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LA THÉODICÉE DU CORAN

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Le Coran n'est pas un traité de philosophie, et Mahomet n'était pas proprement un philosophe. Mais Mahomet a, comme prophète, touché à des questions d'ordre philosophique; il leur a donné des solutions intuitives qu'il a exprimées dans une forme lyrique; et ces solutions, qui ont constitué la dogmatique musulmane, sont devenues des points fixes, dans la spéculation philosophique chez les Arabes. Le problème le plus général de la philosophie arabe n'a donc pas été de rechercher la vérité, puisque celle-ci était donnée en plusieurs de ses points essentiels; mais de soutenir cette vérité intuitivement posée par une construction analytique et rationnelle, et de substituer à son expression lyrique une expression conforme aux modes de la philosophie antique. C'est ce qu'on peut appeler le problème scolastique. Quelques esprits ont pu ensuite perdre de vue la fin de ce problème, s'intéresser plus à la philosophie qu'au dogme dont elle ne devait être que la forme, se servir même de la philosophie pour dénaturer le dogme; mais ce ne sont là que des mouvements secondaires dans l'histoire de la pensée arabe et le mouvement de recherche scolastique est le mouvement primaire. Il est donc important de rappeler d'abord le thème dogmatique à partir duquel s'est développé ce mouvement. C'est ce que nous ferons en exposant la théodicée du Coran.

L'intuition de Dieu chez Mahomet est tout d'abord celle de Dieu un et puissant. La notion de l'unité divine s'imposa au prophète lors de sa retraite au mont Hirah, par contraste avec les croyances des Arabes polythéistes; celle de la puissance divine grandit dans son esprit au fur et à mesure que se manifesta, puis que céda la résistance des Arabes incrédules.

L'unité de Dieu est affirmée sans preuve dans le texte du Coran, comme elle l'est dans la formule de foi musulmane: «Il n'y a de Dieu que Dieu.» Ce Dieu un est le Jéhovah biblique, le Dieu d'Abraham, l'apparition du buisson ardent: «(Sourate XX, v. 8-14 1). As-tu entendu raconter l'histoire de Moïse? Lorsqu'il aperçut un feu, il dit à sa famille: Restez ici, je viens d'apercevoir du feu... Et lorsqu'il s'en approcha, une voix lui cria: O Moïse! En vérité je suis ton seigneur. Ote tes souliers, tu es dans la vallée sainte de Touwa: Moi, je suis Dieu; il n'y a point d'autre Dieu que moi.» Mahomet retira à Dieu le pouvoir d'engendrer, condamnant du même coup les croyances chrétiennes trinitaires, et diverses croyances populaires telles que celles qui faisaient Esdras fils de Dieu ou qui tentaient de voir dans les anges des filles de Dieu. Dieu était donc posé par lui comme une personne une, distincte absolument du monde.

Note 1: (retour) Nous nous servons de la traduction du Coran, par Kasimirski. Mahomet, le Koran, Paris, Bibliothèque Charpentier, 1891.

Les passages relatifs à la puissance divine sont extrêmement nombreux dans le Coran et beaucoup plus développés que ceux relatifs à l'unité. Ils ont presque tous une valeur apologétique. Le Dieu musulman, comme le Dieu juif, se prouve par sa puissance; sa puissance elle-même se voit.

La puissance divine se manifeste de trois façons: dans la nature, dans l'histoire générale, par le miracle actuel. Ces trois modes de manifestation sont bibliques.

Le Dieu que Mahomet voit dans la nature est ce créateur et ce gouverneur du monde à qui il a suffi de dire dans la Genèse: «Que la lumière soit», pour que la lumière fût; celui devant qui, dit le psalmiste, la mer fuit et les collines bondissent, celui que bénissent les cieux et la terre, le soleil et les astres, les vents et les frimas, et que louent tous les êtres. Écoutez Mahomet: «N'as-tu pas considéré que tout ce qui est dans les cieux et sur la terre publie les louanges de Dieu, et les oiseaux aussi en étendant leurs ailes? Tout être sait la prière et le récit de ses louanges (XXIV, 41)»; et encore: «Certes, dit-il, dans la création des cieux et de la terre, dans la succession alternative des jours et des nuits, dans les vaisseaux qui voguent à travers la mer pour apporter aux hommes des choses utiles, dans cette eau que Dieu fait descendre du ciel et avec laquelle il rend la vie à la terre morte naguère, et où il a disséminé des animaux de toute espèce, dans les variations des vents et dans les nuages astreints au service entre le ciel et la terre, dans tout cela il y a certes des avertissements pour tous ceux qui ont de l'intelligence (II, 159).» Avertissement ici n'a d'autre sens que preuve ou argument de crédibilité. C'est ce qui appert d'un autre verset où Mahomet reconnaît l'origine biblique de sa démonstration: «Tels sont les arguments que nous fournîmes à Abraham contre son peuple.»

