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POST-SCRIPTUM.

Table des matières

Ah! les préfaces, c’est ennuyeux;

je ne les lis jamais.

LOUISE C.

Amsterdam, comme toutes les villes, a ses quartiers beaux et opulens et ses quartiers puans et sales, ses riches maisons et ses maisons tristes et misérables, ses hôtels et ses tandis, son peuple en habits, qui se frôle à des rideaux de soie, et son peuple en guenilles, qui frotte ses haillons aux murs enfumés de quelque ignoble bouge; ses rues et ses ruelles. Or, entre les rues et les ruelles il y a quelque chose qui n’est pas tout-à-fait rue, qui n’est pas positivement ruelle; quelque chose qui tient entre ces deux,–il faut le dire le juste milieu. C’est comme qui dirait à Paris la rue de l’Homme-Armé; c’est comme qui nommerait à Amsterdam le Nes. Si donc l’on veut prendre la peine de se représenter ce qu’une habitation dans la rue de l’Homme-Armé a de maussade et de morne, on aura tout de suite une juste idée de ce que je dus éprouver d’ennui et de tristesse, condamné que je fus à passer huit jours longs et affreux dans une maison du Nes, sans pouvoir bouger de ma chambre.

Le 11 septembre1828, la ville d’ Amsterdam revoyait un de ses enfans, Arnold Da Costa, né en mil huit cent. dans la rue d’Utrecht (Utrechtsche-Straat), et cela le8du mois de décembre. J’étais descendu comme d’habitude au Doelen; mais il n’y avait aucun appartement, aucune chambre libre. Je m’en allai aux Armes (Het Wapen Van Amsterdam); je ne fus pas plus heureux là que je n’avais été au Doelen. Jamais je n’avais rencontré affluence, encombrement, pareils aux auberges d’Amsterdam.

Le propriétaire de l’hôtel des Armes, tout en me témoignant ses regrets de ne pouvoir me loger, m’indiqua un endroit où il m’assura que je serais parfaitement. Cet endroit, c’était l’auberge de l’Étoile (de Star), dans le Nes. J’ai eu l’honneur de vous dire ce que c’était que l’espèce de rue qu’on nomme de cette manière. Je ne sais comment son aspect sombre et rechigné ne se présenta pas à l’instant à ma mémoire; mais ce que je sais parfaitement, c’est que j’étais fort ennuyé d’aller ainsi de porte en porte. Je redescendis donc le perron de l’hôtel des Armes d’Amsterdam, et, escorté du crocheteur (kruyer) qui roulait mes bagages sur sa brouette, je me dirigeai vers l’hôtel de l’Étoile.

Arrivé devant la porte, j’éprouvai une vive démangeaison de ne pas y entrer, dégoûté que j’étais à l’avance par la vue infâme de la rue, qui s’offrit à mes yeux dans toute sa laideur que j’avais oubliée; mais, d’un autre côté, fatigué par le voyage, et pressé de me reposer, impatienté aussi de me promener depuis une heure dans les rues de la ville, je me décidai.

M. Torchiana,–alors c’était lui le propriétaire de l’auberge, et s’il l’est encore, ou s’il est encore de ce monde, car la mort nous fait souvent de vilains tours, qu’il accepte mon salut de bon souvenir;–M. Torchiana, homme de taille moyenne, au visage ouvert, mais cruellement éraillé par la petite vérole, M. Torchiana s’avança vers moi d’un air très-affable, et m’introduisit dans une chambre assez vaste au rez-de-chaussée, à gauche de la porte d’entrée. Quelque chose de laid, en jupon, qui prenait le nom de femme, vint mettre des draps au lit et de l’ordre et de la propreté dans l’appartement: pendant ce temps, M. Torchiana, toujours avec affabilité et sourire, m’invitait à lui donner mon passeport, et me demandait si je voulais être servi chez moi ou dîner à table d’hôte.

–«Tantôt l’un, tantôt l’autre.»

C’est un singulier hôtel au moins que l’hôtel de FETOile dans le Nes! il y a là toutes sortes de gens, tous bien joyeux, et surtout bon nombre de commis voyageurs, turbulens compagnons.

Quelquefois il m’arriva,–bien rarement, car cela me déplaît,–de dîner à table d’hôte, et chaque fois, à la fin du repas, vinrent des musiciens allemands, hommes et femmes, avec harpes, guitares, violons et basses, qui se mettaient à chanter des chœurs d’opéras et des airs tyroliens, et chaque fois on leur fit dire le fameux chœur du Freischütz. A peine avaient-ils achevé, que tout le monde reprenait, en criant à tue-tête:

Was glich wohl anf erden

Jo ho tral la la la la.

et, pour ajouter à la pompe et à l’effet de l’harmonie, on cognait les verres, et l’on frappait la table du poing et le plancher du pied, en mesure, ou à peu près. C’était un tintamarre infernal!

