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INTRODUCTION.
ОглавлениеL’HARMONIE est la loi dominante de la nature. Depuis le caillou jusqu’au lichen, depuis celui-ci jusqu’au mimosa, depuis le polypier jusqu’à l’homme, il y a une succession non interrompue de perfectionnements et de complications. Cette chaîne lie entre eux les types distincts, conserve quelques-uns des attributs de la série qui finit et fait entrevoir ceux de la série qui commence. Le terme de cette grande échelle des êtres, c’est l’homme. Il participe des propriétés du règne animal, dont il est le type et le couronnement, et retient une étincelle de l’intelligence de l’Être supérieur et parfait qui gouverne les mondes. Aussi les phénomènes de la vie humaine tiennent-ils à deux forces différentes: l’une, aveugle, irréfléchie, se révèle par les faits d’accroissement, de nutrition, d’innervation, de mouvements instinctifs; l’autre, au contraire, active, intelligente, réfléchie, se produit sur le théâtre de notre conscience.
La première de ces forces destinée à animer la matière, à diriger la vie physique, à présider à toutes les fonctions organiques, porte le nom générique de principe vital. C’est de là qu’émanent les sensations, les instincts, les appétits, dont la satisfaction importe à la conservation de l’individu et à la perpétuation de l’espèce. Cette force règne sans partage dans l’animal.
La seconde, différente des opérations de l’organisme, a une fin distincte du corps, une destinée plus haute: c’est l’âme, c’est le moi, c’est le principe de la vie intellectuelle et morale qui constitue la personnalité humaine. C’est de cette source que naissent les volitions, les souvenirs, l’activité propre, l’amour du devoir, le sentiment du droit, l’aspiration incessante vers la découverte du vrai, vers la recherche de l’inconnu. C’est aussi à ce foyer purement spirituel que nous puisons et ces espérances infinies que rien ne saurait tarir en notre cœur, et cette croyance heureuse qui nous montre à travers le néant du tombeau l’éternité de la vie.
La distinction entre ces deux éléments, l’un animal, l’autre psychique, est certaine. C’est pour avoir méconnu cette différence, pour avoir proclamé la fausse identité de ces deux principes, que tant de philosophes et de physiologistes sont tombés dans les erreurs du matérialisme. Je n’ai point à m’occuper ici de la spiritualité de notre être. La philosophie proprement dite en fait la spécialité de ses investigations. Mon but est de tracer quelques règles pour la conservation et le développement de la partie physique de l’homme. Mais avant il importe d’appeler l’attention du lecteur sur le rôle et l’importance de l’organisme dans les phénomènes de la vie en général. C’est là l’objet principal de cette introduction.
Chez les animaux, les perceptions dépendent uniquement de l’action que les choses du dehors exercent sur les sens. Ainsi l’attachement manifesté par ces êtres résulte de l’association entre la satisfaction des appétits, des besoins, par conséquent l’impression de plaisirs, et l’image d’une personne, cause de ces sensations agréables. Tout en eux est instinct. L’instinct, a dit Cuvier, est comme une vision permanente chez les animaux. Ceux-ci semblent avoir dans leur sensorium des perceptions innées qui les déterminent à agir à l’instar des sensations ordinaires. Mais ce qui excite cette vision, ne peut être que le principe vital, organique, qui pousse l’animal à marcher dans une voie déterminée, immuable, à parcourir toujours le même cercle de travaux. C’est ce principe qui incite les deux sexes à s’accoupler, qui enseigne aux palmipèdes à nager sur l’eau sans éducation préalable, aux abeilles à fabriquer avec tant de régularité des cellules de cire d’après un type invariable, aux oiseaux à construire leur nid, à accomplir chaque année leurs migrations lointaines. Aucun animal n’a la faculté d’associer des idées, de réfléchir, car la bête ne peut rien inventer, rien perfectionner. Incapable de calcul, elle ne sait point se liguer et comploter contre l’homme ou les êtres qui la tyrannisent. Elle est complètement dépourvue du principe pensant, raisonnable.
