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Chapitre II : L’assaut.

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Après avoir laissé sa victime exprimer son chagrin par des larmes et des sanglots, qui auraient dû attendrir le cœur le plus endurci, sir Jack Sorett allait poursuivre ses attaques avec la ruse et la duplicité qui le caractérisaient.

Il s’était assis sur une chaise tout près du fauteuil sur lequel Michèle était effondrée et s’était emparé de la main de la jeune femme, qui sans défense et sans méfiance encore, la lui avait abandonnée. Et, tout en la gardant entre les siennes, il reprenait d’un ton doucereux :

— Vous me voyez désolé au-delà de toute expression.

« Quand je pense que c’est moi qui ai fait pleurer ces beaux yeux et qui ai bouleversé de douleurs votre âme tout à l’heure si claire !

« Ah, si j’avais su, je n’aurais pas cédé au désir que m’exprimait votre mari ; je lui aurais laissé le soin de vous prévenir lui-même de la catastrophe.

« Non vous ne pouvez vous imaginer à quel point je suis bouleversé par votre peine ; je ne croyais vraiment pas m’attacher à vous à ce point ; et je suis navré, tout à fait navré.

« Si je trouvais le moyen de vous consoler, ou tout au moins d’apaiser votre chagrin, de l’atténuer, même, j’en serais heureux, très heureux ; mais je le sens bien, hélas ! que, quand à présent au moins, cela m’est impossible ; je ne saurais pas trouver les mots qu’il faut, et pourtant je les pense, mais je ne suis qu’un financier, qu’un homme d’affaires, et si, comment on le dit, sous ma rude écorce je cache un cœur sensible, beaucoup plus sensible même qu’on l’imagine, je ne sais pas extérioriser mes sentiments, non, je ne sais pas.

Michèle, instinctivement, reprit sa main ; car elle avait senti augmenter la pression de celles du milliardaire ; et bien qu’elle ne soupçonna pas ses intentions aussi inavouables qu’inavouées, elle commençait à éprouver une certaine gêne de sentir à ses cotés, en un moment pareil, un homme qui, somme toute, n’était pour elle qu’un étranger.

Feignant de se méprendre sur ce geste, l’Américain s’écriait :

— Vous m’en voulez !… J’aurais dû me taire. Mais il me semblait qu’au contraire c’était pour moi un devoir de vous prévenir ; car, en même temps que je vous ai apporté la douleur, je vous apporte aussi peut-être le réconfort.

Michèle hocha douloureusement la tête, comme si elle voulait exprimer par là qu’elle était absolument incapable de se laisser aller à la moindre espérance ; mais Jack Sorett était la ténacité même. Aussi continua-t-il :

— Permettez-moi de vous dire avec toute la respectueuse affection que vous m’avez inspirée, que vous avez tort de vous laisser aller à un découragement pareil… Je vous croyais beaucoup plus énergique et je me suis trompé ; mais il s’agit de vous ressaisir, je veux vous y aider, car autant je suis décidé à me désintéresser entièrement de votre mari, autant je suis disposé à vous dédommager de tout le chagrin que, bien involontairement, je vous ai causé.

« Vous me comprenez, n’est-ce pas ?

— Non, monsieur, répliquait la comtesse, je ne vous comprends pas du tout.

— Alors, je vais m’expliquer. Tout d’abord, je dois vous poser une question extrêmement délicate, mais que vous me pardonnerez certainement en faveur des motifs qui me l’inspirent.

« Aimez-vous vraiment, sincèrement votre mari ?

Révoltée, la jeune femme se redressait en disant :

— Comment pouvez-vous me demander une chose pareille au moment où je me désole sur son malheur beaucoup plus que sur le mien ?

Et elle martela, d’une voix que ne brisaient plus les sanglots mais que faisait vibrer l’amour qui était en elle :

— Oui je l’aime de toutes mes forces et de tout mon être ! Je l’aime encore plus depuis que je le sais abattu, et la pensée qu’il souffre en ce moment, qu’il va passer des heures redoutables, terribles même, ne fait que m’attacher à lui davantage.

L’américain ripostait :

— Ceci est tout à votre louange, mais enfin, je suppose qu’il soit englobé dans les poursuites, arrêté, condamné !

