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La Police de la Restauration
ОглавлениеLes tablettes du baron Pasquier. — Police particulière de Louis XVIII. — Un héros de Balzac. - Le Palais-Royal et la police. — Diverses polices et contre-polices. — Organisation de la police. — M. Beugnot. — Son horreur pour les mouchards. — M. d’André. — Le retour de l’île d’Elbe. — M. de Bourrienne. — Mise à prix de la tête de Napoléon. — M. Decazes. — La terreur blanche. — M. Anglès. — Attaques contre lui à l’occasion de l’assassinat du duc de Berry. — Dénonciations de sa fortune scandaleuse. — Affaire avec M. Duplessis de Grénédan. — Institutions utiles. — Les abattoirs. — Le Baron Meunier. — Franchet et la coterie jésuitique. — La police dévoilée. — Froment. — La femme à Franchet. — Delavau el la congrégation. — Le père Loriquet. — M. de Belleyme. — M. Mangin.
La Restauration imprima une physionomie nouvelle à la police. Jamais pareil changement d’aspect n’eut lieu et plus rapidement. En un clin-d’œil, les suspects, les prisonniers changèrent de rôle avec ceux qui les tenaient aux fers ou en surveillance, et ceux-là à leur tour supportèrent instantanément la rigueur des lois qu’ils avaient si étroitement fait exécuter.
La commotion fut des plus terribles; trop de personnes se trouvaient compromises pour qu’il en fût autrement. Mais, dans cette crise, on doit surtout rendre justice à M. Pasquier. Se méfiant du parti vainqueur, il employa les dernières heures de son administration à faire disparaître des dossiers tous les noms des agents secrets flétris du nom d’espions, et qui se rattachaient à des personnes appelées par le cours des circonstances à faire partie de la nouvelle cour.
Ce travail pénible et consciencieux valut au baron Pasquier la faveur dont il a joui pendant le règne de Louis XVIII. Ce monarque, à son arrivée, ayant accordé une audience secrète au préfet de police impérial, cet administrateur habile, tirant de dessous son habit un petit volume doré sur tranche magnifiquement relié, le lui offrit en lui disant que «le roi trouverait dans ces tablettes les noms, qualités, demeures et les renseignements relatifs à tous les hommes et femmes de tous rangs depuis 1790 jusqu’à ce jour, qui avaient eu des relations avec la police; qu’il prévenait le roi que, par amour de la paix et par haine du scandale, il avait détruit toute autre preuve de cette affinité ; que le roi seul serait dépositaire de ce document précieux, dont il ne s’était pas réservé une copie.»
Louis XVIII sentit le prix d’un tel cadeau dans la circonstance; il comprit combien il devait être intéressé, à l’heure des récompenses, à savoir de point en point qui au fond avait été fidèle, qui avait souvent trahi. On croit que c’est de cet arsenal que sortirent certaines répugnances de ce monarque; on peut dire que si, comme renseignement politique, ce livre était précieux, il était aussi bien désespérant pour l’homme à qui, toutes déloyautés étant connues, pas un ami peut-être ne restait, si tant est que les rois aient des amis, et si d’ailleurs le livre était exempt de mensonges: nous devons lé croire pour l’honneur de M. Pasquier, qui probablement ne s’était pas inscrit lui-même dans la légende.
