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MÉMOIRES DU MARÉCHAL BERTHIER, SUR LES CAMPAGNES DES FRANÇAIS EN ÉGYPTE
EXPÉDITION D'ÉGYPTE

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DÉBARQUEMENT DES FRANÇAIS EN ÉGYPTE. – PRISE D'ALEXANDRIE

Huit jours avaient suffi à Bonaparte pour prendre possession de l'île de Malte, y organiser un gouvernement provisoire, se ravitailler, faire de l'eau, et régler toutes les dispositions militaires et administratives. Il avait paru devant cette île le 22 prairial; il la quitta le 1er messidor, après en avoir laissé le commandement au général Vaubois.

Les vents de nord-ouest soufflaient grand frais. Le 7 messidor, la flotte est à la vue de l'île de Candie; le 11, elle est sur les côtes d'Afrique; le 12 au matin, elle découvre la tour des Arabes; le soir, elle est devant Alexandrie.

Bonaparte fait donner l'ordre de communiquer avec cette ville, pour y prendre le consul français, et avoir des renseignemens, tant sur les Anglais que sur la situation de l'Égypte.

Le consul arrive le 13 à bord de l'amiral; il annonce que la vue de l'escadre française a occasionné dans la ville un mouvement contre les chrétiens, et qu'il a couru lui-même de grands dangers pour s'embarquer. Il ajoute que quatorze vaisseaux anglais ont paru le 10 messidor à une lieue d'Alexandrie, et que l'amiral Nelson, après avoir envoyé demander au consul anglais des nouvelles de la flotte française, a dirigé sa route vers le nord-est. Il assure enfin que la ville et les forts d'Alexandrie sont disposés à se défendre contre ceux qui tenteraient un débarquement, de quelque nation qu'ils fussent.

Tout devait faire craindre que l'escadre anglaise, paraissant d'un moment à l'autre, ne vînt attaquer la flotte et le convoi dans une position défavorable. Il n'y avait pas un instant à perdre; le général en chef donna donc, le soir même, l'ordre du débarquement; il en avait décidé le point au Marabou; il avait même ordonné de faire mouiller l'armée navale aussi près de ce point qu'il serait possible; mais deux vaisseaux de guerre, en l'abordant, tombent sur le vaisseau amiral, et cet accident oblige de mouiller à l'endroit même où il est arrivé. La distance de l'endroit du mouillage; éloigné de trois lieues de la terre; le vent du nord qui soufflait avec violence; une mer agitée qui se brisait contre les récifs dont cette côte est bordée; tout rendait le débarquement aussi difficile que périlleux; mais ces dangers, cette contrariété des élémens ne peuvent arrêter des braves, impatiens de prévenir les dispositions hostiles des habitans du pays.

Bonaparte veut être à la tête du débarquement; il monte une galère, et bientôt il est suivi d'une foule de canots sur lesquels les généraux Bon et Kléber avaient reçu l'ordre de faire embarquer une partie de leurs divisions qui se trouvaient à bord des vaisseaux de guerre.

Les généraux Desaix, Regnier et Menou, dont les divisions étaient sur les bâtimens du convoi, reçoivent l'ordre d'effectuer leur débarquement sur trois colonnes, vers le Marabou.

La mer en un instant est couverte de canots qui luttent contre l'impétuosité et la fureur des vagues.

La galère que montait Bonaparte s'était approchée le plus près du banc des récifs, où l'on trouve la passe qui conduit à l'anse du Marabou. Là, il attend les chaloupes sur lesquelles étaient les troupes qui avaient eu ordre de se réunir à lui; mais elles ne parviennent à ce point qu'après le coucher du soleil, et ne peuvent traverser le banc de récifs que pendant la nuit. Enfin, à une heure du matin, le général en chef débarque à la tête des premières troupes, qui se forment successivement dans le désert, à trois lieues d'Alexandrie.

Bonaparte envoie des éclaireurs en avant, et passe en revue les troupes débarquées. Elles se composaient d'environ mille hommes de la division Kléber, dix-huit cents de la division Menou, et quinze cents de celle du général Bon. La position des vaisseaux et la côte du Marabou n'avaient permis de débarquer ni chevaux, ni canons; les généraux Desaix et Regnier n'avaient encore pu gagner la terre, par les difficultés qu'ils avaient éprouvées dans leur navigation; mais Bonaparte sait qu'il commande à des hommes qui ne comptent pas leurs ennemis. Il fallut profiter de la nuit pour se porter sur Alexandrie; et à deux heures et demie du matin il se met en marche sur trois colonnes.

Au moment du départ, on voit arriver quelques chaloupes de la division Regnier. Ce général reçoit l'ordre de prendre position pour garder le point du débarquement: le général Desaix avait reçu celui de suivre le mouvement de l'armée aussitôt que sa division aurait débarqué.

L'ordre est donné aux bâtimens de transport d'appareiller et de venir mouiller dans le port du Marabou, pour faciliter le débarquement du reste des troupes, et amener à terre deux pièces de campagne, avec les chevaux qui doivent les traîner.

Bonaparte marchait à pied avec l'avant-garde, accompagné de son état-major et des généraux. Il avait recommandé au général Caffarelli, qui avait une jambe de bois, d'attendre qu'on eût pu débarquer un cheval; mais le général qui ne veut pas qu'on le devance au poste d'honneur, est sourd à toutes les instances, et brave les fatigues d'une marche pénible.

La même ardeur, le même enthousiasme règnent dans toute l'armée. Le général Bon commandait la colonne de droite, le général Kléber celle du centre; celle de gauche était sous les ordres du général Menou qui côtoyait la mer. Une demi-heure avant le jour, un des avant-postes est attaqué par quelques Arabes qui tuent un officier. Ils s'approchent: une fusillade s'engage entre eux et les tirailleurs de l'armée. À une demi-lieue d'Alexandrie, leur troupe se réunit au nombre de trois cents cavaliers environ; mais à l'approche des Français, ils abandonnent les hauteurs qui dominent la ville et s'enfoncent dans le désert.

Bonaparte se voyant près de l'enceinte de la vieille ville des Arabes, donne l'ordre à chaque colonne de s'arrêter à la portée du canon. Désirant prévenir l'effusion du sang, il se dispose à parlementer; mais des hurlemens effroyables d'hommes, de femmes et d'enfans, et une canonnade qui démasque quelques pièces, font connaître les intentions de l'ennemi.

Réduit à la nécessité de vaincre, Bonaparte fait battre la charge. Les hurlemens redoublent avec une nouvelle fureur. Les Français s'avancent vers l'enceinte qu'ils se disposent à escalader, malgré le feu des assiégés et une grêle de pierres qu'on fait pleuvoir sur eux; généraux et soldats escaladent les murs avec la même intrépidité.

Le général Kléber est atteint d'une balle à la tête; le général Menou est renversé du haut des murailles qu'il avait gravies et est couvert de contusions. Le soldat rivalise avec les chefs. Un guide nommé Joseph Cala devance les grenadiers, et monte un des premiers sur le mur, où, malgré le feu de l'ennemi et les nuées de pierres qui fondent sur lui, il aide les grenadiers Sabathier et Labruyère à escalader le rempart. Les murs sont bientôt couverts de Français, les assiégés fuient dans la ville; la terreur devient générale. Cependant ceux qui sont dans les vieilles tours continuent leur feu et refusent obstinément de se rendre.