Il en est de même de l’homme au début de son existence. Tout se passe en lui sans qu’il en ait connaissance. Il est alors purement animal. En effet, pendant tout le temps que l’être humain reste un appendice de la mère, les modifications dont il est le siège se produisent sans sa participation. Sculpteur incomparable, le principe organique façonne silencieusement et dans l’ombre les différentes parties nécessaires à l’existence et à l’harmonie de l’ensemble, distribue la vie aux divers instruments qu’il a créés, les place dans un ordre où tout se combine sans se confondre, où tout a ses fonctions spéciales et des rapports essentiels avec le reste. Aussi, lorsque le nouvel être commence son existence individuelle, est-il apte à résister aux agents extérieurs, à élaborer, à assimiler à sa propre substance les matières nutritives prises dans le monde qui l’entoure. Toutefois, au début de la vie extra-utérine, l’encéphale de l’enfant est mou, d’un blanc presque mat; la substance grise des circonvolutions cérébrales est encore confuse, indistincte, tandis que le système rachidien, dans toute son étendue, possède la même composition anatomique, présente à peu près la même consistance que chez l’adulte. Or, la physiologie a démontré que tous les mouvements qui dépendent de la moelle épinière sont involontaires. Voilà pourquoi les contractions qu’on observe chez les nouveau-nés sont seulement provoquées par des sensations apportées à la tige nerveuse spinale, et pourquoi elles sont instinctives, irréfléchies. Toute impression produite sur les nerfs sensitifs de la peau ou des muqueuses agit directement et immédiatement à travers la moelle et détermine des mouvements. Aussi voit-on le jeune enfant avaler sans distinction les liquides qu’on place dans sa bouche, exercer des efforts de succion sur le doigt qui touche à ses lèvres, comme sur le sein même qui l’allaite. Sa main cherche à saisir tout ce qui est en contact avec elle, quelle que soit la couleur et la dimension de l’objet. Sa tête, son tronc, ses membres sont continuellement agités; ses yeux roulent dans leur orbite sans se fixer. C’est que toute impression extérieure détermine en lui des mouvements. L’intelligence et la réflexion dorment encore, n’ont donné aucun signe d’existence. Mais à mesure que l’appareil cérébral se perfectionne, les sensations sont perçues avec plus de conscience; alors commence la transformation de la sensation et de l’instinct en raisonnement, en volonté. Déjà l’enfant est sur le seuil d’une vie nouvelle; encore quelques années de plus, et les aspirations de l’âme vont partager avec les appétits du corps les tendances de son être.
Ainsi, dans la première période de notre existence, la force organique agit en souveraine, gouverne sans contrôle. Plus tard même, lorsque la raison aura acquis tout son développement, non-seulement l’élément physique disputera encore à l’élément moral le domaine de la nature humaine, mais parfois aussi arrivera à ressaisir sa toute-puissance. Les faits suivants, colligés au hasard, en témoignent hautement.
Par l’intermédiaire du système nerveux, les organes de la vie plastique transmettent au cerveau, les impressions reçues. Lorsque ces organes sont lésés, souffrants, ils pervertissent l’activité sensorialle, amènent une perturbation dans les manifestations de l’intellect et du moral. Un simple panaris allume chez l’homme une fièvre ardente, l’agite, lui fait perdre souvent la conscience de lui-même. La spermatorrhée émousse rapidement l’énergie morale, engendre l’hypochondrie. Une diminution lente des globules du sang suffit pour modifier le caractère, pour changer les tendances de l’esprit. Quelques jours d’abstinence épuisent les forces, abattent le courage, amènent une aberration des facultés intellectuelles. Suivant la quantité de sang qui abonde au cerveau, l’âme en éprouve des modifications plus ou moins profondes. La dose de fluide sanguin qui y afflue est-elle légèrement augmentée? l’encéphale se trouve excité, stimulé : les idées deviennent plus vives, plus rapides, plus nettes. Si le liquide s’y porte en abondance, au lieu d’excitation, il y a prostration, paralysie: les idées se montrent confusément, sans liaison, sans ensemble. Elles cessent même complètement de se manifester si l’hémorrhagie encéphalique est considérable et occupe certaines parties déterminées du cerveau. Alors l’homme a perdu ses attributs supérieurs; il est réduit à l’état de bête. De même lorsque les fonctions du centre nerveux cérébral sont empêchées ou suspendues, comme dans la syncope, dans les circonstances d’ivresse alcoolique ou autre, la personnalité humaine disparaît. Toutes les causes qui tendent à troubler le système nerveux central contenu dans le crâne, conduisent à des modifications analogues dans les manifestations de la vie morale. L’inflammation des méninges et des couches cérébrales superficielles produit le délire, fait cesser l’exercice de la volonté, et la chronicité de la phlegmasie peut conduire à la folie. N’observe-t-on pas chaque jour que les tempéraments nerveux, sanguin, lymphatique, et toutes leurs nuances, influent sur le moral, modifient les dispositions intellectuelles? Qui ne sait que c’est à la période de l’existence où le corps est dans toute sa puissance que les facultés intellectuelles atteignent toute leur force. Mais qui ne sait aussi que l’affaiblissement de l’organisme, son épuisement sénil, entraîne plus ou moins à la longue la dégradation de l’intelligence.