D’une autre part, M. Pasquier avait conservé au fond de certains dossiers une douzaine de noms, moitié de vieux courtisans, moitié de dames de l’ancien régime. Les uns et les autres, soit par frayeur, au temps de la Convention ou du Directoire, ou par entraînement à l’époque napoléonienne, s’étaient déterminés à raconter à la police ce que leur confiait le grand comité royaliste, ou ce qui leur venait directement. d’Hartwell. Assurément ceux-là, appelés par leur position sociale à jouer un grand rôle à la nouvelle cour, en eussent tous été repoussés à jamais si le roi eût su qu’ils l’avaient trahi. Ils étaient mal à leur aise; ils avaient déjà fait parler à Savary, qui avait répondu évasivement, car il n’avait rien trouvé dans les cartons. Mais combien leur joie fut grande, lorsque M. Pasquier, dans une entrevue, leur déclara que le gouvernement nouveau ignorait leurs espiègleries; que le roi non plus n’en avait aucune connaissance, et que lui seul, M. Pasquier, possédait leurs correspondances; que son intention n’était aucunement de s’en servir pour les compromettre; qu’il les gardait néanmoins, mais dans le seul but de les stimuler à le servir. Ces messieurs, charmés de cet éclaircissement, cessèrent de trembler; et l’on a vu par quelle élévation rapide, M. Pasquier fut récompensé de son adresse et de sa discrétion.
Louis XVIII avait sa police particulière, dont M. le vicomte Félix de Vandenesse était un des chefs secrets. C’est le même personnage que Balzac a cru devoir prendre pour le héros du Lys dans la vallée. Le romancier a mêlé ainsi agréablement la fiction à l’histoire. M. de Vandenesse était un espion, Balzac en a fait un Werther à la glace. Or, M. de Vandenesse venait souvent au Palais-Royal en 1814; il était vu avec plaisir, le duc d’Orléans ne le soupçonnant pas si avant dans les confidences royales. Ce fut par son rapport que Louis XVIII eut la première connaissance des intimités nouées par son illustre neveu, dès sa rentrée en France. Ceci lui mit martel en tête; et, le même jour, après le dîner, la famille réunie (elle se composait alors de Monsieur, des deux Princes ses fils, et de Madame la duchesse d’Angoulême), Louis XVIII se mit à dire:
— Il se passe des choses qui me déplaisent; M. le duc d’Orléans donne à dîner; il a pendu hier la crémaillère, et devinez les convives?
Les interpellés passèrent en revue l’ancienne cour, et, à chaque nom, un geste négatif du roi rendait le cas plus difficile.
— Eh bien! dit en riant amèrement le vieux monarque, vous jetez, n’est-ce pas votre langue aux chiens?
— Oui, Sire.
— Notre cousin rentre comme il est parti. Il en est encore au marquis de Lafayette.
— Lafayettel s’écria Madame, il aurait dîné chez le duc d’Orléans!
— Et à la première place, franqué à la gauche du protestant Guizot, et à la droite du sieur Laffitte, dont la seule religion connue est l’argent; les autres convives étaient les généraux Excelmans, Vandamme, Valence, de Pully, et pour compléter la belle compagnie, le suisse Benjamin Constant. Ce dernier encore passe, ajouta le roi, il s’est fait honnête homme et il hait sincèrement Bonaparte. Mais que va-t-il faire dans cette galère?
Il fut résolu que le roi avertirait le prince du méchant effet produit par ce premier choix de convives. En effet, le lendemain le duc d’Orléans étant monté au château, et le roi sachant qu’on ne l’interromprait point, se croyant seul avec le visiteur, lui dit:
— Mon cousin, lorsque vous êtes venu me trouver à Mittau, quelle promesse m’avez-vous engagée?
— Eh 1 Sire, celle de prouver à jamais à Votre Majesté ma reconnaissance du pardon généreux qu’elle m’a accordé.
— Pensez-vous que je voie avec plaisir reprit le roi, la scission que, dès votre entrée en France, vous semblez établir entre mon palais et votre maison, entre ma cour et votre société ? D’où vient qu’on rencontre chez vous des hommes qu’on ne verra jamais chez les autres princes, et que les noms les moins purs des excès révolutionnaires soient ceux-là précisément auxquels vous réservez toutes vos gracieusetés? Quoi! parmi vos compagnons d’infortune et les nôtres, n’avez-vous pu trouver mieux pour remplir votre salle à manger, que le marquis de Lafayette, les comtes Excelmans et Vandamme, le petit Guizot et le banquier Laffitte? Mon cousin, je crains que vous ne preniez une mauvaise route. J’ai fait pour vous ce que mon cœur plutôt que ma raison me conseillait de faire. Je vous ai rendu ce que peut-être je n’aurais pas dû vous rendre. Mais, de par Dieu! mon cousin, ne me contraignez pas à regretter de vous avoir laissé rentrer en France; on m’a plaint d’y avoir consenti, j’avais votre promesse, et j’ai foi en la parole de ceux de notre maison.