D'après les ordres de Bonaparte, les troupes ne doivent point entrer dans la ville, mais se former sur les hauteurs du port qui la dominent. Le général en chef se rend sur ces monticules, dans l'intention de déterminer la ville à capituler; mais le soldat furieux de la résistance de l'ennemi, s'était laissé entraîner par son ardeur. Déjà une grande partie se trouvait engagée dans les rues de la ville, où il s'établissait une fusillade meurtrière: Bonaparte fait battre à l'instant la générale. Il mande vers lui le capitaine d'une caravelle turque qui était dans le port Vieux; il le charge de porter aux habitans d'Alexandrie des paroles de paix, de les rassurer sur les intentions de la république française, de leur annoncer que leurs propriétés, leur liberté, leur religion seront respectées; que la France, jalouse de conserver leur amitié et celle de la Porte, ne prétend diriger ses forces que contre les mameloucks. Ce capitaine, suivi de quelques officiers français, se rend dans la ville, et engage les habitants à se rendre, pour éviter le pillage et la mort.

Bientôt les imans, les cheiks, les chérifs viennent se présenter à Bonaparte, qui leur renouvelle l'assurance des dispositions amicales et pacifiques de la république française. Ils se retirent pleins de confiance dans ces dispositions; les forts du Phare sont remis aux Français qui prennent en même temps possession de la ville et des deux ports.

Bonaparte ordonne que les prières et cérémonies religieuses continuent d'avoir lieu comme avant l'arrivée des Français, que chacun retourne à ses travaux et à ses habitudes. L'ordre et la sécurité commencent à renaître.

Les Arabes qui avaient attaqué le matin l'avant-garde de l'armée, envoient eux-mêmes des députés qui ramènent quelques Français tombés en leurs mains. Ils déclarent que, puisque les Français ne viennent combattre que les mameloucks, et ne veulent pas faire la guerre aux Arabes, ni enlever leurs femmes, ni renverser la religion de Mahomet, ils ne peuvent être leurs ennemis. Bonaparte mange avec eux le pain, gage de la foi des traités, et leur fait des présents. Ils acceptent ces dons qui étaient l'objet de leur visite; ils font éclater les démonstrations de leur reconnaissance, ils jurent fidélité à l'alliance… et retournent piller les Français qu'ils rencontrent. Tel est l'Arabe.

Cette journée mémorable, qui assurait aux Français la principale entrée de l'Égypte, a coûté la vie au chef de brigade de la 3e, le citoyen Massé, et à cinq officiers de différentes divisions.

L'adjudant-général Escale a eu le bras cassé; vingt soldats se sont noyés dans le débarquement, soixante ont été blessés et quinze tués à l'attaque de la ville.

L'amiral Brueix, le citoyen Gantheaume, chef de l'état-major de l'armée navale, tous les officiers de marine ont secondé les efforts de l'armée de terre avec un dévouement qu'on ne saurait trop louer: on leur doit une partie des succès qu'on a obtenus.

Mais pour assurer ces avantages, il fallait profiter de la terreur qu'inspirait l'armée française, et marcher contre les mameloucks, avant qu'ils eussent le temps de disposer un plan de défense ou d'attaque.

C'est dans ces vues que le général en chef donna l'ordre au général Desaix, qui venait d'arriver avec sa division et les deux pièces qu'on avait débarquées, de se porter sans délai dans le désert sur la route du Caire. Ce général était dès le lendemain à trois lieues d'Alexandrie.

MARCHE DE L'ARMÉE FRANÇAISE AU CAIRE. – BATAILLE DE CHEBREISSE. – BATAILLE DES PYRAMIDES

Aussitôt que Bonaparte se fut rendu maître d'Alexandrie, il fit donner l'ordre aux bâtiments de transport d'entrer dans le port de cette ville, et de procéder au débarquement des chevaux, des munitions, et de tous les objets dont ils étaient chargés. Les jours et les nuits sont employés à cette opération. Les vaisseaux de guerre ne pouvaient entrer dans le port, et restaient mouillés dans la rade à une grande distance, ce qui rendait le débarquement de l'artillerie de siége également long et pénible.

Bonaparte convient, avec l'amiral Brueix, que la flotte ira mouiller à Aboukir, où la rade est bonne et le débarquement facile, et d'où l'on peut également communiquer avec Rosette et Alexandrie: il donne en même temps l'ordre à l'amiral de faire sonder avec précision la passe du vieux port d'Alexandrie: son intention est que l'escadre y entre, s'il est possible, ou, dans le cas contraire, qu'elle se rende à Corfou. Tout commandait de presser le débarquement avec une nouvelle activité; les Anglais pouvaient se présenter d'un instant à l'autre: l'escadre ne pouvait donc trop tôt se rendre indépendante de l'armée. D'un autre côté, il était essentiel, tant pour prévenir les dispositions hostiles des mameloucks, que pour ne pas leur laisser le temps d'évacuer les magasins, de marcher sur le Caire avec rapidité. Il fallait donc se hâter de procurer aux troupes tout ce qui était nécessaire à ce mouvement.

Pendant ces préparatifs, Bonaparte visitait la ville et les forts, ordonnait de nouveaux travaux, prenait toutes les mesures civiles et militaires pour assurer la défense et la tranquillité de la ville, organisait un divan, et disposait tout pour que l'armée fût bientôt en état de rejoindre la division du général Desaix.

Deux routes conduisent d'Alexandrie au Caire; la première est celle qui passe par le désert, et Demenhour. Pour suivre l'autre, il faut gagner Rosette en côtoyant la mer, et traverser à une lieue d'Aboukir un détroit de deux cents toises de large qui joint le lac Madié à la mer; mais ce passage, auquel on n'était point préparé, eût nécessairement retardé la marche de l'armée.

Bonaparte avait fait équiper une petite flottille destinée à remonter le Nil. Cette flottille, commandée par le chef de division Pérée, et composée de plusieurs chaloupes canonnières et d'un chebeck, aurait été d'un grand secours pour l'armée. Si on avait pris la route de Rosette, elle eût porté les équipages et les vivres des troupes, et suivi tous leurs mouvemens; mais les Français n'avaient pas encore pris possession de Rosette, et en prenant le parti de suivre cette route, Bonaparte eût retardé de huit à dix jours la marche de l'armée sur le Caire. Il décide que l'armée s'avancera par le désert et par Demenhour. C'est cette route que la division Desaix avait reçu ordre de suivre.

Le général en chef s'était rendu maître d'Alexandrie le 17 messidor. Dès le lendemain, l'armée se mit en marche pour le Caire; et ce jour-là même le général Desaix arrivait à Demenhour, après avoir traversé quinze lieues de désert.

