre deux camps placer la solitude?

Où sont ses combattans, ses chefs et ses boyards?

Tout un peuple n’est-il qu’un ramas de fuyards?

Pourtant au fond d’un bois où, cherchant un passage,

De nos braves hussards un escadron s’engage,

La garde russe attend et sur nos cavaliers

Précipite ses coups déchargés par milliers.

Là, malgré les efforts d’une valeur sublime,

Aux premiers rangs succombe une jeune victime,

Ségur, d’un nom illustre et l’honneur et l’appui;

Son frère au moins te reste, ô France! et grâce à lui,

La retraite, en malheurs mais en gloires fertile,

Aura son Xénophon pour chanter ses Dix mille.

Ces Russes, dont le fer nous poursuivra plus tard,

Reculent effrayés devant notre étendard.

Wilna voit dans ses murs empressés de se rendre

Napoléon camper où régnait Alexandre;

Alexandre à Dryssa, Bagration à Mir,

Barklay jusqu’à Vitepsk se hâtent de s’enfuir.

Le héros dans Vitepsk déposant cette épée

Qui fait saigner l’Europe en lambeaux découpée:

«Français! reposons-nous dans nos quartiers d’hiver;

» D’un côté la Duna, de l’autre, le Dniéper,

» Des pays que le sort pour butin nous assigne,

» Par leur double rempart fortifîront la ligne.

» Murat, Davoust, Eugène, à leur poste affermis,

» Maintiendront en respect nos tremblans ennemis.

» De la Russie entière à nos lois destinée

» Ajournons la conquête à la prochaine année.»

L’univers un moment respire sous vos coups,

Soldats! vous attendiez la paix.... détrompez-vous.

D’un seul jour de loisir Napoléon s’ennuie;

Tantôt son front rêveur sur les cartes s’appuie;

Tantôt ses yeux, tournés vers l’immense horizon,

De son étroit séjour veulent fuir la prison.

Lui que rien n’arrêtait, voilà donc qu’il s’arrête,

Lorsqu’il posait le pied au seuil de sa conquête!

Il part, mais nos guerriers dans ces rudes climats

Que le ciel va bientôt hérisser de frimas,

Du poids de la chaleur subissent la torture.

Extrême en son courroux, la marâtre nature,

Frappant le même sol, n’arrache de ses flancs

Que des hivers glacés et des étés brûlans.

Ces vainqueurs de l’Egypte à la figure mâle,

Que le soleil du Caire a brunis de son hâle,

En marchant vers le nord, s’étonnent de sentir

Les feux de l’équateur sur eux s’appesantir.

De leurs corps affaiblis la sueur abondante

Trempe leur uniforme, et d’une soif ardente

Leur gosier haletant s’irrite consumé ;

L’active baïonnette ouvre un sable enflammé 3 Et d’une eau limoneuse une indigente goutte A peine rafraîchit le désert de la route.

Lorsque près de Smolensk nos drapeaux ont paru,

Barklay sous ses remparts soudain est accouru.

Joyeux d’apercevoir les phalanges nombreuses,

Qui de loin s’allongeant sur ces lignes poudreuses,

Aux clartés du soleil en reflets onduleux

De leurs armes d’acier disséminent les feux,

Napoléon frémit, frappe des mains, s’écrie:

«Les Russes sont à moi! Murat! d’Eckmül! d’Istrie!

» Nous combattrons! enfin!» Vain espoir! devant lui

Barklay s’éloigne encore et la bataille a fui.

Du moins une ennemie, à combattre forcée,

Par sa masse de pierre au sol même fixée,

Smolensk reste debout et ses créneaux puissans,

Immobile avant-garde, attendent menaçans.

Ney de la citadelle a commencé le siège,

Et contre les faubourgs que le Russe protège,

Lobau, Davoust, Murat unissent leurs efforts,

Tandis que du Dniéper en parcourant les bords,

Poniatowski, suivi de ses lanciers agiles,

Va détruire les ponts qui joignent les deux villes,

Entre les deux coteaux où le fleuve encaissé

Remplit l’étroit espace à ses ondes laissé.

Les régimens français à travers la mitraille

Qui vole des hauteurs de la grande muraille,

Sur un chemin ardu sèment, en s’avançant,

Une longue traînée et de morts et de sang.

Atteints d’un seul boulet, des rangs entiers succombent,

Et sous un même coup trente grenadiers tombent.

Du reste de l’armée à leur trépas hardi

Les cris ont répondu, les mains ont applaudi,

Et ce bruit qui se mêle au vol sifflant des balles,

Accompagne au tombeau leurs ombres triomphales.

La nuit couvre les cieux de ses voiles obscurs;

Le canon qui tonnait aligné sur les murs,

S’apaise; le feu cesse ou plutôt recommence,

D’abord faible lueur, puis, incendie immense.

Les vaincus pour trophée à leurs vainqueurs surpris

Ne laissent en partant que de fumans débris,

Un bivac au milieu de palais en ruine,

Des magasins détruits où hurle la famine,

Des squelettes humains par la flamme noircis,

Et pas un seul vivant sur des tombeaux assis.

L’armée, envahissant sa conquête stérile,

De décombre en décombre avec ordre défile;

L’écho semble changer dans ces remparts déserts

La joyeuse fanfare en funèbres concerts.

Mais l’Empereur: «Eh bien! nous triomphons encore.

» Barklay fuit sans combat! Barklay se déshonore!