Le duc se récria que lui aussi demeurerait éternellement fidèle, qu’aucune pensée présomptueuse ne le ferait dévier; il alla jusqu’à dire qu’avant de forligner il se ferait écarteler. Il s’engagea solennellement à ne recevoir que bonne compagnie; mais, dès le lendemain, il continua le même train de vie.
Le Palais-Royal a toujours inspiré de l’inquiétude au Château, et partant, donné de l’occupation à la police.
La préfecture de police, pendant la Restauration, n’était pas le seul lieu, en France, où l’on se mêlât de surveiller les citoyens. On pouvait compter huit à dix antres de police dans Paris seulement.
Au château des Tuileries, il y avait au moins quatre polices bien distinctes; l’une, réservée au service intérieur du roi, ne s’étendait guère en dehors du Palais; elle se contentait d’inspecter les divers services et quelques privilégiés de la haute société. Cette police était confiée à d’anciens serviteurs, à de vieux émigrés qui en faisaient une affaire de sentiment. On les payait mal, mais on prisait haut la fidélité de leur zèle; certains mêmes travaillaient sans rétribution, et en vrais amateurs. Des femmes bien connues, plusieurs de haut rang même, faisaient ce noble métier.
La seconde police, du vivant de Louis XVIII, avait son centre d’unité au pavillon Marsan. Les intimes du comte d’Artois étendaient leur commerce épistolaire dans tous les départements de la France. Leurs correspondants étaient des royalistes exaltés, pris dans les hautes classes, d’anciens verdets, soldats de la foi, ou chouans, hommes de peu, avides, jaloux, vindicatifs, et qui, en haine de leurs anciens amis, parents ou voisins bonapartistes, auraient voulu faire pendre le tiers de la société. Cette police avait la charge spéciale de surveiller tous les anciens fonctionnaires de l’Empire, tous les officiers en demi-solde, en retraite, et même en activité de service. Il arrivait à ce foyer les rapports les plus étranges. Suivant eux, la France était en conflagration générale, et chaque département renfermait les germes d’une guerre civile.
Madame la dauphine avait, elle, une police mignonne, au petit pied qui la tenait au courant des intrigues galantes de tous les gens de service du château, quel que fût leur rang, sans en excepter MM. les gardes du corps. Des ecclésiastiques attachés à de vieilles femmes de qualité, des personnes de haut rang, apportaient des anecdotes sur certains grands fonctionnaires; on en gémissait en petit comité, et de là partaient ces mauvais services rendus assez sourdement pour que l’on ne pût en découvrir les sources.
M, le dauphin avait une police à part. Celle-ci, toute militaire, étendait son triste réseau sur l’armée. Dans chaque régiment il y avait trois espions en titre; l’un pris dans le corps des capitaines, l’autre dans celui des lieutenants; le troisième, toujours enrôlé volontaire, surveillait les sous-officiers et les soldats. Des aides de camp, des généraux, un maréchal de France faisaient partie de cette milice odieuse.
La grande-aumônerie avait encore sa police, celle-ci était exaltée et toute religieuse.
Ce n’était pas tout: l’ensemble du château même avait ses surveillants: trois polices cherchaient à pénétrer tout ce qui s’y passait. L’une appartenait en propre au ministre favori, s’appelât-il Blacas, Villèle ou Polignac. Ici on cherchait à connaître les intrigues, trames, complots, menées qui seraient dressés dans le but de nuire au grand personnage, le roi lui-même était soumis à la surveillance rigoureuse qui s’exerçait au bénéfice de son favori.