Bonaparte laisse en partant le commandement d'Alexandrie au général Kléber, qui avait été blessé au siége de cette ville. La division de ce général, commandée par le général Dugua, reçoit l'ordre de partir avec les hommes de troupes à cheval qui ne sont pas montés, de protéger l'entrée de la flottille française dans le Nil, de s'emparer de Rosette, d'y établir un divan provisoire, d'y laisser une garnison, de faire construire une batterie à Lisbé, de faire embarquer du riz sur la flottille, de suivre la route du Caire sur la rive gauche du Nil, et de faire toute diligence pour rejoindre l'armée. L'armée partit d'Alexandrie les 18 et 19 messidor avec son artillerie de campagne, un petit corps de cavalerie, si toutefois on peut donner ce nom à trois cents hommes montés sur des chevaux qui, épuisés par une traversée de deux mois, pouvaient à peine porter leurs cavaliers. L'artillerie, par la même raison, était mal attelée. Le 20 messidor, les divisions arrivent à Demenhour. Pendant toute la route elles avaient été harcelées par les Arabes, qui avaient comblé les puits de Beda et de Birket, de sorte que le soldat, brûlé par l'ardeur du soleil et en proie à une soif dévorante, ne pouvait trouver à se désaltérer. On fouille dans ces puits d'eau saumâtre, mais on n'en peut retirer qu'un peu d'eau bourbeuse: un verre d'eau se paie au poids de l'or.

L'armée d'Alexandre, dans une pareille extrémité, poussa des cris séditieux contre le vainqueur du monde; les Français accélèrent leur marche.

Les troupes, arrivées le 20 messidor à Demenhour, y séjournent le 21. Jamais les Arabes ne s'étaient montrés en aussi grand nombre. Ils harcèlent les grand'gardes, plusieurs actions s'engagent, et le général de brigade Mireur est blessé mortellement.

Le 22, au lever du soleil, l'armée se met en marche pour Rahmanié; le petit nombre de puits force les divisions de marcher à deux heures l'une de l'autre.

À neuf heures et demie du matin, les divisions Menou, Regnier et Bon avaient pris position. Le soldat découvre le Nil; il s'y précipite tout habillé et s'abreuve d'une eau délicieuse. Presque au même instant le tambour le rappelle à ses drapeaux. Un corps d'environ huit cents mameloucks s'avançait en ordre de bataille. On court aux armes. Les ennemis s'éloignent, se dirigent sur la route de Demenhour, où ils rencontrent la division Desaix: le feu de l'artillerie avertit qu'elle est attaquée. Bonaparte marche à l'instant contre les mameloucks; mais l'artillerie du général Desaix les avait déjà éloignés. Ils avaient pris la fuite, et s'étaient dispersés après avoir eu quarante hommes tués ou blessés. Parmentier, de la sixième demi-brigade, a été tué dans cette action, ainsi qu'un guide à cheval; dix fantassins ont été légèrement blessés.

Le soldat, épuisé par la marche et les privations, avait besoin de repos; les chevaux, faibles et harassés par les fatigues de la mer, en avaient plus besoin encore. Bonaparte prend le parti de séjourner à Rahmanié le 23 et le 24, et d'y attendre la flottille et la division Menou.

Ce général avait exécuté les ordres qu'il avait reçus. Il s'était emparé de Rosette sans obstacle. Il rejoint l'armée par des marches forcées, et annonce que la flottille était heureusement entrée dans le Nil, mais qu'elle remontait ce fleuve avec difficulté, les eaux étant encore basses. Elle arrive enfin dans la nuit du 24. Cette nuit même l'armée part pour Miniet-Salamé. Elle y couche; et le 25, avant le jour, elle est en marche pour livrer bataille à l'ennemi partout où elle pourra le rencontrer.

Les mameloucks, au nombre de quatre mille, étaient à une lieue plus loin. Leur droite était appuyée au village de Chebreisse, dans lequel ils avaient placé quelques pièces de canon, et au Nil, sur lequel ils avaient une flottille, composée de chaloupes canonnières et de djermes armées.

Bonaparte avait donné ordre à la flottille française de continuer sa marche, en se dirigeant de manière à pouvoir appuyer la gauche de l'armée sur le Nil, et attaquer la flotte ennemie au moment où l'on attaquerait les mameloucks et le village de Chebreisse: malheureusement la violence des vents ne permit pas de suivre en tout ces dispositions. La flottille dépasse la gauche de l'armée, gagne une lieue sur elle, se trouve en présence de l'ennemi, et se voit obligée d'engager un combat d'autant plus inégal, qu'elle avait à la fois à soutenir le feu des mameloucks, et à se défendre contre la flottille ennemie.

Les fellâhs, conduits par les mameloucks, se jettent, les uns à l'eau, les autres dans des djermes, et parviennent à prendre à l'abordage une galère et une chaloupe canonnière. Le chef de division Pérée dispose aussitôt ce qui lui reste de monde, fait attaquer à son tour, et parvient à reprendre la chaloupe canonnière et la galère. Son chebeck, qui vomit de tous côtés le feu et la mort, protége la reprise de ces bâtimens, et brûle les chaloupes canonnières de l'ennemi. Il est puissamment secondé dans ce combat inégal et glorieux par l'intrépidité et le sang-froid du général Andréossy, et par les citoyens Monge, Berthollet, Junot, Payeur et Bourrienne, secrétaire du général en chef, qui se trouvent à bord du chebeck.

Cependant le bruit du canon avait fait connaître au général en chef que la flottille était engagée; il fait marcher l'armée au pas de charge, elle s'approche de Chebreisse et aperçoit les mameloucks rangés en bataille en avant de ce village. Bonaparte reconnaît la position et forme l'armée. Elle est composée de cinq divisions, chaque division forme un carré qui présente à chaque face six hommes de hauteur; l'artillerie est placée aux angles; au centre sont les équipages et la cavalerie. Les grenadiers de chaque carré forment des pelotons qui flanquent les divisions, et sont destinés à renforcer les points d'attaque.

Les sapeurs, les dépôts d'artillerie prennent position et se barricadent dans deux villages en arrière, afin de servir de point de retraite en cas d'événement.

L'armée n'était plus qu'à une demi-lieue des mameloucks. Tout à coup ils s'ébranlent par masses, sans aucun ordre de formation, et caracolent sur les flancs et les derrières; d'autres masses fondent avec impétuosité sur la droite et le front de l'armée. On les laisse approcher jusqu'à la portée de la mitraille. Aussitôt l'artillerie se démasque et son feu les met en fuite. Quelques pelotons des plus braves fondent avec intrépidité le sabre à la main sur les flanqueurs. On les attend de pied ferme, et presque tous sont tués, ou par le feu de la mousqueterie, ou par la baïonnette.

Animée par ce premier succès, l'armée s'ébranle au pas de charge, et marche sur le village de Chebreisse, que l'aile droite a l'ordre de déborder. Ce village est emporté après une très faible résistance. La déroute des mameloucks est complète; ils fuient en désordre vers le Caire. Leur flottille prend également la fuite, en remontant le Nil, et termine ainsi un combat qui durait depuis deux heures avec le même acharnement. C'est surtout à la valeur des hommes de troupes à cheval embarqués sur la flottille qu'est due la gloire de cette journée. La perte de l'ennemi a été de plus de six cents hommes, tant tués que blessés: celle des Français d'environ soixante-dix.

