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PIERROT RESTAURE LES DYNASTIES

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Table des matières

La fraîcheur de l'eau avait rendu à la belle Bandoline l'usage de ses sens. Pierrot en profita pour lui expliquer rapidement par quelle aventure il lui faisait traverser le fleuve Jaune à la nage d'une manière si inconvenable et si inusitée pour une grande princesse; il termina son discours par mille protestations de dévouement.

Bandoline fit attendre sa réponse. Elle ne savait si elle devait rire ou se fâcher, rire de la déconvenue du terrible Pantafilando qui avait cru l'épouser, ou se fâcher de l'audace de Pierrot qui avait osé, sans la consulter, la jeter à l'eau; qui l'en avait, il est vrai, retirée, mais qui montrait un dévouement trop ardent pour être longtemps désintéressé. Elle se tira d'embarras en disant que, quoiqu'il y eût dans les détails de l'affaire quelque chose de répréhensible, cependant, en gros, elle ne pouvait qu'être reconnaissante à Pierrot du soin qu'il avait pris d'elle; qu'elle acceptait l'offre de son dévouement, sachant d'ailleurs qu'il était offert non pas à elle seule, mais à toute l'illustre race des Vantripan; que ni son père, ni sa mère, ni son frère n'oublieraient jamais ce service, et que, suivant toute probabilité, avant peu de jours ils seraient en état de le reconnaître dignement.

Pierrot ne répliqua rien. Il vit bien que ce n'était pas le moment de s'expliquer; d'ailleurs, de la rive opposée accouraient déjà les Tartares de Pantafilando. Il baisa trois fois l'anneau magique et invoqua la fée Aurore.

Elle parut aussitôt:

—Ami Pierrot, dit-elle, tu prends l'habitude d'agir sans me consulter, et, quand tu te trouves dans l'embarras, tu m'appelles à ton secours. Cette confiance m'honore, mais elle commence à m'ennuyer.

—Hélas! bonne marraine, dit Pierrot se jetant à genoux et lui baisant la main, n'êtes-vous pas mon refuge éternel? Si vous me rebutez, à qui m'adresserai-je? N'êtes-vous pas la plus belle, la plus douce, la plus aimable des fées?

—Il me flatte, dit la fée, donc il a besoin de moi. Voyons, que te faut-il?

Ce dialogue se faisait presque à voix basse, et Bandoline, occupée près de là à faire sécher sa robe et à gonfler sa crinoline, ne vit pas la fée, qui était invisible pour tout autre que Pierrot, et n'entendit pas un mot de ce qu'elle disait.

Elle vit seulement Pierrot parler à voix basse et à genoux, et crut qu'il priait Dieu.

—Il faut d'abord, dit Pierrot, nous mettre en sûreté, la princesse et moi, car voici plus de dix mille Tartares qui passent le fleuve et me poursuivent; puis, s'il y avait un moyen de rendre un trône à cette belle princesse persécutée?

—On verra, dit la fée; mais toi, mon cher filleul, qui fais le chevalier errant, ne compte pas trop sur les bonnes grâces de ta dame; souviens-toi qu'elle sera deux fois ingrate, comme femme et comme reine, car il n'y a rien de plus oublieux et de plus ingrat que les rois et les femmes, et ne viens pas te plaindre auprès de moi de tes chagrins d'amour.

—Ne craignez rien, adorable marraine, dit Pierrot, je ne veux aucun salaire pour mes services; elle ne pourra donc pas être ingrate.

—Bien, bien, cela te regarde; mais défie-toi de cette petite personne.

A ces mots, et comme les premiers Tartares allaient aborder sur la rive, elle enleva Pierrot et Bandoline dans un nuage et les déposa à cent cinquante lieues de là, dans un petit bois près duquel campait l'armée du grand Vantripan.