— Peu importe, ripostait noblement la jeune femme. Quand bien même toute la terre se liguerait contre lui pour déclarer qu’il est un malhonnête homme je répondrais :

« — Ce n’est pas vrai, ce n’est pas possible ; il a pu être dupé, être lui-même une victime de la malhonnêteté des autres, mais lui ne peut pas avoir forfait à l’honneur. Il est mon mari, je le défends, je le garde et je l’aime. »

Michèle était vraiment superbe en parlant ainsi.

La beauté de son attitude, l’ardeur de son langage semblait surexciter les secrets désirs qu’elle inspirait au milliardaire.

Perdant peu à peu le contrôle de lui-même et s’évadant de la prudente retenue dans laquelle il s’était cantonné jusqu’alors, il s’écria :

— Que vous êtes belle ainsi ! Ah ! Vraiment, je ne puis m’empêcher de vous le dire. Quand on possède un trésor aussi inestimable que vous, on n’agit pas ainsi que l’a fait M. de Préfailles.

— Lui, protestait la comtesse, mais qu’a-t-il donc fait ?

Et sans même attendre la réponse du financier, elle poursuivit :

— Ne venez-vous pas de me dire à l’instant qu’il ne pouvait en rien être rendu responsable du crime commis par les autres ?

— C’est exact, murmurait Sorett, et le seul reproche que je puisse adresser à votre mari, et je vous l’ai déjà dit, c’est d’avoir été trop confiant et de ne pas avoir exercé sur le directeur de sa banque la surveillance très active qu’exigeait de lui ses fonctions de président du conseil d’administration.

« Mais que voulez-vous ?… Le mal est fait, n’en parlons plus. À moins que, cependant, vous n’ayez à me demander, je n’ose pas dire un conseil, mais un avis qui pourrait vous être utile…

— Monsieur, je vous remercie de l’intérêt que vous me portez…

« Mais, en ce moment, je n’ai qu’un désir : me retrouver le plus vite possible auprès de mon mari, afin de pouvoir lui prodiguer toute la consolation de ma tendresse.

« Peut-être pouvez-vous me dire quand il rentrera.

Tout en prenant un air de fausse compassion, l’américain insinuait :

— Je ne voudrais pas vous affliger encore davantage ; cependant, à vous plus qu’à tout autre, il ne me répugnerait certainement de mentir.

« Aussi, ne m’en voulez pas si j’hésite à vous déclarer que, pour des raisons sur lesquelles je vous demanderais de ne pas insister, M. de Préfailles ne rentre pas à Paris, auprès de vous, aussi promptement que vous le désirez.

— Sans doute, interrogeait Michèle avec anxiété, est-il retenu là-bas par les soucis qu’a du lui occasionner la fuite de ce directeur ?

— Si ce n’était que cela !… murmurait hypocritement le financier.

— Qu’y a-t-il encore ?

— Vous ne le devinez pas ?

— Non, monsieur.

— J’admire votre candeur.

— Ma candeur !

— Je devrais dire votre aveuglement.

— Chercheriez-vous à me donner à penser que mon mari me cache certaines choses ?

— En tout cas, Madame, ce n’est pas à moi de vous les apprendre !

— Monsieur, vous m’en avez trop dit pour ne pas aller jusqu’au bout.

« Maintenant, j’ai la conviction que Henri a été auprès de vous l’objet de faux rapports, de calomnies infâmes, et je ne crois pas plus à sa trahison envers moi qu’à sa malhonnêteté envers les autres.

— Et cependant, reprenait l’américain en démasquant enfin ses batteries, si je vous mettais sous les yeux la preuve que M. de Préfailles a une maîtresse ?

— C’est faux ! Se révoltait la jeune femme, et je vous prie, Monsieur, de ne pas continuer davantage.

Et elle ajouta, en s’éloignant de celui qui la couvrait d’un œil par trop ardent :

— Singulière façon que vous avez de me réconforter.

« Après m’avoir annoncé la ruine de mon mari, me raconter qu’il me trompe !…

« Eh bien ! Encore une fois, Monsieur, je tiens à vous dire que je ne vous crois pas ; vous cherchez, je m’en aperçois depuis un instant, à me troubler, à profiter du désarroi dans lequel vous m’avez jeté pour profiter d’une défaillance inexplicable de ma part et parce que je suis seule en ce moment à me débattre contre la fatalité.

« Il me semble, Monsieur, que j’ai beaucoup moins à me défendre contre elle que contre vous.

« Brisons donc là, et ce soir je partirai rejoindre l’homme que vous avez cherché à salir à mes yeux.

