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Chapitre II : Escroc et beau parleur. Un casier judiciaire. À Vernouillet. Un premier crime. Sur la pente.

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À demi défaillante, Mme Cuchet s’appuyait contre le chambranle de la porte. Landru s’approcha d’elle, et la poussant à l’intérieur du corridor, il fit d’une voix très douce, très persuasive :

— Ne reste pas là, viens !…

Et, après avoir refermé le battant, il l’entraîna dans la chambre, tout en disant :

— Ne m’en veux, pas de t’avoir causé de l’inquiétude. Mais je vais tout t’expliquer… et tu verras qu’il n’y a pas de ma faute…

Prévenant, empressé, il aida la pauvre Jeanne à s’asseoir sur un fauteuil. Puis, tout en déposant son chapeau sur une table, il fit, sans le moindre embarras :

— Il ne faudrait tout de même pas oublier qu’il y a la guerre…

— La guerre ! répétait machinalement sa maitresse.

— Hé oui… Je m’en suis bien aperçu, lundi dernier.

Lorsque je suis arrivé à Chantilly, l’autorité militaire a voulu réquisitionner ma voiture…

Comme je faisais valoir a l’officier de service qu’elle ne valait plus grand-chose, et qu’il ferait mieux de me la laisser, ce militaire l’a pris de haut, et m’a même injurié ; j’ai eu tort de lui répondre, et il m’a fait coffrer… Heureusement que je connaissais…

Mais il s’arrêta. Debout, transfigurée, frémissante d’indignation, Mme Cuchet s’était dressée devant lui, clamant :

— Inutile de mentir davantage, je sais qui tu es…

— Qui je suis ! sursauta le faux commis ambulant.

— Oui, j’ai trouvé aujourd’hui même, à la Chaussée, ton livret, militaire et ton livret de mariage… Tu ne t’appelles pas Raymond Diard, mais Henri Landru… Tu es marié… et tu as des enfants…

— Et après ! posait son interlocuteur avec un aplomb et un sang-froid extraordinaires.

— Après, ripostait Jeanne, sidérée…

Il lui prit les mains et l’enveloppant d’un regard magnétique qui, aussitôt, désarma sa colère, il fit :

— J’ai eu tort, je le reconnais. Mais je ne pouvais pas agir autrement… parce que, depuis l’instant où je t’ai connue, je t’ai aimée, je t’ai voulue… et je ne voulais pas risquer de te perdre en te disant la vérité !

— Raymond ! persistait à l’appeler Jeanne. Raymond… c’est abominable… d’avoir abusé de la confiance d’une femme qui t’aimait…

— Et qui m’aime encore s’écriait Landru, avec passion.

— Non, non, c’est fini…

— Pourquoi ?

— Un homme marié !

— Je suis en instance de divorce… Ça ne marche pas aussi vite que je l’aurais espéré. Cette maudite guerre, surtout, va tout retarder. Mais sois tranquille ! j’ai des amis très hauts placés, et ils m’ont promis de faire en sorte d’accélérer la marche de la justice…

— Et toutes ces lettres de femmes que j’ai trouvées aussi ! sanglotait éperdument la malheureuse.

— Plaisanterie sans importance… déclarait Landru. Je voulais m’amuser. Voir jusqu’où pouvait aller la crédulité féminine…

— Et sans doute à moi comme à toutes, tu as joué la comédie de l’amour…

Tout en l’attirant étroitement contre lui, Landru affirmait d’une voix empressée :

— Avec toi, j’ai toujours été sincère ! Les autres étaient des marionnettes qui ne comptaient pas dans ma vie. Trois petits tours et puis… s’en vont. Tandis que toi, tu m’as pris tout entier, et à un tel point que je n’en reviens pas moi-même…

Mme Cuchet secouait la tête d’un air sceptique. Landru reprenait :

— Tu ne me crois pas. Eh bien, je vais t’en donner la preuve. Sentant que, depuis quelque temps, tu prenais sur moi un ascendant certain, et ne voulant pas aliéner ma liberté, j’avais pris le parti de te quitter…

— Tu vois bien !