Ainsi l’homme ne jouit de la plénitude de son libre arbitre que lorsque ses fonctions organiques et ses facultés se trouvent en parfaite harmonie. Entre la santé morale et la santé physique il existe donc une solidarité intime. Le bien de l’âme se lie avec le bien du corps; et il nous devient impossible d’aller à notre fin, d’entrer en participation avec l’élément supérieur de notre nature, lorsque l’organisme est malade, impuissant. Sans l’intégrité du cerveau, l’intelligence ne pourrait déployer son activité, et le principe spirituel, à son tour, ne saurait commander aux rouages de notre économie. Tout a été coordonné dans l’homme de manière que l’âme ait besoin de l’intervention de la force vitale pour parvenir à sa destinée; de même que la force vitale pour atteindre le but que lui assigne la nature, exige l’accomplissement de l’action du moi. Proscrire l’un de ces deux éléments de notre être, est donc contraire à l’essence des choses, aux préceptes d’une saine morale.
A part les idées de quelques philosophes, la civilisation ancienne porte l’empreinte d’un matérialisme profond. Son but est surtout le perfectionnement du corps, le triomphe de la force physique, l’amour de la belle nature. Dans les arts, le paganisme n’a cherché à faire revivre que la forme, les proportions de la créature, sans s’inquiéter de la pensée qui doit animer l’œuvre de la création. La beauté corporelle telle que l’entendaient les Grecs et les Romains est toute plastique, toute sensuelle, pleine de lascivité.
Le christianisme déclare au contraire la guerre au corps, offre en holocauste au principe moral la partie matérielle de l’homme. Aussi la vie du vrai chrétien est-elle une lutte incessante contre lui-même, une souffrance continuelle destinée à combattre par des pénitences, par des jeûnes, par des macérations, cette chair maudite, siège et principe du mal. Tous les peintres et les sculpteurs qui se sont pénétrés du dogme catholique, se sont efforcés de faire passer sur la toile et le marbre les douleurs du Crucifié. C’est qu’en effet, pendant plusieurs siècles, on a cru que le meilleur moyen de développer l’intelligence, d’accroître l’empire de l’âme, était de mortifier le corps. Aux époques de foi ardente, on a vu les grands hommes de la chrétienté-fuir l’aspect du monde pour aller disputer aux bêtes fauves leurs cavernes et enfouir la raison sous les langes d’une croyance mystique. Le but de leurs sombres pratiques était d’arracher l’esprit aux liens qui l’attachent au corps, d’affaiblir la partie périssable de nous-mêmes, pour fortifier d’autant cette âme immortelle purifiée par le sang d’un Dieu immolé pour elle.
Tandis que la force matérielle jouissait des honneurs de l’apothéose dans les jeux Olympiques, Isthmiques, Pythiens, la société catholique, vouée à une vie de privations, couvrait le sol de monastères, se livrait aux âpres voluptés de la mortification.
Ces deux tendances opposées de l’humanité sont également fausses; elles ne tendent à rien moins qu’à modifier l’œuvre du Créateur, à simplifier notre nature, mais en la mutilant. Si l’homme qui cherche uniquement à satisfaire ses besoins matériels, à entretenir son embonpoint, excite le mépris et la pitié du moraliste, le pénitent qui se réfugie dans la solitude pour éteindre les aspirations de sa nature physique, se dégrade aux yeux du physiologiste. Sous l’habit d’anachorète, il devient le promoteur du suicide. Aujourd’hui seulement, nous commençons à comprendre qu’il ne faut rien rompre dans l’harmonie de notre être, qu’il faut respecter le corps comme l’esprit, car l’un et l’autre sont l’ouvrage de Dieu.
