Читать книгу Mémoires du maréchal Berthier … Campagne d'Égypte, première partie - Berthier Louis-Alexandre - Страница 2
NOTICE SUR LE PRINCE BERTHIER
ОглавлениеBerthier (Louis-Alexandre), prince de Neuchâtel et de Wagram, major-général, vice-connétable, etc., naquit à Versailles le 20 novembre 1753. Destiné de bonne heure à la carrière des armes, il s'appliqua avec soin aux études que cette profession exige, et montra dès l'âge le plus tendre toutes les qualités qui l'ont distingué depuis. Il saisissait au premier coup d'œil, il était toujours frais, dispos, semblait inépuisable au travail. Cette promptitude de conception, cette force de tempérament si précieuse à la guerre, lui valurent bientôt une considération que son modeste rang d'ingénieur-géographe comportait peu. Estimé, recherché par ses chefs, il fut fait lieutenant d'état-major, en 1770, et obtint peu de temps après une compagnie aux dragons de Lorraine. La guerre venait d'éclater en Amérique; les colonies anglaises, d'abord victorieuses, étaient près de succomber sous les efforts des Hessois. La cause de la liberté semblait perdue, la métropole triomphait sur tous les points. Mais le cri de détresse de tout une population, qui périssait pour avoir généreusement réclamé ses droits, avait retenti d'un bout de la France à l'autre. De toutes parts on s'empressait d'accourir au secours; Berthier fit partie de cette noble croisade. Il passa sur l'Ohio, se distingua dans une foule de rencontres, et contribua par ses connaissances, sa bravoure, aux succès qui couronnèrent les efforts des Américains. Nommé colonel au milieu de cette lutte mémorable, et rappelé en France dès qu'elle fut finie, il y retrouva tous les principes pour lesquels il avait combattu. C'était même horreur du privilége, même amour de l'égalité. Personne ne voulait plus être à la merci du pouvoir, chacun réclamait des droits, un état de choses assuré, défini, qui eût ses garanties. La cour alarmée chercha à comprimer ces prétentions. Elle fit avancer des troupes; on lui opposa une institution plus redoutable pour le despotisme que les réclamations qu'il repoussait, celle des gardes nationales. Berthier, dont les principes n'étaient pas douteux, réunit les suffrages de ses concitoyens, et fut fait major-général du corps qu'ils avaient formé. Cette nomination ne tarda pas à lui devenir fatale. Chef d'une milice citoyenne destinée à servir la liberté, il ne voulut pas qu'elle devînt un instrument de troubles et d'oppression. Ses sous-ordres, moins modérés, moins calmes, s'emportaient à la moindre répugnance, s'impatientaient du plus léger retard. Les regrets les mettaient en fureur, ils bondissaient de colère à la plus faible hésitation. Ils ne concevaient ni la puissance des habitudes ni celle des souvenirs; ils voulaient tout enlever de haute lutte. Lecointre demandait qu'on rassemblât les gardes-du-corps, qu'on leur fît prêter le serment décrété par l'Assemblée Nationale, et qu'on les obligeât d'arborer le drapeau tricolore. Un autre s'opposait au départ de Mesdames; la multitude était en mouvement, tout présageait les plus grands excès. Berthier ne craignit pas de combattre ces mesures violentes; il s'éleva contre la motion de Lecointre, fit voir qu'elle n'était propre qu'à exaspérer des hommes dont la révolution avait déjà ruiné les espérances, à allumer la guerre civile, et réussit à la faire ajourner. Il ne fut pas moins heureux avec la foule qui se pressait autour du château. Il la harangua, lui représenta l'illégalité de sa démarche, et, moitié crainte, moitié persuasion, parvint à la dissiper. Ces actes de courage et de modération furent appréciés. Ceux dont ils contrariaient les vues, sentirent quels obstacles leur opposerait un homme qui avait assez d'indépendance pour ne craindre de se compromettre ni avec son état-major, ni avec la multitude, et résolurent de l'éloigner. Tout fut disposé dans ce but; on attaqua ses principes, on accusa ses liaisons; il n'y eut pas de dégoûts, de contrariétés, qu'on ne lui donnât. Sa constance était au-dessus de ces manœuvres; on eut recours à une sorte de dénonciation qui, à cette époque, manquait rarement son effet. On fit insérer dans le Moniteur que le commandant de la garde nationale de Versailles s'était démis de ses fonctions. Berthier ne se dissimula pas combien cette manière de le