Читать книгу Landru, roman policier - Arthur Bernede - Страница 5
Chapitre III : Une femme qui s’ennuie. La petite annonce du « journal ». Landru se fait la main. L’ancienne gouvernante.
ОглавлениеAu début, de juin 1945, Mme T…, honorable concierge d’un immeuble situé à Paris, 95, rue de Patay, s’apprêtait à faire quelques courses dans le voisinage, lorsqu’une de ses locataires, Mlle Laborde-Line, qui habitait un modeste appartement, au premier, à droite, fit irruption dans sa loge.
Agée de quarante cinq ans environ, sans beauté, mais le visage épanoui d’une joie débordante l’air d’une très brave femme, ce qu’elle était, d’ailleurs, Mme Laborde-Line s’écriait :
— Ma bonne madame, vous avez toujours été si gentille envers moi, que je veux que ce soit vous qui appreniez, la première la grande nouvelle.
Et, rajeunie de dix ans, toute vibrante d’une allégresse qu’elle ne songeait pas à contenir, elle précisait :
— Je vais me remarier !…
— Tous mes compliments, faisait aussitôt la concierge. C’est bien à votre tour d’être heureuse. Mais asseyez-vous donc, madame Laborde,
— Je vois que vous allez, sortir.
— Ça ne fait rien ; j’ai bien un petit moment pour vous écouter. La « fiancée » qui semblait tourmentée par un irrésistible désir de confidence, s’installa sur une chaise et reprit aussitôt :
— Voila ! Depuis le départ de mes enfants, j’étais bien seule. Je m’ennuyais, et puis, ainsi que vous le savez, sans être dans le besoin, je n’ai pas de très grosses ressources, aussi, autant pour me distraire que pour améliorer ma condition, j’avais fait passer dans un journal une annonce signée Raoul, et où le demandais un emploi pour une femme active, intelligente et honnête, qui disposait de quelques heures dans, la journée. J’ai reçu pas mal de lettres… ainsi que vous avez, dû vous en apercevoir, Mais il en est une qui a surtout attiré mon attention. On sentait qu’elle avait été écrite par un homme très comme il faut, très distingué. Je ne me trompais pas. Vous ne pouvez pas vous figurer comme il est bien… et intelligent. Quand il vous parle, on voudrait qu’il ne se taise jamais. C’est un évacué du Nord, il possède une certaine aisance, il demeure à Vernouillet, a une villa avec un joli jardin fleuri. Il a même une auto qu’il conduit lui-même, et est très bien. Nous avons déjà fait ensemble de très belles promenades. Vous devez le connaître, il est déjà venu ici plusieurs fois. Il a dû certainement me demander…
— Je ne me rappelle pas !
— Un homme de quarante-cinq ans, avec une barbe noire, des yeux très brillants, une voix très douce.
— Je ne vois pas…
— Nous nous sommes plu. Nous nous sommes fiancés, et nous nous marierons dès que j’aurai fait venir d’Amérique les papiers nécessaires. Il m’a demandé, en attendant, d’aller habiter avec lui.
— Et vous avez accepté ?
— Il a tellement insisté ! Il parait déjà si attaché à moi, que je m’en voudrais de lui causer la moindre peine. Et puis. Je vous avouerai que je ne suis pas fâchée de demeurer dans une maison confortable et bien meublée, où je n’aurai qu’à me laisser vivre.
— Avez-vous prévenu votre fils ?…
— Pas encore. Je suis un peu en froid avec ma bru. Aussi, au lieu d’écrire, je préfère avoir avec mon fils, qui a toujours été parfait envers moi, un entretien en tête à tète où je lui notifierai mes intentions. Je suis sûre qu’il en sera très satisfait, car il m’aime beaucoup et je n’ai jamais cessé d’être en excellents rapports, avec lui. C’est un si brave garçon…
— Alors, madame Laborde, vous allez me quitter ?
— Dans quelques jours.
