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XIIE NUIT

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Le lendemain, Scheherazade, avec la permission du sultan, reprit de cette sorte:

Sire, je laisse à penser à Votre Majesté quelle fut la surprise du sultan lorsqu'il vit les quatre poissons que le pêcheur lui présenta. Il les prit l'un après l'autre pour les considérer avec attention, et après les avoir admirés assez longtemps: Prenez ces poissons, dit-il à son premier vizir, et les portez à l'habile cuisinière que l'empereur des Grecs m'a envoyée; je m'imagine qu'ils ne seront pas moins bons qu'ils sont beaux. Le vizir les porta lui-même à la cuisinière et les lui remettant entre les mains: Voilà, lui dit-il, quatre poissons qu'on vient d'apporter au sultan; il vous ordonne de les lui apprêter. Après s'être acquitté de cette commission, il retourna vers le sultan son maître, qui le chargea de donner au pêcheur quatre cents pièces d'or de sa monnaie; ce qu'il exécuta très-fidèlement. Le pêcheur, qui n'avait jamais possédé une si grande somme à la fois, concevait à peine son bonheur et le regardait comme un songe. Mais il connut dans la suite qu'il était réel par le bon usage qu'il en fit, en l'employant aux besoins de sa famille.

Mais, sire, poursuivit Scheherazade, après avoir parlé du pêcheur, il faut vous parler aussi de la cuisinière du sultan que nous allons trouver dans un grand embarras. D'abord qu'elle eut nettoyé les poissons que le vizir lui avait donnés, elle les mit sur le feu dans une casserole avec de l'huile pour les frire. Lorsqu'elle les crut assez cuits d'un côté, elle les tourna de l'autre. Mais, ô prodige inouï! à peine furent-ils tournés, que le mur de la cuisine s'entr'ouvrit. Il en sortit une jeune dame d'une beauté admirable et d'une taille avantageuse; elle était habillée d'une étoffe de satin à fleurs, façon d'Égypte, avec des pendants d'oreille, un collier de grosses perles, des bracelets d'or garnis de rubis, et elle tenait une baguette de myrte à la main. Elle s'approcha de la casserole, au grand étonnement de la cuisinière, qui demeura immobile à cette vue, et frappant un des poissons du bout de sa baguette: Poisson, poisson, lui dit-elle, es-tu dans ton devoir? Le poisson n'ayant rien répondu, elle répéta les mêmes paroles, et alors les quatre poissons levèrent la tête tous ensemble et lui dirent très-distinctement: Oui, oui: si vous comptez, nous comptons; si vous payez vos dettes, nous payons les nôtres; si vous fuyez, nous vainquons et nous sommes contents. Dès qu'ils eurent achevé ces mots, la jeune dame renversa la casserole et rentra dans l'ouverture du mur qui se referma aussitôt, et se remit au même état où il était auparavant.

La cuisinière que toutes ces merveilles avaient épouvantée, étant revenue de sa frayeur, alla relever les poissons qui étaient tombés sur la braise; mais elle les trouva plus noirs que du charbon et hors d'état d'être servis au sultan. Elle en eut une vive douleur et se mettant à pleurer de toutes ses forces: Hélas! disait-elle, que vais-je devenir? Quand je conterai au sultan ce que j'ai vu, je suis assurée qu'il ne me croira point; dans quelle colère ne sera-t-il pas contre moi.

Pendant qu'elle s'affligeait ainsi, le grand vizir entra et lui demanda si les poissons étaient prêts. Elle lui raconta tout ce qui était arrivé, et ce récit, comme on le peut penser, l'étonna fort; mais sans en parler au sultan, il inventa une excuse qui le contenta. Cependant il envoya chercher le pêcheur à l'heure même; et quand il fut arrivé: Pêcheur, lui dit-il, apporte-moi quatre autres poissons qui soient semblables à ceux que tu as déjà apportés; car il est survenu certain malheur qui a empêché qu'on ne les ait servis au sultan. Le pêcheur ne lui dit pas ce que le génie lui avait recommandé; mais pour se dispenser de fournir ce jour-là les poissons qu'on lui demandait, il s'excusa sur la longueur du chemin et promit de les apporter le lendemain matin.

Effectivement, le pêcheur partit durant la nuit et se rendit à l'étang. Il y jeta ses filets et les ayant retirés, il y trouva quatre poissons qui étaient comme les autres, chacun d'une couleur différente. Il s'en retourna aussitôt, et les porta au grand vizir dans le temps qu'il le lui avait promis. Ce ministre les prit et les emporta lui-même encore dans la cuisine, où il s'enferma seul avec la cuisinière, qui commença de les habiller devant lui et qui les mit sur le feu, comme elle avait fait les quatre autres le jour précédent. Lorsqu'ils furent cuits d'un côté et qu'elle les eut tournés de l'autre, le mur de la cuisine s'entr'ouvrit encore et la même dame parut avec sa baguette à la main; elle s'approcha de la casserole, frappa un des poissons, lui adressa les mêmes paroles et ils lui firent tous la même réponse en levant la tête.

Les mille et une nuits: contes choisis

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