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Chapitre III : La Baronne Merloup.

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La baronne Merloup était une femme que l’on peut, sans être taxé d’exagération, qualifier de tout à fait extraordinaire.

Certes, il était très difficile, et pour ainsi dire même impossible, de dire exactement d’où elle venait ; mais ce qui était encore plus malaisé, c’était de lui donner un âge.

Vêtue comme une toute jeune femme, portant des jupes extrêmement courtes, sa tête outrageusement maquillée, coiffée d’une perruque blonde à la garçonne, encore svelte, même très ingambe elle représentait, pour les uns, le type de la vieille dame qui veut se faire passer pour jeune, et pour d’autres, elle figurait fort bien le spécimen beaucoup plus exceptionnel de la jeune femme qui veut se faire passer pour vieille.

Elle demeurait dans un petit hôtel particulier de la rue Fortuny. Elle n’en sortait, d’ailleurs, que pour couvrir chaque jour en voiture le tour du bois de Boulogne et, en revenant, elle se faisait conduire dans un grand magasin de la rive droite où l’on prend le thé, et elle regagnait son domicile, sans d’ailleurs jamais avoir adressé la parole à personne et sans que personne ne l’eût jamais saluée sur son passage

Que faisait-elle ? Ses voisins et ses fournisseurs eux-mêmes l’ignoraient et personne, d’ailleurs, ne paraissait s’en soucier.

De temps en temps on voyait bien s’arrêter devant sa porte des autos de luxe, d’où sortaient généralement de jolies femmes très élégantes qui sonnaient à la porte de l’hôtel, y pénétraient rapidement et en ressortaient environ au bout d’un quart d’heure.

Un observateur ce fut alors aperçu que, la plupart du temps, des colliers de perles que celles-ci portaient avaient disparus, ainsi que les bagues qui ornaient leurs doigts.

Parfois aussi, on voyait arriver des hommes de tous les âges portant sous leurs bras des paquets plus ou moins volumineux. Ils pénétraient également dans la maison et en ressortaient aussi rapidement, délestés de leur fardeau.

En réalité, la baronne Merloup était ce qu’on appelle non pas une marchande à la toilette, mais une prêteuse sur gages.

Elle s’était constitué une clientèle non pas dans le monde de la galanterie, car elle n’avait aucune espèce de confiance en celles qui exercent cette aimable profession. Elle avait préféré choisir une clientèle plus conforme à ses principes, qu’elle proclamait d’une rigueur excessive quant aux mœurs et d’une probité absolue en affaires.

Elle était donc devenue en quelque sorte le petit manteau bleu des gens du monde et des artistes qui, traversant une mauvaise passe, avait besoin d’argent immédiat.

Ce jour là, la baronne Merloup devait attendre une visite importante, car, rompant avec une habitude à laquelle elle semblait tenir beaucoup, elle avait renoncé à sa sortie quotidienne en voiture et, installée dans un boudoir meublé avec un luxe de mauvais goût, elle avait déjà à plusieurs reprises, consulté un carnet en simili Louis XV, d’un regard anxieux, impatient, et elle avait murmuré :

« Pourvu qu’il n’arrive pas en retard, et surtout pourvu qu’il vienne. »

Vers quinze heures, une femme de chambre, aux allures de soubrette d’opéra-comique, vint lui annoncer d’un air mystérieux que le monsieur était là.

La baronne interrogea :

— Vous l’avez fait entrer dans le grand salon ?

— Oui, madame la baronne.

— Il est seul ?

— Oui, tout seul, Madame la baronne.

— C’est bien ; dites à ce Monsieur que je vais le recevoir dans un instant.

En un geste instinctif de coquetterie féminine la baronne se campa devant une glace qui refléta aussitôt son image.

Elle dut en être satisfaite et se trouva même fort à son avantage ; car un sourire de satisfaction entrouvrit ses lèvres qu’elle avait empourprées soigneusement à l’aide d’un bâton de rouge dit « électrique »

La baronne n’était vraiment pas difficile… On peut même dire qu’elle se contentait de peu.