» Smolensk va nous ouvrir un plus vaste chemin.

» C’est la clé de Moskou que je tiens dans ma main.

» N’aurons-nous donc toujours d’ennemis que les flammes?

» Tous ces hommes du Nord que sont-ils donc? des femmes!

» Par le bruit du canon à la fuite excités,

» N’osant pas les défendre, ils brûlent leurs cités!

» Marchons et, renversant l’empire d’Alexandre,

» Balayons ses débris comme un monceau de cendre.»

A sa voix, Ney s’élance, et maître du plateau

Qui de Valoutina surmonte le côteau,

Aux Russes fugitifs qu’il surprend au passage,

Oppose pour barrière un torrent de carnage.

Si dans ce champ, par eux nommé le champ sacré 4, Le Polonais souvent succomba massacré, La France à qui partout une palme est tendue, Retrouve la victoire où d’autres l’ont perdue. Mais dans l’armée éclate un désespoir soudain, Et veuve d’un héros, elle pleure Gudin. Smolensk! pour recevoir sa dépouille mortelle, Ouvre à ton ennemi ta vieille citadelle; Là que sous le linceul de sa gloire rempli Dans la paix du triomphe il dorme enseveli. Jaloux de le venger, un ami le remplace; Le fer de Gudin tombe et Gérard le ramasse. Nos camps ne sont-ils pas un Panthéon guerrier Où le glaive jamais ne manqua d’héritier? Ainsi le sceptre d’or, dans les chants homériques, Immortel attribut des races héroïques, Remonte d’âge en âge et d’aïeux en aïeux Du dernier de leurs rois au premier de leurs dieux. O siècle où, de l’honneur servant la sainte idole, La France d’un héros adorait la parole! Combien un seul grand homme a fait surgir d’exploits! Prompt à distribuer des aigles et des croix, Sur le champ du combat Napoléon dispense A chaque régiment sa digne récompense. De quel élan d’orgueil jusqu’au fond de leur cœur Palpitent les soldats, quand de ce bras vainqueur Sous qui marche la France et l’Europe s’incline, Du prix de la valeur il pare leur poitrine, Ou lorsqu’en leur parlant il adoucit la voix Dont un mot a détruit et créé tant de rois! Qu’ils sont fiers, par ses mains dotés d’un nouveau grade, D’avoir pour bienfaiteur un ancien camarade, Qui de son glaive seul, comme eux tous, soutenu, N’est, soldat couronné, qu’un premier parvenu!

L’Empereur, à l’étroit dans cette immense arêne,

Cède au démon fatal qui vers Moskou l’entraîne;

Hors de Smolensk il veut arborer ses drapeaux;

Fatigué, comme lui, d’un moment de repos,

Murat, sur son coursier qui demande l’espace,

Le sabre nu, les yeux étincelans d’audace,

Crie: «En avant! marchons! cavaliers! à vos rangs!

» S’il faut un champ plus large à nos pas conquérans,

» Que, pour nous contenir, l’univers s’agrandisse,

» Et que notre Empereur toujours nous applaudisse!»

Le héros satisfait lui sourit du regard.

En vain ses maréchaux à ce fougueux départ

Opposent les déserts et de fange et de glace

Où des plus forts guerriers le courage se lasse,

Ces déserts où bientôt il les verra manquer

De pain pour se nourrir, de sol pour bivaquer,

Le typhus que des corps couchés sans sépulture

Enfante dans le camp l’exhalaison impure,

Un climat attristé par huit longs, mois d’hiver,

Et ce peuple sauvage, hommes au cœur de fer,

Dont peut-être l’audace, au péril endurcie,

Terrassera la France au fond de la Russie.

Un langage prudent révolte son orgueil;

Son sang a circulé plus rapide; son œil,

Son œil d’aigle étincelle et sa main indignée,

S’emparant de son glaive, en froisse la poignée:

«Nous arrêter! déjà ! Languir dans ces remparts,

» C’est flétrir nos drapeaux par de lâches retards,

» Qu’osez-vous proposer? vous, mes amis fidèles,

» Vous, de la grande-armée intrépides modèles,

» Vous, éprouvés long-temps sous le feu des boulets,

» Regrettez-vous ici vos femmes, vos palais,

» Le luxe de Paris et ses molles délices?

» Athlètes triomphans dans nos sanglantes lices,

» Donnez, donnez plutôt l’exemple de souffrir;

» Nés au bivac, sachez, s’il le faut, y mourir.

» De quoi vous plaignez-vous? mes aigles dans leur serre

» Rapportant un lambeau des sceptres de la terre,

» Au retour des combats, vous ont toujours jeté

» Votre lot de puissance et d’immortalité.

» Moissonnez, en courant, de nouveaux diadèmes,

» Et déjà grands par moi, soyez grands par vous-même

» De glorieux destins nous restent à remplir;

» Le sort de la Russie enfin va s’accomplir.

» La Pologne est conquise et notre heureux courage

» De deux ans dans deux mois exécute l’ouvrage.

» Achevons! vers Moskou poursuivons nos succès!

» Que la ville des Tzars devienne un camp français,

» Et qu’en ses murs vaincus ma loi continentale

» De mes états du Nord fonde la capitale.»

Il dit; huit jours après, notre armée arriva

Sur votre sol lointain, champs de la Moskowa!

Et de deux nations qui mesuraient leur taille

Les colosses guerriers s’y rangeaient en bataille.

Napoléon en Russie

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