Cette armée se composait de cinq cent mille Chinois qui recevaient pour solde, chaque matin, une ration de riz et la permission d'aller boire l'eau du fleuve Jaune qui coulait près de là. Chaque soldat, comme il est naturel, apportait au service de sa patrie une dose de courage et de zèle patriotique équivalente à sa ration de riz: c'est-à-dire qu'il prenait le chemin de gauche quand un Tartare prenait celui de droite. Un malheur, disait le Chinois, est si vite fait: lorsque deux hommes belliqueux ont les armes à la main, qu'ils sont ennemis, qu'il n'y a personne pour les séparer, il vaut mieux qu'ils se séparent eux-mêmes d'un commun accord que de s'exposer à couper la gorge à des gens qui sont pères de famille ou qui peuvent le devenir. C'est pour cela qu'au premier bruit de l'entrée de Pantafilando en Chine, le général en chef donnant le premier l'ordre et l'exemple de la retraite, ils avaient établi leur camp à plus de deux cents lieues de la route que devaient suivre les Tartares.

A peine Pierrot et la princesse eurent-ils mis le pied à terre qu'ils se dirigèrent vers la tente du général en chef. Cet indomptable guerrier, nommé Barakhan, était le neveu de Vantripan, et il avait plus d'une fois jeté les yeux avec envie sur sa cousine et sur la couronne que portait son oncle. Aussi Vantripan, avec son discernement ordinaire, l'avait, pour l'éloigner de la cour, mis à la tête de l'armée. A peine la princesse eut-elle fait le récit de ses malheurs et raconté les exploits de Pierrot à son cousin, que celui-ci frappa dans ses mains. Un esclave parut.

—Qu'on appelle les généraux au conseil, et que toute l'armée prenne les armes!

En même temps il se revêtit des insignes royaux, et quand tous les principaux officiers furent assemblés, il prit, au grand déplaisir de Pierrot, la main de sa cousine, et dit:

—Amis, Vantripan est détrôné; Horribilis ne vaut guère mieux. Tous deux sont prisonniers du cruel Pantafilando. Je suis donc l'héritier légitime de la couronne, et j'épouse ma cousine que voici, la princesse Bandoline, Reine de Beauté. Si quelqu'un de vous s'y oppose, je vais le faire empaler.

—Vive le roi Barakhan Ier! cria tout d'une voix l'assemblée.

La princesse Bandoline tourna sur Pierrot des yeux si languissants et si beaux qu'il ne put résister à leur prière.

—A bas Barakhan l'usurpateur! cria-t-il avec courage. Vive à jamais Vantripan, notre roi légitime!

—Qu'on saisisse cet homme et qu'on l'empale, dit Barakhan.

Pierrot tira son sabre et décrivit en l'air un cercle. Trois têtes de mandarins tombèrent comme des pommes trop mûres et roulèrent aux pieds de l'usurpateur. Tout le monde s'écarta. Barakhan lui-même sortit de la tente en courant et appelant ses gardes. En quelques minutes Pierrot se vit entouré de six mille hommes. Personne n'osait l'approcher, mais on faisait pleuvoir sur lui une grêle de pierres et de flèches.

