Читать книгу Les grandes dames - Arsène Houssaye - Страница 59

UNE AMBASSADE GALANTE D'OCTAVE DE PARISIS

Оглавление

Le duc de Parisis s'ennuyait bien un peu çà et là, comme Rodolphe de Villeroy, d'attendre trop longtemps sa nomination de ministre en Allemagne, quoiqu'il n'aimât pas beaucoup la rive droite du Rhin.

En attendant, il ne se consumait pas dans l'orgueil trompé. Un de ses amis, Guillaume de Montbrun, devait épouser Mlle Lucile de Courthuys à la chapelle du Sénat. Les lettres de faire part s'imprimaient. Le lendemain, la nouvelle devait éclater par tous les mondes de Paris.

Comme Octave, Guillaume était de tous les mondes, du meilleur et du plus mauvais. Il alla dès l'aurore réveiller le duc de Parisis: «Pourquoi viens-tu si matin?—Parce qu'il n'y a pas un jour à perdre. Tu m'as promis d'être toujours là pour mes affaires d'honneur; voilà pourquoi je te réveille.—Parle; un duel?—Oui, un duel à mort: je me marie.»

Octave se souleva sur l'oreiller. «Pourquoi cette mauvaise plaisanterie?—Parce que j'ai trouvé une jeune fille adorable; je ne te l'ai pas dit plus tôt, connaissant tes allures, tu me l'aurais enlevée. Et pourtant celle-là, Dieu merci! n'est pas une de celles qui se laissent enlever. Tu ne t'imagines pas ce que c'est: un ange!—Un ange avec cinquante mille livres as rente? Le pain est si rare à ta table.—Ne parlons pas d'argent.—Tu as raison; on n'en a jamais et on en a toujours.—Mon cher, je ne viens pas pour te parler de la fiancée ni de la dot.—A propos, que va dire cette belle dame que j'ai entrevue une fois sous les ombrages de la Vallière, à Versailles? Elle était bien voilée, mais je crois qu'elle était bien jolie. Elle marchait comme une reine, et si depuis elle a boité comme Mlle de la Vallière, c'est qu'elle avait pris une entorse en se promenant avec toi.—C'est précisément pour te parler d'elle que je suis venu ici.—Alors, c'est elle qu'il faut que j'enlève?—Je ne vais pas jusqu'à te demander un tel service. Mais enfin, tu t'es si souvent montré mon ami….—Explique-toi, sphinx.»

Guillaume de Montbrun se renversa dans un fauteuil. «Voilà. Je suis adoré comme tous ceux qui vont se marier; une femme ne vous aime bien que quand une autre femme est là, c'est de toute antiquité.—Ah! mon ami, comme tu es malheureux si tu es aimé!—Ne m'en parle pas, tu sais cela, toi. Eh bien, mon cher ministre plénipotentiaire en disponibilité, il faut que tu ailles bravement chez la dame en question, et que tu lui arraches son amour du coeur.—C'est simple comme tout. Je vais à elle et je lui dis: «Madame, n'aimez plus mon ami Guillaume, parce qu'il a confié les destinées de son coeur à une autre femme.» Et quand j'aurai parlé, la dame dira: «Je ne l'aime plus.» Cela se fait toujours comme cela. Tu as donc peur qu'elle poignarde la blanche épousée?—J'ai peur de tout; j'ai peur surtout qu'elle ne se poignarde elle-même. Quand une femme tombe dans la bêtise d'aimer, elle est capable de toutes les autres.—Alors tu feras bien mieux de ne lui rien dire du tout jusqu'à la lune de miel.—Ah! s'il n'y avait pas de journaux! Mais, un de ces jours, elle va lire la nouvelle et tomber chez moi comme une avalanche, ou comme un coup de tonnerre. L'amour qui commence est une bien belle chose, mais l'amour qui finit….—Voilà pourquoi tu recommences.—Ne rions pas, c'est sérieux.»

Guillaume de Montbrun se leva et porta à Octave, toujours couché, une enveloppe cachetée à ses armes, renfermant une cinquantaine de lettres, autant de pâles souvenirs déjà scellés dans le tombeau. «Voilà ses lettres. Tu iras chez elle, tu la trouveras à deux heures; son mari ne rentre qu'après la Bourse….—Où, naturellement, il est heureux. Comment s'appelle-t-il, ou comment s'appelle-t-elle?—Elle s'appelle Mme … Mme de Révilly.—En vérité! Je ne l'ai jamais vue, mais on m'a dit qu'elle était charmante.—Elle ne va jamais dans le monde. Elle s'était emprisonnée dans notre amour avec une fenêtre ouverte sur le ciel. Tu sais, les femmes arrangent tout cela: Dieu et le diable.—Parce que les femmes sont l'oeuvre de Dieu et du diable. Donc je porterai ces lettres à Mme de Révilly. Et tout naturellement tu lui demanderas les miennes. Tu comprends que si le lendemain des noces il lui prenait fantaisie de les envoyer à ma femme, Lucile ne me pardonnerait pas d'avoir écrit à une autre avec une pareille éloquence de coeur.»