Jamais encore, en effet, dans sa robe prétentieuse et que n’eut pas osé porter une toute jeune femme, elle n’avait autant eu l’air d’une guenon qui s’apprêtait à danser au son d’un jazz-band invisible.

Convaincue qu’elle ne pouvait que produire sur son futur et énigmatique interlocuteur un effet considérable, elle se dirigea vers une porte dont elle ouvrit un des battants et pénétra dans la pièce voisine, tout en minaudant et en faisant des grâces, ce qui achevait de la rendre catégoriquement ridicule.

Un homme très chic se tenait debout au milieu du salon.

C’était sir Jack Sorett.

— Cher Monsieur, invitait la maîtresse de maison, vous m’avez témoigné le désir de me connaître… J’en ai été vivement flattée, et, si je puis vous être agréable…

Tout en parlant, elle offrait un siège au visiteur qui, après s’être incliné devant elle cérémonieusement et avec autant de déférence que devant une grande dame authentique, s’y installa gravement.

La baronne pris place en face de lui sur un canapé encombré de coussins et, d’un geste aimable, elle invita le milliardaire à parler.

Jack Sorett reprit sur un ton plein de correction, mais un peu distant tout de même :

— Vous avez dû recevoir la visite de mon secrétaire Summerfield ?

— Oui, monsieur. Et c’est un homme charmant, très distingué…

Sèchement, l’américain coupait :

— Je le sais, madame… voilà cinq ans qu’il est à mon service.

Et, sans donner le temps à Mme Merloup de respirer, il poursuivit :

— Jim Summerfield vous a donc mis au courant de l’affaire que j’entends traiter avec vous.

— Parfaitement, monsieur.

Tout à fait businessman, Sorett martela :

— Avez-vous l’intention d’y donner suite ?

Un peu décontenancé par la brusquerie avec laquelle s’exprimait son interlocuteur, la baronne ripostait :

— Je viens de vous dire, cher Monsieur, combien j’étais désireuse de vous être agréable, ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion d’entrer en rapport avec un personnage de votre envergure.

— Vous pouvez ajouter la bonne fortune.

— J’allais le dire.

— À la bonne heure, vous, au moins, vous êtes franche et je suis convaincu que nous allons nous entendre…

— Je l’espère, posait la femme à la perruque blonde.

— Comment, vous n’en êtes pas sûre ? faisait semblant de s’étonner sir Jack.

La baronne, qui, au fond, était une très fine mouche, reprenait en baissant modestement les yeux :

— Je suis toute disposée à entrer dans vos vues, d’abord, parce que l’affaire que vous me proposez est par elle-même extrêmement intéressante et, ensuite, par ce que, d’après les déclarations de votre secrétaire, vous êtes décidé à ne reculer devant rien pour aboutir.

— Devant rien, en effet, scandait le financier.

— Malheureusement, poursuivait Mme Merloup, je me demande si, avant de m’engager envers vous, je suis bien la personne qu’il vous faut pour mener à bien une opération si délicate…

— Moi, je suis sûr que si, affirmait l’américain avec un accent de conviction absolue.

— Pourtant, vous ne me connaissez pas, ou, du moins, si peu…

— Je vous connais très bien, au contraire, et, peut-être, beaucoup mieux que vous ne voulez l’imaginer…

— Alors, cher Monsieur, vous devez savoir que j’ai la faiblesse d’avoir des principes.

— Des principes… Et lesquels ?…

— De morale.

— Vous ? oh ! laissez-moi rire.

— Cher Monsieur, je ne suis pas l’ennemie une douce gaieté, sauf lorsqu’elle s’exerce à mes dépens.

Flegmatiquement, sir Sorett répliquait :

— C’est à vous de ne pas la provoquer.

L’air volontairement piqué, Mme Merloup s’exclamait :

— Je me demande en quoi, par exemple, j’ai pu exciter votre moquerie ?