— Je vous regretterai bien…
— Moi aussi, mais, qu’est-ce que vous voulez ?… Quand le bonheur passe auprès de vous, on aurait bien tort de le laisser s’éloigner… Mais je vous laisse. Excusez-moi de vous avoir retenu si longtemps…
— Encore tous mes compliments…
— Quand je serai installée là-bas, j’espère bien que vous viendrez nous voir…
— Je ne peux guère m’absenter de ma loge.
— Vous vous arrangerez.
— Entendu !…
— Je me sauve, car il faut que je commence mes paquets.
Tandis que Mme Laborde regagnait son premier, la concierge, après avoir fermé à clef la porte de sa loge, s’en allait en murmurant :
— Tant mieux pour cette brave femme, si elle est heureuse. Tiens, j’ai oublié de lui demander le nom de son futur…
Ce nom, tous nos lecteurs l’ont deviné, c’était Landru ! La femme sur laquelle il avait jeté son dévolu était pour lui une proie toute indiquée. Née le 12 août 1868, à Chacornus, province de Buenos-Aires, elle s’était mariée, en 1886, avec un aubergiste d’Oloron, dont elle avait eu un fils qui était entré dans l’administration des Postes et Télégraphes. Abandonnée par son mari, elle avait reporté toute son affection sur ce fils. Lorsqu’il avait été nommé à un emploi à Paris, elle, l’avait suivi, et, lorsqu’il s’était marié, elle avait continué à vivre avec lui. La belle-mère et la bru ne s’étaient guère entendues… Une séparation allait s’imposer, lorsque M. Laborde-Line fut appelé par ses fonctions à Troyes. Il déménagea avec sa femme et laissa à sa mère la jouissance de son appartement de la rue de Patay…où nous allons la retrouver, en train de réunir ses effets et ses souvenirs pour un proche départ.
Debout, devant sa commode dont le tiroir supérieur était ouvert, elle était occupée à en retirer quelques menus objets, lorsqu’on sonna à sa porte. Vite, elle s’en fut ouvrir, en disant ;
— Si c’était lui !
Elle ne se trompait pas. C’était bien Landru qui, ayant à la main quelques roses enveloppées dans un papier, se présentait à elle. Après l’avoir remercié de ses fleurs…elle l’emmena aussitôt dans sa chambre.
— Excusez-moi, fit-elle, j’étais en plein rangement. Tout est encore en désordre.
Landru demandait aussitôt ;
— Avez-vous donné congé à votre propriétaire ?
— Non, pas encore…
— Vous ferez bien, ma chère amie, de vous dépêcher. Car ce serait bien inutile de payer un terme de plus…
— Vous avez raison, dès ce soir, je ferai le nécessaire.
Promenant autour de lui un regard connaisseur, Landru reprenait :
— Ils sont fort bien, ces meubles… Ce petit secrétaire empire surtout. C’est dommage qu’à Vernouillet, nous n’ayons pas de place.
Mme Laborde reprenait :
— Je ne vous cacherai pas que cela me fait gros cœur de les vendre. La plupart sont pour moi des souvenirs,
— Attendez donc ! s’écriait le séducteur barbu. il y a peut-être un moyen de tout arranger.
— Dites…
— Nous pourrions nous entendre avec un garde-meuble, qui les conserverait jusqu’à ce que je me sois débarrassé des miens, que nous remplacerions ensuite par ceux-ci… et alors…
Mme Laborde-Line ne laissa pas continuer son interlocuteur. Enthousiasmée par sa proposition, elle lui sautait au cou, en disant :
— Décidément, vous avez toutes les attentions, toutes les délicatesses…
En un élan qu’il sut rendre passionné, le misérable serra contre sa poitrine celle qu’il avait déjà condamnée à mort.
En effet, quelques jours après, Mme Laborde-Line s’étant mise en règle avec son propriétaire, obtenait de celui-ci. l’autorisation de faire sortir ses meubles de l’appartement. Une maison de la rue Mouffetard se chargea du déménagement. En faisant ses adieux à la concierge, la seconde fiancée de Landru lui déclarait qu’elle allait aviser son fils de son prochain mariage, et elle la priait de recevoir sa correspondance et de l’ouvrir, jusqu’au jour où elle lui donnerait de ses nouvelles et lui ferait parvenir son adresse…
Depuis ce moment, ni la concierge de la rue de Patay, ni personne n’entendit plus parler de Mme Laborde-Line.
