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VIOLETTE

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De Parisis n'en continua pas moins sa vie aux aventures. Il n'était pas homme à s'attarder dans un rêve; chaque jour était pour lui un feuillet blanc qu'il fallait remplir par une page d'histoire plus ou moins romanesque. Il y en a qui vivent par la tête, d'autres par le ventre; ceux-ci par l'esprit, ceux-là par le coeur. Octave vivait par l'esprit du coeur. Ni la fortune, ni l'ambition, ni la renommée n'avaient de prestige pour lui; il ne s'amusait qu'aux aventures de l'amour. Il disait que ce qu'il y a encore de plus inconnu, c'est la femme; il s'indignait du philosophe qui a dit: «Toutes les femmes sont la même.» Pour lui, toute femme, quelle qu'elle fût, était un monde nouveau à découvrir. Et quand il avait joué le rôle de Christophe Colomb, il jouait celui d'Améric Vespuce. Ce fut une de ces aventures qui lui ouvrit le vrai roman de sa vie. Voici comment:

Il passait rue Saint-Hyacinthe-Saint-Michel avec son ami Monjoyeux. Ils venaient de voir un de leurs camarades resté fidèle au pays latin jusqu'après son doctorat. Le quasi-ambassadeur et le sculpteur néo-grec s'en allaient bras dessus, bras dessous, fumant leur cigare. Octave riant un peu de la simplicité de l'étudiant qui étudie. «Pas si simple, dit Monjoyeux; le jour viendra où il nous prouvera sans peine qu'il a pris le chemin le plus court. L'étude a du bon quand on est jeune; sans compter que Georges a aussi ses heures de distraction. Nous allons traverser le Luxembourg qui est encore émaillé çà et là de jolies fillettes qui ne coûtent pas cher à habiller.—Ne parlons pas par antiphrase, dit Octave. Les fillettes en question ont passé l'eau; il n'y a plus au pays latin que les ombres de Rosine, de Mimi Pinson et de Musette.—Tu ne sais pas ce que tu dis. C'est toujours ici qu'elles poussent; elles ne vont s'effeuiller sur la rive droite qu'après avoir fleuri sur la rive gauche.—Je t'entends; cela veut dire que nous n'avons plus que les regains.—Tiens, justement en voilà une!»

Une jeune fille qui n'avait pas dix-neuf ans, d'une beauté pudique, d'une pâleur de marbre, venait de sortir de la porte étroite et sombre d'une vieille maison de la rue Saint-Hyacinthe-Saint-Michel. Une robe brune à peine attachée à la ceinture, un léger fichu noué au corsage, dont il ne voilait qu'à demi les lignes indécises encore, un petit bonnet qui enserrait mal une gerbe de cheveux noirs, des souliers en pantoufles, voilà dans quel équipage la jeune fille apparut aux deux amis.

Octave fut frappé par l'expression de candeur souriante qui embellissait encore cette jeune fille. On voyait tout de suite que celle-là n'avait aimé que sa mère, que nul souvenir d'amour coupable n'inquiétait son coeur; elle avait peut-être rêvé aux passions de ce monde, mais comme le voyageur qui se promène sur la rive et qui voit de loin la tempête envahir le navire.

Elle ne vit pas d'abord Parisis et Monjoyeux; toute à sa douleur, car elle avait les larmes dans les yeux, elle marchait lentement, comme si elle ne savait pas où aller.

Octave, lui voyant les yeux baissés, lui dit étourdiment: «Mademoiselle, vous avez perdu quelque chose.» Elle leva doucement ses beaux yeux noyés et répondit avec simplicité: «J'ai perdu ma mère, monsieur.» A ce seul mot, si bien dit, le duc de Parisis, qui s'était cru d'abord en bonne fortune, fut frappé au coeur: «Mademoiselle, je vous demande pardon.»

La jeune fille était déjà partie. Mais il courut à elle et lui demanda où elle allait. «Où je vais? je ne sais pas, puisque je n'ai plus ni maison ni famille? mais pourquoi me parler puisque nous ne suivons pas le même chemin.»

Le compagnon de Parisis l'avait rejoint? «Sais-tu, lui dit-il, que tu deviens trop romanesque. Voilà les passants qui s'amusent du spectacle: allons-nous-en,—Va-t'en si tu veux; pour moi, je suis dans un quart d'heure de charité et je me soucie bien d'être en spectacle. —Ce serait bien pis si je m'en allais. Un pareil duo dans cette rue.»

