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LE SOLEIL.

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Reposons-nous ici, mes amis. Nous voici parvenus sur le sommet le plus élevé de la colline. Venez vous asseoir près de moi, et jouissons ensemble de la fraîcheur de cette belle soirée. Quelle charmante perspective s’offre à nos regards! Comme ce vaste paysage réunit l’agrément et la richesse dans le mélange de ces vertes prairies où l’œil s’égare avec tant de plaisir, de ces petits ruisseaux qui semblent se jouer en les baignant de leurs eaux fécondes, de ces champs couverts de moissons dorées, et de cette forêt, dont les robustes enfants vont se transformer en vaisseaux, pour aller nous chercher mille trésors précieux aux bornes de la terre!

Au-dessus de cette scène admirable, contemplez le soleil, qui, du seul éclat de sa couronne, remplit l’immensité de son empire. Toute cette magnificence est son ouvrage.

Après avoir rendu par la chaleur de ses rayons la vie à la nature, il en fait briller les traits rajeunis de la splendeur de sa lumière, et jette sur les plis de sa robe verdoyante les plus vives couleurs.

Occupons-nous un moment de ce qu’il est, et des bienfaits qu’il répand sur la terre, avant de rechercher la place qu’il occupe, et de parcourir les espaces immenses où s’étend sa domination.

Le soleil est un globe de feu, qui, tournant sur lui-même avec une rapidité prodigieuse, darde sans cesse, et de tous les côtés en lignes droites, des rayons formés de sa substance, et destinés à porter avec une vitesse inconcevable, jusqu’au bout de l’univers, la lumière qui l’éclaire, la chaleur qui l’anime, et les couleurs qui l’embellissent.

C’est un globe, puisque dans toutes ses parties, il se montre à nos yeux sous une forme circulaire, et qu’avec un bon télescope, on découvre sa convexité. Il est de feu, puisque ses rayons rassemblés par des miroirs concaves ou des verres convexes, brûlent, consument et fondent les corps les plus solides, ou même les convertissent en cendres ou en verre.

Il tourne sur lui-même, puisque l’on observe sur son disque des taches, qui, se montrant sur un de ses bords, semblent passer à travers toute sa largeur sur le bord opposé, se dérobent pendant quelques jours, et reparaissent ensuite au premier point d’où elles sont parties. Ces taches peuvent aisément se découvrir avec une bonne lunette; leur nombre va quelquefois jusqu’à cinquante; et il en est que l’on a vues dix sept cent fois plus grandes que la terre entière. Soit qu’on les considère comme des écumes formées par l’action d’un feu violent, soit plutôt comme des éminences solides du corps du soleil, que les flots de matière enflammée qui le baignent, laissent quelquefois à découvert dans leur agitation, ces taches, unies à sa masse, ne laissent pas douter, par leur cours régulier, qu’il ne tourne avec elles sur lui-même; et cette rotation qui se fait en vingt-cinq jours et demi, quoique plus lente que celle de la terre, qui n’y emploie qu’un jour, doit être d’une rapidité prodigieuse pour un globe quatorze cent mille fois plus gros que le nôtre.

Le soleil darde ses rayons sans cesse de tous côtés, et même de tous les points de sa surface; car il n’est pas un seul instant où sa lumière ne se répande sur toutes les parties de l’univers tournées vers lui, et pas un seul point qu’il éclaire, d’où on ne ne le voie tout entier.

Ses rayons sont dirigés en lignes droites, et non par des ondulations semblables à celles que le mouvement excite dans l’air et dans l’eau; car autrement, on le verrait lorsqu’il serait caché derrière une montagne, et même lorsqu’il serait de l’autre côté de la terre, c’est-à-dire pendant la nuit, puisque sa lumière étant répandue par ondes, comme le son, l’impression en viendrait toujours à nos yeux. La lune, par la même raison, ne pourrait jamais l’éclipser.

