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CHAPITRE II

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Table des matières

comment rut prit femme, et ce qu'il en advint

En l'été de 975, Hogi et son frère Rut se trouvaient ensemble sur le ting, où ils avaient leurs huttes côte à côte. Un soir qu'ils cheminaient en silence au bord du petit ruisseau de la vallée, le premier se mit à dire tout à coup:

«Rut, il te faut songer à la prospérité de ta maison; pourquoi ne te maries-tu pas?

—C'est une idée qui m'est venue souvent, répondit le jeune homme; mais je ne sais à qui m'adresser. Cependant, si cela te fait plaisir...

—Écoute, interrompit Hogi, il y a en ce moment sur le ting nombre de chefs avec leurs familles, et tu n'aurais que l'embarras du choix. Je connais entre autres une jeune fille à laquelle j'ai pensé pour toi. Elle s'appelle Unne, et son père est Mord, le jurisconsulte renommé qui habite la Ranga. Elle est belle, de mœurs irréprochables, et chacun te dira que nul homme en Islande ne saurait trouver un meilleur parti. Elle est ici; veux-tu la voir?

—Tout de même,» fit brièvement Rut.

*

* *

Le lendemain, comme les deux frères gravissaient la montagne de la Loi, ils passèrent devant le groupe de huttes occupé par les gens de la Ranga. Quelques femmes sortaient de l'une d'elles.

«Tiens, dit Hogi à Rut, voici Unne, la fille de Mord, dont je te parlais hier. Te plaît-elle?

—Tout de même,» répondit Rut.

Puis, après quelques secondes de silence:

«Je ne sais pourtant, ajouta-t-il, si je serai heureux avec elle...

—C'est un point qui ne s'éclaircit que plus tard,» repartit tranquillement Hogi, qui avait divorcé depuis dix années.

Quand la séance de la journée fut close, tous deux se dirigèrent vers la hutte de Mord et y entrèrent.

L'homme de loi était assis au fond de la cabane. Au salut des arrivants, il se leva, prit la main d'Hogi, et le fit placer à côté de lui sur le banc ainsi que son frère.

Après un échange de propos divers, Hogi prit la parole en ces termes:

«Mord, j'ai à vous toucher deux mots d'une affaire. Rut, que voici, désirerait devenir votre gendre. Je suis décidé, en ce qui me regarde, à ne pas lésiner dans cette occurrence.

—Je sais, répliqua le légiste, que vous êtes un homme riche et puissant; mais votre frère m'est inconnu.

—Je suis sa caution, fit vivement Hogi.

—Il faudra donc que vous lui donniez une grosse dot, car tous mes biens reviennent après moi à ma fille.»

Pour toute réponse, l'autre dit de quelle quantité d'argent et de terre il comptait avantager Rut. Mord parut satisfait, et il établit nettement, à son tour, le compte de l'avoir présent et futur d'Unne; puis, ces préliminaires achevés, Rut, qui avait tout écouté en silence, se leva et dit:

«Appelons des témoins.»

Les témoins présents, Mord et Rut se donnèrent la main; puis l'homme de loi fit venir sa fille, et la déclara, sans plus d'ambages, fiancée au jeune frère d'Hogi. Le mariage était fixé à un mois.

La cour avait été brève, et bref aussi était le délai; mais, que le lecteur le sache une bonne fois, ces barbares du Nord ne s'attardaient pas à ce que, nous autres civilisés, nous nommons les bagatelles de la porte. Unne, prise au dépourvu, hasarda cependant après coup quelques respectueuses et timides objections; mais son père lui repartit froidement:

«Pour une chose qui doit se faire, le plus tôt n'en vaut que mieux.» Parole décisive, que la mère corrobora de son côté en ajoutant devant son mari:

«Sachez, ma fille, que lorsque je fus fiancée à votre père, on ne me demanda pas si cela m'agréait.»