La jeune fille marchait toujours. «Mademoiselle, reprit Octave, je serais au désespoir de vous importuner, mais il ne sera pas dit que je vous aurai vu pleurer sans vous consoler.—Je ne pleure pas, Monsieur.—Permettez-moi d'être votre frère, ne fût-ce que cinq minutes.—Mon frère? dit la jeune fille en regardant Octave pour la première fois, il ne vous ressemblait pas.—Vous l'avez donc perdu aussi?—Oui, monsieur; s'il était revenu du Mexique, je ne serais pas là, car ma mère est morte de chagrin. La pauvre femme! elle n'avait pas de quoi porter le deuil de son fils, et moi, mon plus grand chagrin est de ne pouvoir porter le deuil de ma mère.—Eh bien! permettez-moi de vous acheter une robe.»

Et Parisis se tournant vers son ami. «Voilà qui me ferait pardonner toutes les robes de fête dont j'ai habillé les sept péchés capitaux.» La jeune fille s'était encore éloignée. «Mademoiselle, je suis sérieux, parce que votre douleur m'a gagné. Encore une fois, permettez-moi d'être votre frère pendant cinq minutes. Si vous saviez comme l'argent me coûte peu! Ce n'est point, Dieu merci, une aumône que je vous propose, vous êtes trop fière et trop digne pour cela.»

Monjoyeux prit la parole: «Non, mademoiselle, mon ami ne vous donnera pas d'argent, mais il vous en prêtera; je connais ses mauvaises habitudes, c'est un prêteur sur gages.» La jeune fille ne put s'empêcher de sourire. «Eh bien! monsieur, j'allais au mont-de-piété, dit-elle en soulevant une étoffe qu'elle avait sous le bras; voilà deux rideaux que j'ai sauvés, car on a tout vendu hier à la maison.—N'allez pas si loin, je vous prête dix louis sur vos deux rideaux. Si ce n'est pas assez….—Sans parler de la reconnaissance, dit Monjoyeux. D'ailleurs, je suis témoin du contrat.» La jeune fille était devenue rêveuse. «Monsieur, dit-elle gravement et en levant la tête, j'accepte vos deux cents francs; il ne m'en faut pas davantage pour payer les dettes de ma mère, et pour garder notre petite chambre. Je vous demande un an et demi, car je puis, si je travaille bien, mettre trois francs de côté par semaine.—Que faites-vous donc, mademoiselle ?—Je travaille en vieilles dentelles. Si maman n'était pas tombée malade, je ne serais pas si pauvre, car il y a des jours où je gagne jusqu'à cent sous,—quand je passe la nuit,—ajouta-t-elle avec un sourire qui parut d'autant plus douloureux à Octave qu'il remarquait sur ce jeune visage les ravages de la misère et du travail.»

Octave prit dans les poches de son gilet une petite poignée d'or. «Voilà qui est convenu, mademoiselle, ceci est à vous pendant un an et demi, mais pas un jour de plus.» Il prit la main de la jeune fille et y versa l'or. «Comptons, monsieur, vous me donnez plus qu'il ne me faut.—Elle a raison: ce n'est pas généreux, dit Monjoyeux.»

La jeune fille avait compté: «Ceci n'est pas pour moi, dit-elle, en remettant à M. de Parisis quatre pièces de vingt francs.—Que voulez-vous, dit-il, je n'ai pu apprendre les mathématiques.—Adieu, monsieur, adieu, messieurs, dit la jeune fille en s'inclinant.»

Elle retourna d'où elle venait. «Mais, mademoiselle, dit Octave en la rappelant, où vous retrouverai-je dans un an et demi?—Ah! c'est vrai; j'oubliais. Vous me retrouverez où je demeure aujourd'hui, là-bas, à cette porte grillée.—Mais je ne sais pas votre nom, mademoiselle? —Louise Marty.»