— Je vais vous le dire, répliquait l’américain, car j’ai toujours eu pour principe d’aller droit au but et j’ai surtout horreur des sous-entendus autant que des malentendus. Vous m’avez fait rire intérieurement, et cela ne m’arrive pas souvent, en me disant que vous aviez des principes de morale.

« Vous pouvez, madame, raconter cela votre clientèle habituelle, mais à moi, non… d’abord, parce que je ne suis pas précisément un naïf. Comme vous le dites en France, je puis sortir sans ma gouvernante et puis… je suis très renseigné…

— Sur moi ? tressaillit légèrement la prêteuse à gage.

— Oui, sur vous, et voilà pourquoi je m’étonne que, par scrupule, vous hésitiez à répondre par un oui formel aux propositions que je vous ai faites.

« Vous étiez moins rigoriste, madame, lorsqu’il y a quelques années vous habitiez une certaine maison dite centrale, où vous deviez vous livrer à certains travaux de couture qui n’avaient rien de volontaire.

La baronne pâlit sous son fard.

— Qui a pu vous dire une chose pareille ? Chercha-t-elle à protester.

Implacable, l’américain scandait :

— Est ce vrai, oui ou non ?

Accablée, l’ex condamnée de droit commun baissa la tête, désormais elle était fixée… Cet homme la tenait, elle n’allait plus être qu’un instrument dans ses mains.

Il s’agissait pour elle non pas de reculer, mais de tirer le plus de profit possible d’une situation dans laquelle elle ne pouvait plus hésiter à s’engager.

D’une voix qui tremblait un peu, elle reprit :

— Cher monsieur, je crains que vous n’ayez pas très bien saisi le sens de mes restrictions. Elles étaient de pure forme… et je préfère vous le dire maintenant, elles étaient surtout causées par ma crainte d’être au-dessous de la tâche que vous vouliez me confier.

Vous croyez ? Moi pas ! Je connais votre pedigree depuis a jusqu’à z ; vous avez fait plus difficile que cela, madame, et, si vous n’aviez pas été dénoncée par une de vos complices, je crois que vous n’auriez pas été enfermée pendant une dizaine d’années à la prison de Rennes…

« Mais je n’insiste pas… Nous nous comprenons très bien, et j’estime maintenant qu’il est inutile de remuer certains souvenirs, qui ne peuvent que vous être désagréables, et auxquels je ne tiens nullement à m’arrêter, puisqu’ils ne m’intéressent simplement qu’à titre documentaire.

« Je vous ai fait demander par mon secrétaire Jim Summerfield, si vous consentirez à m’aider à compromettre irrémédiablement une jeune femme dont je veux absolument me venger ?

« Maintenant, c’est oui ou non.

« Avant d’entrer avec vous dans les détails j’entends que vous me donniez une réponse catégorique.

« Nous aviserons ensuite aux détails.

« Si nous tombons d’accord, je vous verserai immédiatement à titre de provision un chèque de deux mille dollars.

« Si vous échouez, je vous dédommagerai néanmoins de tous les frais et débours que vous aurez faits et que vous pourrez me justifier. Mais si vous refusez…

L’américain prit un temps et laissa tomber sur son interlocutrice un de ces regards qui en disent à eux seuls bien plus que de longs discours, puis il reprit :

— Si vous refusez, je serai obligé, à mon vif regret, chère madame, de faire savoir à vos amis, relations et clientèles, d’où vous venez, qui vous êtes, et où l’on peut vous envoyer.

Cette fois, sans la moindre réticence, la baronne déclarait :

— J’accepte !…

L’air satisfait, le financier reprenait :

— Vous voyez qu’il était absolument inutile de vous faire tirer l’oreille. Vous nous avez fait perdre du temps, il s’agit maintenant de le rattraper.

« Passons donc aux détails.

« La jeune femme en question, dont je vous donnerai le nom tout à l’heure, est mariée à un gentilhomme français qui porte un nom connu et qui, après avoir été compromis dans une affaire financière, a disparu au cours d’une expédition au Maroc, enlevé, croit-on, par des dissidents qui l’ont entraîné dans leur tribu et le conservent précieusement en otage.