— Non, madame, vous ne partirez pas ! Affirmait sir Jack Sorett, qui, se maîtrisant, avait réussi à reconquérir tout ce flegme qui le rendait encore beaucoup plus dangereux que ses impatiences.

— Pourquoi ne partirai-je pas ? Se cabrait la comtesse.

— Parce que vous risquez de vous rencontrer là-bas avec la courtisane que M. de Préfailles a encore eu la folie d’emmener avec lui.

— Mon mari aurait emmené… !

« Non, non, décidément, vous dépassez les bornes, et vous allez me forcer de sonner mon valet de chambre pour vous reconduire jusqu’à la porte…

Cette menace ne parut nullement émouvoir le banquier.

Se campant devant Mme de Préfailles, il fit, en la fixant bien dans les yeux :

— Et si je vous mettais sous les yeux la preuve indiscutable de ce que j’avance ?

— Je vous en mets au défi !…

— Eh bien ! C’est ce que nous allons voir.

Tout de suite, sur le ton d’un homme d’affaires, pressé d’en finir, Jack Sorett poursuivit :

— Je ne vous parlerai pas des renseignements qui me sont parvenus par un office de police privée. Vous me diriez qu’ils sont mensongers, je n’insiste pas. J’aime mieux, beaucoup mieux vous mettre sous les yeux…

— Quoi donc ?

— Une photographie.

Tout en parlant, l’américain avait pris son portefeuille dans sa poche et en avait retiré une photo qu’il tendit à la jeune femme en disant :

— Je vous garantis qu’elle n’est pas truquée.

Avec dégoût, Michèle écarta le portrait que l’américain lui tendait et qui représentait M. de Préfailles serrant amoureusement dans ses bras une fort jolie fille, très élégante, du type complet de la demi-mondaine à l’usage des gens très chics.

— À ! Je vois, s’écria le financier. Vous ne voulez pas vous laisser convaincre.

« Combien vous avez tort de rester fidèle à cet homme si indigne de vous !

« Je vous laisse cette photo que vous ne voulez pas regarder maintenant.

« Tout à l’heure, quand je serai parti, vous l’examinerez avec une curiosité et une attention qui vous permettront de vous rendre compte jusqu’à quel point je vous ai dit la vérité. Je n’ajouterai plus qu’un mot, un mot que j’ai longtemps hésité à prononcer et qui malgré moi s’évade de mes lèvres : je vous aime ; je vous aime à la folie ; je suis capable de tout pour vous conquérir.

« Non seulement tout ce que j’ai, tout ce que je possède, d’avance est à vous. Mais je veux faire de vous non pas ce que vous êtes déjà et que vous ne serez plus tout à l’heure : une reine de tout Paris, mais mieux, beaucoup mieux encore : l’idole du monde !

« Divorcez, vite, très vite, et le jour où je vous épouserai sera le plus beau de ma vie.

— À cela, Monsieur, je ne répondrais que par les mots que m’inspire l’infamie de votre conduite : je vous hais, je vous méprise et je vous chasse !…

« Allez-vous-en !… Que je ne vous retrouve jamais en ma présence, jamais, vous m’entendez, et quand bien même eussiez-vous dit la vérité, oui, quand bien même mon mari m’aurait-il trahi, ce n’est pas une raison pour que moi, qui l’aime encore, qui l’aimerait toujours, je l’abandonne pour aller me jeter dans les bras d’un homme qui n’est plus pour moi qu’un objet de répulsion et d’horreur.

Michèle avait proféré ces paroles sur un tel accent que, malgré lui, le milliardaire recula d’un pas.

Il avait compris que tous ses efforts seraient inutiles, qu’il se heurterait à une volonté plus forte que la sienne.

Il n’y avait pas de fortune au monde capable de payer l’honneur de Mme de Préfailles.

Alors, une colère soudaine, effroyable, s’empara du financier, et, redevenu l’aventurier qu’il avait été jadis, le bandit, l’inconnu capable de toutes les félonies, de tous les crimes :

— Prenez garde, grinça-t-il, en dirigeant sur la jeune femme un regard tellement lourd de menaces que, malgré toute sa bravoure, elle recula d’un pas.

Mais se ressaisissant aussitôt elle fit :

— Je ne vous crains pas et j’attends de pied ferme toutes les attaques que vous livrerez contre moi ainsi que contre mon mari.

« D’ailleurs, la première chose que je vais faire sera de le mettre au courant de la façon dont vous venez d’agir envers moi.