Aussitôt après l'action, Bonaparte ordonne au général de brigade Zayoncheck de débarquer avec les hommes de troupes à cheval au nombre d'environ quinze cents, et de suivre la rive droite du Nil à la hauteur de la marche de l'armée qui s'avance sur la rive gauche.

L'armée couche à Chebreisse, et le 26 à Chabour. Le 27, elle couche à Qom-el-Cheriq; elle était sans cesse harcelée dans sa marche par les Arabes. L'on ne pouvait s'éloigner à la portée du canon sans tomber dans quelque embuscade. Ces barbares assassinaient et pillaient s'ils étaient les plus nombreux; ils prenaient la fuite, s'ils étaient en nombre égal, et s'il fallait combattre.

L'adjoint aux adjudans-généraux Gallois, officier distingué, est tué en portant un ordre du général en chef. L'adjudant Denano tombe entre leurs mains. Ils le conduisent à leur camp, et cet intéressant jeune homme, meurt assassiné. Toute communication est interceptée à trois cents toises derrière l'armée. On ne peut faire parvenir aucune nouvelle à Alexandrie; on n'en reçoit aucune de cette ville.

Tous les villages où l'armée arrive sont abandonnés. Elle n'y trouve plus ni hommes ni bestiaux; elle couche sur des tas de blé et elle est sans pain. Elle manque également de viande et ne subsiste qu'avec des lentilles ou de mauvaises galettes que le soldat fait lui-même en écrasant du blé. Elle continue sa marche vers le Caire, couche le 28 à Alcan, le 29 à Abounichabé, le 30 à Ouardan où elle séjourne. Le 1er thermidor, elle se rend à Omm-el-Dinar. Le général Zayoncheck prend position à la pointe du Delta, où le Nil se partage en deux branches, celle de Damiette et celle de Rosette.

Bonaparte, informé que Mourâd-Bey, à la tête de six mille mameloucks et d'une foule d'Arabes et de fellâhs, est retranché au village d'Embabé, à la hauteur du Caire, vis-à-vis Boulac, et qu'il attend les Français pour les combattre, s'empresse d'aller lui présenter bataille.

Le 2 thermidor, à deux heures du matin, l'armée part d'Omm-el-Dinar. Au point du jour, la division Desaix, qui formait l'avant-garde, a connaissance d'un corps d'environ six cents mameloucks et d'un grand nombre d'Arabes qui se replient aussitôt. À deux heures après midi, l'armée arrive aux villages d'Ébrerach et de Boutis. Elle n'était plus qu'à trois quarts de lieue d'Embabé, et apercevait de loin le corps de mameloucks qui se trouvait dans le village. La chaleur était brûlante, le soldat extrêmement fatigué. Bonaparte fait faire halte; mais les mameloucks n'ont pas plus tôt aperçu l'armée, qu'ils se forment en avant de sa droite dans la plaine. Un spectacle aussi imposant n'avait point encore frappé les regards des Français. La cavalerie des mameloucks était couverte d'armes étincelantes. On voyait en arrière de sa gauche ces fameuses pyramides dont la masse indestructible a survécu à tant d'empires, et brave depuis trente siècles les outrages du temps. Derrière sa droite étaient le Nil, le Caire, le Mokattam et les champs de l'antique Memphis.

Mille souvenirs se réveillent à la vue de ces plaines où le sort des armes a tant de fois changé la destinée des empires. L'armée, impatiente d'en venir aux mains, est aussitôt rangée en ordre de bataille. Les dispositions sont les mêmes qu'au combat de Chebreisse. La ligne, formée dans l'ordre par échelons et par divisions qui se flanquent, refusait sa gauche. Bonaparte ordonne à la ligne de s'ébranler; mais les mameloucks, qui jusqu'alors avaient paru indécis, préviennent l'exécution de ce mouvement, menacent le centre, et se précipitent avec impétuosité sur les divisions Desaix et Regnier, qui formaient la droite. Ils chargent intrépidement les colonnes qui, fermes et immobiles, ne font usage de leur feu qu'à demi-portée de la mitraille et de la mousqueterie; la valeur téméraire des mameloucks essaie en vain de renverser ces murailles de feu, ces remparts de baïonnettes; leurs rangs sont éclaircis par le grand nombre de morts et de blessés qui tombent sur le champ de bataille; et bientôt ils s'éloignent en désordre sans oser entreprendre une nouvelle charge.

Pendant que les divisions Desaix et Regnier repoussaient avec tant de succès la cavalerie des mameloucks, les divisions Bon et Menou, soutenues par la division Kléber, commandée par le général Dugua, marchaient au pas de charge sur le village retranché d'Embabé. Deux bataillons des divisions Bon et Menou, commandés par les généraux Rampon et Marmont, sont détachés, avec ordre de tourner le village, et de profiter d'un fossé profond pour se mettre à couvert de la cavalerie de l'ennemi, et lui dérober leurs mouvemens jusqu'au Nil.

Les divisions, précédées de leurs flanqueurs, continuent de s'avancer au pas de charge. Les mameloucks attaquent sans succès les pelotons des flanqueurs; ils démasquent et font jouer quarante mauvaises pièces d'artillerie. Les divisions se précipitent alors avec plus d'impétuosité, et ne laissent pas à l'ennemi le temps de recharger ses canons. Les retranchements sont enlevés à la baïonnette; le camp et le village d'Embabé sont au pouvoir des Français. Quinze cents mameloucks à cheval et autant de fellâhs, auxquels les généraux Marmont et Rampon ont coupé toute retraite en tournant Embabé, et prenant une position retranchée derrière un fossé qui joignait le Nil, font en vain des prodiges de valeur; aucun d'eux ne veut se rendre, aucun d'eux n'échappe à la fureur du soldat; ils sont tous passés au fil de l'épée ou noyés dans le Nil. Quarante pièces de canon, quatre cents chameaux, les bagages et les vivres de l'ennemi tombent entre les mains du vainqueur.

Mourâd-Bey, voyant le village d'Embabé emporté, ne songe plus qu'aux moyens d'assurer sa retraite. Déjà les divisions Desaix et Regnier avaient forcé sa cavalerie de se replier: l'armée, quoiqu'elle marchât depuis deux heures du matin et qu'il fût six heures du soir, le poursuit encore jusqu'à Gisëh. Il n'y avait plus de salut pour lui que dans une prompte fuite; il en donne le signal, et l'armée prend position à Gisëh, après dix-neuf heures de marche ou de combats.

Jamais victoire aussi importante ne coûta moins de sang aux Français: ils n'eurent à regretter dans cette journée que dix hommes tués et environ trente blessés. Jamais avantage ne fit mieux sentir la supériorité de la tactique moderne des Européens sur celle des Orientaux, du courage discipliné sur la valeur désordonnée.

Les mameloucks étaient montés sur de superbes chevaux arabes richement harnachés; ils portaient les plus brillantes armures; leurs bourses étaient pleines d'or, et leurs dépouilles dédommagèrent le soldat des fatigues excessives qu'il venait de supporter. Il y avait quinze jours qu'il n'avait pour toute nourriture qu'un peu de légumes sans pain; les vivres trouvés dans le camp des ennemis lui firent faire un repas délicieux.