« Je vous donne cette version pour ce qu’elle vaut. Il se peut que la vérité soit toute différente. Mais peu importe, l’essentiel est que, pour l’instant, le mari soit au loin et surtout dans l’impossibilité d’intervenir…

« Vous verrez pourquoi tout à l’heure.

« Cette femme demeure en ce moment chez sa mère. Elle est profondément attachée à son mari, je l’en crois même très éprise ; vous voyez, je ne vous dissimule pas les difficultés de votre mission. Ce qu’il faut, c’est non pas la détacher de celui qu’elle aime, ce qui demanderait beaucoup trop de temps et risquerait fort d’aboutir à un échec ; il s’agit au contraire de la placer dans une telle situation qu’elle apparaisse, aux yeux de tous, comme une jeune femme qui a carrément jeté son bonnet par-dessus les moulins et mène une existence ultralégère. Cela fait, le reste me regarde.

« A vous maintenant, madame, de me dire si vous avez déjà une idée, ce qui doit être ; car je n’ignore point que vous êtes douée d’une imagination des plus fertiles et je suis persuadé que, si vous êtes encore un peu embarrassée sur le choix des moyens, vous n’allez pas tarder à voir clair dans le jeu.

« En tout cas, je crois que, de mon côté, je ne suis pas trop maladroit et, peut-être, pourrions nous établir une collaboration qui, j’en suis convaincu, ne tarderait pas à donner des résultats excellents.

— Je ne demande pas mieux, répliquait la baronne.

« Ainsi que vous venez de me le dire, cher Monsieur, la mission que vous me confiez est très difficile. C’est une simple réserve que je fais… et je suis sûre que, du moment que vous consentez à m’aider de vos conseils en même temps qu’à me subventionner d’une façon aussi large, nous devons réussir.

« Maintenant que me voilà bien au courant de ce que vous voulez, voulez-vous me permettre de vous poser quelques questions.

— Très volontiers.

— Quel âge à cette jeune femme ?

— Vingt-cinq ans.

— Elle est belle ?

— Très belle… Je vous ai d’ailleurs apporté une de ses photos, car j’ai bien pensé qu’elle vous serait très utile.

L’américain tira de son portefeuille un portrait d’amateur qu’il avait fait lui-même quelque temps auparavant et qui représentait la comtesse de Préfailles dans une pose et dans une toilette des plus avantageuses.

À peine la baronne Merloup y avait-elle jeté les yeux qu’elles s’écriaient :

— Michèle !

Jack Sorett, s’écriait :

— Vous la connaissez donc ?

— Oui, reprit la baronne Merloup.

— Alors, s’exclamait l’américain, cela va simplifier les choses.

La prêteuse à gages soupirait :

— Je crois que cela va les compliquer, au contraire.

— Tiens, pourquoi ?

— Parce que c’est sur une plainte de sa mère que j’ai eu tous les ennuis auxquels tout à l’heure vous avez fait allusion, et il va m’être difficile d’entrer en rapport avec Mme de Préfailles.

— Le fait est que voilà un contretemps bien fâcheux, déclarait le milliardaire.

« Décidément, si parfois le hasard fait bien les choses, il est d’autres circonstances dans lesquelles il conduit plutôt mal les événements.

Et, d’un ton dépité, il ajouta :

— Voilà qui est infiniment regrettable… Il ne me reste plus, madame, que de vous exprimer le regret de vous avoir dérangée.

« Maintenant, je suis le premier à reconnaître qu’il vous est impossible de vous occuper de cette affaire.

Il se leva, prêt à partir.

La baronne, fort ennuyée de ce contretemps qui la faisait passer à côté une véritable fortune, s’écriait, cherchant à le retenir :

— Attendez une minute, cher monsieur. Peut-être existe-t-il un moyen de tout arranger ?

— Vous croyez ?