La preuve de la puissance de Dieu par l'histoire du peuple hébreu est abondamment fournie dans la Bible, où sans cesse résonne l'écho de la voix de Jéhovah criant: «Je suis celui qui ai tiré vos pères de la terre d'Égypte, qui ai ouvert la mer devant eux, qui les ai dirigés par la nuée, etc.» Mahomet reprend cette preuve, mais il y met moins de force et d'éloquence que dans la précédente; et comme d'ailleurs l'histoire seule du peuple hébreu n'était pas assez féconde en émotion pour des Arabes, il y ajoute des faits légendaires relatifs à l'histoire d'Arabie, par exemple la destruction par la colère divine d'anciennes générations corrompues, et quelques faits vrais et voisins du temps de l'islam, comme la rupture de la digue de Mareb 2. Ce dernier événement est petit comparé à l'exode ou à la captivité de Babylone; il a du moins cet intérêt qu'il témoigne de l'emploi des procédés apologétiques bibliques dans le Coran. L'on peut remarquer en outre que le prophète a choisi pour prouver Dieu ce qu'il y a de meilleur dans la nature et de plus terrible dans l'histoire.

Note 2: (retour) V. Maçoudi, les Prairies d'or, éd. et trad. Barbier de Meynard et Pavet de Courteille, III, 378 et suiv.

Quant à la preuve par le miracle, Mahomet a prétendu la fournir; on la lui demandait au reste. Mais on sait que, dénué du don des prodiges, il a cherché à faire passer le Coran lui-même pour un miracle. Ce qu'il est curieux de noter, c'est qu'il a eu conscience des conditions qui doivent rendre effective la preuve par le miracle, en demandant de la part de ceux qui en sont témoins les dispositions du cœur: «Ils ont juré devant Dieu... que s'il leur fait voir un miracle, ils y croiront. Dis:... lorsque le miracle éclatera, ils n'y croiront pas. Nous détournerons leurs cœurs et leurs yeux de la vérité, puisqu'ils n'ont pas cru la première fois, et nous les laisserons errer confus dans leur égarement (VI, 109-110).»

La science de Dieu apparaît dans le Coran comme une condition et presque comme une des faces de sa puissance. Le Coran, bien entendu, ne renferme pas de théorie de la connaissance ni chez l'homme ni chez Dieu. La science de Dieu y est simplement affirmée, et elle y est aussi absolue que sa puissance: «Il a les clefs des choses cachées, lui seul les connaît. Il sait ce qui est sur la terre et au fond des mers. Il ne tombe pas une feuille qu'il n'en ait connaissance. Il n'y a pas un seul grain dans les ténèbres de la terre, un brin vert ou desséché qui ne soit inscrit dans le Livre évident (VI, 59).» Les Musulmans pieux ont toujours eu le sentiment que l'homme ne devait pas chercher à pénétrer trop avant dans les secrets de Dieu et, comme l'auteur de l'Imitation, ils ont été bien près de regarder la curiosité scientifique comme sacrilège.

Pas plus que ses attributs, la nature et la vie intime de Dieu n'ont fait l'objet de la part de Mahomet d'une étude méthodique. Il n'en dit rien que d'intuitif. Mais du moins affirme-t-il nettement la spiritualité de Dieu, qu'il aperçoit dans son rapport avec l'unité, la puissance, la science, et en même temps que la majesté. Dieu est à ses yeux celui qui ne peut être atteint, et qui atteint tout, qui n'a aucune des infirmités du corps, dont la nature est supérieure à celle de l'homme et de toute chose, qui est si élevé au-dessus du monde qu'il ne peut pas même être vu. Ce n'est guère là que le type amplifié du potentat oriental, une image agrandie de cette reine de Saba qui reçoit derrière un voile, de cet empereur des îles lointaines sur le passage duquel les nuques se courbent et les fenêtres se ferment.