La division Desaix a ordre de prendre position en avant de Gisëh sur la route de Fayoum. La division Menou passe pendant la nuit une branche du Nil, et s'empare de l'île de Roda. L'ennemi, dans sa fuite, brûlait tous les bâtiments qui ne pouvaient remonter le Nil. Toute la rive était en feu.

Le lendemain matin, 4 thermidor, les grands du Caire se présentent sur le Nil, offrant de remettre la ville au pouvoir des Français. Ils étaient accompagnés du kyàyà du pacha. Ibrahim-Bey, qui avait abandonné le Caire pendant la nuit, avait emmené le pacha avec lui. Bonaparte les reçoit à Gisëh; ils demandent protection pour la ville et protestent de sa soumission. Bonaparte leur répond que le désir des Français est de rester les amis du peuple égyptien et de la Porte ottomane, que les mœurs, les usages et la religion du pays seront scrupuleusement respectés. Ils retournent au Caire, accompagnés d'un détachement commandé par un officier français. Le peuple avait profité de la défaite et de la fuite des mameloucks pour se porter à quelques excès; la maison de Mourâd-Bey avait été pillée et brûlée; mais les chefs font des proclamations, la force armée paraît, et l'ordre se rétablit.

Le 7 thermidor, Bonaparte porte son quartier-général au Caire. Les divisions Regnier et Menou prennent position au Vieux-Caire; les divisions Bon et Kléber à Boulac; un corps d'observation est placé sur la route de Syrie, et la division Desaix reçoit l'ordre de prendre une position retranchée, à trois lieues en avant d'Embabé, sur la route de la Haute-Égypte.

COMBAT DE SALÊHIËH. – IBRAHIM-BEY EST CHASSÉ DE L'ÉGYPTE

Au moment où les Français étaient entrés au Caire, l'armée des mameloucks s'était séparée en deux corps; l'un, commandé par Mourâd-Bey, suivait la route de la Haute-Égypte; l'autre, sous les ordres d'Ibrahim-Bey, avait pris la route de Syrie. C'était entre ces deux beys que l'autorité de l'Égypte était partagée. Mourâd-Bey était à la tête du militaire, Ibrahim-Bey dirigeait la partie administrative.

Desaix, chargé de poursuivre le premier et de le tenir en échec, établit un camp retranché à quatre lieues en avant de Gisëh, sur la rive gauche du Nil. Ses avant-postes et ceux de Mourâd-Bey étaient en présence les uns des autres.

Ibrahim-Bey s'était retiré à Belbéis, où il attendait le retour de la caravane de la Mecque; son intention était de profiter du renfort des mameloucks qui escortaient cette caravane, pour exécuter un plan d'attaque combiné avec Mourâd-Bey et les Arabes. Il mettait provisoirement tout en œuvre pour soulever les fellâhs du Delta, et pousser les habitans du Caire à la révolte.

L'armée avait beaucoup souffert de la marche, des chaleurs excessives, de la mauvaise nourriture; elle avait besoin de repos avant de se mettre à la poursuite des mameloucks et de les chasser entièrement de l'Égypte. Bonaparte sentait d'ailleurs la nécessité d'organiser un gouvernement provisoire pour la capitale et le reste du pays, d'assurer la subsistance du peuple et de l'armée, d'organiser tous les services, et de se mettre, par des positions retranchées, à l'abri de toute surprise, soit de la part des mameloucks, soit de la part des habitans.

Cependant, comme le voisinage d'Ibrahim-Bey était le plus dangereux, le général de brigade Leclerc reçut l'ordre de partir du Caire le 15 thermidor, avec trois cents hommes de cavalerie, trois compagnies de grenadiers, un bataillon et deux pièces d'artillerie légère, d'aller prendre position à El-Hanka, et d'observer Ibrahim-Bey.

Le 16, il est attaqué par quatre mille mameloucks et Arabes, que plusieurs décharges d'artillerie mettent en fuite.

La tranquillité du pays tenait à l'éloignement des mameloucks, et surtout à celui d'Ibrahim-Bey. Bonaparte s'empresse donc de pourvoir aux besoins les plus urgents, d'établir les bases les plus essentielles de la nouvelle administration, et se dispose à marcher contre Ibrahim-Bey en personne. Il laisse au Caire la division Bon, et les hommes des autres divisions qui ont encore besoin de repos.

Le 20 thermidor, l'armée, composée des trois divisions Bon, Regnier et Menou, part du Caire pour joindre Ibrahim-Bey, lui livrer bataille, détruire son corps et le chasser de l'Égypte; elle se réunit à l'avant-garde du général Leclerc, et couche le 22 à Belbéis. Ibrahim-Bey n'avait pas cru prudent de l'attendre, et fuyait vers Salêhiëh.

L'armée était à quelques lieues de ce village, lorsqu'on aperçut dans le désert une caravane escortée par une troupe d'Arabes. La cavalerie se porte aussitôt en avant, met les Arabes en fuite et arrête la caravane: c'était celle de la Mecque. La plus grande partie de ceux qui la composaient s'étaient réunis à Ibrahim-Bey, qui emmenait avec lui une foule de marchands avec leurs marchandises: il avait consenti que le reste prît la route du Caire sous l'escorte de quelques Arabes payés par les marchands; mais à peine cette portion de la caravane avait-elle été abandonnée par les mameloucks, que les Arabes, qui devaient l'escorter et la protéger, pillèrent eux-mêmes toutes les marchandises, sous prétexte que les marchands ne pouvaient éviter d'être pillés par les Français. Il ne restait plus sous leur conduite qu'environ six cents chameaux, chargés d'hommes, de femmes et d'enfants, que Bonaparte fit conduire au Caire sous une escorte de troupes françaises.

Dans presque tous les villages que l'armée traverse, on rencontre des individus qui faisaient partie de la caravane et avaient pris la fuite; Bonaparte les rassure, leur promet, sûreté et protection; et pour leur prouver que les promesses des Français ne ressemblent en rien à celles des Arabes, à peine est-il arrivé au village arabe de Goreid, qu'il fait arrêter le cheik, et le met en présence d'un des principaux marchands avec lesquels il avait traité de l'escorte qui les avait pillés. Le cheik, menacé d'être fusillé, retrouve à l'instant la plus grande partie des objets volés, et restitue aux marchands leurs femmes et leurs esclaves.

L'armée continuait sa marche à grandes journées pour atteindre Ibrahim-Bey. Le 24, à quatre heures de l'après-midi, l'avant-garde, composée d'environ trois cents hommes de cavalerie, arrive en vue de Salêhiëh. Au moment où la tête de l'avant-garde entrait dans le village, Ibrahim-Bey surpris fuyait à la hâte, couvrant son arrière-garde d'environ mille mameloucks.