—Où me suis-je fourré? pensa ce héros. Et il se précipita au plus épais de la foule; mais si prompt que fût son mouvement, celui des assaillants fut plus prompt encore à l'éviter. Il se trouva le centre d'un nouveau cercle aussi épais que le premier, aussi facile à forcer, aussi prompt à se reformer. Heureusement il lui vint une idée. Il aperçut Barakhan qui, monté à cheval et caché derrière ses gardes, les excitait à se jeter sur lui. Sur-le-champ, d'un bond, il saisit, à droite et à gauche, un homme de chaque main, et, sans faire de mal à ses deux prisonniers, il les appliqua l'un sur sa poitrine et l'autre sur son dos pour se garantir des flèches qu'on lui lançait. Aussitôt les gardes cessèrent de le harceler pour ne pas frapper leurs camarades. Pierrot profita de ce temps d'arrêt, lâcha le prisonnier qu'il tenait serré sur sa poitrine, et faisant tournoyer son sabre autour de sa tête avec la force lente, régulière et irrésistible d'un faucheur qui coupe l'herbe des prés, il abattit en une minute quinze ou vingt têtes parmi les plus voisines. On s'écarta de nouveau et si brusquement, que Pierrot se trouva en face de Barakhan. Celui-ci voulut fuir, mais la foule était trop épaisse. Il lança son cheval sur Pierrot, mais notre ami l'évita, prit d'une main la bride du cheval, et de l'autre saisissant Barakhan par la jambe, il l'enleva de la selle, le fit tourner quelque temps comme une fronde, et le lança avec une telle force que le malheureux prince s'éleva dans les airs jusque au-dessus des nuages. En retombant il aperçut, à droite, les sommets neigeux du Dawâlagiri, qui réfléchissaient les rayons du soleil, et à gauche les monts Kouen-Lun, qui dominent la Grande-Mandchourie et qu'aucun voyageur n'a encore visités; mais il n'eut pas le temps de faire part à l'Académie des sciences de ses découvertes, parce qu'au bout de quelques minutes on le trouva fracassé et brisé en mille morceaux.

A ce spectacle, un cri unanime s'éleva dans l'assemblée:

—Vive le roi Vantripan! Vive Pierrot, notre général! Vive la princesse Bandoline! etc. Et tout le monde courut baiser le pan de l'habit de Pierrot.

—Qu'est-ce? s'écria-t-il, tout à l'heure vous m'avez voulu empaler; à présent, vous m'adorez. Avez-vous menti? ou mentez-vous?

—Nous ne mentons jamais, seigneur capitaine. Nous sommes toujours les serviteurs du plus fort. Tout à l'heure nous avons cru que Barakhan était le plus fort, nous lui avons obéi. Maintenant nous voyons que vous l'êtes, et nous vous obéissons. Qu'il soit maudit, cet usurpateur, ce Barakhan qui nous a trompés!

—Si jamais je suis roi, pensa Pierrot, je me souviendrai de la leçon. Mais hâtons-nous de rassurer cette pauvre princesse; elle a dû trembler pour ma vie.

Bandoline n'avait pas tremblé pour la vie de Pierrot. Elle haïssait Barakhan; elle avait, pour s'en délivrer, demandé du secours à Pierrot; mais elle regardait la vie de Pierrot comme lui appartenant par droit divin, ainsi que toutes les autres choses de ce monde. C'est ce que le pauvre Pierrot, aveuglé par son amour et son ambition, ne comprenait pas.

Elle le reçut avec une dignité froide, lui permit à peine de s'asseoir, et lui commanda de mettre sur-le-champ l'armée en marche pour reprendre la capitale de la Chine et détrôner Pantafilando. Pierrot obéit en soupirant, mais au premier ordre qu'il donna de marcher à l'ennemi, toute l'armée lui tourna le dos.

—- Lâches coquins! leur cria Pierrot; et, profitant de ce qu'un des généraux avait le dos tourné, il l'enleva d'un coup de pied dans le derrière jusqu'à la hauteur du toit du palais. Le pauvre général retomba heureusement sur ses pieds, et ôta respectueusement son bonnet orné de clochettes qui servaient à effrayer l'ennemi.

—Seigneur, dit-il à Pierrot, nous vous aimons, nous vous respectons, nous vous craignons surtout; mais, au nom du ciel! ne nous demandez pas ce que nous ne pouvons pas faire. Le bon Dieu nous a refusé le courage; voulez-vous que nous nous battions malgré nous?

—Magots chinois! dit Pierrot.

—Eh bien! oui, seigneur, nous sommes des magots; mais quoiqu'il y ait des têtes beaucoup plus belles, quoique la vôtre, en particulier, soit admirablement belle et pleine d'esprit et de courage, seigneur, j'ose le dire, je préfère encore la mienne, elle va mieux à mon cou et à mes épaules.