« Je suis convaincu d’une chose : c’est qu’il n’hésitera pas un seul instant à vous châtier comme vous le méritez !

— À moins qu’auparavant je l’ai fait jeter en prison… ripostait l’américain.

— Misérable ! S’écria la jeune femme ; cette fois, c’en est trop… Une dernière fois, je vous ordonne de sortir d’ici !

Comme sir Jack n’obtempérait pas assez vite, Michèle appuya sur la sonnerie d’un bouton électrique. Ce geste décisif ramena un peu de sang-froid dans l’âme exaspérée du milliardaire, qui, se radoucissant, déclara :

— C’est bien, je m’en vais. Mais rappelez-vous bien ceci : votre mari et vous ne tarderez pas à entendre parler de moi.

La porte s’ouvrait, laissant apercevoir la silhouette d’un valet de chambre.

Aussitôt sir Jack Sorett s’inclina avec un respect contraint devant celle qui venait de stigmatiser son ignoble conduite. Puis, il se retira, les lèvres serrées, rongeant son frein, l’âme pleine de haine, de fiel et de boue.

Tandis que le domestique fermait derrière lui la porte et le reconduisait sur le seuil de la maison, la comtesse de Préfailles, vaincue par une subite prostration bien compréhensible d’ailleurs, après une scène aussi violente, se laissa tomber sur un siège.

En ce moment, elle était incapable de suivre une pensée.

Des idées imprécises, confuses, tourbillonnaient dans son cerveau. Elle ne savait plus ni que penser, ni que décider. Elle se laissait aller uniquement à l’atroce douleur qui la torturait.

Mais Michèle n’était pas une femme à se laisser longtemps abattre, d’abord, parce qu’elle était naturellement vaillante, et puis surtout, par-dessus tout, parce qu’elle aimait son mari.

Dès qu’elle se fut ressaisie, sa première pensée se cristallisa sur celui qui était toute sa vie, et une fois de plus, elle songea :

« Non, ce n’est pas possible qu’il soit coupable, même de légèreté, pas plus qu’il n’est vraisemblable qu’il soit parti avec une femme… Cette photo, que je ne veux même pas regarder, c’est un faux ! J’en ai la conviction absolue.

Et devinant la vérité, elle ajouta :

« Comme je suis également certaine que le krach de cette banque a été organisé par Jack Sorett.

« Il faut absolument que je prévienne mon mari…

« Si ma mère n’était pas si mal, je serai partie tout de suite le retrouver là-bas, afin de les mettre en garde contre toutes ces intrigues.

« Au besoin, je serai partie en avion afin d’être plus vite près de lui.

« Mais comment expliquer mon départ à ma mère ?

« Lui dire la vérité, ce serait aggraver son mal, la tuer peut-être.

« C’est vraiment une chose terrible de se trouver prise ainsi entre deux devoirs.

« Je m’en fais envoyer un long télégramme à Henri, cela vaudra mieux que tout. »

Elle se leva, regagna son boudoir et commença à rédiger une dépêche dans laquelle, à mots couverts, elle prévenait M. de Préfailles des agissements de Jack Sorett et le suppliait de rentrer au plus vite à Paris, afin de répondre aux accusations dont il était l’objet.

Mais au milieu de sa rédaction, une sonnerie de téléphone retentit. Elle saisit le récepteur, écouta et, bientôt, un cri de joie jaillit de ses lèvres.

C’était la voix de son mari qu’elle entendait vibrer à l’autre bout du fil.

M. de Préfailles lui disait :

— Allo. C’est moi, Henri ; Sorett a dû tout te dire n’est-ce pas ?

— Oui, acquiesçait la jeune femme.

— Tu ne m’en veux pas ?

— T’en vouloir ?

— Tu ne me crois pas coupable ?

— Je sais que tu es le meilleur d’entre les meilleurs.

— Je n’en attendais pas moins de toi, ma chérie ! Si tu savais combien cela me réconforte d’entendre ta voix de si loin ! Il me semble que tu es tout près de moi. Mais je ne puis te parler qu’un instant ; je pars dans quelques heures pour une expédition dans le sud, qui a été organisée en vue de retrouver ce bandit de Delorme, qui se cache, paraît-il, dans une tribu dissidente, où il aurait trouvé un asile qu’il croit sûr. Il est essentiel que nous découvrions sa retraite, car lui seul sait où il a caché la majeure partie des sommes qu’il a fait disparaître.