Le 13 juillet suivant, Landru, sous la faux nom de Cuchet, et par l’intermédiaire du banquier R…, vendait deux titres, une obligation communale 1891, et une obligation de la Ville de Paris 1910, que Mme Laborde-Line avait retirées du Crédit Lyonnais, le 25 juin 1915, l’avant-veille du jour où elle déménageait du logement de la rue de Patay.
Enfin, le 15 septembre suivant, le gredin retirait les meubles déposés, lors du déménagement, au garde-meuble de la maison de la rue Mouffetard, en les répartissant dans différents endroits où l’on devait les retrouver plus tard… En moins de deux mois, la malheureuse avait été spoliée et assassinée !
Landru commençait à se faire la main !
Encouragé par le succès, il allait continuer ses atroces exploits. Dès le 1 mai 1915, à la rubrique Mariages, il faisait insérer, dans un grand quotidien du matin, l’annonce suivante :
« Mr. 45 ans, Seul, sans famille, Situation 4.000. Ay. intér. Désire épouse même âge, situation rapport. G. I. 45 journal. »
On ne se doute pas de ce qu’une petite annonce, qui pourtant n’a rien de bien excitant, peut provoquer de réponses. Landru en reçut un nombre assez considérable pour qu’il se trouvât dans l’obligation de procéder à une sélection. Soit que les femmes avec lesquelles il était entré en rapport ne lui apportassent pas les ressources matérielles suffisantes, soit qu’il ne réussit à capter leur confiance et à impressionner leur cœur. Landru ne devait pas tomber tout de suite sur la proie qu’il convoitait.
Il se préparait même à faire passer un nouvel entrefilet dans le journal, lorsqu’en reprenant dans le répertoire qu’il avait constitué et sur lequel il avait cyniquement écrit : En réserve, à voir ultérieurement, les lettres qu’il, avait laissées en souffrance, son attention fut attirée par l’une d’entre elles, qu’il avait jusqu’alors négligée et qui lui parut digne de retenir son attention…
Elle provenait d’une certaine Mme Guillin qui habitait 35, rue Crozatier. C’était une ancienne gouvernante qui avait hérité, au décès récent de son maître, d’un capital de vingt-deux mille francs et possédait entre autre des économies importantes…
Riche aubaine ! se dit Landru. Comment se fait-il que je n’ai pas pensé plus tôt à cette Mme Guillin, au lieu de perdre mon temps à la poursuite d’un gibier trop maigre ou qui ne voulait pas se laisser prendre ?…
Immédiatement, le bandit écrivit à Mme Guillin une lettre assez habile pour que celle-ci n’hésitât pas à lui donner rendez-vous à son domicile.
La malheureuse allait tomber tête baissée dans le piège !…
Landru, il faut lui rendre cette justice, s’il n’avait pas la séduction physique d’un don juan, ou l’intrépidité d’un Vert-Galant, était tout aussi éloigné des brutalités bestiales d’un Raspoutine, Sa grande force était son bagout. Non pas un bagout de camelot de la rue, mais une facilité d’élocution naturelle, servie par une intelligence très vive, une mémoire impeccable, une astuce sans limite, un art réel des nuances et surtout un esprit naturel qui lui inspirait des réparties tour à tour amusantes et profondes, grâce auxquelles il finissait par embobiner toutes celles qui avaient résisté à la puissance vraiment magnétique de son regard.
On a pu dire de lui que s’il n’avait pas été surtout un grand paresseux, il aurait pu devenir un homme d’affaires tout à fait remarquable.
Il ne va pas tarder à nous en donner la preuve…
Dès qu’il fut en présence de Mme Guillin, Landru qui était très physionomiste, comprit immédiatement tout le parti qu’il pouvait tirer de cette femme.
