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D'abord que le sultan eut les poissons, il les fit porter dans son cabinet avec tout ce qui était nécessaire pour les faire cuire. Là, s'étant enfermé avec son grand visir, ce ministre les habilla, les mit ensuite sur le feu dans une casserole, et quand ils furent cuits d'un côté, il les retourna de l'autre. Alors le mur du cabinet s'entr'ouvrit; mais au lieu de la jeune dame, ce fut un noir qui en sortit. Ce noir avait un habillement d'esclave; il était d'une grosseur et d'une grandeur gigantesque et tenait un gros bâton vert à la main. Il s'avança jusqu'à la casserole et touchant de son bâton un des poissons, il lui dit d'une voix terrible: Poisson, poisson, es-tu dans ton devoir? A ces mots, les poissons levèrent la tête et répondirent: Oui, oui, nous y sommes; si vous comptez, nous comptons; si vous payez vos dettes, nous payons les nôtres; si vous fuyez, nous vainquons et nous sommes contents.

Les poissons eurent à peine achevé ces paroles, que le noir renversa la casserole au milieu du cabinet, et réduisit les poissons en charbon. Cela étant fait, il se retira fièrement et rentra dans l'ouverture du mur, qui se referma et parut dans le même état qu'auparavant. Après ce que je viens de voir, dit le sultan à son grand vizir, il ne me sera pas possible d'avoir l'esprit en repos. Ces poissons sans doute signifient quelque chose d'extraordinaire dont je veux être éclairci. Il envoya chercher le pêcheur; on le lui amena. Pêcheur, lui dit-il, les poissons que tu nous as apportés me causent bien de l'inquiétude. En quel endroit les as-tu pêchés? Sire, répondit-il, je les ai pêchés dans un étang qui est situé entre quatre collines, au delà de la montagne que l'on voit d'ici. Connaissez-vous cet étang, dit le sultan au vizir. Non, sire, répondit le vizir, je n'en ai jamais ouï parler; il y a pourtant soixante ans que je chasse aux environs et au delà de cette montagne. Le sultan demanda au pêcheur à quelle distance de son palais était l'étang; le pêcheur assura qu'il n'y avait pas plus de trois heures de chemin. Sur cette assurance, et comme il restait encore assez de jour pour y arriver avant la nuit, le sultan commanda à toute sa cour de monter à cheval, et le pêcheur leur servit de guide.

Ils montèrent tous la montagne, et, à la descente, ils virent, avec beaucoup de surprise, une vaste plaine que personne n'avait remarquée jusqu'alors. Enfin, ils arrivèrent à l'étang, qu'ils trouvèrent effectivement situé entre quatre collines, comme le pêcheur l'avait rapporté. L'eau en était si transparente, qu'ils remarquèrent que tous les poissons étaient semblables à ceux que le pêcheur avait apportés au palais.

Le sultan s'arrêta sur le bord de l'étang, et après avoir quelque temps regardé les poissons avec admiration, il demanda à tous ses émirs et à tous ses courtisans, s'il était possible qu'ils n'eussent pas encore vu cet étang, qui était si peu éloigné de la ville. Ils lui répondirent qu'ils n'en avaient jamais entendu parler. Puisque vous convenez tous, leur dit-il, que vous n'en avez jamais ouï parler, et que je ne suis pas moins étonné que vous de cette nouveauté, je suis résolu de ne pas rentrer dans mon palais que je n'aie su pour quelle raison cet étang se trouve ici, et pourquoi il n'y a dedans que des poissons de quatre couleurs. Après avoir dit ces paroles, il ordonna de camper et aussitôt son pavillon et les tentes de sa maison furent dressées sur les bords de l'étang.

A l'entrée de la nuit, le sultan, retiré dans son pavillon, parla en particulier à son grand vizir et lui dit: Vizir, j'ai l'esprit dans une étrange inquiétude; cet étang transporté dans ces lieux, ce noir qui nous est apparu dans mon cabinet, ces poissons que nous avons entendus parler, tout cela irrite tellement ma curiosité, que je ne puis résister à l'impatience de la satisfaire. Pour cet effet, je médite un dessein que je veux absolument exécuter. Je vais seul m'éloigner de ce camp; je vous ordonne de tenir mon absence secrète; demeurez sous mon pavillon, et demain matin, quand mes émirs et mes courtisans se présenteront à l'entrée, renvoyez-les, en leur disant que j'ai une légère indisposition et que je veux être seul. Les jours suivants, vous continuerez de leur dire la même chose, jusqu'à ce que je sois de retour.

Le grand vizir dit plusieurs choses au sultan, pour tâcher de le détourner de son dessein; il lui représenta le danger auquel il s'exposait, et la peine qu'il allait prendre peut-être inutilement. Mais il eut beau épuiser son éloquence, le sultan ne quitta point sa résolution et se prépara à l'exécuter. Il prit un habillement commode pour marcher à pied; il se munit d'un sabre; et dès qu'il vit que tout était tranquille dans son camp, il partit sans être accompagné de personne.

Il tourna ses pas vers une des collines, qu'il monta sans beaucoup de peine. Il en trouva la descente encore plus aisée; et lorsqu'ils fut dans la plaine, il marcha jusqu'au lever du soleil. Alors, apercevant de loin devant lui un grand édifice, il s'en réjouit, dans l'espérance d'y pouvoir apprendre ce qu'il voulait savoir. Quand il en fut près, il remarqua que c'était un palais magnifique, ou plutôt un château très-fort, d'un beau marbre noir poli, et couvert d'un acier fin et uni comme une glace de miroir. Ravi de n'avoir pas été longtemps sans rencontrer quelque chose digne au moins de sa curiosité; il s'arrêta devant la façade du château et la considéra avec beaucoup d'attention.

Il s'avança ensuite jusqu'à la porte, qui était à deux battants, dont l'un était ouvert. Quoiqu'il lui fût libre d'entrer, il crut néanmoins devoir frapper. Il frappa un coup assez légèrement et attendit quelque temps; ne voyant venir personne, il s'imagina qu'on ne l'avait pas entendu; c'est pourquoi il frappa un second coup plus fort; mais, ne voyant ni n'entendant personne, il redoubla: personne ne parut encore. Cela le surprit extrêmement, car il ne pouvait penser qu'un château si bien entretenu fût abandonné. S'il n'y a personne, disait-il en lui-même, je n'ai rien à craindre; et s'il y a quelqu'un, j'ai de quoi me défendre.

Enfin le sultan entra, et s'avançant sous le vestibule: N'y a-t-il personne ici, s'écria-t-il, pour recevoir un étranger qui aurait besoin de se rafraîchir en passant? Il répéta la même chose deux ou trois fois: mais quoiqu'il parlât fort haut, personne ne lui répondit. Ce silence augmenta son étonnement. Il passa dans une cour très-spacieuse, et regardant de tous côtés pour voir s'il ne découvrirait point quelqu'un, il n'aperçut pas le moindre être vivant...

Les mille et une nuits: contes choisis

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