Toutefois, nos mœurs et nos usages, nés de ces époques de réprobation de la chair, ont fait négliger l’éducation physique, ont jeté sur l’étude de la santé une sorte de dédain qu’il importe de détruire dans l’intérêt même de l’intelligence. En me préoccupant du bien du corps, mon but n’est pas de chercher à faire prédominer le principe organique sur le principe spirituel. Je m’éleverai toujours contre ces apôtres de la matière qui mettent les appétits à la place des idées, et qui n’aperçoivent dans les questions sociales que le côté sensuel. Satisfaire ses besoins physiques, c’est en effet là toute la bête, mais ce n’est pas là tout l’homme. Notre destinée terrestre n’est pas de vivre seulement de pain matériel, mais aussi, et surtout, de cette vie intellectuelle, raisonnable, libre, responsable qui nous fait une place à part dans l’échelle des êtres. Quelque chose de subalterne s’attache et s’attachera toujours au bien-être social tant qu’il ne produira que des jouissances corporelles, tant qu’il ne contribuera pas à agrandir les facultés humaines. Mais si on. habitue l’homme à avoir plus de souci de lui-même, si on rehausse sa dignité physique, on arrivera ainsi à influer peu à peu sur ses sentiments, à faire pénétrer dans sa conscience le degré de son importance, à élever son esprit au niveau de la position que lui assigne la nature. Le corps n’est que la condition, mais la condition nécessaire de cette vie supérieure. Aussi, quiconque s’efforcera de réhabiliter la chair dans des limites justes et rationnelles, n’arrivera à rendre à cette partie de notre être que l’honneur qui lui est dû, comme à l’agent indispensable de nos destinées, comme à la représentation visible de la beauté suprême.
Le but de l’homme ici-bas est de rechercher la vérité, de pratiquer le bien, de mériter, par conséquent, de travailler. Or, le travail est-il en définitive autre chose qu’un effet, un produit, tandis que la cause de toute richesse, le capital le plus fécond, la première condition de tout labeur, résident dans cet exercice libre et complet des fonctions de l’économie qu’on appelle la santé. C’est en donnant à notre organisme une vigueur suflisante que nous arriverons à surmonter les fatigues auxquelles nous sommes condamnés sur cette terre. Il est donc du devoir de l’État, tuteur des intérêts de tous, de donner au corps, serviteur de l’âme, la culture qu’il mérite, de veiller aux besoins matériels comme aux besoins spirituels, car la maladie physique et la maladie morale s’engendrent réciproquement. L’esprit se corrompt, s’épuise dans une enveloppe souffrante et détériorée. C’est avec raison qu’Hallé a dit: «L’homme physique est inséparable de l’homme moral.»
Pour accomplir cette œuvre de réhabilitation, il ne s’agit pas de copier l’antiquité, mais de prendre le vrai là où il se trouve. Je suis loin de désirer qu’on revienne à la République de Sparte: elle était basée sur l’ilotisme et tolérait le vol; ni à la République Romaine, car elle s’appuyait sur la servitude, le patriciat et la clientelle. Enlevons la rouille laissée par les siècles passés, effaçons les formules incomplètes des générations emportées par la mort; soyons de notre temps. Les connaissances des modernes sont en tout supérieures à celles des anciens. C’est la conséquence de la perfectibilité humaine; c’est la loi du progrès, si admirablement définie depuis quelques années.
Toute l’antiquité croyait que l’humanité allait se dégradant avec les âges, que l’époque où vivaient les aïeux était supérieure à celle où les descendants avaient pris naissance, et que les pères laissaient des fils de plus en plus dépravés. Horace n’a fait que traduire l’opinion de son époque dans les vers suivants:
OEtas parentum, pejor avis, tulit
Nos nequiores, mox daturos
Progeniem vitiosiorem.