Parisis regarda son ami Montbrun avec admiration. «Je te trouve beau, en vérité, de t'inquiéter de pareilles billevesées. Ta femme te pardonnera d'autant plus que ton éloquence sera plus belle. Mais enfin, tu veux briser, brisons.»

Octave regarda la pendule. «Dix heures. Je n'aurai pas le temps de m'occuper de moi aujourd'hui. Un duel à arranger, ce qui veut dire qu'il faut qu'il ait lieu; une visite au ministre pour lui prouver que je n'ai pas de rancune; ta chaîne à briser—ô esclave blanc qui en a déjà une autre;—un nouveau cheval à montrer, je veux dire à monter au Bois; un dîner officiel et un bal à l'ambassade d'Autriche. Enfin, à minuit je pourrai commencer ma journée.—Je sais bien que tu es comme le sage, et que, pour toi, chaque grain qui tombe du sablier est un grain d'or.»

M. de Montbrun s'était levé: «Adieu, je compte sur toi, Tu sais tout ce qu'il faut dire à la dame. Parle-lui de mon chagrin et de mes dettes.—Oui, on se marie pour échapper à une maîtresse qui vous ennuie et on met cela sur le dos de ses créanciers. Sois tranquille, je suis un excellent avocat pour ces causes désespérées. Sais-tu pourquoi?—Parce que cela t'amuse.—Parce que c'est une étude de femme.—Et parce qu'on n'apprend à connaître la femme qu'après avoir mis le scalpel dans tous les coeurs.—Oh! je ne suis pas si médecin que cela.—Je reviendrai chercher la réponse à six heures.—Oui, tu me trouveras; c'est l'heure où je m'habillerai pour aller dîner.»

Les deux amis se serrèrent la main. «N'oublie pas qu'elle demeure boulevard Haussmann. Te rappelles-tu, quand l'autre jour tu m'as demandé du feu pour allumer ton cigare? c'était sous sa porte cochère. Que Dieu te conduise!—Sois heureux, va cueillir des fleurs d'oranger.»

A deux heures, M. de Parisis descendait à pied le boulevard Haussmann, tout à sa mission; comme un avocat qui va plaider une mauvaise cause, il cherchait de bons arguments. «C'est là que demeure la belle, dit-il tout à coup en regardant un petit hôtel d'architecture trop composite.—Mme de Révilly? demanda-t-il.»

Sur un signe affirmatif, il monta l'escalier. Le concierge avait fait deux fois retentir le timbre pour annoncer un homme. Il ne sonnait qu'une fois pour une femme. Octave vit, par le grand air de l'escalier, qu'il était dans une bonne maison.

Un valet de chambre lui demanda son nom et revint tout de suite pour lui dire d'entrer. Il fut quelque peu désappointé en voyant deux dames au lieu d'une. Il tombait mal, on recevait ce jour-là. Toute femme du monde qu'elle était, la maîtresse de la maison ne put masquer une vraie surprise en voyant entrer M. de Parisis. «Je ne m'attendais pas à cette gracieuse visite, dit-elle avec un sourire charmant.—Madame, j'étais dans mon tort. Il a fallu toute une histoire, que je vous dirai, pour m'autoriser à me présenter ainsi devant vous, sans avoir eu l'honneur de vous êtes présenté.»

La visiteuse comprit qu'on ne dirait pas l'histoire devant elle. Après de profondes réflexions sur la pluie et le beau temps, elle se leva et sortit sans qu'on fît de bien grands efforts pour la retenir.

M. de Parisis avait déjà étudié la dame du logis. Elle était fort jolie, dans tout l'épanouissement de la seconde jeunesse, qui est peut-être la vraie. «Madame, reprit Octave avec gravité, pouvez-vous m'accorder quelques instants et pouvez-vous m'ouvrir une parenthèse de cinq minutes dans vos trois heures de réception?—Je ne réponds de rien, dit la dame, plus surprise encore qu'à l'arrivée d'Octave, seulement vous avez toutes chances de n'être pas troublé, car les vraies visites ne commencent qu'à quatre heures, mais surtout au retour du Bois. Parlez, monsieur.—Eh bien! madame, je vais droit au but. Avez-vous lu des romans? Avez-vous été à la comédie? Oui, n'est-ce pas? Eh bien! figurez-vous que vous êtes une héroïne de roman ou un personnage de comédie. La vie! qu'est-ce autre chose, surtout la vie du coeur?—Je ne comprends pas bien.—Il me semble que je vous ai vue à cette première représentation d'une comédie où il y a une jeune fille qu'on aime et une jeune femme qu'on a aimée. Le comédien est très amoureux de la jeune femme, mais il va épouser la jeune fille; c'est la loi du monde.»

Les grandes dames

Подняться наверх