« Si nous récupérons cet argent, tout ira bien ; car j’ai la certitude de trouver ici même les concours pécuniaires qui nous seront indispensables pour assainir et rétablir la situation.

« Nous éviterons donc la faillite et même la liquidation judiciaire.

« J’y tiens non seulement pour moi, mais aussi pour notre ami Sorett, qui m’a montré tant de confiance et d’amitié.

Michèle fut sur le point de tout lui révéler ; mais elle sentait, à l’autre bout du fil, son mari si ardemment désireux de réussir, qu’elle n’eut pas le courage de briser sa résolution, en lui révélant l’infamie de celui qu’il considérait encore comme le plus sincère des amis, le plus généreux des bienfaiteurs.

Elle ne put que lui dire :

— Alors, bon courage, mon Henri, tu as bien fait de me téléphoner ; car je te retrouve aussi brave que par le passé !

« Je t’attends… Va faire ton devoir, ma pensée te suit, je t’aime !

— Je t’aime, fit en écho la voix de M. de Préfailles.

Et ce fut le silence subit, absolue. La communication était terminée.

La jeune femme, après ce coup de téléphone, se sentit plus forte que jamais.

Elle en était de plus en plus sûre : Jack Sorett lui avait menti sur tous les points.

« J’ose espérer, se dit-elle, qu’il n’osera pas reparaître devant moi. Mais avec un tel homme, il faut se tenir sur ses gardes.

« Dès ce soir, j’irais vivre sous le même toit que ma mère.

« Ici, j’aurais peur qu’ils ne se livre à de nouvelles attaques. Maintenant, je le crois capable de tout.

Elle déchira le brouillon du télégramme qu’elle avait commencé, sonna sa femme de chambre, lui ordonna de préparer une malle complète, comme si elle partait en voyage et de faire porter cette malle chez sa mère, la marquise de Mongobert, qui occupait un appartement au premier étage d’un immeuble de la rue de Bellechasse.

Veuve depuis déjà plusieurs années, du général marquis de Mongobert qui avait succombé à la suite de blessures de guerre, la douairière était atteinte d’une maladie de cœur qui nécessitait de nombreux soins et de grands ménagements.

Maintenant qu’elle savait que son mari ne rentrerait pas de si tôt, le parti qu’elle avait pris était le plus sage.

Lorsque sa mère la vit arriver, et qu’elle apprit de sa bouche sa décision, elle en témoigna une grande joie, tempérée cependant par une sourde inquiétude.

En effet, malgré tous les efforts que Michèle faisait pour dissimuler à sa mère l’émotion que lui avait causé l’heure terrible qu’elle venait de vivre, Mme de Mongobert, avec cette intuition qu’ont toutes les mères, n’avait pas été sans s’apercevoir que sa fille devait avoir au fond d’elle-même une peine secrète, une mystérieuse angoisse.

Aussi, les premières effusions passées, tout de suite, elle lui demanda :

— Tu n’as pas reçu au moins de mauvaises nouvelles de ton mari ?

La jeune femme, qui était la loyauté même, comprit qu’il était dans son devoir de mentir, et sans hésiter, elle répondit :

— Pas du tout, mère ! Henri vient au contraire, de me téléphoner.

— Du Maroc !

— Oui, mère, du Maroc. Retenu là-bas par ses affaires plus de temps qu’il ne le pensait, c’est lui même qui m’a conseillé de venir près de toi.

— Dès que je pourrais lui écrire, je l’en remercierai.

Et, tout en enveloppant sa fille du plus affectueux des regards, Mme de Mongobert continua :

— Je comprends que, tout à l’heure, j’ai vu comme une ombre sur ton beau visage.

« Ce doit être, en effet, si triste pour toi d’être séparé de ton mari, que tu aimes tant.

« Maintenant que te voilà tout à fait près de moi, j’espère que tu sentiras moins l’amertume d’une séparation à laquelle tu n’étais pas habituée.

La jeune femme répondait :

— Surtout, mère, ne te fais pas de souci à cause de moi.

« Qu’est-ce, en effet, une séparation de quelques jours ? Grâce à toi, l’absence d’Henri me semblera moins pénible à supporter.

« Et puis, tout à l’heure, j’ai entendu sa voix et cela m’a suffi pour effacer la triste impression que son départ avait causé en moi. Maintenant je ne veux plus qu’espérer et attendre.

En parlant ainsi, Michèle, qui tenait avant tout à ménager les forces de sa mère ne disait pas la vérité.