— Mais je n’ai pas pu résister à trois jours de séparation, car j’ai senti qu’il me serait désormais impossible de vivre sans toi… Je suis retourné à la Chaussée, et quand j’ai trouvé notre petit logis désert, j’ai eu une vraie crise de désespoir… et vite je suis rentré à Paris, pensant bien te trouver chez toi. Maintenant, me voici revenu pour toujours. Pardonne-moi mes mensonges… Ils étaient nécessaires à notre bonheur à tous les deux… Oui, à notre bonheur que rien désormais ne viendra plus troubler, je te le jure, ma bien-aimée… sur la tête de mes fils et du tien !

La malheureuse, toujours en pleurs, avait laissé retomber sa tête sur l’épaule de son amant. Elle se défendait, mais mollement, en femme qui s’apprête à capituler.

— Non, je ne veux plus… Tu es marié…

— Puisque avant trois mois je serai divorcé…

— Et tes enfants ?

— Ils t’aimeront, j’en suis sûr, comme une seconde mère…

— Raymond, pourquoi as-tu fait cela ?… C’est mal !…

— Jeanne, je t’adore…

Landru avançait ses grosses lèvres rouges avides de baisers, dispensatrices d’ardentes et subtiles caresses… vers la bouche entrouverte de sa maîtresse qui… désarmée, ferma les yeux et s’abandonna au vainqueur…

Le lendemain matin, ils réintégraient leur logis da la Chaussée. Quelques jours après, chassés par l’avance des anciens ennemis, ils revenaient à Paris.

Landru, désormais, la tenait à sa merci. Profitant de l’influence mystérieuse qu’il exerçait sur elle, il l’amenait à rompre avec son beau-frère et sa sœur… en qui il n’avait pas été sans flairer des adversaires redoutables. En revanche, il redoubla d’amabilité envers le jeune André Cuchet, auquel, naturellement, on avait tout laissé ignorer, et le ménage irrégulier coula d’heureux jours… insensible au grand drame du jour qui secouait non seulement la France et l’Europe, mais encore le monde entier de la plus formidable émotion qu’ait jamais connu l’Univers…

Mais Landru avait déjà son but. Peut-être, lorsqu’il était entré en rapport avec Mme Cuchet, n’avait-il pas encore l’Intention de lui donner la mort ?… Mais il n’est pas douteux qu’il avait déjà conçu de dépouiller la trop confiante veuve, de tout son avoir…

Quel était en réalité cet homme destiné à devenir l’un des criminels les plus effroyables de tous les temps ?

En quelques mots, nous allons le préciser à nos lecteurs.

Landru était né à Paris le 12 avril 1869. Fils d’honnêtes ouvriers, Il avait commencé par être un garçon très sage et même un élève très studieux. Enfant de chœur à sa paroisse, il avait même pu, par sa piété et son zèle, donner à penser aux siens qu’il ‘embrasserait un jour la carrière ecclésiastique. Mais, en grandissant, ses idée religieuses cédèrent à ses convoitises matérielles… qui de jour on jour, se faisaient de plus en plus exigeantes. Au retour de son service militaire, il entrait comme employé à la Garantie Mobilière, où il ne demeura que peu de temps ; puis il se lançait dans l’automobile, et, après avoir passé par différentes maisons, il exploitait pendant quelque temps un garage à Malakoff. Somme toute, Landru qui, entre temps s’était marié et était devenu père de deux garçons, n’avait jamais vécu que de moyens inavouables, d’escroqueries, d’indélicatesses, jamais d’un travail régulier. Il puisait toutes ses ressources dans l’exploitation des femmes, il s’efforçait de s’approprier leur avoir ou leurs économies en entrant en relations avec elles, soit au hasard des rencontres sur la voie publique, soit par des annonces pompeuses dans certains journaux. Il les flattait avec une habileté consommée, exerçait sur elles une emprise incontestable, grâce à sa connaissance du milieu social, de la mentalité et des aspirations de ces malheureuses. Plus tard, il devait être établi que Landru avait été en relation avec deux cent quatre-vingt-trois femmes ! De là, pour lui, la nécessité de tenir à jour de nombreux carnets de notes et des dossiers dont la teneur devait être singulièrement compromettante pour son auteur.

