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ANGÉLINE

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Enfin la porte du jardin se referma sur les deux notaires,—Bouchardy, surnommé le Gros, à cause de son épaisseur, et Saumonet, surnommé l'Aiguille, à cause de sa longueur et de sa maigreur extraordinaires.

Alors, resté seul en face de Dieu, de la Nature et du papier timbré que je devais noircir d'encre, je pris mon menton de la main gauche, j'appuyai le coude du même côté sur la table et mon esprit vagabond s'enfonça lentement dans mes pensées, comme un promeneur qui marche au travers de la forêt.

Ce n'est pas une petite affaire de rédiger un contrat de mariage! Ah! non, certes! et, comme dit la poétique Mme Forestier, quand elle ordonne à sa cuisinière de peler douze pommes de terre, je dirigerais plus aisément les quarante principales maisons de commerce de Paris; mais enfin il faut rédiger et je rédigerai; il le faut! il le faut! Michel m'en a prié, Mlle Hyacinthe compte sur moi (Elle a de bien beaux yeux, Mlle Hyacinthe) quelquefois en traversant la rue elle me regarde d'un air aimable, caressant et presque malin, comme si elle devinait de moi quelque chose que je ne veux pas dire, et comme si elle s'intéressait à moi, à cause d'une autre personne pour qui elle aurait une amitié particulière... Je croirais volontiers que cette personne qui n'a pas de barbe au menton (et n'en aura jamais) lui parle de moi de temps en temps et qu'il y a des confidences échangées... Ah! si j'en étais sûr, mais, c'est un rêve... Jamais Angéline n'a pensé à moi, excepté pour descendre dans l'étude, quand maître Bouchardy, son père, va faire au cercle sa partie de billard; et alors, elle me dit:

«Monsieur Trapoiseau, vous qui savez tout, dites-moi donc où mon père a caché le Voyage en Orient de Lamartine et la traduction du poëme d'Antar qui est à la suite...»

Et alors je suis bien forcé de chercher le Voyage en Orient. Puis, comme la bibliothèque a quinze pieds de haut, il faut tenir l'échelle. C'est moi qui monte et c'est elle qui la tient... Je regarde en haut et en bas, à droite et à gauche, je fourrage au hasard parmi les livres; je prends par mégarde un traité de médecine sur «le plus doux des lénitifs», et je descends avec empressement pour l'offrir à Mlle Angéline. Elle le regarde et me le jette au nez en riant et se moquant de ma bêtise, mais si gaiement, si délicatement, si... je ne sais comment, que j'en ai le cœur tout troublé et rempli d'une joie infinie.

Au fond, est-elle jolie? Qui peut savoir? Supposons cependant que je sois pour un moment photographe ou gendarme et chargé de donner un signalement. Qu'est-ce que je devrais dire pour ne pas tromper le public?

(Tais-toi, mon cœur, et ne cherche pas à m'influencer!)

Eh bien, voici ou à peu près son signalement:

Cheveux: blond-cendré (c'est une jolie couleur).

Nez: un peu trop gros du bout, mais joliment relevé. Plein d'esprit, ce nez-là, mais pas grec du tout, gaulois plutôt; car j'en ai vu beaucoup de cette forme en Auvergne. C'est un nez qui n'a pas de réputation chez les peintres et chez les sculpteurs, mais des milliers de mères de famille en ont un tout pareil et s'en font honneur. Pourquoi donc Angéline serait-elle plus modeste?

Bouche: un peu grande. Oui, un peu grande, il faut l'avouer..., mais tout est relatif. Elle est grande certainement, si vous la comparez à celle de Mlle Hyacinthe Forestier qui est une petite cerise rouge entr'ouverte,—ça, c'est l'idéal! En revanche, elle est de médiocre dimension en comparaison de celle de Mme Tâtempot qui fut dessinée par la nature sur le modèle d'un four de boulanger.

Quant aux dents, rien à dire que de flatteur. Elles sont grandes, c'est vrai, mais elles sont blanches, bien rangées et toutes présentes à l'appel, comme on peut s'en assurer, car Angéline, sous prétexte de rire, les montre à chaque instant.