J’en ai une autre preuve plus à votre portée. Lorsque j’ai fait votre portrait à la silhouette, c’est que votre tête jetait sur la muraille, une ombre exactement de la même forme qu’elle-même; ce qui prouve clairement que les rayons croisaient en lignes droites, toutes les extrémités de votre profil. On peut enfin s’en convaincre d’une autre manière, en fermant les volets d’une chambre et en y pratiquant un petit trou: les rayons qui passent par cette ouverture ne se répandent point en ondes dans la chambre, mais la traversent en lignes droites, sans éclairer autre chose que les objets qu’ils rencontrent dans cette direction.

Les rayons du soleil sont formés de sa propre substance. Ce sont des flots de sa matière enflammée qu’il lance de tous côtés. A la distance où il est de nous, comment ses rayons pourraient-ils nous échauffer s’ils ne partaient d’une source brûlante, en conservant dans le trajet leur chaleur par la vitesse de leur mouvement? Vous branlez la tête, Henri? Vous pensez sans doute que le soleil devait être dès longtemps épuisé ? Votre arrosoir, dites-vous, n’est pas une minute à se vider de l’eau qu’il contient Je veux renchérir encore sur votre objection. L’arrosoir ne verse de l’eau que d’un côté, et le soleil répand de toutes parts sa lumière. Il la fait jaillir jusqu’à des lieux un million de fois peut-être plus éloignés de lui que nous ne le sommes, puisque certaines étoiles, qui sont à cette distance, envoient leur lumière jusqu’à nos yeux. Il ne paraît pas cependant que ni le soleil, ni les étoiles aient souffert, depuis tant de siècles, quelque diminution de leur éclat. Vous voyez que je n’ai pas affaibli votre difficulté. Écoutez maintenant ma réponse.

Il est d’abord nécessaire de vous donner une idée de la petitesse prodigieuse des parties dont les rayons de lumière sont composés. Au moyen du microscope, je vous ai fait voir dans une goutte d’eau de mare, pas plus grosse qu’une lentille, des milliers de petits insectes vivants. Ces insectes ont des yeux, des membres, du sang, ou une autre liqueur qui circule dans leur corps pour les animer. Il vous est aisé, ou plutôt il vous est impossible de vous figurer combien chaque goutte de sang ou de cette liqueur doit être menue. On prouve, par le calcul, qu’elle est moins par rapport à un grain de sable d’une ligne, que ce grain de sable n’est au globe de la terre. Eh bien, cette petitesse n’est rien encore en comparaison de celle des parties de la lumière, ainsi que vous allez en convenir. Je vous ai dit tout à l’heure que nous ne voyons le soleil entier que parce que de tous les points de sa surface, il part des rayons qui viennent peindre son image au fond de nos yeux. Il n’est pas douteux que ces insectes ne voient le soleil pendant le jour; peut-être voient-ils pendant la nuit les étoiles. Or, ils ne peuvent les voir à moins que de tous les points de toute la surface des étoiles et du soleil, il ne soit parti des rayons pour en porter jusqu’au fond de leurs yeux l’image entière. Le soleil est plus de quatorze centmille fois plus grand que la terre; chacune des étoiles est aussi grande que le soleil. Voilà donc des corps d’une masse si incompréhensible, qui, de tous les points de leur étendue, envoient des flots de lumière dans l’œil d’un petit insecte, confondu avec des milliers de ses semblables dans une goutte d’eau, à peine sensible à nos regards.

Vous refusez peut-être de croire qu’un si petit animal puisse porter sa vue jusqu’aux étoiles. Je ne vous chicanerai point là-dessus, quoique je puisse vous citer un très beau vers de M. de Bonneville, qui dit en parlant de la puissance de Dieu:

Et sur l’œil de l’insecte il a peint l’univers.