signaler comme un ennemi du peuple pouvait devenir dangereuse; mais plus elle était grave, plus il mit de force à la repousser: il ne se borna pas à déclarer à ses concitoyens que le fait était faux; il voulut que le démenti fût aussi public que l'avait été l'imputation. Il exigea que le journal qui l'avait répandue, consignât dans ses colonnes la résolution qu'il avait prise de ne pas quitter le poste qui lui était confié. Il tint parole jusqu'au 22 mai de l'année suivante (1792), qu'il fut fait général de brigade, et nommé chef d'état-major de l'armée que commandait Luckner. Il se rendit à ses fonctions: mais les intrigues qui l'avaient désolé à Versailles le suivirent au quartier-général. Il n'était pas installé que déjà il était signalé comme un homme suspect, dangereux, dont les vues étaient loin d'être patriotiques. Le maréchal prit sa défense, et adressa à l'Assemblée Législative une lettre énergique où il le vengea de toutes ces lâches accusations. Mais le coup était porté, Berthier fut suspendu. Custine essaya de le faire rappeler à ses fonctions; et s'appuyant d'une part sur son habileté, de l'autre sur les besoins du service, il adressa à Pache la lettre qui suit. Je la reproduis parce qu'elle constate la confiance qu'inspirait déjà celui qui en était l'objet, et qu'elle répond à d'obscures calomnies qui ont été essayées plus tard.
À Usnigen, le 14 octobre 1792.
Le général Custine à Pache, ministre de la guerre
«Citoyen Ministre,
«Vous aurez vu par l'état des officiers-généraux de cette armée, combien il y en a pénurie; il n'y a pas plus d'adjudans-généraux que d'officiers-généraux, et j'ai devant moi l'armée de l'Europe où il y a le plus d'officiers-généraux distingués; elle est en totalité devant moi l'armée prussienne, commandée par le Roi, le duc de Brunswick, les fils du Roi! Et au milieu du travail auquel il faut que je me livre pour tenir la campagne devant cette armée avec douze mille hommes, seule force que j'aie pu réunir, il faut que ce soit moi qui m'occupe des moindres détails. Vous connaissez cependant la grande tâche que je me suis donné à remplir.
«Je ne sais si Alexandre Berthier a commis un crime, s'il a tramé contre sa patrie; alors je le renonce; mais s'il n'a été que soupçonné à raison de l'attachement que devaient lui donner pour le ci-devant Roi les marques de bonté qu'il en avait reçues, en vérité, je crois qu'il est non seulement de votre pouvoir, mais du devoir du conseil exécutif provisoire de rendre à des fonctions militaires un homme qui peut être très utile.
«Je puis en parler avec plus de connaissance que qui que ce soit, car c'est moi qui l'ai formé en Amérique. C'est moi qui, à la paix, ai achevé son éducation militaire dans un voyage en Prusse où je l'avais emmené. Enfin, je ne connais personne qui ait plus d'aisance et de coup d'œil pour la reconnaissance d'un pays, qui s'en acquitte avec plus de sévérité, à qui tous les détails soient plus familiers qu'à lui. J'apprendrai peut-être à connaître quelqu'un qui puisse le remplacer, mais je ne le connais pas encore.
«Au nom de la république, et pour mon soulagement, envoyez-le-moi, citoyen ministre, s'il est possible, à moins que le conseil exécutif provisoire n'ait envie de se défaire de moi. Il aurait d'autant plus de torts que personne ne rend plus de justice que moi à ceux qui le composent, et nommément à vous, citoyen ministre.
«Le citoyen général d'armée,
«Custine.»
Quelque pressante qu'elle fût, cette recommandation ne produisit aucun effet. L'homme du moment, la créature de Pache, Custine ne put, malgré ses instances, triompher des préventions que Lecointre et ses amis avaient répandues dans les bureaux. Ce ne fut que l'année suivante, et sur la réquisition du comité de salut public, que Berthier fut remis en activité. Il fut envoyé à l'armée de l'Ouest, essaya d'introduire quelque ordre, quelque organisation parmi les troupes dont elle se composait, et encourut par ses efforts la disgrâce de Ronsin. Cet homme, qui félicitait son ami Vincent d'avoir fait périr Custine, s'applaudissait d'avoir contribué à la chute de Biron. Il voulait achever sur Beauharnais, sur tous les nobles, une proscription salutaire, et chargeant méchamment Berthier de tous les crimes qui conduisaient alors à l'échafaud, il le rangeait, pour dernier trait, dans cette périlleuse catégorie.