A cette notion de la majesté divine se rattache une question qui a été fort débattue dans la théologie musulmane, et qui fut célèbre aussi dans la scolastique chrétienne, celle de la vision de Dieu dans la vie béatifique. Il est remarquable combien, d'après le Coran, l'obtention de cette vision semble difficile. On s'en rend compte dans les chapitres qui contiennent des légendes bibliques: Dieu crie à Adam et ne se montre pas. Noë, seul sauvé du déluge, ne voit pas Dieu. Abraham, appelé l'Ami de Dieu, ne reçoit que ses anges. Moïse demande à voir Dieu sur la montagne; à peine l'a-t-il entrevu qu'il tombe évanoui, et, revenu à lui, il est pénétré de repentir. Mahomet lui-même, le sceau de la prophétie, ne voit que l'Esprit-Saint, l'Archange Gabriel. Dans les descriptions coraniques du Paradis, les élus jouissent de la vue de belles demeures, de jardins et d'esprits mâles ou femelles de diverses formes, mais il n'est pas dit qu'ils jouissent de celle de Dieu. Au jugement les hommes sont amenés en présence de Dieu, sans que l'on comprenne d'après le texte en quoi consiste cette présence ni de quelle façon elle est perçue.

Il y a dans le Coran quelques versets assez singuliers où Mahomet dit que Dieu est «lumière», et que la lumière des élus marchera à leur droite au jugement: «Dieu est la lumière des cieux et de la terre. Cette lumière est comme un foyer dans lequel se trouve un flambeau, un flambeau placé dans un cristal, cristal semblable à une étoile brillante; ce flambeau s'allume avec l'huile d'un arbre béni, d'un olivier qui n'est ni de l'Orient ni de l'Occident, et dont l'huile brille quand même le feu ne la touche pas (XXIV, 35).» Les commentateurs ne voient que des comparaisons dans ces images étranges 3. Nous nous demandons si ces expressions ne proviennent pas plutôt de quelque influence gnostique.

Note 3: (retour) V. le célèbre commentaire de Zamakhchari, intitulé Kacchaf, au verset indiqué.

L'éternité de Dieu est affirmée par le Coran, sans qu'il y soit spécialement insisté. Cette notion n'est d'ailleurs pas analysée, et Mahomet ne s'est pas préoccupé de rechercher ce que peut être l'existence de Dieu hors du monde et hors du temps.

L'idée de création n'est pas parfaitement précisée. Le texte du Coran, comme celui de la Bible, ne répugne pas à l'existence d'un chaos auquel s'appliquerait la création et dont l'origine serait indéfinie. Mahomet ne s'est pas complu à l'idée d'infinitude de temps. On est presque surpris du vague de ses paroles touchant la perpétuité des récompenses et des peines: «Les réprouvés seront précipités dans le feu... Ils y demeureront tant que dureront les cieux et la terre, à moins que Dieu ne le veuille autrement... Les bienheureux seront dans le paradis; ils y séjourneront tant que dureront les cieux et la terre, sauf si ton Seigneur ne veut ajouter quelque bienfait qui ne saurait discontinuer (XI, 108-110).» L'idée d'éternité se précisa plus tard chez les théologiens, sous l'influence de la philosophie. L'on voit que Mahomet la maniait imparfaitement; son éducation sur ce point n'était encore que biblique.

L'immutabilité de Dieu est corrélative de sa science et de son éternité. Mais Mahomet a surtout conçu Dieu immuable comme administrateur du monde: «C'est la coutume de Dieu, telle qu'il l'a pratiquée à l'égard des générations passées. Tu ne trouveras pas de variations dans les coutumes de Dieu (XLVIII, 23).» Il s'agit ici de l'immutabilité historique et morale; le prophète n'a pas eu souci de l'immutabilité métaphysique, et il ne s'est point demandé comment Dieu pouvait être actif tout en restant immuable.

Ayant conçu Dieu d'une façon moins métaphysique que morale, Mahomet a surtout été sensible à ses rapports avec l'homme. Il a clairement exprimé la notion de la Providence, et il a posé, non sans brutalité, le terrible problème de la prédestination.