Mais si l’insecte ne jouit pas de ce vaste spectacle, nous en jouissons, nous autres. Notre œil peut, dans une seconde, parcourir toute l’étendue des cieux. Il aura vu non seulement toutes les étoiles, mais encore toutes les parties de l’espace qui les sépare; ce qui multiplie bien davantage la quantité des rayons qui seront venus successivement aboutir à nos yeux. Et cette nouvelle expérience est une preuve plus forte encore de l’infinie petitesse des parties de la lumière, puisqu’un si grand nombre de rayons se sont combattus et effacés les uns les autres dans notre œil, sans lui causer la plus légère impression de douleur, malgré la vîtesse inconcevable dont ils viennent le frapper.

Il vous est arrivé fort souvent de voir dans la campagne la lumière d’une chandelle qui brûlait à une lieue au moins de vous. En traçant un cercle autour de cette chandelle, à la distance où vous en étiez, il est clair que de tous les points de ce cercle, son aurait pu la voir, et, à plus forte raison, de tous les points de l’étendue qu’il renferme. Tous les points de cet espace, jusques à une distance pareille en dessus et en dessous, si le flambeau était suspendu dans les airs, seraient donc remplis de parties de lumière émanées de la flamme de la chandelle. Elle ne consume pas, dans la durée d’un clin-d’œil, un globule de suif gros comme la tête d’une épingle. Ce petit globule de suif a donc fourni à la lumière une matière capable de remplir par sa division un globe de deux lieues de diamètre. Aussi le calcul peut-il démontrer qu’un pouce de bougie, après avoir été converti en lumière, a donné un nombre de parties de plusieurs millions de fois plus grand que celui des sables que pourrait contenir la terre entière, en supposant qu’il tienne cent parties de sable dans la largeur d’un pouce. Que serait-ce donc d’un pouce de matière lumineuse infiniment plus pure, et par la susceptible d’une plus grande division? Enfin, si un grain de musc exhale sans cesse, et de tous côtés, des particules de sa substance; s’il les exhale pendant vingt-cinq ans sans rien perdre sensiblement de son volume; si un boulet de fer d’un pied de diamètre, rougi à un grand feu, laisse échapper des flots de particules enflammées et lumineuses, sans que cette effusion lui fasse perdre l’équilibre dans la plus juste balance, vous concevrez plus aisément que le soleil puisse répandre des torrents de lumière sans paraître s’affaiblir, et qu’une petite partie de sa masse lui suffise pour remplir, pendant des siècles, de sa lumière et de sa chaleur, toutes les planètes et les espaces qui lui sont soumis.

Quant à la vitesse inconcevable de ses rayons, il est prouvé qu’ils n’emploient qu’environ huit minutes pour venir de lui jusqu’à nous. Lorsque vous serez un peu plus avancés dans l’étude des cieux, je vous dirai par quelle observation on a fait d’abord cette découverte, et comment une expérience ingénieuse l’a confirmée. Il me suffit à présent de vous garantir que ce point est de nature à ne pas être plus contesté que l’existence même de la lumière.

Tout ce qui regarde les couleurs demanderait trop de détails pour vous être expliqué dans le cours de cet entretien; nous y reviendrons dans un autre moment.

Il ne me reste donc plus qu’à vous parler de la chaleur que nous devons au soleil. C’est le plus grand et le plus sensible de ses bienfaits, puisqu’il produit et le mouvement et la vie dans tout ce qui respire. Je me borne à présent à vous en montrer les effets dans la végétation.

Vous vous souvenez de l’état de langueur où gémissait la nature pendant la triste saison de l’hiver. La terre étant saisie d’un profond engourdissement, les fleurs n’osaient paraître sur son sein, et les arbres étaient dépouillés de tout leur feuillage. La sève qui les anime, en circulant, comme je vous l’ai fait voir, dans leurs branches et leurs rameaux, n’avait plus qu’un mouvement paresseux et de défaillance, qui suffisait à peine à leur conserver un reste de vie presque insensible, et tout voisin de la mort. La neige couvrait la terre. Le printemps est venu réchauffer la terre; et, soudain la sève reprenant la liberté de son cours, la verdure s’est déployée sur toutes les plantes. Comment le soleil a-t-il produit ce changement? Je vais prendre un exemple plus près de vous, pour vous en rendre l’explication plus aisée à concevoir.