Menton rond et marqué d'une fossette. Signe de bonne humeur et de bonne volonté ferme... Eh! eh! la bonne humeur est une excellente chose. La volonté ferme en est une autre très appréciée des connaisseurs. Mais cela ressemble fort à une bonne épée, bien trempée. Celui qui en tient la poignée est en sûreté; mais l'autre, son associé, sur qui la pointe est dirigée, n'a-t-il rien à craindre?

Quand au reste, Mlle Angéline est grande et forte comme son père. L'autre jour, une vieille dame disait devant moi: «Elle est grassouillette!» La vérité, c'est qu'elle est admirablement proportionnée dans le sens de la rondeur, qu'elle a une santé superbe, un teint assorti,—c'est-à-dire plus rouge que blanc;—et des yeux, oh! des yeux d'une douceur divine (quand elle veut, bien entendu).

Me croirez-vous? Je n'ai jamais pu voir la couleur de ces yeux-là! Sont-ils noirs, bleus, verts, gris, châtains? C'est ce que j'ignorerai toujours. Et après tout, à quoi me servirait de le savoir? Mon oncle le curé me le disait hier encore:

—Félix, Félix, mademoiselle Angéline Bouchardy n'est pas faite pour ton nez!

Et comme je me défendais d'y penser:

—Souviens-toi que si je suis curé de Creux-de-Pile et le personnage le plus respecté de tout le pays, parce que je suis inamovible et parce que je donne ma bénédiction aux autres qui ne peuvent me le rendre, tu n'es et ne seras longtemps, toi, mon neveu, fils de ma sœur, que l'héritier du nom et de la considération de l'huissier Trapoiseau, ton père, ce qui est mince. Moi, vois-tu, j'ouvre à ceux qui m'obéissent les portes du paradis et à ceux qui se révoltent les portes de l'enfer; mais ton père, lui, n'ouvrait que celles de la salle d'audience, et il y a la même différence entre son métier et le mien qu'entre ceux de nos maîtres respectifs: je veux dire: le président du tribunal et Dieu le père. Comprends-tu bien, Félix?

Hélas! je ne comprend que trop. Je ne me fais pas illusion. Angéline aura cent mille écus après la mort de son père, et moi,—je m'en félicite d'ailleurs,—je verrais mourir toute la terre sans recueillir un centime parmi tous les testaments qu'on ne manquerait pas de faire. Un seul homme pourrait me léguer quelque chose, car il est riche,—c'est mon oncle le curé,—mais personne ne connaît au juste sa fortune, et je crois qu'il l'a promise à l'évêque pour une fondation pieuse. D'ailleurs, comme il dit souvent: «Après la mort de Trapoiseau, ton père, je t'ai envoyé au petit séminaire de S***, j'ai payé ta pension (deux cent cinquante francs par an), je t'ai expédié pendant trois ans dans la capitale, où tu m'as mangé cinquante francs par mois à étudier la chicane; maintenant encore je te donne quatre-vingt-dix francs par trimestre, pour que tu te perfectionnes ici dans l'art de plumer tes concitoyens, comme huissier, avoué ou notaire; mais mon cher enfant, ne m'en demande pas davantage!»

Et je n'en demandais pas d'avantage, en effet, je prenais le papier timbré en patience, j'attendais qu'un huissier vînt à mourir pour prendre sa place, ou même un avoué.

Un huissier? Je pouvais l'espérer. Un avoué? Je pouvais le désirer. Mais un notaire! Oh! c'est un rêve! Et cependant... Angéline, je le sais, n'épousera pas moins qu'un notaire. Je la connais. Elle est fière, elle a le cœur haut, elle est fille de notaire, elle ne voudra pas descendre jusqu'à un avoué!...

Comme j'en étais là de mes réflexions, car, au lieu de rédiger le contrat de Michel Bernard et d'Hyacinthe Forestier, je pensais à mademoiselle Angéline Bouchardy, fille de mon patron, j'entendis tout à coup un pas léger le long de l'escalier et un frôlement de robe de grenadine qui ne m'était pas inconnu.

Je regardai si la seconde porte de l'étude, celle qui séparait le second et le troisième clerc de moi, leur chef et de maître Bouchardy, leur patron, était bien fermée, et j'attendis avec une douce anxiété ce qui allait suivre.

Oh! mon Dieu, ce qui suivit fut ce que j'espérais. Une main adroite et légère tourna le pène de la serrure, ouvrit la porte; Mlle Angéline parut et s'écria d'un air étonné:

—Ah!