— Tout à l’heure, pendant que vous me parliez, il m’est venu précisément une idée que je crois assez intéressante. Voulez-vous me permettre de vous la communiquer ?

— Je vous écoute madame.

— Alors, veuillez vous rasseoir, monsieur.

Sir Jack se réinstalla sur son siège et la baronne Merloup reprit aussitôt :

— Tout à l’heure, ainsi que vous l’avez dit, Mme de Préfailles est une femme qu’il ne faut pas attaquer de front, surtout sur le chapitre de la vertu.

« Maintenant que je sais que c’est elle qui est en jeu, je puis vous l’affirmer, personne au monde ne pourrait la faire trébucher.

« C’est une de ces natures qui sont incapables du plus léger faux pas et qui, lorsqu’elles se donnent, ne se reprennent jamais, surtout pour se livrer à un autre.

« Vouloir l’entraîner dans une existence aventureuse, afin de la compromettre, ainsi que vous le proposez, serait une entreprise qui d’avance, serait vouée au plus retentissant échec…

« Que ce soit moi ou une autre, qui agisse, le résultat ne saurait être que négatif.

« Mais, cher Monsieur, je voudrais avant de rompre les pourparlers que nous avons engagés, vous raconter une anecdote empruntée à l’histoire de France. Vous la connaissez peut-être, car elle est célèbre dans le monde entier sous le nom de l’affaire du collier.

— L’affaire du collier ! répétait l’américain qui était dénué de toute espèce de culture.

Mais son orgueil l’empêchait d’étaler son ignorance aux yeux de son interlocutrice, il reprit :

— Oui, parfaitement, parfaitement ! Je me souviens, en effet, mais je vous avouerais que les détails de cette affaire m’ont plutôt échappé ; j’ai tellement de choses en tête ! Aussi vous demanderais-je de me rafraîchir un peu la mémoire.

— Avec plaisir, cher Monsieur.

Très flattée d’étaler devant ce richissime Yankee ses connaissances historiques, la baronne Merloup résuma ainsi :

— En 1776, deux joailliers de Paris, nommés Boehmer et Bossange, présentèrent à la reine Marie-Antoinette un admirable collier en diamants pour lequel ils demandaient un prix de un million six cent mille livres.

« Bien que les finances de la France fussent en très mauvais état, Louis XVI voulut offrir ce fameux collier à la reine, alors qu’elle venait de mettre au monde son premier enfant.

« Marie-Antoinette lui répondit qu’il était préférable de consacrer une telle somme à la construction d’un vaisseau de guerre. Quelque temps après, une intrigante qui avait réussi à se faufiler à la cour et qui se faisait appeler la comtesse de la Motte-Valois, ayant appris que le cardinal de Rohan était très désireux de rentrer dans les bonnes grâces de la reine, dont il était éperdument amoureux, suggéra au cardinal l’idée d’offrir lui-même ce collier à Sa Majesté.

« En réalité, cette Mme de la Motte n’avait qu’un but : s’emparer du collier, ainsi qu’elle le fit d’ailleurs, et le faire vendre à l’étranger. Mais il fallait avant tout, et c’est sur ce point que j’attire plus spécialement votre attention, convaincre le cardinal de Rohan que la reine était disposée non seulement à accepter ce don du collier, mais encore à accorder sa… et même ses faveurs au donateur de ce royal présent.

« Marie-Antoinette, naturellement, était dans l’ignorance absolue de toutes ces intrigues.

« Pour atteindre son but, savez-vous ce que Mme de Valois imagina ?

— Je ne me rappelle pas très bien, répliquait Jack Sorett.

— Vous allez voir : c’est à la fois d’une audace et d’une simplicité remarquables.

« La comtesse de Valois découvrit dans les bas-fonds de Paris une femme de mœurs légères, nommée Oliva, qui ressemblait à la reine d’une façon extraordinaire. Elle s’aboucha avec elle et obtint facilement de cette gourgandine qu’elle jouerait auprès du cardinal de Rohan le rôle de Sa Majesté.