Il n’est pas que vous n’ayez vu un de ces animaux que les petits Savoyards portent dans des boîtes, et qu’ils se plaisent à montrer pour quelques pièces de monnaie aux enfants, une marmotte, s’il faut vous dire son nom. Ces bêtes sont très sensibles au froid; et comme il est plus pénétrant dans les montagnes de la Savoie, où elles ont pris naissance, afin de se dérober à sa rigueur, elles creusent dans la terre des trous profonds, où elles restent renfermées pendant l’hiver dans un morne assoupissement Rien, comme vous le voyez, ne peut se ressembler davantage dans cet état qu’un arbre et une marmotte. Ils sont tous les deux engourdis, parce que la sève de l’un, et le sang de l’autre, qui sont les principes de leur vie, n’ont qu’une circulation embarrassée dans les tuyaux du premier et dans les veines du second, par l’action du froid qui les resserre. Laissons l’arbre un moment, et ne nous occupons que de la marmotte.


Si vous étiez en voyage dans les montagnes de la Savoie, et que vous trouvassiez un de ces animaux engourdi, voici le raisonnement que vous feriez sans doute: puisque c’est le froid qui cause son engourdissement, je puis l’en retirer en lui rendant la chaleur.

Mais si vous ne faisiez qu’allumer auprès de lui un feu peu vif et de courte durée, quand vous renouvelleriez cent fois par intervalles cette opération, l’engourdissement n’en subsisterait pas moins. Si, au contraire, en allumant d’abord un petit feu, vous l’augmentiez successivement, et que vous eussiez grand soin de le renouveler sans cesse avant qu’il fût tout-à-fait éteint, il n’est pas douteux que la marmotte ne sortît de sa léthargie, puisque son sang reprendrait sa fluidité. Vous la verriez bientôt étendre ses jambes, ouvrir ses yeux, secouer ses oreilles, et vous réjouir par la souplesse et la vivacité de ses mouvements.

Voilà précisément les degrés par lesquels le soleil tire la nature de l’engourdissement où elle était plongée, et la ramène à la vie. La longueur des nuits de l’hiver vous a donné lieu d’observer combien peu le soleil restait alors sur la terre. Il venait bien l’éclairer chaque jour; mais à peine avait-il paru quelques heures sur nos têtes, qu’on le voyait déjà s’éloigner. D’ailleurs, il ne nous envoyait ses rayons que d’une médiocre hauteur, même dans son midi. Il n’est donc pas étonnant que la terre, perdant la nuit le peu de chaleur qu’elle avait reçu pendant le jour, n’en conservât pas assez pour se ranimer. Depuis le printemps, vous avez vu les jours s’agrandir par des progrès plus marqués, et le soleil darder ses rayons plus directement sur nos têtes. Peu à peu la terre s’est dégourdie; son sein s’est réchauffé ; la sève, qui est le sang des plantes, a repris son cours, les arbres se sont couverts de feuilles et de fleurs; et maintenant que nous sommes aux jours les plus longs de l’année, et le soleil au plus haut point de son élévation sur la terre, vous voyez des fruits déjà murs, d’autres qui tendent rapidement à le devenir. Comme la chaleur ira toujours en augmentant pendant l’été, les fruits qui en demandent le plus pour mûrir trouveront à leur tour le degré qui leur est nécessaire, avant que le soleil, qui va dès la fin de ce mois (juin), perdre de son élévation sur nos têtes, et diminuer graduellement, jusqu’à la fin de l’automne, son cours journalier, laisse peu à peu retomber la terre dans les horreurs de l’hiver.