L'armée postée sur les hauteurs de Vihier, n'avait pas attendu le choc de l'ennemi. Elle s'était mise en déroute en menaçant ses chefs; elle avait refusé de prendre position à Doué, avait marché sur Saumur, et s'était portée à tout ce que le pillage, l'indiscipline, ont de plus odieux. Les représentans, alarmés d'une démoralisation semblable, chargèrent une députation de se rendre auprès du comité de salut public, de lui faire connaître le véritable état des choses, et de demander qu'on leur envoyât, non des désorganisateurs ramassés dans les rues de Paris, mais des soldats rompus à la guerre et à ses fatigues. Berthier, qui en faisait partie, rédigea un mémoire où, exposant sans détour les causes des revers qui signalaient les guerres de l'Ouest, il se plaignit de la composition des troupes, de l'ignorance, de l'insubordination qu'elles présentaient, et ne ménagea pas davantage le système qui présidait à cette lutte d'extermination. Le courage avec lequel il avait abordé la question lui attira des représailles d'autant plus vives. On ne l'accusa pas d'avoir exagéré, d'avoir dit faux, on eut recours à une imputation plus grave. On répandit qu'il était noble, allié de l'intendant de Paris, parent du secrétaire du Roi, qu'il avait, en un mot, pris part à tous les complots que la cour avait ourdis contre le peuple. Cette manœuvre réussit, Berthier perdit ses lettres de service, et fut sur le point de succomber sous les griefs qu'on lui imputait. Il ne se déconcerta pas néanmoins; il n'est jamais sûr de fléchir, il l'est souvent de faire tête à l'orage. Ce fut le parti auquel il s'arrêta. Il rédigea une espèce de réponse aux principaux chefs d'accusation, où forcé d'emprunter le langage de l'époque: «J'ai été, dit-il, employé à l'armée de la Vendée, en conséquence d'un arrêté du comité de salut public; j'ai fait mon devoir.
«On m'inculpe sur mon nom; je ne suis l'allié ni le parent de Berthier, intendant de Paris, ni de Berthier secrétaire du Roi.
«On dit que j'étais au château des Tuileries, le 10 août.
«On en a menti; j'étais à Fontoy, près Thionville, et j'ai des certificats de bravoure, de capacité, et d'un civisme de républicain dont je me fais gloire, car je méprise la calomnie; mon cœur est mon garant, et il est pur.
«Les représentans du peuple près l'armée de la Vendée, les commissaires du pouvoir exécutif, ont tous donné des preuves authentiques de la conduite républicaine que j'ai tenue à l'armée.
«Eh bien, citoyens! c'est au moment où j'ai mérité la confiance de vos représentans, celle de l'armée, des commissaires du conseil exécutif; c'est au moment où j'ai acquis les connaissances utiles à la guerre de la Vendée que l'on m'empêche de rejoindre l'armée.
«Je demande à être accusé et jugé, ou libre et sous la protection de la loi. Je dois retourner à mon poste ou à tel autre que l'on jugera plus utile.»
La réclamation fut inutile et ne put le rendre à des fonctions dont le repoussait Ronsin; mais elle eut du moins cet avantage qu'elle imposa silence à ses ennemis et fit cesser la persécution. Les démagogues disparurent peu à peu. Robespierre succomba; Ronsin, Momoro, Vincent, ne tardèrent pas à le suivre; les hommes modérés purent de nouveau prendre part aux affaires dont ils les avaient exclus. Berthier, qu'ils avaient si cruellement persécuté, fut nommé général de division le 13 juin 1795, et chef d'état-major des armées des Alpes et d'Italie. Il fit, en cette qualité, la campagne de l'an III, où Kellermann, aux prises avec tous les besoins, tous les dangers, triompha cependant avec une poignée de braves, et sauva la France d'une invasion. Berthier partagea ses sollicitudes, coopéra à ses travaux, dirigea ses reconnaissances, choisit, discuta ses lignes, prit en un mot, à la plus belle défense qu'on ait peut-être jamais faite, toute la part qu'un homme d'un coup d'œil aussi rapide et d'un patriotisme aussi sûr pouvait y prendre. Aussi Kellermann se plut-il souvent à payer à son chef d'état-major le tribut d'éloges que méritaient son habileté, sa bravoure. Il aimait surtout à rappeler l'héroïsme dont il avait fait preuve à la prise du Petit-Gibraltar. Mais une carrière plus vaste allait s'ouvrir, des succès plus éclatans devaient couronner nos armes, et entourer Berthier d'un lustre que ne pouvaient donner des rencontres de postes, une guerre de montagnes.