La police du ministère ou de la préfecture était également en velléité de vouloir savoir ce qui se passait aux Tuileries. En conséquence, elle aussi avait ses hommes spéciaux et ses agents secrets qui tentaient de pénétrer dans les appartements royaux.
C’était un spectacle assez curieux que toutes ces polices, s’exerçant sur le même théâtre, cherchant à se dissimuler et à prévenir les actes d’autrui. Il s’élevait parfois des conflits très-piquants, des rencontres fort bizarres. Enfin, on pouvait croire ce roi bien gardé, au milieu de ces agents nombreux; pourtant on a vu avec quelle facilité le malheureux Charles X fut en trois jours renversé du trône.
Revenons à la police officielle, aux vicissitudes de l’institution et aux différents personnages qui la dirigèrent de 1814 à 1830.
Le 16 mai 1814 les directeurs-généraux remplacèrent le ministère de la police que Louis XVIII supprima à raison de l’exorbitance de son pouvoir, ce qui n’empêcha pas ce monarque de le rétablir un peu plus tard, le 9 juillet 1816 pour le supprimer encore le 15 décembre 1818. Le retour de Napoléon au 20 mars 1815 annula cette création. Le ministère de la police ayant été rétabli redevint l’apanage de Fouché, duc d’Otrante. A l’époque du 29 décembre 1818, le comte Decazes ayant quitté le ministère de la police générale pour passer à celui de l’intérieur, la direction de la police fut réunie à ce dernier ministère; mais par une ordonnance du 9 janvier 1820, le titre de directeur-général de l’administration départementale de la police fut créé, et le baron Mounier, ancien secrétaire du cabinet de l’empereur et depuis pair de France, en fut pourvu.
Les événements qui se succédaient dans les ministères, dans le gouvernement et dans les affaires depuis cette dernière création jusqu’au 13 janvier 1822, amenèrent encore une nouvelle suppression de la direction de la police générale, qui devait être et rester une division du ministère de l’intérieur.
Malgré son bonapartisme apparent et ses fonctions si personnelles auprès des membres de la famille de l’Empereur, Beugnot, royaliste dès son enfance, par conviction et sentiment, n’avait cessé, dès 1792, d’être membre secret de l’agence royale, contradiction qui, il faut l’avouer, ne s’explique pas favorablement pour sa probité politique. Quoi qu’il en soit, cette conduite lui valut les faveurs de Louis XVIII qui, en 1814 l’appela à son conseil. Il avait déjà été nommé par le gouvernement provisoire du 3 avril, commissaire le même jour au département de l’intérieur où il faisait les fonctions de ministre. Le 16 mai suivant, le ministère de la police générale ayant été supprimé et converti en une direction générale, le roi en investit Beugnot; personne n’était moins apte que lui à remplir ces fonctions. Il repoussa tout haut l’espionnage qui, sous son autorité, ne s’exerça qu’en dehors, et sans qu’il y donnât les mains, même en cachette. «Je lui ai entendu dire, rapporte Peuchet, que de ministre de la police à mouchard, il n’y avait que la main, et que dans un salon il fallait se méfier autant de l’un que de l’autre.» Il ajoutait que tout homme chargé des plus hautes fonctions, dans le cercle de la police, avait beau monter et obtenir les plus éminentes distinctions, il n’en demeurait pas moins entaché à tout jamais, par son contact avec les gens ignobles qu’il employait. «Oui, messieurs, s’écriait-il en 1827, les gens de police ont un tel fumet que, longtemps après que j’eus abandonné ces fonctions odieuses, les chiens me suivaient en jappant après moi.»
M. Beugnot déposa ses fonctions aussitôt qu’il put et les échangea contre le ministère de la marine; il fut remplacé le 3 décembre 1814 au département de la police par M. d’André. On a beaucoup plaisanté le comte Beugnot sur une certaine circulaire où, voulant faire l’éloge de la police, montrer son importance et les secours qu’en retirent l’ordre public et le gouvernement, il la comparait à «une goutte d’huile qui s’infiltre dans les ressorts du gouvernement et les empêche de faire du bruit.»