L'infanterie française était encore à une lieue et demie de distance; les chevaux étaient harassés de fatigue, des nuées d'Arabes couvraient la plaine, attendant l'issue du combat pour tomber sur les vaincus. La seule arrière-garde d'Ibrahim-Bey était trois fois plus nombreuse que l'avant-garde des Français. Malgré l'infériorité du nombre, Bonaparte, à la tête de cette avant-garde, poursuit Ibrahim dans le désert. Deux cents braves, tant du 7e régiment de hussards, que du 22e de chasseurs, et des guides à cheval, fondent avec impétuosité sur l'arrière-garde des mameloucks, et s'ouvrent un passage à travers les rangs; mais ce succès même augmente les dangers, ils se trouvent au milieu d'une masse cinq fois plus nombreuse qu'eux. La valeur supplée au nombre; ils combattent comme des lions et en désespérés; les mameloucks, sans cesse repoussés, ne combattent plus qu'en s'éloignant et pour protéger leur retraite. Ils abandonnent dans leur fuite deux mauvaises pièces de canon et quelques chameaux. Mais Ibrahim-Bey parvient à sauver avec lui ses équipages, dans lesquels étaient ses femmes, celles de ses mameloucks, ses trésors et les plus riches marchandises de la caravane. Il avait disparu, quand l'infanterie française arriva au village de Salêhiëh, où elle prit position. Ibrahim continua de fuir vers la Syrie; il avait pour neuf jours de route, à travers le désert, avant d'y être rendu.

Cet avantage a coûté à la république une vingtaine de braves tués dans les rangs ennemis. Parmi les officiers qui ont chargé à la tête de la cavalerie, et soutenu par leur exemple la valeur du soldat, le chef de brigade Destrées, qui a reçu plusieurs blessures graves, l'adjudant-général Leturq, le chef de brigade Lassalle, les aides-de-camp Duroc et Sulkousky, l'adjudant Arrighi, méritent d'être distingués.

Bonaparte détermine avec le général Caffarelli, commandant le génie, les fortifications nécessaires à la défense de Salêhiëh et de Belbéis. La division Dugua reçoit ordre de se porter sur Damiette, pour en prendre possession et soumettre le Delta. La division Regnier reste en position à Salêhiëh, pour soumettre la province de Charkié, et Bonaparte reprend avec le reste des troupes le chemin du Caire, où il arrive le 27. Il reçoit sur la route la nouvelle et les détails du combat naval d'Aboukir.

L'Égypte, pour être entièrement affranchie du despotisme des mameloucks, n'offrait plus d'ennemi à combattre que Mourâd-Bey. Le général Desaix reçoit l'ordre de se mettre en mouvement pour le poursuivre. Les provinces de l'Égypte sont commandées par des généraux français; les autorités civiles y sont organisées, et y remplacent le gouvernement monstrueux qui la tyrannisait. Déjà Bonaparte peut réaliser une partie de ses promesses, et prouver au pays qu'il vient de soumettre, que les Français n'avaient en effet d'autres ennemis que ses oppresseurs, d'autre ambition que celle d'être ses libérateurs.

L'ARMÉE MARCHE EN SYRIE. – AFFAIRE DE ÈL-A'RYCH. – BATAILLE DU MONT THABOR. – PRISE DE GHAZAH ET DE JAFFA

La conduite politique et militaire de Bonaparte depuis son entrée en Égypte avait pour but de rendre à la civilisation et à leur antique splendeur ces contrées jadis si florissantes. Mais en même temps qu'il travaillait à l'affranchissement des peuples, et à l'expulsion de leurs tyrans, il n'avait négligé aucune occasion de convaincre la Porte du désir qu'avait la république française de conserver l'amitié qui subsistait entre les deux puissances. La cour ottomane avait de justes sujets de plaintes contre les beys d'Égypte, dont les révoltes et les usurpations ne lui avaient laissé qu'une ombre de souveraineté dans cette province. Les Français eux-mêmes en avaient reçu de fréquents outrages. Punir les usurpateurs, c'était donc venger à la fois la France, la Porte ottomane et l'Égypte.

Les établissements de commerce que Bonaparte voulait former, devaient enrichir les habitans, faire de l'Égypte l'entrepôt du commerce de l'Europe et de l'Asie, augmenter les revenus du grand-seigneur, devenir pour la France et les puissances méridionales une source de prospérité, et ruiner dans l'Inde le commerce des Anglais, contre lesquels cette expédition était plus particulièrement dirigée.

La Porte, une fois éclairée sur le but de l'entrée des Français en Égypte, et sur leurs projets ultérieurs, ne pouvait voir qu'avec plaisir une expédition qui devait lui être si avantageuse. Dans cette conviction, Bonaparte n'avait cessé de se conduire avec la Porte ottomane comme envers l'amie et l'alliée fidèle de la France.

À la prise de Malte, il avait trouvé dans les cachots de l'ordre un grand nombre d'esclaves turcs; ils furent aussitôt mis en liberté, et renvoyés à Constantinople.

Depuis l'entrée des Français en Égypte, les agens de la Porte étaient respectés; le pavillon turc flottait avec le pavillon français. Une caravelle turque se trouvait dans le port d'Alexandrie, ainsi que quelques bâtimens de commerce. Bonaparte assure le capitaine de la protection et de l'amitié des Français. Cette caravelle reçoit un ordre du grand-seigneur de quitter Alexandrie pour se rendre à Constantinople; c'était l'époque où tous les bâtimens turcs ont coutume de quitter l'Égypte. Bonaparte, après avoir fait accepter un présent au capitaine de la caravelle, le chargea de prendre à son bord le citoyen Beauchamp, porteur de dépêches pour la Porte ottomane.

Cet envoyé était chargé de protester de nouveau des dispositions pacifiques et amicales du gouvernement français envers le grand-seigneur; de faire connaître à la Porte les sujets de mécontentement que Bonaparte avait contre Ahmed-Djezzar, pacha d'Acre, et de déclarer que le châtiment qu'il lui réservait, s'il continuait à se mal conduire, ne devait donner aucun ombrage, aucune inquiétude à l'empire ottoman. Ce pacha, que ses cruautés avaient fait nommer Djezzar (le boucher), était regardé comme un monstre de férocité par les barbares les plus sanguinaires d'Orient.

Ibrahim-Bey, après l'affaire de Salêhiëh, s'était retiré avec mille mameloucks et ses trésors vers Ghazah: il avait reçu de Djezzar le plus favorable accueil. Non seulement ce pacha continuait d'accorder asile et protection aux mameloucks, il menaçait encore les frontières de l'Égypte par des dispositions hostiles. Bonaparte, qui voulait éviter de donner le moindre ombrage à la Porte, dépêcha par mer à Djezzar un officier chargé d'une lettre dans laquelle il assurait le pacha que les Français désiraient conserver l'amitié du grand-seigneur, et vivre en paix avec lui; mais il exigeait que Djezzar éloignât Ibrahim-Bey et ses mameloucks, et ne leur accordât aucun secours.

Le pacha n'avait fait aucune réponse à Bonaparte, il avait renvoyé l'officier avec arrogance; les Français étaient mis aux fers à Saint-Jean-d'Acre.

L'armée ne recevait aucune nouvelle d'Europe. Depuis le funeste combat d'Aboukir, les ports de l'Égypte étaient bloqués par les Anglais. Bonaparte n'avait aucun renseignement officiel sur les résultats de la négociation que le directoire avait dû entamer avec la Porte ottomane, relativement à l'expédition d'Égypte; mais tous les rapports de l'intérieur annonçaient que le ministère anglais avait su profiter de la victoire d'Aboukir pour entraîner la Porte dans son alliance et celle de la Russie contre la république française. Bonaparte jugea que, si la Porte cédait aux suggestions de ses ennemis naturels, il y aurait une opération combinée contre l'Égypte, et qu'il serait attaqué par mer et par la Syrie. Il n'y avait pas un moment à perdre pour prendre un parti; Bonaparte se décide.