*

* *

Quelques semaines après, au bœr de Valli,—ainsi s'appelait la ferme que Mord habitait dans la vallée de la Ranga,—eut lieu la cérémonie de l'hyménée. On omettra d'en parler ici en détail, la chose n'important point au récit, et l'on gardera pour une autre occasion le tableau d'une de ces «mangeries» scandinaves, doublées de «buveries» à l'avenant, par lesquelles les sectateurs d'Odin et de Thor semblaient se préparer de leur vivant aux festins encore plus gigantesques réservés aux élus dans la Walhalla[10]. Une chose pourtant doit être notée, c'est que le banquet se passa fort bien; les cornes d'hydromel et de bière furent vidées gaillardement à la ronde; seulement il n'y eut personne, au moins parmi ceux des convives à qui lesdites libations n'ôtaient pas le pouvoir de rien remarquer, qui ne fût frappé, pendant le repas, de l'air attristé de la nouvelle épouse.

*

* *

Une fois à la Rutstad, Unne, selon l'usage du pays, fut investie du gouvernement intérieur du logis, et elle n'avait point un désir que son mari ne s'empressât de satisfaire. Cependant, loin de se dissiper, sa mélancolie ne fit qu'augmenter, et bientôt il devint évident qu'une incompatibilité absolue d'humeur séparait les époux. De querelles ouvertes, pas la moindre; mais un beau jour, au bout de deux ans, Rut s'étant absenté, comme il avait coutume de le faire au printemps, pour visiter les fiords de l'ouest, où étaient ses pêcheries, Unne s'enfuit du domicile conjugal, et, comparaissant à l'alting, elle y déclara son divorce dans les formes consacrées par la loi; après quoi elle rentra au bœr de son père.

Il s'ensuivit un procès; car l'âpre Mord, qui dans toute cette affaire avait paru de connivence avec Unne, réclama la dot qu'il avait versée, et de plus un dédommagement pécuniaire. Rut ne voulut ni rendre la dot, ni payer aucune sorte d'indemnité. Finalement le gendre proposa au beau-père de trancher la question conformément aux habitudes scandinaves, c'est-à-dire en un combat singulier dans l'île de Holm, champ clos désigné par l'usage afin qu'aucun des antagonistes ne pût avoir le recours de la fuite; mais l'homme de loi déclina l'épreuve, de sorte que le gendre garda l'argent.

*

* *

Rut et son frère Hogi s'en revinrent donc triomphants de l'alting. En route, ils entrèrent chez un paysan pour y passer la nuit. Trempés jusqu'aux os par la pluie, qui n'avait cessé de tomber tout le jour, ils s'étaient assis près d'un grand feu dans une pièce où deux petits garçons et une fillette s'amusaient en babillant sans rime ni raison, comme c'est le propre de cet âge. Tout à coup l'un des enfants dit à l'autre:

«Écoute, je vais faire Mord; toi, tu seras Rut; et je te reprendrai ta femme, parce que tu n'as pas été un bon mari.

—C'est cela; moi, je suis Rut, et toi tu n'auras pas l'argent que tu demandes si tu ne te bats point contre moi.»

Ils recommencèrent ce jeu plusieurs fois aux grands éclats de rire des gens de la maison, si bien qu'Hogi se mit en colère et frappa brutalement de son bâton le petit qui faisait le personnage de Mord.

«Va-t'en d'ici, lui cria-t-il, et cesse de te moquer de nous.»

Rut, lui, appela l'enfant qui pleurait, et, ôtant de son doigt une bague en or, il la lui donna en disant:

«Tiens, et dorénavant tâche de ne plus faire de peine à personne.»

Le marmot, tout rouge de plaisir, prit la bague et partit en courant.

Bientôt après les deux frères eurent regagné leurs bœrs respectifs, et il ne fut plus question jusqu'à nouvel ordre du débat de Rut et de Mord... Mais sous la cendre couvait, je le répète, l'invincible étincelle destinée à produire un embrasement qui devait dévorer des générations.

Gunnar et Nial scènes et moeurs de la vieille Islande

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