Quelle idée vous passe donc par la tête en ce moment, Charlotte? Je croyais tout-à-l’heure lire sur votre visage que mon explication avait le bonheur de vous satisfaire. Pourquoi venez-vous de froncer le sourcil aux dernières paroles? auriez-vous quelques difficultés à me proposer? Vous savez que je les aime. Voyons, je vous écoute. Ah! je comprends votre objection, et je vais moi-même vous la rapporter. Puisque le soleil n’a fait cesser le froid de l’hiver qu’en s’élevant plus directement sur nos têtes, et en prolongeant la durée du jour, comment la chaleur pourrait-elle augmenter pendant l’été, puisque, dès la fin de ce mois, le soleil va perdre chaque jour de sa hauteur sur l’horizon, et s’en éloigner plus longtemps pendant la nuit? N’est-ce pas là ce que vous vouliez dire, seulement en termes un peu plus clairs? Fort bien. Je suis très aise que vous m’avez proposé cette difficulté. Elle est toute naturelle. D’ailleurs, elle me prouve que vous m’avez prêté une oreille attentive, et que votre esprit est déjà capable d’une certaine justesse de raisonnement. Je me fais un vrai plaisir de vous répondre.

Vous souvenez - vous que l’autre jour après souper, voulant vous aller reposer à dix heures du soir sur le banc du jardin, vous trouvâtes la pierre encore si chaude, quoique le soleil eût cessé, depuis deux heures, d’y darder ses rayons, qu’il vous fut impossible de vous y asseoir sans vous garantir en mettant votre manche sur le banc? Vous voyez par là qu’un corps échauffé par le soleil peut conserver longtemps la chaleur qu’il en a reçue, bien qu’il ne soit plus exposé à ses feux. Vous concevez aussi qu’un caillou placé sur le banc même, l’aurait bien plus tôt perdue, parce que plus le corps est petit, plus elle est prompte à s’en échapper.


Il vous serait aisé d’en faire l’expérience, en jetant à la fois dans un brasier un clou et une grosse barre de fer; la barre serait bien plus longtemps à se refroidir que le clou. Ainsi, si le banc de pierre a conservé pendant deux heures après le coucher du soleil une chaleur assez forte pour vous être insupportable, il est à présumer que la terre qui est une masse infiniment plus grande, l’a conservée plus avant dans la nuit, et même jusqu’au lendemain au matin. Le soleil, la trouvant encore échauffée, aura donc ajouté de nouveaux degrés de chaleur à ceux qu’elle avait gardés la veille; et, comme avec cette plus grande quantité elle en aura encore retenu davantage la nuit suivante, la chaleur ira toujours en augmentant, soit dans son sein, soit dans l’air, à qui elle se communique, jusqu’à ce que les nuits, devenant beaucoup plus longues, et par conséquent plus fraîches, la terre perde enfin dans leur durée la plus grande partie de la chaleur qu’elle a reçue pendant le jour, ce qui arrive ordinairement au commencement de l’automne. C’est par ce moyen que les raisins, qui, mûrissant plus tard que les cerises, ont besoin d’une plus grande continuité de chaleur, la trouvent même lorsque le soleil ne darde plus si longtemps ses rayons sur leurs grappes.

C’est par la même raison que la chaleur est ordinairement plus accablante à trois heures qu’à midi, quoique le soleil soit déjà descendu pendant trois heures vers l’horizon. Cet été du jour, si j’ose ainsi parler, répond à merveille à l’été de l’année.