En moins de quelques secondes, la jeune fille disparut dans la sombre allée de la maison d'où elle était sortie quelques minutes auparavant «C'est bête comme tout, dit le duc de Parisis, ému; c'est égal, voilà toujours deux cents francs bien placés.—Pas si bien placés que cela, dit le sculpteur, car elle te les rendra.—Tant pis, mon cher. Ainsi, dans ton opinion, c'est une honnête fille?—Pure comme un beau jour d'été. Pas un nuage à l'horizon, excepté toi, peut-être. N'as-tu pas vu cela tout de suite dans ses yeux? C'est bleu, doux et profond comme la vertu. Cela fait du bien de voir une pareille créature!—A nous surtout qui en voyons tant d'autres! Oh! Paris! ténèbres sur ténèbres! Avec deux cents francs, cette fille est peut-être sauvée; or, j'en connais plus d'une qui, à cette heure, en dévore cent fois autant d'un seul coup pour des robes ou des bijoux dont elle ne voudra plus demain matin.—Mais, après tout, reprit Monjoyeux, devenu pensif, la femme est toujours la femme. Cette belle fille va peut-être oublier d'acheter une robe de deuil.—Oui, si nous allions la rencontrer avec une rose quand nous viendrons surprendre notre ami le normalien à la Closerie des Lilas!»

Et, parlant ainsi, les deux compagnons d'aventure traversèrent le Luxembourg et gagnèrent la rue de Seine, où ils prirent un coupé. Ils se dirent adieu sur le boulevard des Italiens. «Mon cher Octave, dit Monjoyeux en serrant la main de son ami, si tu veux je serai de moitié dans ta belle action; je vais te donner cinq louis.—Non, non, dit Octave avec impatience, ce n'est pas la peine de se mettre deux pour un pareil capital.»

Un sentiment de jalousie l'avait pris au coeur. Sa pensée le reportait déjà, avec je ne sais quel charme mélancolique, vers la scène qui s'était passée rue Saint-Hyacinthe-Saint-Michel. Il regrettait que la jeune fille n'eût pas gardé les quatre louis qui lui restaient; car elle aurait beau faire, ce n'est pas avec deux cents francs qu'on paye son terme, qu'on paye ses dettes et qu'on paye une robe de deuil.

Il se promit d'aller la voir le lendemain; ce qui ne l'empêcha pas de dîner au café Anglais, en compagnie de Mlle Va-t-en-Guerre et de Mlle Cosaque, deux vertus guerrières qui avaient sauté d'un char de l'Hippodrome dans une victoria de Longchamp.

Après le dîner, on alla aux Bouffes Parisiens, dans une petite loge infernale où l'on fit semblant de s'amuser de tout, et où l'on ne s'amusa de rien. Après le spectacle, on raccola des amoureux et des amoureuses dépareillés pour aller souper. Ce fut une de ces fêtes bruyantes dont les tapageuses disent toujours le lendemain: «Tu n'y étais pas; nous avons bien ri.» Ri de quoi? Elles ont beau boire des vins généreux, ces Aspasies de hasard n'en sont pas plus spirituelles: le vin ne fait que donner du ton à leur bêtise.

Au beau milieu du souper, Octave se leva, prit son chapeau et sortit en disant qu'il allait revenir. Il ne revint pas. Pour la première fois, il voyait tout le néant de cette vie à la surface. Il se demanda comment il avait pu perdre les plus fraîches de ses belles années dans ce tourbillon doré, où l'on respire les fumées de l'ivresse, où l'esprit prend un masque, où le coeur ne se retrouve jamais.

Le duc de Parisis rentra chez lui avec le contentement d'un homme qui vient de faire une mauvaise traversée et qui franchit le seuil de sa maison. Il n'avait pu d'un seul coup rompre avec son passé. Toutes les figures de femmes qui avaient hanté sa première jeunesse le suivaient, souriantes ou railleuses; il semblait qu'elles voulussent garder leur proie. Son coeur n'était occupé que de la vision du matin; mais son esprit, plus faible que son coeur, était obsédé du souvenir des folies amoureuses. Et pourtant, dans l'espace de quelques jours, Octave avait trois fois renié le diable comme saint Pierre avait trois fois renié Jésus. Trois fois, de par l'apparition de Mlle de la Chastaigneraye dans l'avenue de la Muette, de par le charme impérieux de la Dame de Coeur, de par la vertu si simple et si douce de cette petite fille égarée au pays latin.

Le lendemain, que fit Octave? Sans bien savoir pourquoi, il fit atteler et se conduisit lui-même à la porte du Luxembourg. Il traversa le jardin à pied et monta bientôt les cinq étages de l'ouvrière en dentelles. Quatre paroles du portier lui avaient appris que la belle fille était en odeur de sainteté dans toute la maison. «Elle travaille bien?—Si bien qu'elle n'a jamais le temps d'ouvrir sa fenêtre, si ce n'est pour respirer quand sa journée est finie. Et encore il lui arrive plus d'une fois de recommencer sa journée quand sa journée est finie.»