Mais n’anticipons pas sur les événements tragiques qui vont suivre. Contentons-nous d’ajouter que l’exercice d’une aussi périlleuse profession, n’avait pas été déjà sans causer à Landru quelques ennuis. Son casier judiciaire s’ornait déjà de cinq condamnations dont voici le détail :

21 juillet 1904. Paris

— Escroquerie. 2 ans de prison. 50 francs d’amende.

28 mars 1906. Sens.

— Escroquerie. 13 mois de prison. 50 francs d’amende.

27 mai 1906. Paris.

— Abus de confiance. 3 ans de prison. 100 francs d’amende.

20 juillet 1914. Sens.

— Escroquerie. 4 ans de prison. 100 francs d’amende. Peine accessoire de la relégation.

Il est regrettable pour Mme Cuchet que Landru n’eut pas ajouté aux papiers qu’il avait si imprudemment laissé traîner dans sa cantine, ce document qui aurait sans doute empêché la pauvre femme de pardonner à ce si dangereux coquin, et de reprendre avec lui la vie commune ; mais elle était chambrée et bien chambrée. Maintenant, surtout, qu’elle avait découvert la véritable identité de son fiancé de proie, elle allait devenir sa victime…

L’idée de la faire disparaître ne germa peut-être pas immédiatement dans le cerveau du futur Barbe-Bleue de Gambais, et il est fort possible que, s’il ne se fût pas trouvé dans des conditions exceptionnelles qui lui permettaient d’escompter l’impunité, il n’eût pas songé à un assassinat dont il était trop intelligent pour ne pas en avoir prévu toutes les conséquences. Mais on était en guerre.

Forcément, la police, dont la tâche était devenue si complexe, si délicate, si grave, et surtout si importante au point de vue de la défense nationale, ne pouvait pas exercer sur la criminalité courante un contrôle aussi rigoureux qu’en temps de paix.

Un grand nombre de nos agents de la Police judiciaire et de la Sûreté générale, parmi lesquels il fallait compter les meilleurs, étaient mobilisés ou en service aux armées…

Supprimer quelqu’un devenait donc plus facile, surtout pour un individu qui, à un manque absolu de principes, joignait une astuce, un sang-froid, un aplomb et une présence d’esprit que l’on rencontre rarement réunis en une seule personne. Ce furent certainement ces conditions qui décidèrent Landru à se débarrasser non seulement de sa fiancée qu’il jugeait plutôt compromettante, mais aussi du fils qui pourrait devenir non moins dangereux à son tour… Cela, bien entendu, après s’être emparé de tout son argent, de tous ses meubles, bijoux et souvenirs, sur lesquels, dès son entrée dans le jeu, il avait jeté son dévolu.

Résolu à son double crime, Landru va passer immédiatement à son exécution. Mais, avec une roublardise extraordinaire, il saura s’entourer de toutes les précautions nécessaires.