Après avoir parlé si longtemps des bienfaits du soleil, il vous tarde sans doute de savoir quelle place ce roi de l’univers occupe dans son empire. C’est ici, je l’avoue, que j’éprouve un peu d’embarras à vous satisfaire. Tout ce que je vous ai dit jusqu’à présent s’accordait à merveille avec vos sens et vos idées, ou du moins ne contrarirait que votre inexpérience: ce qui me reste à vous annoncer contredit tout absolument; et j’ai besoin de la confiance que je vous ai inspirée pour vous préparer à changer d’oppinion. Tous les peuples de l’antiquité, même les plus éclairés, excepté un ancien philosophe et ses disciples, ont crut que le soleil tournait autour de la terre; tous les plus grands philosophes modernes, sans exception, le croyaient aussi, il n’y a pas plus de deux cent quarante ans; tous les enfants le croient encore aujourd’hui sur la foi de leurs mies et de leurs bonnes; et tout le peuple ignorant et grossier le croira toujours. Les expressions ordinaires du lever, de l’élévation et du coucher du soleil, employées dans l’usage familier, même par les astronomes, pour s’accommoder aux idées du peuple, ont contribué à entretenir cette erreur. Il faut convenir que le premier témoignage de nos yeux lui est aussi favorable. Comment se douter que la terre tourne autour du soleil, tandis qu’on le voit au niveau de sno pieds le matin, à midi sur nos têtes, le soir encore à nos pieds, et qu’il doit, selon toute apparence, se trouver la nuit par-dessous? Mais, dites-moi, je vous prie, si vous n’aviez pas vu les arbres trop bien affermis sur le rivage pour bouger légèrement, n’auriez-vous pas cru mille fois, en descendant la rivière dans un bateau, que les uns s’enfuyaient derrière vous, et que les autres accouraient à votre rencontre? Lorsqu’on faisait faire un demi-tour au bateau pour aborder, n’auriez-vous pas cru que le rivage lui-même tournait autour de vous, si vous ne l’aviez pas jugé plus tenace encore que les arbres? Vous sentez donc que nos yeux peuvent nous en imposer sur les apparences des choses. Il était peut-être permis d’en être dupe avant l’invention du télescope. Les anciens ignorant la véritable grandeur du soleil, et la jugeant beaucoup moins considérable que celle de la terre, s’applaudissaient de leur sagesse en le faisant tourner autour d’elle. Mais si la terre est plus de quatorze cent mille fois plus petite, comme cela est démontré sans réplique, ne serons-nous pas plus sages, à notre tour, de rendre immobile au centre de notre monde, et de la faire tourner, dans l’espace d’une année, autour de lui, en tournant chaque jour sur elle-même? Si nous devons nous former les idées les plus simples de l’ordre de la nature, que diriez-vous d’un architecte qui aurait la bizarrerie de construire la cheminée de la cuisine de manière que le foyer tournât autour du gigot que l’on voudrait faire cuire à la broche? Mais de plus, il est certain, par des observations invariables, que c’est le gigot qui tourne devant le foyer; je veux dire la terre autour du soleil. Je vous en promets les preuves les plus évidentes quand vous serez un peu plus en état de les saisir. Tout ce que je vous demande à présent est vous prêter du moins à ce système comme à une supposition, pour me mettre en état de vous conduire aux preuves qui doivent en établir dans votre esprit l’incontestable vérité.

Je croyais avoir terminé la partie la plus difficile de mon entreprise; mais voilà des étoiles qui viennent me jeter dans un nouvel embarras. Puisque nous sommes sur le chemin des grandes vérités, il faut aller plus loin, et vous dire que cette voûte céleste ne tourne pas plus que le soleil autour de la terre, et que c’est la terre au contraire qui, tournant sur elle-même en vingt-quatre heures, s’imagine que les étoiles font dans le même temps cette révolution. Cela serait aussi un peu trop exigeant de sa part; car il faudrait, pour obéir ponctuellement à ses ordres, qu’elles fissent quarante-neuf millions de lieues par seconde; ce qui surpasse tant soit peu la grande vîtesse de nos messageries, et même de nos chemins de fer.