« Un rendez-vous fut pris un soir dans le parc de Versailles, près de la pièce d’eau dite des Suisses.

« Le cardinal devait s’y rendre déguisé et la reine, du moins la fausse reine, en passant près de lui laisserait tomber, en signe d’acceptation une rose prise devant lui à son corsage.

« La comédie se passa ainsi que l’avait réglé cette habile entremetteuse.

« Le cardinal rentra chez lui complètement affolé et n’hésita pas un seul instant à acheter le collier à Boehmer et Bossange, mais la, je m’arrête ; ce qui était intéressant de souligner, c’est, non pas la suite de cette histoire qui se termina d’ailleurs fort mal pour tout le monde, mais la réussite de la ruse employée par Mme de la Motte-Valois.

« Voilà pourquoi me remémorant cette aventure, je me demande si, au lieu d’attaquer de front Michèle de Préfailles, il ne vaudrait pas mieux lui trouver un sosie, afin de le faire agir en conséquence et conformément à vos vues.

« Que pensez-vous de cela, cher monsieur ?

L’américain, toujours très calme, répondait :

— Je pense que c’est très ingénieux… Mais où découvrir une femme qui ressemble à Mme de Préfailles d’une façon assez exacte pour qu’il soit impossible de les différencier l’une de l’autre ?

— Cette femme existe, répliquait la prêteuse à gage.

Malgré tout son empire sur lui-même, le milliardaire ne put réprimer un léger tressaillement.

— Vous dites que cette femme existe ? répéta-t-il d’un air déjà sceptique.

— Parfaitement.

— Vous la connaissez ?

— Je la connais.

— Vous savez où elle demeure ?

— Je le sais.

— Vous croyez pouvoir l’approcher sans difficulté ?

— Aucune.

— Et vous estimez qu’elle acceptera de se faire passer pour la comtesse de Préfailles ?

— C’est une question de prix à débattre et comme vous me semblez très disposé à vous montrer très généreux, je puis d’ores et déjà, vous affirmez que tout se passera selon vos désirs.

— Par exemple, déclarait Jack Sorett, je ne me serais jamais attendu à une pareille révélation !

« Comment, il y a en ce monde une autre Michèle de Préfailles ?

La baronne Merloup reprenait :

— Votre surprise, cher monsieur, sera dissipée, lorsque je vous aurais appris que cette personne n’est autre que la demi-sœur de la comtesse.

— La demi-sœur ? De quel côté, du père ou de la mère ?

— Du père.

— M. de Mongobert avait donc été marié deux fois ?

— Non ! mais il avait une maîtresse… dont il eut un enfant qui n’est autre que la personne avec laquelle je vous propose d’entrer en négociation.

— Je voudrais auparavant que vous me donniez sur elle quelques renseignements qu’exige la prudence la plus élémentaire. Cette femme sait-elle qu’elle est la sœur de la comtesse ?

— Elle ignore… Le secret de sa naissance a été bien gardé… Je dois ajouter que M. de Mongobert, qui, bien que de conduite légère, était un homme d’honneur dans toute l’acceptation du mot, avait tenu à ce que sa fille naturelle fut très bien élevée et ne manqua d’aucun de ces soins moraux et matériels qu’il ne pouvaient lui prodiguer lui-même.

« Bien qu’il n’eut qu’une fortune plutôt médiocre, il ne recula devant aucun sacrifice.

« En cela il fut approuvé tacitement par Mme de Mongobert qui connaissait l’existence de cet enfant né en dehors du mariage, mais n’avait jamais voulu, par respect pour le nom qu’elle portait, faire à son mari la moindre allusion à ce sujet.

« Malheureusement, la petite Juliette tourna fort mal. Sa mère était une de ces femmes insignifiantes, qui n’ont ni caractère, ni volonté, et elle mourut d’ailleurs assez tôt. Juliette fut confiée à des étrangers.