Profitant de ce que Mme Cuchet ne voit plus et ne vit plus que par lui, il commence par lui faire donner congé de son appartement pour le terme de janvier 1915, et il loue à Vernouillet, la villa « Lodge » 47, rue de Mantes… et à la date du 8 décembre, le déménagement est effectué…

« En trois jours, tout a été bâclé, écrit Mme Cuchet, à une de ses amies, en s’excusant de ne l’avoir pas prévenue plus tôt de sa détermination, et en exprimant le désir de la voir bientôt et de la recevoir à Vernouillet dès que le temps le permettra !…

« De plus, Landru, à la date du 1er janvier, fait établir un acte, non plus au nom de Mme Cuchet, mais de M. Cuchet, qui lui garantira aussi, en cas de disparition de la veuve, la jouissance de la villa, pour une durée égale à celle de l’engagement primitivement signé par Mme Cuchet elle-même. Avec les pièces d’identité du défunt Cuchet, qu’il a pris soin de remiser, il pourra, un jour, prendre son nom et, à l’aide de ce faux état civil, faire de nouvelles dupes !… »

La pauvre Jeanne était à cent lieues de soupçonner les sinistres projets que son « Raymond » ruminait contre elle et son jeune fils. Le misérable savait si bien cacher son jeu. Il la comblait de bouquets, de bonbons, de ces menus petits cadeaux dont on dit si bien qu’ils entretiennent l’amitié.

Installés à Vernouillet, la mère et le fils y séjournent paisiblement pendant le mois de janvier, André Cuchet vient deux fois à Paris, l’une pour rapporter les clefs de l’appartement du faubourg Saint-Denis, la seconde, pour prendre le courrier. A partir de ce jour personne ne devait plus, jamais revoir ni la mère, ni le fils.

Qu’étaient-ils devenus ? C’était le secret de Landru, et bien fin eût été celui qui aurait pu en percer le mystère.

Mais ce gredin n’allait pas demeurer inactif.

Afin de dissiper les inquiétudes que les disparitions des deux Cuchet pouvaient faire naître dans l’esprit de leurs intimes, il se présentait un jour au domicile d’une amie de Jeanne, et, sans se faire connaître autrement, il lui annonçait que Mme Cuchet et André sont partis pour l’Angleterre, mais qu’il ignorait leur adresse.

« A Vernouillet, il répandait également le bruit que Mme Cuchet avait passé le détroit et que son fils s’était engagé dans l’armée anglaise. »

Quant aux F…. la brouille avec leur parente avait été trop sérieuse et des paroles trop irréparables avaient été prononcées pour que ceux-ci s’inquiétassent de celle qui leur avait signifié clairement et violemment, sur les instigations de son « Raymond », qu’elle les rayait de son existence, et qu’elle ne voulait plus jamais entendre parler d’eux. Tranquille à ce sujet, Landru allait pouvoir réaliser la succession des deux disparus, sachant très bien qu’ils ne reviendront jamais la lui disputer.

Il commence par céder à un sieur P… une assurance sur la vie, consentie au profit d’André Cuchet, en lui présentant des papiers d’identité et en signant un reçu de ce nom. Il négocie à une banque de la place du Havre, une obligation communale 1891, la seule valeur qui appartenait encore à Mme Cuchet, au moment de son entrée en relations avec lui. Enfin, il fait transporter par un déménageur de Maisons-Laffitte de Vernouillet à Neuilly, dans deux garages différents, un certain nombre de meubles provenant de la villa de Lodge. Mais il y a mieux. Cyniquement, il endosse la personnalité de Cuchet, le père et le mari défunt de ses deux victimes ; il vit ostensiblement sous ce nom, et il s’y fait condamner, en se faisant dresser procès-verbal, pour avoir voyagé sans billet valable, d’Ezy, où il était allé voir sa famille, à Paris… devenu pour quelque temps du moins, le théâtre de ses opérations.

Maintenant que l’expérience a réussi, Landru, conscient de ses talents de criminel, et fort d’une impunité qu’il doit aux événements dans lesquels se débat la France, va pouvoir renouveler en série son sinistre exploit.

Lancé sur la pente du crime, il ne s’arrêtera plus que lorsque la justice lui mettra la main au collet mais d’ici là, quelle hécatombe !…

Landru, roman policier

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