Agée de cinquante et un ans, sans grands avantages physiques, et sans connaissances pratiques, coquette, peu raffinée dans ses goûts, amie des plaisirs faciles et surtout très désireuse de s’élever à une situation sociale supérieure, elle ne pouvait être qu’un jouet dans ses mains de suborneur, de voleur et d’assassin.
Madame, entamait Landru, je m’excuse auprès de vous si je n’ai pas répondu plus tôt à votre lettre. Mais évacué de Lille et m’occupant beaucoup de mes malheureux compatriotes, exilés comme moi de leur petite patrie, j’ai dû me rendre dans différents ministères pour d’importantes démarches et cela m’a pris tous mes instants…
Mme Guillin l’écoutait, très favorablement impressionnée par l’attitude si correcte, si réservée, du rusé coquin qui, dès ses premiers mots, avait su se présenter à celle qu’il avait résolu de dépouiller et d’assassiner, comme un cœur dévoué, généreux et toujours prêt à rendre service à son prochain.
Comment la pauvre femme, si simple, si peu méfiante, n’eût-elle pas été flattée d’avoir attiré sur elle l’attention d’un « vrai monsieur » qui, déjà, lui adressait des regards certes encore très déférents, exempts de toute équivoque, mais qui, néanmoins, lui laissaient clairement entendre qu’elle était encore capable d’inspirer d’autres désirs que celui d’un mariage de convenance.
Toujours habile, Landru de garda bien de jouer tout de suite le grand jeu… cependant, après avoir raconte à Mme Guillin qu’il était libre de tout engagement légal ou autre, et lui avoir affirmé, en poussant un profond soupir, que la solitude lui pesait et qu’il voudrait bien se créer un foyer, il se leva discrètement et se contenta de demander à l’ancienne gouvernante la permission de revenir la voir.
Non seulement elle accepta, mais elle força Landru à se rasseoir. Merveilleusement amorcée par le gredin, elle tenait à lui raconter tout de suite sa vie et elle s’écria en un élan de naïveté dont le gredin dut bien rire dans sa barbe :
— Je veux me montrer aussi franche envers vous que vous venez de l’être envers moi. Si comme vous je suis libre de tout lien légal ou illégitime, j’ai une fille que j’aime beaucoup. Elle est d’ailleurs très bien mariée, très heureuse Elle a un petit garçon qui est un amour…
Et avec un sourire un peu mélancolique, elle ajoute :
— Je suis donc grand-mère !…
— On ne le dirait pas, affirmait-Landru, avec toutes les apparences de la sincérité.
Et, galamment, il s’empressa d’ajouter :
— Je suis sûr que, quand vous vous promenez avec votre petit-fils, on doit vous prendre pour sa maman…
Mme Guillin sourit et rougit, Landru venait de la prendre par son côté faible ! La coquetterie…
Profitant de cet avantage, il reprit aussitôt :
— Comme vous devez l’aimer, ce marmot !
— Ça, c’est vrai ! il est si gentil. Peut-être, monsieur, pensez-vous que j’ai tort de vouloir me remarier ?
— Pas du tout, protestait le misérable. Vous n’êtes pas d’un âge où l’on doit, même pour ses enfants, renoncer aux joies normales que peut vous procurer une union assortie. C’est très beau de penser beaucoup aux autres… Mais il faut aussi penser un peu à soi…
— Je dois vous dire qu’ayant fait part à ma fille et à mon gendre de mes projets, ils ne m’en ont nullement dissuadés, bien au contraire…
— Cela prouve qu’ils vous sont sincèrement attachés.
— Ils sont très gentils pour moi. Mais dites-moi, monsieur, vous prendrez bien une tasse de thé !
— Je ne voudrais pas abuser.
— Je vous en prie…
— Je suis confus…
Le thé absorbé, Landru se retira, après avoir pris rendez-vous pour le lendemain avec Mme Guillin, à laquelle il voulait faire connaître sa villa de Vernouillet. Ne faut-il pas battre le fer quand il est chaud ?
— Encore une, se dit le gredin, en descendant l’escalier.
Et il ajoute mentalement :
— Avec elle, je crois que ça ne va pas traîner !