Cependant Parisis frappa à la porte. «C'est déjà vous, monsieur?» dit Louise en rougissant. Elle demeura sur le pas de la porte comme pour empêcher Octave d'entrer. «Oui, c'est déjà moi, mademoiselle; il me semble qu'hier nous avons oublié de nous dire quelque chose.—Nous avons oublié…—Voulez-vous m'accorder une audience de cinq minutes?»

Elle n'osa refuser et présenta une chaise de paille à Octave. «Monsieur, je commence par vous remercier, car tout ce qui est ici, grâce à vous, est à moi. C'est singulier, depuis hier je suis presque contente.» Et, disant ces mots, la jeune fille reprit son travail; son travail, c'était une robe de laine noire. «Elle ne nous a pas trompés, pensa Octave, voilà bien la robe de deuil.—Maintenant, monsieur, voulez-vous me dire pourquoi vous êtes monté si haut?»

Le duc de Parisis regarda la jeune fille avec un sentiment profond. «Parce que je vous aime.» La jeune fille pâlit et se leva: «Monsieur, si je suis chez moi, allez-vous-en; si je suis chez vous, je m'en vais!—Vous êtes chez vous et je ne m'en vais pas. Je croyais que vous m'estimeriez assez pour ne pas me rappeler la dette qui est entre nous. Pourquoi vous fâcher d'un mot tout simple? C'est donc un grand crime que de vous dire: Je vous aime, quand on parle selon son coeur? Ne m'aimez pas si vous voulez; mais ne vous offensez pas si je vous aime.»

La foudre était tombée dans la chambre: la jeune fille, toute hors d'elle-même, voulut dévorer ses larmes, mais ses larmes l'étouffaient. Octave lui saisit la main et la porta à ses lèvres avec effusion: «Louise, ce sont les seules larmes que vous verserez à cause de moi. Voyez en moi un ami, et si mon amour vous fait peur, je n'en parlerai plus.»

Que vous dirai-je? Je ne veux pas peindre cette singulière passion dans toutes ses nuances. Ce qui est certain, c'est que, le lendemain, la jeune ouvrière pleura encore, mais cette fois ce fut parce que Parisis ne vint pas. L'amour ne vit que d'imprévu; elle l'attendait: s'il fût venu, elle ne l'aurait pas attendu le lendemain;—il ne vint pas, elle l'attendit quinze jours durant avec les anxieuses impatiences de la jeune fille,—le dirai-je?—avec la fièvre de l'amour. Elle ne se l'avouait pas, mais elle aimait Octave. Et comment ne l'eût-elle pas aimé? Il revint. «Je ne vous attendais plus, dit Louise, sans vouloir cacher sa joie.—Vous m'avez donc attendu?—Vous le savez bien.»

Ce jour-là, ce fut une vraie fête. Il avait apporté une branche de lilas qu'elle pressa sur son coeur et qu'elle embrassa à diverses reprises. «Oh! que je suis heureuse, dit-elle tristement, il y a deux ans que je n'ai touché une fleur.—Pauvre enfant, s'écria Octave, je veux vous donner un bouquet tous les jours.—Tous les jours? jusqu'à quand?—Jusqu'à toujours.—Toujours, toujours, murmura-t-elle avec amertume.—Après tout, reprit-elle, toujours c'est peut-être demain et peut-être après demain.»

Et elle embrassait encore la branche de lilas. Et elle racontait à Octave qu'autrefois, avec sa mère et son frère, elle allait dans les bois de Meudon se faire des bouquets agrestes: «Si vous saviez mon bonheur, lui dit-elle, quand je voyais des blés à la barrière d'Enfer, où je trouvais des bleuets et des coquelicots!»

Octave apporta tous les matins un bouquet de lilas ou de violettes. Une fois, il se hasarda à apporter une robe de soie: «Vous ne m'aimez plus, lui dit Louise tout en révolte, cette robe est une injure.» Octave comprit qu'il s'était trompé: «Louise, ne m'en veuillez pas, ne parlons plus de cette robe, mais prenez le bouquet qui est dedans.» Le diable garda la robe.

Pendant dix jours, le duc de Parisis ne manqua pas un seul jour à ce rendez-vous. Tous les matins, après déjeuner, il montait en voiture, descendait à la grille du Luxembourg et courait s'enfermer une heure avec Louise. Et l'heure passait trop vite. Il se disait qu'elle était trop fière et trop pure pour devenir sa maîtresse. On se demandera pourquoi il revenait tous les jours: il ne le savait pas lui-même. Il éprouvait une joie indicible à se retrouver dans la petite chambre de Louise. La vertu a son atmosphère qui rassérène l'âme, comme les horizons du matin, dans les beaux jours, où le vent ne secoue que l'odeur saine et fortifiante des blés en fleur et des chênes verts. Il y avait trop longtemps que Parisis n'avait respiré cet air vivifiant pour qu'il n'en fût pas pénétré jusqu'au fond de l'âme.

