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II

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Rentré dans son humble atelier, le pauvre Allegri se remit au travail, en répétant souvent les naïves paroles de la jeune fille, qui lui était apparue comme un ange consolateur au moment où, accablé par les dures paroles du patricien, il formait le projet de quitter Correggio pour se rendre à Rome.

L’artiste sublime semblait ne passer dans ce monde que pour enfanter des chefs-d’œuvre. Sa vie était, comme son caractère, simple et modeste, et se passait sans cesse en la présence du Dieu d’amour et de lumière, auquel il demandait chaque jour le bienfait de l’inspiration.

Il n’avait point d’attrait pour l’éclat, le bruit, le luxe, qui étaient la tendance marquée des peintres de son temps. Il se rattachait plus étroitement à ses pieux et bons devanciers, les Pérugin, les Giotto, les Fra-Bartholoméo.

Quoique pauvre, il se préoccupait moins du sort et du profit de ses ouvrages que de leur composition. Toutes ses forces, toute sa pensée, tout le travail de son esprit et de sa main étaient appliqués à ce soin unique.

Son magnifique tableau de la Nuit de Noël ne lui avait valu que quarante ducats d’or; son Saint-Jérôme, fruit de six mois de travail et que l’opinion publique plaça plus tard à côté de ce que Raphaël a produit de plus achevé, ne lui fut payé que quarante-sept ducats.

A l’époque de sa féconde jeunesse appartiennent le Noli me tangere, qui devint l’un des principaux ornements de l’Escurial, puis sa Vierge en adoration devant l’Enfant divin. Jamais peut-être l’Enfant-Dieu ne fut représenté avec des traits plus célestes que dans ce dernier tableau.

Cependant un jour vint où le pauvre artiste se trouva bien seul au monde. Il venait de perdre son oncle Lorenzo qui avait été son maître, et il ne recevait plus d’encouragement de personne. Lorsqu’il avait terminé une œuvre nouvelle, il l’abandonnait pour le prix modique que lui en offrait le premier venu. Aucun témoignage d’admiration ou de sympathie n’arrivait jusqu’à lui.

Alors sa pensée se reporta sur Rome, la véritable patrie des arts. C’était au moment où il venait de donner le dernier coup de pinceau à sa sublime page du Mariage mystique de sainte Catherine.

— Oui, se dit-il, j’entreprendrai ce voyage; je l’entreprendrai à pied. Au retour, je verrai si mon tableau est digne de soutenir la comparaison avec ceux dont on parle tant. Si j’aperçois que je me suis trompé, eh bien, je brûlerai cette toile et je me ferai artisan.

Il se mit donc en route, n’emportant avec lui qu’une petite valise et un bâton de voyage; mais il n’avait pas atteint l’extrémité de la ville de Correggio que déjà ses résolutions étaient ébranlées.

Le soleil dorait si gracieusement les pampres des vignes enroulés aux façades des maisons; une brise fraîche balançait la cime des pins-parasols et faisait frémir le feuillage des peupliers; il arrivait des campagnes voisines des senteurs si délicieuses, qu’Allegri n’eut plus le courage de poursuivre son chemin.

— On est pourtant bien ici! soupira-t-il en s’asseyant sous un arbre d’où il pouvait contempler le charmant paysage.

Puis il se mit à réfléchir profondément.

Tout à coup apparaît à une fontaine voisine une jeune fille au pied léger et à la mise villageoise. Elle porte sur sa tête un vase qu’elle se dispose à remplir. Antonio reconnaît bientôt en elle son ange consolateur de l’église des Conventuels.

Maria ne s’aperçut pas d’abord de la présence de l’artiste; mais quand celui-ci l’aborda en la priant de lui permettre de la suivre à la maison de son père, elle lui fit un aimable accueil et l’introduisit dans la riante demeure où elle passait des jours si paisibles et si purs.

— Mon père, dit vivement la jeune fille en s’adressant au vieillard qui, assis sur un escabeau, taillait des sarments avec une serpette, mon bon père, levez-vous; car voici une visite qui vous fait grand honneur.

Le vieux Varcolli se leva avec une sorte de respect comme s’il eût compris en effet que ce jeune homme n’était point un hôte ordinaire.

Antonio salua le vieillard avec son expression de douceur habituelle, et dit ensuite en se retournant vers Maria:

— Vous m’avez donc reconnu?

— Mon père, dit la jeune fille, c’est le digne peintre dont je vous ai parlé tant de fois.

— Antonio Allegri!... s’écria le vigneron en se découvrant avec respect.

— Hélas! dit tristement l’artiste, vous me donnez un témoignage d’admiration auquel je suis loin d’être habitué. Les hommes n’ont pas été pour moi aussi indulgents que vous. Aussi, las de leur injustice, j’allais partir.... Rome était le but de mon voyage.... Mais, pour la seconde fois, le Ciel a offert votre fille à mes yeux. C’est mon ange gardien qui me dit: Reste, reste encore, ne va pas chercher au loin des peines et une réputation achetée peut être chèrement.

— Oh! restez, restez dans notre petite ville de Correggio qui vous a vu naître et qui sûrement sera un jour heureuse et fière de vous compter au nombre de ses enfants, répondit vivement le vieux Varcolli en tendant affectueusement la main au jeune artiste.

— Ecoutez, reprit ce dernier avec l’accent de l’émotion la plus profonde, voulez-vous me suivre tous deux dans mon modeste atelier?

— Pourquoi pas, mon maître? répondit le vieillard après avoir consulté sa fille du regard.

Puis, sans deviner le motif secret de la demande du peintre, ils se dirigèrent avec lui vers son atelier.

Ils arrivent.... l’admirable toile représentant le mariage mystique de sainte Catherine est là suspendu, et projette comme une auréole lumineuse sur la pauvre chambre où elle a pris naissance.

Quelle admirable tête que celle de la sainte recevant un anneau de l’Enfant Jésus! Comme ce divin Enfant sourit avec amour, assis sur les genoux de la Vierge-Mère! A droite, saint Sébastien se penche et contemple la mystérieuse union. Dans le lointain on aperçoit le martyre de ces deux saints.

A cette vue, Maria et son père sont saisis d’une si profonde admiration qu’ils se prosternent en silence et mêlent des larmes à leur prière.

— Ah! s’écria Antonio Allegri avec l’élan de la joie la plus vive, comment ai-je pu songer à m’éloigner? Où donc eussé-je jamais trouvé de ces cœurs naïfs, de ces âmes franches dont l’expansion est si douce, si loyale? Qui jamais m’eût aimé et encouragé comme eux? Voilà bien les simples de cœur que l’Évangile met au-dessus des grands de ce monde!...

Puis s’adressant à Varcolli,

— Merci, dit-il, l’absence de toute sympathie m’avait découragé, la solitude tuait en moi l’inspiration; Dieu vient de me faire trouver en vous et en votre douce fille ce qui manquait à ma vie. Permettez-moi de vous voir souvent; car je sens qu’une heure passée près de vous suffira chaque jour pour entretenir l’ardeur de mon activité.

— Oh! que le Ciel bénisse vos courageux efforts, noble enfant de Correggio! répondit le vieillard d’une voix touchante. Votre présence dans notre humble habitation sera toujours pour nous une précieuse faveur dont nous remercierons la divine Providence.

Maria resta silencieuse; mais, à la manière dont elle continuait à contempler la belle sainte Catherine, il était facile de deviner qu’elle partageait la respectueuse admiration de son père pour le jeune artiste.

Le Corrège

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