« À dix-huit ans, elle les quittait soi-disant pour rentrer comme dactylographe dans une grande maison de commerce, mais, en réalité, pour suivre un jeune homme dont elle s’était amourachée et qui n’était autre que l’un de ces don juan de trottoir, qui en fit bientôt sa proie et sa victime.

« M. de Mongobert, ayant été tué pendant la guerre, et la marquise ignorant ce qu’était devenue la fille naturelle de son mari, aucune main ne se tendit vers la malheureuse pour l’arracher à une déchéance qui fut aussi complète que rapide, si bien qu’en ce moment elle est la pensionnaire d’une maison mal famée de Nice.

« Dernièrement encore elle m’a écrit pour me demander de lui prêter de l’argent, sous prétexte qu’elle avait été malade… J’ai fait ce que j’ai pu, je lui ai envoyé un billet de mille francs. Elle m’en a accusé réception en me remerciant beaucoup ; c’est donc vous dire combien le terrain favorablement préparé.

— De quelle façon êtes-vous entré en rapport avec elle ? questionnait le financier, qui tenait évidemment à avoir toutes les garanties.

La baronne Merloup, devinant qu’il était indispensable de lui donner les apaisements nécessaires, repris, sans se faire prier le moindrement :

— C’est moi qui, autrefois, ai longtemps servi d’intermédiaire entre le colonel marquis de Mongobert et son amie.

Cette explication parut donner satisfaction à l’américain qui reprit :

— Cette Juliette n’a jamais cherché à faire chanter Mme de Mongobert ni Mme de Préfailles ?

— Non, car je vous le répète, elle ignore le nom de son père et, pour des raisons de convenance paternelle, je n’ai pas cru devoir le lui révéler.

— Bien ! Approuvait le milliardaire.

La baronne Merloup résuma :

— Voilà cher monsieur, tout ce que je puis vous dire. J’ai l’impression que nous sommes dans la bonne voie ; maintenant, si vous voulez réfléchir à ma proposition ?

— C’est inutile, coupait sir Jack Sorett, j’ai réfléchi.

— Et vous acceptez ?…

— J’accepte.

En homme qui ne laisse pas traîner les affaires, il sortit de sa poche un carnet de chèques et avec un stylo qui ne le quittait jamais, il remplit le libellé et remis le précieux papier à la baronne, tout en lui disant :

— Voici le premier acompte que je m’étais engagé à vous verser. Nous sommes donc complètement d’accord. Je vous donne huit jours pour aller chercher cette femme est pour vous entendre avec elle. Nous sommes aujourd’hui lundi n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur.

— Eh bien ! lundi en huit à la même heure, je me présenterai chez vous, afin que nous nous entendions sur la ligne de conduite à tenir.

— C’est convenu, cher monsieur ! Et moi, je vous présenterai la jeune dame en question.

— C’est inutile, déclarait le milliardaire ; je vous donnerai simplement mes directives. Je préfère, jusqu’à nouvel ordre du moins, que cette demoiselle ne sache pas que je suis l’animateur de cette histoire.

« Par la suite je verrai quelle attitude adopter, mais en attendant, je compte sur votre discrétion absolue.

— Vous pouvez être tranquille, cher monsieur, affirmait la baronne de Merloup… J’ai été la confidente de bien des secrets et jamais nul au monde n’a pu m’accuser d’en avoir trahi un seul.

— Donc, à lundi madame.

— A lundi, cher monsieur.

La prêteuse à gages reconduisit son opulent visiteur jusqu’au seuil du salon où la camériste, alertée par un coup de sonnette, l’accompagna jusqu’à la porte d’entrée.

Demeurée seule, l’aventurière laissa échapper un cri de joie mauvaise.

— Enfin, fit-elle, mon tour est venu, non seulement d’être riche, mais aussi d’être vengée. J’ai bien fait d’attendre mon heure et de garder le silence.

« Maintenant, la baronne de Mongobert va me payer cher les dix ans de prison que je lui dois.

Le Fantôme du Père-Lachaise

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