D’André conserva l’organisation de la police telle qu’il l’avait reçue de son prédécesseur; la difficulté des circonstances, l’effervescence des partis, la diversité des systèmes de gouvernement le fatiguèrent vite; il apporta à ses fonctions une molle activité et un manque de vues et de moyens qui se fit promptement sentir et des bureaux et du public. Enfin par faiblesse ou par négligence, il se conduisit de manière à laisser croire, ce qui certes n’était pas, qu’il s’entendait avec les ennemis des Bourbons pour ramener le triomphe du ci-devant empire.
Napoléon débarqua, et d’André ne le sut que par le télégraphe. Un cri d’indignation s’éleva contre lui; on lui retira la direction de la police, cinq ou six jours avant le 20 mars. D’André partit pour Gand. Cette course sentimentale lui fut inutile; le roi éclairé sur son incapacité, ne lui rendit pas sa place après les cent-jours; il lui laissa celle d’intendant des forêts et domaines de la couronne, qu’il possédait à sa mort, arrivée le 26 juillet 1819.
L’administration de M. de Bourrienne dura trop peu pour rien laisser de marquant à la préfecture de police, où Louis XVIII le nomma le 12 mars 1815, sans doute à cause des animosités qui régnaient entre Napoléon et son ancien secrétaire. Les circonstances exigeaient une rapide exécution. Mais Napoléon était déjà à Lyon; le 30 mars, le nouveau préfet dut se retirer, il suivit la cour à Gand.
Bourrienne rend compte lui-même, dans ses Mémoires, de la manière dont il se conduisit pendant ce peu de temps.
«L’on pensera bien, dit-il, que, pendant les huit jours que j’y ai passés, je n’ai fait aucun usage de ces indignes moyens employés par ce qu’on appelle la police politique, c’est-à-dire l’espionnage, la délation et les provocations. Une discrétion dont je me fais un devoir me défend d’en donner des preuves. J’ai obtenu ce qu’il fallait obtenir sans mesure violente, sans secousse, sans vexations; j’ose affirmer que personne n’a eu à se plaindre de moi: les faits sont là. Si je faisais imprimer la liste des personnes que j’ai eu ordre de faire arrêter, celles d’entre elles que n’a pas moissonné la mort, seraient étonnées de n’avoir su que par le Moniteur que j’étais préfet de police. J’ai obtenu par la raison, par la persuasion et la douceur ce que je n’aurais pas eu par la violence.»
Il fait bon de se vanter soi-même, et dans ces cas-là, nul ne saurait trop se louer. Est-il vrai cependant que Bourrienne ait signé le 16 mars, comme on l’a écrit, l’ordre d’arrêter le duc d’Otrante, qui pourtant peu après fut appelé par Louis XVIII au ministère de la police? Cette action, si le bruit public est fondé, si Bourrienne n’eut pas la main forcé par des ordres supérieurs, contrasterait sûrement avec ce qu’il dit de sa douceur et de ses moyens de conciliation.
Les contemporains se souviennent aussi d’une mise à prix de la tête de Napoléon, dont les affiches se trouvèrent officiellement placardées jusque sur la colonnade du Louvre avec une profusion désespérée, qui souleva le mépris. On promettait avec impudeur un million à l’assassin. Machiavel eut conseillé d’en donner cinq et de ne pas s’y prendre par le moyen des petites affiches.