Chargé près du général Bonaparte des fonctions qu'il remplissait sous Kellermann, il franchit les Alpes avec son nouveau chef, prépara, disposa la victoire, et vit bientôt l'Italie, devant laquelle nous nous consumions depuis quatre ans, céder à ses efforts. Il se distingua par l'activité, la vigilance qu'il déploya à Montenotte, fit preuve d'audace à Mondovi, et accourant de Fombio à la nouvelle du désordre que la mort du général Laharpe avait répandu parmi ses troupes, il forme, rassure la division, marche aux Autrichiens, les culbute, et entre avec eux dans Casal.
L'armée se porta sur Lodi; mais Beaulieu était en bataille derrière l'Adda, trente pièces de position défendaient les approches du fleuve; il fallait emporter un pont étroit, prolongé, que les Autrichiens couvraient de feu et de mitraille. Nos colonnes néanmoins ne se laissent pas arrêter par les difficultés de l'entreprise; elles s'élancent, culbutent tout ce qu'elles trouvent sur leur passage, et arrivent à l'entrée de ce long espace sur lequel éclatent, se pressent les projectiles. La grandeur du péril leur impose; elles balancent, elles hésitent, elles peuvent céder à l'effroi; Berthier accourt réveiller leur courage. Masséna arrive sur ses pas; Cervoni, Dallemagne, Lannes, Dupas, se joignent à eux, les troupes s'ébranlent et le pont est emporté.
L'intrépidité dont le chef d'état-major avait fait preuve dans cette occasion difficile, lui valut les éloges de l'armée et ceux de son chef, qui manda au Directoire qu'il avait été dans cette journée canonnier, cavalier, grenadier. Ses services habituels, quoique moins éclatans, étaient peut-être plus méritoires encore. Chargé de transmettre les ordres, de surveiller des détails immenses, de suivre une correspondance étendue, il fallait encore qu'il ajoutât à ces fonctions déjà si vastes, celles des officiers qui lui manquaient. Dépourvu d'ingénieurs-géographes, privé d'hommes capables de faire un croquis, de lever un terrain, il était obligé de diriger lui-même les reconnaissances, d'explorer de sa personne le pays où l'on devait en venir aux mains. Cette tâche à laquelle tout autre eût succombé, ne fut qu'un jeu pour lui. Ordres de mouvemens, instructions, rapports, il trouva le moyen de faire face à tout. Ses soins et la victoire réorganisèrent peu à peu les services. Les hommes capables accoururent, les armes savantes furent mieux conduites, l'armée put se livrer à son élan, et l'ennemi, défait toutes les fois qu'il osa nous attendre, fut enfin obligé de souscrire à la paix. Chargé d'en présenter les conditions au Directoire, Berthier reçut dans cette occasion solennelle un hommage auquel il dut être sensible. «Le général Berthier, portait la lettre d'envoi qu'écrivit Bonaparte, le général Berthier, dont les talens distingués égalent le courage et le patriotisme, est une des colonnes de la république comme un des plus zélés défenseurs de la liberté. Il n'est pas une victoire de l'armée d'Italie à laquelle il n'ait contribué. Je ne craindrais pas que l'amitié me rendît partial en retraçant les services que ce brave général a rendus à la patrie, mais l'histoire prendra ce soin, et l'opinion de toute l'armée fondera ce témoignage de l'histoire.»
Berthier ne tarda pas à repasser les monts, et fut chargé du commandement de l'armée qu'abandonnait Bonaparte pour se rendre à Rastadt. Il s'appliqua à maintenir les relations d'amitié qui existaient entre les républiques que le traité de Campo-Formio avait créées et les anciens états de la Péninsule. Ses efforts ne furent pas heureux, le gouvernement papal répudia la modération dont il lui donnait l'exemple, et Duphot fut massacré. Chargé de venger cet attentat, Berthier marcha sur Rome, l'occupa, revint à Milan, d'où il se rendit à Paris, et partit bientôt après pour l'Égypte. Nous reproduisons le récit qu'il a donné de cette expédition.