La science, la sagesse et la puissance de Dieu s'étendent à l'avenir; les œuvres divines ont une fin. L'ensemble de la création a un but, qui est représenté simplement par ces mots: «Je n'ai créé les hommes et les génies qu'afin qu'ils m'adorent (LI, 56).» En outre, chaque détail de la nature est fait en vue de l'ensemble et est bon par rapport à son but. C'est toute une théorie de l'optimisme, dérivée sans effort de la notion de Dieu puissant, savant et bon: «Nous avons étendu la terre et nous y avons lancé des montagnes, et nous y avons fait éclore toutes choses dans une certaine proportion. Nous y avons mis des aliments pour vous et pour des êtres que vous ne nourrissez pas. Il n'y a pas de chose dont les trésors n'existent chez nous et nous ne les faisons descendre que dans une proportion déterminée (XV, 19-21).»

Mais Mahomet fut poussé par son génie propre et par la lutte à s'appesantir plutôt sur l'idée qui est en quelque sorte au revers de celle de la Providence: celle de la prédestination. Il y a insisté avec une volonté pesante et âpre. Néanmoins, si l'on parcourt d'un esprit calme et non prévenu les passages du Coran relatifs à la prédestination, on voit qu'ils ne sont pas aussi nettement fatalistes que beaucoup l'ont cru, et que tout en étant effrayants, ils ne sont nullement opposés à toute justice. Voici, je crois, l'idée qu'ils contiennent:

Dieu connaît tout d'avance, par conséquent les fautes et les châtiments qui les suivront, de même que les bonnes œuvres et leurs récompenses. Tout a été écrit d'avance dans un Livre gardé au ciel. Peu nous importe ici que ce livre ait un certain mode d'existence mystique ou qu'il ne soit qu'un symbole de la prescience de Dieu. En tout cas, il n'équivaut philosophiquement qu'à une affirmation de la prescience; mais une affirmation de la prescience n'est pas encore une négation de la liberté. «Aucune calamité ne frappe soit la terre, soit vos personnes qui n'ait été écrite dans le Livre avant que nous les ayons créées (LVII, 22).» Cela ne veut pas dire que ces calamités arrivent injustement. «Nous ressuscitons les morts et nous inscrivons leurs œuvres et leurs traces. Nous avons tout compté dans le prototype évident (XXXVI, 11).» Cela ne signifie pas que les œuvres des hommes sont déterminées. Il est fait ici allusion à deux livres: L'un le livre de la prescience, prototype ou plan de la vie du monde, qui est une sorte de budget. L'autre le livre de la science actuelle où sont inscrites les actions des hommes à mesure qu'ils les accomplissent, et qui sera ouvert au jugement; c'est un livre de comptes. Aucun de ces deux livres ne supprime encore la liberté.

Mais voici qui est plus effrayant: «Si nous avions voulu, dit Dieu, nous aurions donné à toute âme la direction de son chemin; mais ma parole immuable a été celle-ci: je remplirai la géhenne d'hommes et de génies ensemble (XXXII, 13);» et aussi cette affirmation prononcée plus d'une fois: «Dieu égare qui il veut, il dirige qui il veut (XXXV, 9).» Prises isolément, ces paroles semblent exprimer que Dieu veut à priori la perte d'un certain nombre d'êtres, et que cette perte est inévitable. Mais la lecture d'autres passages montre clairement que telle n'est pas la pensée de Mahomet: «Nous avons créé pour la géhenne, dit ailleurs Dieu, un grand nombre de génies et d'hommes qui ont des cœurs avec lesquels ils ne comprennent rien, qui ont des yeux avec lesquels ils ne voient rien, qui ont des oreilles avec lesquelles ils n'entendent rien... Tels sont les hommes qui ne prêtent aucune attention à nos signes (VII, 178).» Et aussi: «Dieu affermira les croyants... il égarera les méchants (XIV, 32).» Ces deux citations sont parallèles des deux précédentes; mais elles renferment un complément en plus, et cette nuance est capitale: ceux que Dieu a créés pour la géhenne ne sont plus des hommes quelconques, arbitrairement choisis, ce sont ceux qui refusent d'entendre la prédication du prophète; et ceux qu'il égare ce n'est pas n'importe lesquels d'entre les hommes; mais bien ce sont les méchants; de même ce sont les bons qu'il conduit. Il est donc déjà évident d'après ces seules citations que l'égarement et la géhenne ne sont que des châtiments, conséquence d'une faute antérieure, laquelle sans aucun doute a été commise librement.