Aussi les hommes de la période antique plaçaient-ils la Perfection, le suprême Bonheur, l’Age d’or, l’Éden, à l’origine des sociétés, aux époques primitives du monde. On sait maintenant que la vérité est dans une croyance contraire. L’étude comparative des différentes périodes de l’histoire montre que les générations en se transmettant le fruit de leurs travaux, le tribut de leurs réflexions, créent des moyens de plus en plus perfectionnés pour améliorer leur nature. Et dans cette grande élaboration de l’esprit humain, la science médicale est venue grossir, par ses apports nombreux, le grand courant de la civilisation. A elle, est dévolue la haute mission de veiller sur le maintien de la santé et sur le développement des instruments de la vie. Rétablir dans ses voies normales l’organisme troublé, faire disparaître les causes extérieures des maladies par une distribution convenable de l’air, des eaux, de la chaleur, de l’habitation, du régime, modifier dans un sens favorable la constitution des individus, détruire dans la société les vices morbides qui tendent à l’affaiblir, à la détériorer: tel est en effet le but sublime de la médecine. Les recherches de la physique et de la chimie, en se reflétant sur l’hygiène, ont agrandi son domaine et augmenté la somme de ses connaissances positives. Et maintenant, notre science est en possession de lois précises qui devront servir plus tard à produire au sein des sociétés des réformes sérieuses et équitables. Elle ne borne pas son horizon, comme le pensent quelques esprits étroits, au traitement des maladies individuelles. Elle éclaire encore de ses lumières les problèmes les plus élevés de l’économie sociale. Il est temps que ces conquêtes de l’intelligence humaine pénètrent au sein des masses populaires et servent à leur amélioration physique et morale.
Rendons hommage à la vérité : depuis quelques années, la santé publique a marché dans une voie rapide de progrès. Il suffît, pour s’en convaincre, de consulter les tables de mortalité. Avant la révolution de 1789, en France, le nombre des décès pris en général était à peu près de 1 sur 30. Il est maintenant de 1 sur 40. La vie moyenne est, suivant l’illustre Laplace, la mesure la plus exacte du bien-être ou de l’état de misère des populations. Or, la moyenne de l’existence, dans notre pays, évaluée par Duvillard à 28 ans trois quarts, à l’époque de notre première Révolution, s’élève actuellement à 34 ans. Assurément, beaucoup de causes ont contribué à prolonger le cours de la vie. Mais ces causes ne tiennent-elles pas, en grande partie, à ce que la science, en étendant ses limites, a fait passer ses formules dans la pratique des choses. L’histoire de la médecine nous montre, en effet, un grand nombre de maladies, tant épidémiques que sporadiques, qui, fréquentes autrefois, disparaissent peu à peu au souffle de la civilisation. Tels sont le scorbut, le typhus, la lèpre, le mal des ardents, les fièvres paludéennes. A peine trouve-t-on aujourd’hui de temps en temps la trace de ces grands fléaux épidémiques: peste, variole, dyssenteries, etc., qui, au Moyen-Age, moissonnaient des populations entières. Thomas Short a calculé qu’en Angleterre, avant 1750, c’est-à-dire jusqu’à l’époque où l’hygiène commença à faire des progrès véritables, les années épidémiques furent aux autres comme deux est à onze. Et à mesure qu’on se rapproche de notre époque, non-seulement on s’aperçoit que le nombre des épidémies diminue et que la mortalité des années épidémiques décroît, mais encore on voit des maladies disparaître des cadres nosologiques. Lorsque de nos jours ces affections meurtrières se présentent, elles ne frappent que les pays dont la salubrité et les institutions sanitaires sont aussi arriérées qu’elles l’étaient dans le nôtre, il y a quelques siècles. En parcourant cet ouvrage, il sera facile de voir qu’un grand nombre de maladies, et des plus graves, peuvent facilement être extirpées du sein des sociétés actuelles, par des mesures hygiéniques appropriées.
Sans doute, la médecine n’a pas la prétention d’accomplir le prodige de l’Hercule antique abattant toutes les têtes de l’Hydre. Non; elle n’arrivera jamais à enlever tout le mal-être qui existe dans le monde; car de même que la mer a ses tempêtes, la terre ses frimats, de même l’organisme est exposé, par la nature de son mécanisme, à des perturbations d’autant plus fréquentes que les parties qui le constituent sont plus délicates, plus multipliées. Mais l’homme découvre chaque jour des moyens de plus en plus efficaces pour vaincre les mille causes de douleur et de mort qui viennent l’assiéger. Il est nécessaire que la société en général profite de ces longues investigations de l’esprit. Souvenons-nous que la santé publique est une condition essentielle de la prospérité des États.