Son étonnement ne m'étonna pas, comme vous pensez bien, car j'y étais habitué; et je me levai avec empressement pour montrer mon zèle.

Elle me regarda en riant et dit:

—Je croyais que mon père était ici.

Si elle le croyait, Dieu seul peut le savoir. Quant à moi, je répliquai:

—Mademoiselle, il vient de sortir tout à l'heure avec M. Saumonet.

Elle reprit, en fronçant légèrement les sourcils:

—J'en suis bien fâchée... Je voulais le consulter. C'est très désagréable... Il faut se décider tout de suite.

Je la regardais. Elle regardait ses bottines d'un air souriant et embarrassé. A la fin elle me dit:

—Mon père est allé dîner chez M. Forestier, à l'occasion du contrat, n'est-ce pas?

—Oui, mademoiselle.

—Eh bien! il me laisse dans un embarras terrible. Je suis invitée, moi, à prendre le thé; il y aura sans doute beaucoup de monde; quelle robe dois-je mettre?

Et comme j'hésitais, elle reprit impétueusement:

—Voyons, ne me dissimulez rien, monsieur Trapoiseau. Une robe de soie, une robe d'organdi, une robe de satin, une robe de brocart brodée d'or?... Répondez: mais répondez donc, puisque mon père n'est pas là pour répondre!

Je baissai la tête, en étendant les bras, pour indiquer mon embarras:

—Mademoiselle je suis perplexe; je suis vraiment perplexe... Je suis au fond de la plus profonde perplexité.

—Alors vous ne savez pas si je dois être en blanc, en rose, en bleu, en gris ou en noir?

—Comment pourrais-je le savoir, mademoiselle?

—En étudiant la question dans les bons auteurs, monsieur Trapoiseau!

Elle fit quelques tours dans l'étude comme un chardonneret dans sa cage, en ayant l'air de regarder les livres de la bibliothèque et de faire un choix; puis, elle s'arrêta, appuya sur mon bureau ses deux belles mains, un peu grandes et même un peu rouges, mais bien faites et demanda:

—Vous serez des nôtres, ce soir, chez madame Forestier?

Je répondis modestement:

—Oui, mademoiselle;... c'est-à-dire que je suis invité à porter le papier timbré, le contrat, l'encrier et les plumes...

Elle répliqua d'un air de douce autorité:

—Vous êtes invité; je le sais. Hyacinthe me l'a dit. On dansera. Vous me ferez vis-à-vis...

—Ah! mademoiselle!... Mais personne ne m'a dit que je fusse invité...

—Eh bien! je vous le dis, moi... Vous me ferez donc vis-à-vis, à moins...

Ici elle hésita, ou fit semblant.

Je demandai, le cœur palpitant:

—A moins?...

—A moins que vous ne préfériez me demander vous-même la première contredanse.

O joie! ô bonheur! J'avais une terrible envie de tomber aux pieds d'Angéline et de les baiser avec la piété qu'on doit aux anges du Seigneur; mais elle s'en aperçut et s'écria tout à coup:

—Qu'est-ce que vous faisiez là, quand je suis entrée?

—Mademoiselle, je rédigeais ou plutôt je me préparais à rédiger le contrat...

—D'Hyacinthe?

—Oui, mademoiselle.

Elle se pencha anxieusement, et, ne voyant rien qu'un papier timbré privé de toute souillure, me dit:

—C'est ça le contrat?

—Oui, mademoiselle.

—Et vous n'avez rien fait?

—J'allais commencer.

—Alors, je me sauve.

En effet, elle ouvrit la porte et me dit à demi-voix:

—N'oubliez pas de venir en habit, avec des gants... Hyacinthe compte sur vous..., toutes ces dames aussi.

Elle fit une pause et ajouta:

—Moi surtout... A ce soir, monsieur Félix!

—A ce soir, mademoiselle!

La porte se referma, et je restai seul avec mon contrat à rédiger.

Eh bien, me croira qui voudra, cet «à ce soir, monsieur Félix?» m'avait rendu le plus heureux des hommes. C'est la première fois qu'elle m'appelait de mon nom de baptême. Jusque-là j'avais été Trapoiseau, premier clerc de maître Bouchardy. Du coup je venais de passer «Félix». Sentez-vous la différence?

Hyacinthe

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