Pendant les cent-jours, ce fut Réal qui tint la préfecture de police. Nous avons dit qu’au retour de la seconde Restauration, le portefeuille de la police fut donné à Fouché, et Fouché est bien connu. M. Rivière maître des requêtes, eut la signature pour le préfet de police depuis le 2 juillet jusqu’au 8 inclusivement, jour où le roi fit son entrée à Paris; le lendemain M. Courtin fut installé dans cette administration. Il fut lui-même remplacé par M. Decazes le 10 Juillet 1815. De la préfecture de police, M. Decazes fut élevé au ministère de la police générale, qu’il fit rétablir à son intention spéciale, qu’il garda jusqu’en 1818, et dont il conserva encore les fonctions comme une dépendance du ministère de l’intérieur jusqu’en 1820. Favori de Louis XVIII, ce fut lui qui fut le ministre de la terreur blanche. C’est tout dire; les chapitres suivants contiendront de longs détails sur cette odieuse administration. Pendant le règne de Decazes, depuis le 20 septembre 1815 jusqu’au 20 décembre 1821, ce fut à Anglès qu’appartint la préfecture de police. M. Anglès qui avait eu de hautes fonctions sous Bonaparte, et avait même fait un passage, en 1809, à la direction de la police, encourut comme beaucoup d’autres, dans un laps de temps qui faisait ressortir le contraste, le blâme d’avoir mis à poursuivre comme bonapartistes, ceux qui n’étaient pas pour les Bourbons, la même ardeur qu’il avait déployée contre les royalistes; ce blâme dont nous ne le disculperons pas, appartient à tous ceux qui ont eu le courage ou la lâcheté de servir sous deux règnes successifs et opposés, après avoir prêté serment à l’un et à l’autre; adultères assez communs dans les mariages politiques. Zélés pour eux-mêmes, et clients de leur propre personnalité, ces hommes, restés fidèles à leurs propres intérêts, ont été traités par tous les partis de transfuges. On se trompe; l’égoïsme ne change pas de bannière en passant tour à tour à toutes. Nous ne faisons pas l’honneur à M. Anglès et à d’autres comme lui, de croire qu’ils se soient jamais dévoués à la fortune de Bonaparte, — pas plus qu’à celle des Bourbons — ou de Louis-Philippe.
Nous retrouvons la main d’Anglès dans tous les actes d’arbitraire, de provocation et de cruelle sévérité qui signalèrent la terreur blanche.
M. Anglès n’échappa pas plus du reste que M. Decazes aux attaques passionnées. Il fut aussi accusé d’incurie lors de l’assassinat du duc de Berry.
M. Anglès a la préfecture de police, disait-on; le palais et la personne du prince sont sous sa surveillance, sous sa responsabilité immédiate.
«M. Anglès dormait-il dans cette affreuse nuit où l’impitoyable poignard a frappé le cœur d’un de nos plus vaillants princes? Il était à un bal dans le faubourg Saint-Germain; ignorait-il que les jours du prince étaient menacés? Non; un chef des bureaux de la préfecture de police, en arrivant, avait communiqué au préfet les avis qui lui étaient parvenus sur la préméditation d’un crime aussi horrible. Ignorait-il que le petit-fils de Henri IV était à neuf heures du soir à l’Opéra avec son épouse? Non. Pourquoi ne s’est-il pas rendu dans cette salle pour vérifier si les agents étaient à leur poste! Il aurait vu qu’ils étaient dans les cafés, dans les tabagies .»
Ces bruits, ces accusations furent répétés longtemps encore après l’affreuse catastrophe par les adversaires du préfet de police, qu’un semblable évènement devait en effet irriter, niais moins que ces accusations fébriles. Il y avait répondu cependant, non par des écrits publics, mais par sa déposition à la chambre des pairs lorsque Louvel y fut traduit.
«Je dois, dit M. Anglès à la chambre des pairs, entrer dans quelques détails avant de faire ma déclaration.
» On a dit que le service de la police avait été négligé à l’Opéra dans la nuit du 13; qu’aucun agent de mon administration ne s’y est trouvé, et que le commissaire de police, à qui la surveillance de l’Opéra est plus particulièrement attribuée, n’y était arrivé que plus de deux heures après l’assassinat. Il est aisé de démontrer l’inexactitude et la fausseté de cette assertion.»