—Sac à papier! dit Pierrot, comment faire?

—Partons-nous? dit la belle Bandoline sortant de la tente, où elle avait passé à se parfumer, habiller, peigner et pommader tout le temps que Pierrot se battait et haranguait les Chinois.

—Par saint Jacques de Compostelle! pensa Pierrot, il faut avouer que je suis bien fou: j'ai failli déjà deux fois aujourd'hui me faire casser la tête pour cette merveilleuse princesse, sans qu'elle ait seulement daigné me remercier.

Cette réflexion, aussi triste que sensée, ne l'empêcha pas de se précipiter au-devant de la princesse et d'être prêt à lui faire le sacrifice de sa vie. C'est le propre de l'amour de se suffire à lui-même et de se dévouer sans récompense.

Il faut tout dire: au fond de l'amour de Pierrot il y avait un peu d'espoir et beaucoup de vanité. Je ferai, pensait-il, de si belles actions et j'acquerrai tant de gloire, qu'elle finira par m'aimer. A mon âge, encore inconnu, paysan il y a un mois, être aujourd'hui le seul appui d'une si grande et si belle princesse, cela n'est arrivé qu'à moi, Pierrot. La fortune me devait cette gloire.

—Princesse, dit-il à Bandoline, nous partons seuls.

L'armée a peur de Pantafilando et refuse de nous suivre.

—Et vous l'avez souffert? dit-elle.

Il y avait dans ce mot et dans le regard qu'elle lança sur Pierrot tant d'estime de son courage et tant de reproche en même temps, qu'il faillit tourner bride et massacrer les cinq cent mille Chinois pour les forcer de marcher à l'ennemi; mais la réflexion le rendit plus sage, et il se contenta de répondre:

—Princesse adorable, pleine lune des pleines lunes, pour vous je traverserais les mers à la nage, je défierais le monde; mais je ne puis faire marcher des gens qui veulent s'asseoir. Le roi Salomon dit, «qu'il est impossible de faire boire un âne qui n'a pas soif.»

—Pierrot, dit la belle Bandoline, vous m'offrez toujours ce que je ne vous demande pas. Que m'importe que vous traversiez les mers à la nage? Il n'y a pas de mer d'ici à la capitale de mon père, et s'il y en avait, je trouverais bien plus commode de m'embarquer sur un beau vaisseau monté par des matelots habiles. Ce que je veux, c'est que vous conduisiez cette armée au secours de mon père Vantripan.

—Eh bien! dit Pierrot découragé, parlez-leur vous-même.

La belle Bandoline leur fit un discours magnifique où elle rappela les exploits de leurs aïeux; elle leur parla du danger de la patrie, de leurs femmes, de leurs enfants, et leur vanta la gloire de rétablir sur son trône le monarque légitime.

Mais les Chinois firent la sourde oreille.

—Partons seuls, dit Bandoline indignée; et, grâce à des chevaux plus rapides que le vent, ils arrivèrent, elle et Pierrot, dix jours après dans la capitale de la Chine, où d'abord ils descendirent de nuit dans une hôtellerie pour prendre langue.

Pantafilando n'avait pas perdu de temps après le départ de Pierrot. Entre autres sages décrets, il avait ordonné que tous les Chinois se lèveraient à six heures du matin et se coucheraient à huit heures du soir, et qu'on raccourcirait de toute la tête tous ceux dont la taille dépassait cinq pieds cinq pouces. Tout le monde avait applaudi à ces deux décrets, excepté, bien entendu, les Chinois de cinq pieds six pouces, qui se tenaient cachés dans leurs caves de peur du bourreau.

Pierrot apprit en même temps que sa tête était mise à prix; mais cette nouvelle ne l'inquiéta pas beaucoup. Il comptait bien la défendre vigoureusement. Le soir même il alla, dans l'obscurité, placarder sur le mur du palais l'affiche suivante:

Histoire fantastique du célèbre Pierrot

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