Si la terre a besoin de la chaleur et de la lumière du soleil, il est de toute bienséance qu’elle se donne la peine de tourner autour de lui et sur elle-même pour les recevoir, d’autant mieux que, par la même occasion, et sans faire sa pirouette plus vite, elle peut jouir du plaisir de promener successivement ses regards sur la douce illumination des étoiles, bien qu’elles lui soient tout-à-fait étrangères. Mais je commence à sentir que la soirée devient un peu fraîche. Je crois qu’il serait à propos de rentrer au logis pour continuer cet entretien.

Nous voilà un peu remis de la fatigue de notre promenade. Sonnez, je vous prie, Henri, pour qu’on nous donne des lumières, et vous, Charlotte, apportez ici votre globe.

Je vous ai dit que le soleil demeure toujours constamment à la même place, et que la terre décrit un grand cercle autour de lui chaque année, en tournant chaque jour sur elle-même. Il vous paraît difficile de concevoir qu’elle puisse se livrer à ces deux mouvements à la fois. Comment donc? qui vous empêcherait de tourner tout autour de la chambre en pirouettant? Si vous faisiez ce tour en trois cent soixante-cinq pirouettes, le grand cercle que vous décririez représenterait le mouvement annuel de la terre, et chaque pirouette, son mouvement journalier. Si ce flambeau était placé au milieu du cercle, n’est-il pas vrai qu’à chaque demi pirouette vous le verriez ou le perdriez de vue, selon que vous lui tourneriez le visage ou le dos? Cette alternative peut vous donner une idée de la manière dont la terre reçoit tour à tour la lumière du jour et l’obscurité de la nuit. Appliquons cette expérience à notre globe. Je vais piquer une épingle blanche sur cette moitié qu’il présente au flambeau, et une épingle noire sur l’autre qu’il lui dérobe. Si je tourne le globe, cette partie où est l’épingle noire, et qui est maintenant dans l’obscurité, va s’éclairer; et celle où est l’épingle blanche, et qui est maintenant éclairée, va se cacher dans l’obscurité. C’est une image fidèle de ce qui arrive à la terre chaque jour et chaque nuit. Chaque pays, à mesure qu’il se tourne vers le soleil, reçoit la lumière de ses rayons, et, à mesure qu’il s’en détourne, rentre dans l’obscurité des ténèbres. Par ce moyen, toutes les parties de la terre ont, l’une après l’autre, la chaleur du jour pour les échauffer et mûrir leurs productions, et les douces rosées de la nuit pour humecter le sol brûlant et l’air embrasé, rafraîchir les plantes, les animaux et les hommes. Les parties de la terre qui sont représentées autour de ces deux points, où la branche de fer qui traverse le globe en sort sont appelées les pôles du Sud et du Nord. Ce sont des places très froides, attendu que le soleil ne s’y laisse pas voir pendant plusieurs mois; mais, en revanche, après cette longue nuit, on est plusieurs mois sans le perdre de vue; en sorte que l’année se partage, pour les habitants de ces lieux, en un seul jour de six mois et une seule nuit de la même durée. On vous en fera sentir la raison lorsque vous apprendrez à connaître en détail les usages du globe. Vous plaignez les pauvres gens qui vivent dans ces contrées: en effet, le séjour du pays que nous habitons me paraît infiniment préférable. Je vous dirai seulement, afin d’adoucir les regrets que leur sort vous inspire, que l’absence du soleil n’est pas un si grand malheur pour eux qu’il le serait pour nous, s’il venait tout-à-coup à nous priver, pendant six mois, de ses bienfaits. Les productions de ces contrées sont différentes de celles de notre pays, et sont formées par la nature de manière à croître sous ce climat. Les habitants sont peut-être aussi heureux que nous avec des plaisirs différents. Ils travaillent d’un grand courage pendant leur été, à dessein de ramasser des provisions pour leur hiver; et alors ils dansent et chantent à la lueur des torches, comme nos gens de la compagne aux doux rayons du soleil.