Après avoir exposé complétement les détails du service de la police qui eut lieu ce jour-là à l’Opéra, où il se trouvait, d’après lui, vingt hommes de la garde royale et quarante et un gendarmes ou employés de la préfecture de police, M. Anglès reprend ainsi sa déposition:
«Quand il y aurait eu un plus grand nombre d’agents de l’autorité civile et de la force publique employés à l’Opéra, aurait-il mis obstacle à l’exécution du crime de Louvel? Il est difficile de le penser lorsque l’on considère que l’exécrable assassin a choisi, pour frapper sa victime, le moment où elle était entourée de onze personnes, savoir: de cinq gardes royaux, de trois valets de pied, d’un gentilhomme d’honneur et de deux aides-de-camp; lorsqu’un homme a fait le sacrifice de sa vie, pour avoir celle d’un autre homme, il est bien rare, à moins de quelque circonstance due au hasard, qu’il n’accomplisse tôt ou tard son horrible dessein;»
La question une fois descendue sur ce terrain stérile, M. Anglès ne pouvait mieux se défendre, car, certes, il n’en savait pas davantage.
Indépendamment de ces accusations sur son manque de zèle et son dévouement insuffisant, M. Angles fut en butte à de rudes tracasseries de la part de l’avocat Robert. Cet avocat l’attaqua dans une Adresse aux chambres, sous prétexte que le préfet s’était démesurément enrichi dans sa place.
«M. Anglès, disait son censeur, s’est enrichi dans ses fonctions au point d’avoir acheté, dans le département de la Loire, la terre des anciens comtes de Forez, appelée le domaine de Cornillon, et de l’avoir payée 500,000 fr.; le château était gothique; le préfet a fait tracer un autre plan, et sur de telles proportions, qu’un prince ne pourrait mieux désirer. Vers le mois de janvier 1820, M. Anglès avait déjà fait compter à son intendant 200,000 fr. et plus pour acquitter une partie des dépenses.»
Cette accusation et plusieurs autres chicanes non moins désagréables contenues dans le pamphlet de Robert, obligèrent M. Anglès père, président d’âge de la chambre des députés, à prendre la plume; il atténua les faits allégués contre son fils, par des explications sur lesquelles on n’eut pas d’autres preuves que son assertion même, et qui ne parurent pas suffisamment péremptoires à tout le monde.
M. Anglès eut une lutte plus sérieuse avec M. Duplessis de Grénédan, membre de la chambre des députés. Ce député avait dit, dans la séance du 23 mai 1821, qu’il n’y avait pas de justice à donner 15,000 fr. de dotation à M. le comte Anglès, dont la brillante fortune et le magnifique château se sont élevés en si peu de temps.
M. Anglès écrivit à M. Grénédan pour se plaindre et demander la réparation d’une semblable personnalité. La querelle s’engagea vivement dans une correspondance publique, et fit craindre une affaire d’honneur, M. de Grénédan se trouvant traite de calomniateur par son adversaire. Mais les choses en restèrent à des injures réciproques peu édifiantes.
Bref, M. Anglès fut peu regretté lorsqu’il se retira de la préfecture en 1821. Il faut cependant lui savoir gré de quelques utiles institutions. Il créa le conseil de salubrité, fonda le dispensaire, nom sous lequel on désigne le régime sanitaire des filles publiques. Les abattoirs, idée neuve, qui conciliait à la fois les intérêts du commerce et la convenance publique, soumise en 1809 à Napoléon sur les plans et l’initiative de M. Bruneau, furent enfin mis en exécution sous M. Anglès et ouverts aux bouchers le 15 septembre 1818.
A la retraite de M. Decazes du ministère de l’intérieur, où il eut pour successeur le comte Siméon, on rétablit-la direction de la police générale du royaume, qui, depuis 1818, ne formait plus qu’une division du ministère de l’intérieur. Par ordonnance du 21 février 1820, M. le baron Mounier fut nommé à cette place. C’était le fils du célèbre député de la Constituante, et il avait servi l’empereur comme intendant du domaine de la couronne. M. Mounier suivit la ligne de M. Decazes, mais avec plus de bonheur et de ménagement, sans échapper complétement cependant aux plaintes et aux dénonciations des royalistes exagérés. Toute sa police fut presque renfermée dans des mesures de surveillance générale relative à ce qui se passait dans les sociétés et cabales des divers partis. Une ordonnance du mois de janvier 1822 ayant supprimé la préfecture de police, à l’époque où les royalistes purs, sous la direction de M. de Villèle, gouvernaient le conseil des ministres, M. Mounier rentra à la chambre des pairs, où l’avait appelé l’ordonnance du 5 mars 1819.