Un jour, étourdi de tout ce vacarme, je me sauvais dans ma chambre, en me bouchant les oreilles, lorsque, sur l’escalier, mon pied tourna et se foula. Un domestique vint me relever, et me demanda si je voulais un médecin. Je ne sais trop ce que je lui répondis, ou si je lui répondis, jurant comme un damné, tant je souffrais; mais, un instant après, je le vis revenir avec un grand homme, maigre et jaune, avec des cheveux long s et gris, sales et gras, et un seul œil bon, l’autre entièrement brouillé. Cet homme était tout habillé de noir; mais de ce noir qu’on pourrait appeler susceptible, auquel la mauvaise espèce de l’étoffe, autant que la vieillesse, a donné une nuance violette très-marquée. Cet homme était le docteur Pinedo.

Il m’entortilla le pied d’un cataplasme de ridicule dimension, et me recommanda de boire de la camomille: ordonnance que je ne suivis pas.

Condamné à rester dans cet appartement, sombre et sans air comme une prison, dont les croisées ne découpaient pas le plus petit morceau de ciel, hautes et proches qu’étaient les maisons opposées, je me mis, pour tuer le temps, à barbouiller ces quelques souvenirs que je vous donne ici. Veuillez bien ne pas voir, dans l’accoutrement dont je les ai affublés, une prétention à de la couleur locale, c’est-à-dire à une indication de mœurs; ne considérez en ceci qu’une distraction d’homme boiteux, prisonnier et ennuyé, qu’un délaiement, qu’une sauce, si vous permettez, à ces deux ou trois mots qu’on écrit en route sur la peau d’âne de son portefeuille, pour se rappeler une chose qu’on a vue, une larme qu’on a versée, un baiser qu’on a reçu, un drame qu’on a joué ou auquel on a assisté.

Hors de là, n’y voyez rien; car ce n’est rien.

Seulement, puisque cela est fait, je dirai que c’est un pied de mis dans le pays, pays qui est le mien et que j’aime; et que si quelque jour la manie me prend de faire un livre, ceci en sera comme la préface ou plutôt la couverture ou l’annonce. Alors, dans ce livre, nous pénétrerons plus avant dans la vie du peuple hollandais. Nous tâcherons de vous le faire connaître et comprendre autant que possible, à notre époque, ou à un autre âge. A quelque date de son histoire qu’on touche, on est toujours sûr de le rencontrer intéressant et pittoresque; toujours, comme à présent, indépendant et fier, modestement brave et généreux; ayant quelques titres de gloire dont il ne fait pas étalage; mais qu’il ne flétrit jamais comme font d’autres.

J’avais achevé d’écrire ces scènes, et les feuilles se promenaient éparpillées sur ma table, quand une fois, tout en déroulant une compresse, mon médecin, –le médecin des domestiques et des servantes de l’auberge, Pinedo, pauvre diable qui mourait de faim, espèce de docteur Sangrado, qui comprenait la médecine autant que le Talmud, et qui venait chez moi chaque jour, enchanté d’avoir rencontré, pour la première fois, je crois, depuis qu’il pratiquait, un malade bien portant qui lui payât ses visites, lui habituellement si mal récompensé de ses peines par les pauvres gens qu’il guérissait ou assassinait;–mon médecin me demanda, à travers un cataclysme terrible de paroles dont il m’inondait à chaque visite, si je ne pensais pas faire remettre au net et en ordre toutes ces paperasses, et se proposa pour remplir les fonctions de scribe. Il était si misérable, si gueux, si piètre, que je le laissai faire.

Je l’avais pris à la journée, et il allait bien doucement, bien paisiblement, taillant et retaillant ses plumes à chaque instant, prenant une prise, essuyant le verre unique de sa lunette, et puis s’interrompant mille fois par heure pour me raconter ses mille et mille infortunes. Malgré tout cependant il arriva au dernier mot, à son extrême regret; et, comme je n’avais plus besoin de lui, ni pour mon pied,–je n’en avais jamais eu besoin,–ni pour mes copies, je le payai et je le renvoyai. Il me supplia bien, si je pouvais lui procurer quelque occupation semblable, de ne pas perdre son nom; car il se sentait beaucoup de goût pour l’état de copiste, disait-il.– Heureux penchant!–Après cinq à six profondes salutations, il se retira.

En relisant ce qu’il a transcrit, je me suis aperçu qu’en plusieurs endroits il a changé ma narration, et y a plaqué des morceaux assez longs de son imagination. Tout cela est si sans conséquence, que j’ai laissé les pièces: vous les reconnaîtrez. Les lambeaux qu’il a cousus intercalent toujours un docteur.

Une des pièces de ce recueil donne un formel démenti à la dénomination de Contes hollandais, inscrite sur la première feuille de ce volume, car la scène de cette pièce se passe à Anvers; mais à l’époque où nous disons qu’elle s’est passée, à l’époque où nous l’avo écrite, Anvers avait pour roi Guillaume de Hollande, ce qui nous avait autorisé à cette licence.

Aujourd’hui, que la ville d’Anvers s’appelle ville du royaume de Belgique, nous le savons, c’est un grossier contresens de laisser ce Conte sous ce baptême; mais l’œuvre est si vaine, que nous n’avons pas cru devoir ôter ce second titre, qui est une affaire du libraire bien plus que de l’auteur. Et puis l’on ne sait!

Les destins et les flots sont changeans.

Dans quelque temps, peut-être, cette chose ne sera-t-elle plus, comme par-devant, qu’un abus de mots, qu’une catachrèse.

Abraham Pinedo, docteur d'Amsterdam : contes hollandais

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