Marcher en Syrie, châtier Djezzar, détruire les préparatifs de l'expédition contre l'Égypte, dans le cas où la Porte se serait unie aux ennemis de la France; lui rendre, au contraire, la nomination du pacha de Syrie, et son autorité primitive dans cette province, si elle restait l'amie de la république; revenir en Égypte aussitôt après pour battre l'expédition par mer; expédition qui, vu les obstacles qu'opposait la saison, ne pouvait avoir lieu avant le mois de messidor; tel est le plan auquel Bonaparte s'arrête, et qu'il va exécuter.

Aussitôt après son retour au Caire, il avait envoyé contre l'armée de Mourâd-Bey, qui se tenait dans la Haute-Égypte, le général Desaix et sa division qui obtenait chaque jour de nouveaux succès.

Après avoir ainsi éloigné les ennemis, Bonaparte songe à organiser le gouvernement des provinces de l'Égypte. Il établit un divan dans chacune d'elles, et fait jouir le peuple de la plus belle prérogative de la liberté, celle de concourir à l'élection de ses magistrats. Il forme un système de guerre jusqu'alors inconnu contre les Arabes, qui de tout temps ont désolé ces belles contrées. Il arrête une nouvelle répartition d'impôts plus utile au fisc, et moins onéreuse au peuple; il porte la plus sévère économie dans la partie administrative de l'armée; il établit une compagnie de commerce dans la vue de faciliter l'échange et la circulation de toutes les denrées. Il avait formé un institut au Caire; il y établit une bibliothèque, et fait construire un laboratoire de chimie. Un grand atelier est ouvert pour les arts mécaniques. Déjà la fabrication du pain et celle des liqueurs fermentées est perfectionnée; on épure le salpêtre, on construit de nouvelles machines hydrauliques.

Pendant que Bonaparte semblait recréer la ville du Caire, des savans voyageaient par son ordre dans l'intérieur de l'Égypte, et y faisaient les reconnaissances, les découvertes les plus importantes pour la géographie, l'histoire et la physique.

Le général Andréossy avait reçu l'ordre de soumettre le lac Menzalëh, les bouches Pélusiaques, et d'en faire la reconnaissance, tant sous le rapport militaire que sous le rapport des sciences.

Il sonde, le 2 vendémiaire, la rade de Damiette, de Bougafic et du camp Bougan, ainsi que l'embouchure du Nil, afin de déterminer les passes du Boghaz et la forme de la baie. Il part de Damiette le 11 à deux heures du matin, avec deux cents hommes et quinze djermes conduites par des reis du Nil. Trois de ces djermes sont armées d'un canon. Il passe le Boghaz à sept heures, longe la côte et prend position, à trois heures après midi, à la bouche de Bibëh, où il fait les mêmes opérations qu'à l'embouchure du Nil. Le 12, il pénètre dans le lac jusqu'à cinq lieues; il voulait gagner Matariëh, mais les reis, intimidés par l'apparition subite d'environ cent trente djermes chargées d'Arabes embarqués à Matariëh, le conduisent vers Menzalëh. Tombé sous le vent, il est attaqué et poursuivi; mais, malgré la supériorité du nombre, l'ennemi est obligé de se retirer avec perte. Il se rejette alors sur Damiette, et mouille devant Minié à neuf heures du soir. La nuit du 14 au 15, il est attaqué avec plus d'acharnement, et pas avec plus de succès. Le 16, il se porte sur Mensalëh, et le 17 sur les îles de Matariëh.

Il mouille, le 20, à l'île de Tourna, le 24 à celle de Tumis, le 25 à la bouche d'Omm-Faredje, et il arrive, le 28, sur les ruines de Tinëh, de Peluse, de Farouna; il part le 29, et se dirige sur le canal de Moëz où il pénètre; le 30, il visite San et relève Salêhiëh, prend des renseignemens précis sur le canal de ce nom, et repart le même jour pour Menzalëh et Damiette, où il arrive le 2 brumaire, après avoir terminé la reconnaissance, les sondes, la carte du lac, pour la construction de laquelle il avait fait mesurer à la chaîne une étendue de plus de quarante-cinq mille toises.

Le général Andréossy, revenu au Caire, repart aussitôt avec le citoyen Berthollet pour reconnaître les lacs de natron. Il se rend, escorté de quatre-vingts hommes, à Terranëh, d'où il part dans la nuit du 3 au 4. Après quatorze heures de marche, il arrive aux lacs Natron, situés dans une vallée qui a plus de deux lieues de large, et dont la direction est de quarante-quatre degrés ouest. Ces lacs comprennent une étendue d'environ six lieues. Trois couvens cophtes, dont un isolé, sont situés dans la vallée, vers le sommet de la pointe opposée à Terranëh.

Le 4, il visite les lacs, et se rend au fleuve sans eau. C'est une grande vallée encombrée de sables, adjacente à celle des natrons, et dont le bassin a près de trois lieues d'un bord à l'autre. Il y trouve de grands corps d'arbres entièrement pétrifiés; le même jour il va bivouaquer au quatrième couvent qui est dans la direction d'Ouardan; dans la vallée du lac de Natron, on rencontre quelques sources de très bonne eau. Le natron y est d'une bonne qualité, et peut faire une branche de commerce très importante.

Tous les savans qui ont accompagné Bonaparte sont occupés à des travaux analogues à leurs talens et à leurs connaissances. Nouet et Méchain déterminent la latitude d'Alexandrie, celle du Caire, de Salêhiëh, de Damiette et de Suez.

Lefèvre et Malus font la reconnaissance du canal de Moëz; le premier avait accompagné, avec Bouchard, le général Andréossy dans la reconnaissance du lac Menzalëh.

Peyre et Girard font le plan d'Alexandrie; Lanorey fait la reconnaissance d'Abou-Menedgé; il est, de plus, chargé de diriger les travaux du canal d'Alexandrie.

Geoffroy examine les animaux du lac Menzalëh et les poissons du Nil; Delisle, les plantes qui se trouvent dans la Basse-Égypte.

Arnolet et Champy fils sont chargés d'observer les minéraux de la mer Rouge, et d'y faire des reconnaissances.

Girard est chargé d'un travail sur tous les canaux de la Haute-Égypte.

Denon voyage dans le Faïoum et dans la Haute-Égypte pour en dessiner les monumens. La passion des sciences et des arts lui fait surmonter tous les obstacles, et braver des périls et des fatigues sans nombre.

Conté dirige l'atelier destiné aux arts mécaniques; il fait construire des moulins à vent, et une infinité de machines inconnues en Égypte.

Savigny fait une collection des insectes du désert et de la Syrie.

Beauchamp et Nouet dressent un almanach contenant cinq calendriers, celui de la république française et ceux des Églises romaine, grecque, cophte et musulmane.

Costaz rédige un journal; Fourrier, secrétaire de l'Institut, est commissaire près le divan.