Maintenant, au contraire, elle se sentait envahie par de très sombres pressentiments.

Ne venait-elle pas de découvrir dans l’Américain Jack Sorett un homme capable de tout, même des actes les plus vils, des plus abjects ? Et elle se demandait si cette expédition dans laquelle son mari s’engageait avec son cran habituel ne cachait pas un nouveau piège peut-être pire encore.

La nuit commençait à tomber dans le salon obscur que décoraient de vieux meubles et quelques portraits d’ancêtres qui ajoutaient encore à sa sévérité naturelle.

Lentement, Michèle se laissa glisser à genoux auprès de sa mère qui était étendue sur une chaise longue.

La marquise promena ses mains aux doigts effilés sur la chevelure bouclée de sa fille, qui silencieusement, laissa envoler son âme vers celui qui ne lui apparaissait plus maintenant qu’à travers la brume de larmes, qui commençait obscurcir ses yeux.

*

Les prévisions de Mme de Préfailles n’allaient, hélas ! que trop se réaliser. Huit jours après, en effet, elle était avisée par l’intermédiaire du ministère des colonies, (et avant que la nouvelle en eut été donnée aux journaux,) qu’Henri de Préfailles était tombé entre les mains d’une tribu dissidente et que l’on ignorait absolument où il avait été emmené.

L’envoyé du ministre, qui avait appris à Michèle cette terrible nouvelle, avec tous les ménagements nécessaires, lui affirma que le gouverneur du Maroc avait ordonné que l’on fît immédiatement des recherches et que des aviateurs étaient déjà partis en reconnaissance. Il ajouta même que, d’après les premiers renseignements, il y avait lieu d’espérer que la captivité du comte de Préfailles serait de très brève durée. C’était une question de rançon et on finirait toujours par s’entendre… La jeune femme n’en reçu pas moins coup terrible. Elle seule connaissait les mystérieux dessous de cette affaire et était tout à fait convaincue que Jack Sorett était l’instigateur du traquenard dans lequel était tombé son mari. Elle eut la sensation abominable qu’elle ne reverrait jamais son cher Henri.

Il lui fut impossible de cacher longtemps à sa mère la terrible vérité.

Mme de Mongobert supporta le choc avec une force que nul n’aurait osé espérer.

Comprenant que, dans ce temps de si tragiques épreuves, sa fille allait plus que jamais, avoir besoin d’elle, elle su mettre en fuite la mort qui rôdait autour d’elle, déroutant ainsi la science et déconcertant les médecins qui la soignaient.

L’amour maternel fait parfois de ces miracles. Il ne faut pas chercher à les expliquer, il faut s’incliner devant le fait accompli, et devant la volonté suprême qui l’a ordonné.

Au bout de trois mois, l’expédition envoyée au secours d’Henri de Préfailles était revenue sans avoir obtenu aucun résultat.

Tout ce qu’on savait, c’est qu’il avait été enlevé par des cavaliers marocains qui avaient attaqué un village où il passait la nuit avec les deux policiers privés qui l’accompagnaient dans sa dangereuse randonnée.

Les deux détectives avaient, d’ailleurs, été égorgés sans pitié.

Quant aux indigènes, qui avaient assisté à cette scène, ils s’étaient contentés, les uns de lever les bras au ciel, les autres de se prosterner le front dans la poussière et ils n’avaient pu ou voulu fournir à ceux qui les interrogeaient la moindre indication utile.

En guise de consolation, on promit à Mme de Préfailles qu’on recommencerait le plus tôt possible les recherches ; mais elle ne se fit pas d’illusion, l’affaire était classée.

Seule, que pouvait-elle ? Espérer, attendre et c’était tout. D’autant plus que certains journaux, sur les instigations de Jack Sorett, avaient publié quelques notes insidieuses, qui laissaient entendre que la disparition si dramatique de M. de Préfailles pouvait très bien être une habile mise en scène organisée par lui, qu’il n’y aurait rien de surprenant qu’au lieu d’avoir été enlevé par des Marocains dissidents, il eut été rejoindre le banquier Delorme afin de partager avec lui les millions volés.

Ces attaques, aussi sournoises qu’abominables, achevèrent de briser la jeune femme. Elle s’enferma dans l’appartement de sa mère, tout à sa douleur, ne voulant plus voir personne, et, comme elle était chrétienne, elle se réfugia dans la prière.

Le Fantôme du Père-Lachaise

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