Les autres passages du Coran, ayant trait à la même question, et ils sont nombreux, viennent tous à l'appui de cette manière de voir; nous croyons celle-ci originale, et il nous semble que cette interprétation, insuffisamment aperçue jusqu'ici, peut fort bien servir à clore la longue dispute sur le fatalisme du Coran. Le Coran n'est pas fataliste. Il n'y est pas dit que Dieu décrète à priori le mal ni la perdition pour personne. La thèse que l'on a voulu entendre de la sorte est en réalité que Dieu, après un premier péché, surtout après le premier péché contre la foi, égare, aveugle, endurcit de plus en plus le coupable, en sorte qu'il marche, comme forcé, à sa perdition. Mais l'incrédulité première reste libre. Cette doctrine n'est d'ailleurs pas autre chose que l'expression de l'impatience causée au prophète par la longue résistance qui fut opposée à sa prédication. Des hommes qui l'avaient entendu maintes fois et qui avaient été témoins de tous ses signes, s'ils ne se rendaient pas enfin, étaient vraiment des hommes dont la raison avait été perdue par quelque force étrangère, des hommes devenus des brutes,--le mot est de Mahomet,--assourdis, aveuglés,--les termes sont de lui,--déjà la proie du châtiment divin. De leur vivant la géhenne envahissait leur âme; et s'ils étaient ainsi frappés, c'est qu'au temps où ils étaient libres de leur choix et maîtres de leur raison, ils avaient refusé de croire.

Les versets les plus nets en ce sens sont celui-ci:

«Sourds, muets et aveugles, ils ne peuvent plus revenir sur leurs pas (II, 17),» et cet autre déjà cité: «Nous détournerons leurs cœurs et leurs yeux de la vérité, puisqu'ils n'ont pas cru la première fois, et nous les laisserons errer confus dans leur égarement.»

Il sera utile d'ajouter à cet exposé de la théodicée de Mahomet quelques mots relatifs à sa théorie de la révélation et à sa théorie des anges.

Le dieu du Coran étant fort difficilement accessible à l'homme, la révélation est, par ce fait, rendue nécessaire: «Il n'est point donné à l'homme que Dieu lui adresse la parole; s'il le fait, c'est par la révélation ou à travers un voile (XLII, 50).» Ce dur verset a reçu dans la suite bien des démentis pratiques de la part des mystiques de l'islam.

La révélation elle-même est conçue par Mahomet d'une manière analogue à celle dont il a conçu l'administration du monde. L'idée s'en rattache à celle de Dieu potentat. La révélation est un message de Dieu. Il y a un prototype du livre révélé, une espèce de Coran céleste, gardé auprès de Dieu. Un ange lit dans ce livre et vient communiquer ce qu'il a lu au prophète. C'est là un mécanisme très simple et pour ainsi dire tout externe. Nous sommes loin ici des ardeurs et de la passion du prophétisme biblique. La notion s'en est restreinte et desséchée.

Mahomet a admis la progression prophétique. «A chaque époque, son livre sacré,» a-t-il dit (XIII, 39). Ces livres ne se contredisent pas mais s'expliquent et se complètent. Cette idée qui est belle en elle-même et assez séduisante, fut nuisible à l'islam. Beaucoup de sectes s'en servirent pour ajouter au Coran de nouvelles révélations qui, sous couleur de l'expliquer, le détruisaient.

Le Coran conserve à Jésus son titre de Verbe; mais ce mot n'a plus aucun sens précis dans l'idée coranique de la révélation.

La théorie des anges doit être mentionnée uniquement pour rappeler qu'elle ne concède rien aux théories gnostiques de l'émanation. L'esprit de Mahomet fut très ferme sur le point fondamental de l'unité divine; et il ne se laissa surprendre par aucun côté. Les anges qu'il admit concurremment avec les génies, sont créés et aussi distincts de Dieu que le sont les hommes. Ils ont des fonctions auprès de Dieu; ils président aux grands mouvements de la nature; ils servent de messagers entre Dieu et l'homme. Mahomet connut la notion de sphère céleste, mais il n'eut conscience de celle de l'intelligence des sphères, qu'autant qu'il était nécessaire pour interdire l'adoration des astres. Il admit certains pouvoirs magiques, qu'il condamna sans s'occuper de les expliquer.

Mahomet philosophe peut en définitive être jugé comme un esprit modéré et sage, net et pratique, beaucoup plus moral que métaphysique. Il créa une théodicée noble et ferme, imitée de la théodicée biblique. Il fut préservé par son bon sens de divers excès où des théologiens ultérieurs entraînèrent sa doctrine, et son ignorance relative ne lui permit pas de pressentir aucune des difficultés que la spéculation philosophique devait après lui soulever dans l'islam.

Avicenne

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