Les royalistes purs placèrent à la police M. Franchet; et ce fut la coterie jésuitique qui s’installa et s’incarna en lui dans la police. La conduite et l’administration de Franchet, étroitement confondues avec celles de M. Delaveau, son successeur, ont été l’objet de réclamations et de récriminations multipliées. Aucun écrivain n’a donné plus de faits à cet égard que l’ex-agent de police Froment, dans son ouvrage intitulé : la Police dévoilée depuis la Restauration, et notamment sous MM. Delaveau et Franchet. Ce sieur Froment avait été l’agent souvent immédiat des plus odieuses mesures et des plus criminelles provocations. Faisant bon marché de sa propre considération, que d’ailleurs il ne devait plus craindre de perdre, Froment, dans son livre, donne en homme de cœur, sinon en homme d’honneur, l’exposé des œuvres diaboliques de ces deux chefs de police. Parmi les causes qui ont amené le renvoi des Bourbons en 1830, on doit ranger en première ligne l’administration des Franchet et des Delaveau.
La beauté de la femme à Franchet avait ouvert au mari le cœur de Louis XVIII, où elle livrait bataille tantôt à madame Prinsteau, tantôt à madame du Cayla, tantôt encore à la belle artiste, devenue baronne de Mirbel. La femme à Franchet profita de la bienveillance de Sa Majesté pour étendre et affermir le crédit de son heureux époux; mais, dit Montaigne dans son langage pittoresque et profond, pour si haut que soit assis un roi sur un trône, il y est toujours sur son cul; Franchet tomba malgré son poids et ses appuis. Le ministère Martignac l’évinça en même temps que disparut, en 1828, le ministère Villèle.
La congrégation, certaine de trouver en M. Delaveau l’homme convenable à ses vues, le désigna impérieusement à M. de Villèle en 1821, pour la place importante de préfet de police à Paris. Ce furent les pères Loriquet et de Rauzin qui le présentèrent au député de Toulouse. Entré dans le sanctuaire impur de l’administration, M. Delaveau marcha de faute en faute, d’illégalités en illégalités. Il ploya sous un joug de fer tous ses subordonnés, et les contraignit à une abominable hypocrisie. Pourvu qu’ils s’acquittassent puérilement de leurs devoirs religieux, il s’inquiétait peu que leur conduite privée fût en rapport avec cette cagoterie. La préfecture de police présenta ainsi le plus affligeant spectacle, le plus odieux mélange d’ascétisme et de débauche. Et c’est ce qui arrivera infailliblement, tant qu’on voudra faire de la religion un moyen d’avancement, de crédit et de fortune.
M. Delaveau fut remplacé le 6 janvier 1828, par M. de Belleyme, à la préfecture de police, la direction de la police générale étant encore une fois supprimée. La faveur du moment accueillit le nouveau préfet de police. Des formes aimables, des manières conciliantes le firent aimer de ceux qui l’approchaient. M. de Belleyme se montra sage partisan de la monarchie. Sa tendance vers les idées libérales, si en désaccord avec la façon de penser de ses prédécesseurs, le rendit cher à la multitude. Il remplit effectivement une mission d’apaisement.
M. Mengin le remplaça le 8 août 1829. Ce fut un magistrat de police actif, livré à ses fonctions, laissant un peu de côté la politique, et s’occupant de la sûreté et de l’ordre publics plus que des innovations à introduire dans l’administration. La révolution de 1830 vint le forcer de quitter sa place et de se soustraire au ressentiment ou à la vengeance de la population déchaînée.