Çà et là, Octave avait tenté d'augmenter sa créance, mais Louise n'avait jamais voulu augmenter sa dette. «Vous m'empêcherez d'être heureuse, si je ne suis plus digne de moi.»

C'est à peine si elle avait accepté une jardinière, un livre d'heures, un dé d'or et un coucou de cinquante francs. Et encore elle n'avait accepté le coucou qu'après que Parisis eut bien prouvé que c'était pour voir l'heure. «Savoir l'heure! à quoi bon! Ne saurai-je pas toujours l'heure où vous ne reviendrez pas? avait dit Louise.—Vous voulez donc me fermer votre porte?—Jamais.»

La pauvre Louise ne connaissait pas le vieux proverbe: «Si tu ne fermes pas ta porte à l'amour, l'amour te mettra à la porte.» Un matin, on ne vit pas Louise courir d'un pied léger chez la fruitière qui lui vendait du lait, des oeufs et des pommes. Ce fut un vrai chagrin dans le quartier quand on apprit qu'elle avait disparu, le soir, au bras d'un amoureux «à équipage.» «Quel malheur! dit la portière. Une fille si bien élevée! C'était comme une hirondelle: elle portait bonheur à la maison.—Eh bien, dit la fruitière, elle se portera bonheur à elle-même.»

Octave n'avait pas de préjugés: il aimait la femme, quelle que fût son origine et quel que fût son pays. Il l'avait prouvé en ramenant une Chinoise. Il aimait le faubourg Saint-Germain, mais il aimait Bréda street; il aimait les Champs-Élysées, mais il aimait le pays latin. Devant toutes frontières, il répétait le mot de Louis XIV: «Il n'y a plus de Pyrénées.»

Il n'eut pas le pressentiment que cette jeune fille n'était pas du pays latin.

Le lendemain, non loin de l'hôtel de Parisis, dans une maison de l'avenue d'Eylau, cachée sous les grands arbres d'un jardin, une jeune fille venait cacher sa vie. Je ne sais pas si elle devait porter bonheur à cette petite maison humide et malsaine, que les derniers locataires avaient quittée. C'était cette solitude même qu'Octave avait cherchée pour Louise. Il voulait lui louer le premier étage, mais elle avait peur du luxe, et elle demanda à habiter l'étage mansardé: cela lui rappellerait sa mère et elle travaillerait mieux, car elle comptait bien travailler toujours. Elle aimait trop à toucher la dentelle et les fleurs pour vouloir se croiser les bras. Octave eut beau lui dire qu'il lui en donnerait pour elle-même; elle refusa.

Octave ne voulut pas l'encanailler dans l'acajou, ce pauvre bois trop décrié. Il lui donna des meubles en citronnier, un petit mobilier de villa, très simple, mais pas vulgaire. Il ne voulut rien oublier: elle eut des oiseaux dans une petite cage dorée et des pervenches dans une petite jardinière rustique. «Cela ne vous empêchera pas, lui dit-elle, de m'apporter tous les matins un bouquet de violettes.—Oui, ma Violette, répondit-il.—Oui, s'écria-t-elle avec joie, Violette c'est mon nom, car je veux vivre toujours cachée.»

La pauvre Violette s'imaginait qu'entre Octave et elle c'était à la vie, à la mort. «N'est-ce pas, lui dit-elle, qu'entre moi qui vous aime et vous qui m'aimez, c'est à la vie à la mort?» Octave tressaillit, il se rappela la légende des Parisis. «Si j'allais l'aimer! Et si elle allait m'aimer!» dit-il, avec un sentiment de tristesse. Et il reprit: «Il faudra que je jette de l'eau sur le feu.»

Le soir il alla voir sa tante. Geneviève était au spectacle avec la marquise de Fontaneilles. «C'est dommage, dit-il, j'aurais voulu apaiser mon coeur dans l'atmosphère de la province.»

Il joua au reversis avec sa tante. «Êtes-vous bien amoureux? lui demanda-t-elle.—Effroyablement! J'aime trois ou quatre femmes.»

Les grandes dames

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