Je crois lire sur votre physionomie, Henri, que vous n’èles pas bien pleinement satisfait de ma démonstration. Voyons, je serais bien aise de savoir ce qui vous embarrasse. Oh! je m’en doutais. Vous pensez que, si la terre tourne ainsi sur elle-même, les gens qui sont sous nos pieds, de l’autre côté du globe, doivent s’éloigner d’elle et tomber vers les cieux qui l’enveloppent de toutes parts. Je me réjouis de ce que vous m’avez fait connaître vos doutes, pour me mettre en état de les dissiper. Supposons que ce globe, au lieu d’être de carton, soit d’aimant, comme la petite pierre que je vous ai donnée: n’est-il pas vrai que, si vous lui présentez un morceau de fer, soit en haut, soit en bas, il ne manquera pas de l’attirer, et que le globe d’aimant aura beau tourner sur lui-même, le morceau de fer ne s’en détachera plus, soit que la partie à laquelle il tient s’élève, soit qu’elle s’abaisse? Il est vrai, dites-vous; mais c’est parce que l’aimant attire le fer. Eh bien, mon petit ami, vous venez de résoudre vous-même la difficulté.

Nous sommes portés vers la terre par une sorte d’attraction, comme le fer est porté vers l’aimant. Il n’y a pas d’autre en-bas pour le fer que le centre de la boule d’aimant vers lequel il est attiré ; comme il n’y a d’autre en-bas pour nous que le centre de la terre qui nous attire. Vous aurez donc beau faire tourner le globe, nous serons toujours sur nos pieds, tant qu’ils seront dirigés vers le centre de la terre, comme ils le sont sur chaque point de sa surface, Posez une aiguille sur votre aimant, et faites-le tourner ensuite entre vos doigts. Voilà l’aiguille au-dessous; cependant elle ne tombe point. Essayez de l’en séparer, elle résiste. Vous en êtes pourtant venu à bout. Rendez-lui maintenant sa liberté ; elle retourne à l’aimant, et, quoique de bas en haut, retombe vers lui.

Il en serait de même dans cette partie du globe que vous appelez au-dessous. Si je vous séparais de la terre, et que je vous abandonnasse à vous-même, vous y retomberiez comme ici. L’aiguille n’a pas de vie, et par conséquent, ne peut se mouvoir autour de l’aimant; ainsi une pierre inanimée ne se meut pas d’elle-même sur la terre.

L’homme et les animaux qui sont vivans, peuvent au contraire se mouvoir sur le globe, malgré la force qui les porte vers son centre, parce qu’étant également éloignés de ce point, une partie de la surface ne les attire pas plus que l’autre.



Lorsque l’on monte à cheval; on ne laisse pas que d’être toujours attiré vers la terre; mais on n’y tombe point, parce que le corps du cheval, en vous soutenant, vous en sépare, et qu’il est impossible de tomber à travers un cheval; mais, si un de ses soubrisauts. vous fait perdre la selle, on tombe à terre immédiatement.

Vous vous étonnez de ce que nous ne sentons pas le mouvement de la terre: je vous dirai d’abord que, quoiqu’elle soit emportée d’un cours très rapide, ce mouvement doit nous paraître insensible, parce que, ne trouvant point de résistance, elle ne doit point éprouver de secousse, et qu’il nous est souvent arrivé de ne point sentir le mouvement d’un bateau lorsqu’il suit le fil du courant. D’ailleurs, pensez-vous qu’un ciron, posé sur une boule aussi grosse que le Louvre, qui tournerait sans cahotement sur elle-même, pût sentir cette rotation? Je ne le crois pas. Comme rien ne changerait autour de lui, et que tous les objets à a portée de sa vue resteraient à la même place sur la boule, il devrait naturellement la juger immobile. Nous devons, par la même raison, ne pas nous apercevoir du mouvement de notre globe, tout ce qui nous environne sur sa surface étant emporté de la même vitesse que nous-mêmes.

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