Читать книгу Les grandes dames - Arsène Houssaye - Страница 36

SUR LA GLACE

Оглавление

Le soir de la rencontre du duc de Parisis et de la comtesse d'Antraygues, le bois de Boulogne était dans toute sa splendeur hivernale.

Parisis ne fut pas le dernier à faire entendre le gai carillon des grelots; il fit atteler quatre chevaux nains, quatre merveilles.

Qui ne se souvient de cette fête nocturne que Paris a donnée sur la glace? Les lacs étaient couverts de traîneaux et de visiteurs, mais ce n'était pas là le vrai théâtre. La fête se donnait sur l'étang réservé. Jamais on n'avait si bien illuminé la neige et la glace. C'était une féerie. Le beau monde arrivait avec des cris de joie; il y avait un peu du carnaval de Venise dans ce carnaval de la neige.

Paris est en toutes choses la synthèse du monde connu et inconnu. Ici, la zone torride avec ses fleurs éclatantes et ses arbres qui mettent cent ans à fleurir: là, la zone hyperboréenne avec ses neiges, ses forêts poudrées et ses plaisirs d'hiver.

Il n'y a pas longtemps, l'hiver parisien n'était encore qu'un hiver français. C'est pour en faire un hiver du Nord qu'on a imaginé le bois de Boulogne et ses lacs. Si le bois de Boulogne est charmant, l'été, avec ses grands massifs, ses méandres capricieux, ses perspectives lumineuses et ses chemins sablés tout vivants de promeneurs et d'équipages, il est plus charmant encore par la neige. C'est alors que vous avez le droit de vous croire en pleine région norwégienne. Les taillis de sapins verts se profilent sur la grande tenture blanche qui éblouit; les arbres courbent leur front sous les panaches neigeux; dans les sentes écartées, recouvertes d'une couche de flocons vierges de toute trace humaine, vous pouvez apercevoir çà et là la trace furtive de quelque lapin égaré, ou les étoiles faiblement imprimées par la patte engourdie d'un rouge-gorge ou d'un roitelet. Un silence absolu règne dans le bois; vous vous croyez transporté dans quelque désert, dans une de ces solitudes blanches où l'on n'entend que le craquement lointain de la neige glacée et le vent qui pleure sur le torrent des avalanches.

C'était un spectacle et une fête. Le duc de Parisis et le comte Olympe Aguado furent les plus remarqués par l'élégance et la richesse de leur attelage. Parmi cette nocturne cavalcade, on remarquait aussi l'Empereur et l'Impératrice, le duc d'Albe, le duc d'Aquila, la comtesse Walewska et le comte Walewski, le duc et la duchesse de Persigny, le prince Napoléon dans son char pompéien. Tous les grands noms du sport et toutes les beautés célèbres se donnaient le spectacle de l'hiver, en faisant eux-mêmes la mascarade. Les hauts financiers étaient là, eux qui, ne consacrant que peu d'instants à la vie de plaisirs, la mènent à grandes guides et ne connaissent aucun obstacle sur, leur route.

Les traîneaux dorés à la tête de cygne, les chars à l'antique, les chariots bas des boyards, le long patin des Samoyèdes, le patin court et recourbé des Hollandais, jusqu'à la planche des montagnards de l'Islande, tout était là qui courait, glissait, volait, décrivait des courbes gigantesques, se croisait, se fuyait, se recherchait et s'évitait. C'était la fièvre du froid dans la fièvre de l'amour.

Vers la fin de la fête, un curieux aurait pu entendre cette petite conversation entre un patineur et une patineuse, qui n'avaient pas l'air de se connaître depuis longtemps, mais qui avaient bien envie de faire connaissance: «Je vous jure, Madame, que c'est une très jolie promenade de venir chez moi en passant par la petite porte du jardin. La serrure est un bijou; tenez, voyez plutôt la clef.»

Le patineur fit briller une clef d'argent d'un travail exquis. «Quelle coquetterie! monsieur.—En entrant on ne trouve pas de fleurs, si ce n'est de givre aux arbustes. Mais une fois dans le jardin, on est bientôt dans la serre, où on est reçu par cent camélias, armes au bras, fleurs à la boutonnière. Ce sont mes cent-gardes. Après la serre, on rencontre une porte que cette clef ouvre pareillement. On trouve un escalier dérobé,—le dernier escalier dérobé,—qui vous conduit par ses spirales de marbre à une petite bibliothèque où je travaille quand j'attends quelqu'un, à moins que je n'aille attendre dans la serre. Savez-vous un chemin plus facile que celui-là?—Oui, monsieur, un chemin qui mène chez moi.—C'est imprimé. Mais ce qui est imprimé aussi, Madame, c'est que rien n'est ennuyeux que de passer par le même chemin. Du reste, je ne vous demande qu'une grâce, c'est de garder ma clef.—Oui, vous en avez une autre que vous donnerez demain, sans compter celle que vous avez donnée hier. On vous connaît.—Je vous jure que je ne donne jamais deux clefs à la fois.—Comment la marquise rousse a-t-elle rencontré chez vous la comédienne rousse?—Conjonction de comètes!—Vous savez qu'on nous regarde!—Adieu! Madame.»

Le patineur en donnant à la patineuse une poignée de main, lui laissa dans la main la petite clef d'argent. Elle voulut la lui rendre, mais il avait fait un tour de valse, et déjà, avec la grâce charmante des Hollandais,—sur la glace,—il gravait avec un burin savant un A et un O entrelacés.

Jamais ce chiffre n'avait apparu aux yeux en si belle calligraphie; on eût dit que le patineur avait étudié les lettres ornées du moyen âge. L'Empereur, qui patinait comme un roi de Hollande, félicita Octave d'écrire si bien. «Après vous, Sire.»

Parisis rencontra encore, sur la glace, madame d'Antraygues. «Comme vous écrivez bien, lui dit-elle.—Je n'écris bien que votre nom, comme je vous aime, Alice!—Oui, sur la glace, jusqu'au prochain dégel: votre amour tombera à l'eau. Vous savez que j'ai perdu votre clef; mais rassurez-vous, elle a été ramassée par une main blanche qui vous la rapportera en passant par la petite porte,—Je vais vous en donner une autre.—Est-ce que vous seriez serrurier comme Louis XVI? Savez-vous que vous êtes un homme dangereux! Vous crochetez les serrures—et les coeurs—Adieu! Monsieur.—A revoir, Madame. A propos, j'oubliais de vous dire que je vous adore!»

Et Octave répandit son âme dans un dernier regard. «Ce n'est pas vrai, dit-il, elle n'a pas perdu la clef; la petite main blanche c'est la sienne; elle viendra demain.»

Les grandes dames

Подняться наверх