Berthollet et Monge sont à la tête de tous ces travaux, de toutes ces entreprises; on les retrouve partout où il se forme des établissemens utiles, où il se fait des découvertes importantes.

Tandis qu'on fait les préparatifs de l'expédition de Syrie, Bonaparte s'associe aux travaux des savans, et assiste exactement aux séances de l'Institut, où chacun d'eux rend compte de ses opérations. Il veut aller visiter lui-même l'isthme de Suez, et résoudre l'un des problèmes les plus importans et les plus obscurs de l'histoire; il se disposait à cet intéressant voyage, lorsqu'un événement fâcheux et inattendu le força d'ajourner ses projets.

La plus grande tranquillité n'avait cessé de régner dans la ville du Caire; les notables de toutes les provinces délibéraient avec calme, et d'après les propositions des commissaires français Monge et Berthollet, sur l'organisation définitive des divans, sur les lois civiles et criminelles, sur l'établissement et la répartition des impôts, et sur divers objets d'administration et de police générale. Tout à coup des indices d'une sédition prochaine se manifestent. Le 30 vendémiaire, à la pointe du jour, des rassemblemens se forment dans divers quartiers de la ville, et surtout à la grande mosquée. Le général Dupuy, commandant la place, s'avance à la tête d'une faible escorte pour les dissiper; il est assassiné, avec plusieurs officiers et quelques dragons, au milieu de l'un de ces attroupemens. La sédition devient aussitôt générale; tous les Français que les révoltés rencontrent sont égorgés; les Arabes se montrent aux portes de la ville.

La générale est battue; les Français s'arment et se forment en colonnes mobiles; ils marchent contre les rebelles avec plusieurs pièces de canon. Ceux-ci se retranchent dans leurs mosquées, d'où ils font un feu violent. Les mosquées sont aussitôt enfoncées; un combat terrible s'engage entre les assiégeans et les assiégés; l'indignation et la vengeance doublent la force et l'intrépidité des Français. Des batteries placées sur différentes hauteurs, et le canon de la citadelle, tirent sur la ville; le quartier des rebelles et de la grande mosquée sont incendiés.

Les chérifs et les principaux du Caire viennent enfin implorer la générosité des vainqueurs et la clémence de Bonaparte; un pardon général est aussitôt accordé à la ville, et le 2 brumaire l'ordre est entièrement rétabli. Mais, pour prévenir dans la suite de pareils excès, la place est mise dans un tel état de défense, qu'un seul bataillon suffit pour la mettre à l'abri des mouvemens séditieux d'une population nombreuse. Des mesures sont prises aussi pour la garantir à l'extérieur contre toute entreprise de la part des Arabes.

Bonaparte, après avoir imprimé à tout le pays la terreur de ses armes, continue de suivre ses plans d'administration intérieure, sans oublier ce qu'il doit à l'intérêt des sciences, du commerce et des arts.

Le général Bon reçoit ordre de traverser le désert à la tête de quinze cents hommes, et avec deux pièces de canon, et de marcher vers Suez, où il entre le 17 brumaire.

Bonaparte, accompagné d'une partie de son état-major, des membres de l'Institut, Monge, Berthollet, Costaz, de Bourrienne, et d'un corps de cavalerie, part lui-même du Caire le 4 nivôse, et va camper à Birket-êl-Hadj, ou lac des Pèlerins; le 5, il bivouaque à dix lieues dans le désert; le 6, il arrive à Suez; le 7, il reconnaît la côte et la ville, et ordonne les ouvrages et les fortifications qu'il juge nécessaires à sa défense.

Le 8, il passe la mer Rouge près de Suez, à un gué qui n'est praticable qu'à la marée basse. Il se rend aux Fontaines de Moïse, situées en Asie, à trois lieues et demie de Suez. Cinq sources forment ces fontaines qui s'échappent en bouillonnant du sommet de petits monticules de sable; l'eau en est douce et un peu saumâtre. On y trouve les vestiges d'un petit aqueduc moderne qui conduisait cette eau à des citernes creusées sur le bord de la mer, dont les fontaines sont éloignées de trois quarts de lieue.

Bonaparte retourne le soir même à Suez; mais la mer étant haute, il est forcé de remonter la pointe de la mer Rouge. Le guide le perd dans les marais, et il ne parvient à en sortir qu'avec la plus grande peine, ayant de l'eau jusqu'à la ceinture.

Les magasins de Suez indiquent assez que cette ville a été l'entrepôt d'un commerce considérable; les barques seules peuvent maintenant arriver au port; mais des frégates peuvent mouiller auprès d'une pointe de sable qui s'avance à une demi-lieue dans la mer. Cette pointe est découverte à la marée basse, et il serait possible d'y construire une batterie qui protégerait le mouillage et défendrait la rade.

Bonaparte encourage le commerce par plusieurs établissemens utiles; il le rassure contre les exactions auxquelles le livraient et les mameloucks et les pachas. Une nouvelle douane, dont les droits sont moins forts que ceux de l'ancienne, remplace celle qui existait avant son arrivée. Il prend des mesures pour assurer et garantir le transport de Suez au Caire et à Belbéis; enfin ses dispositions sont telles, qu'elles doivent dans peu de temps rendre à Suez son antique splendeur.

Quatre bâtimens de Djedda arrivent dans cette ville pendant le séjour qu'y fait Bonaparte. Les Arabes de Tor viennent aussi demander l'amitié des Français. Bonaparte quitte Suez le 10 nivôse, côtoyant la mer Rouge au nord. À deux lieues et demie de cette ville, il trouve les restes de l'entrée du canal de Suez; il le suit pendant quatre lieues. Le même jour, il couche au fort d'Adgeroud; le 11, à dix lieues dans le désert; et le 12 à Belbéis. Le 14, il se porte dans l'oasis d'Houareb, où il retrouve les vestiges du canal de Suez, à son entrée sur les terres cultivées et arrosées de l'Égypte.

Il le suit l'espace de plusieurs lieues, et, satisfait de cette double reconnaissance, il donne ordre au citoyen Peyre, ingénieur, de se rendre à Suez, et d'en partir avec une escorte suffisante pour lever géométriquement et niveler tout le cours du canal, opération qui va résoudre enfin le problème de l'existence d'un des plus grands et des plus importans travaux du monde. De retour à Suez, Bonaparte apprend que Djezzar, pacha de Syrie, s'était emparé du fort de El-A'rych, qui défendait les frontières de l'Égypte. Ce fort, situé à deux journées de Cathié, et à dix lieues dans le désert, était même occupé par l'avant-garde du pacha. Ces mouvemens hostiles ne laissaient aucun doute sur les intentions de Djezzar et de la Porte, qui venait de déclarer la guerre à la France.

Certain d'une attaque, il ne restait plus à Bonaparte d'autre parti à prendre que celui de déconcerter les plans de ses nouveaux ennemis en les prévenant. Il quitte Suez sur-le-champ pour se rendre au Caire. Il passe par Salêhiëh, où se trouvaient les troupes destinées à former l'avant-garde de l'expédition de Syrie: il met cette avant-garde en mouvement, et continue sa route vers le Caire, marchant jour et nuit. Aussitôt qu'il y est rendu, il réunit l'armée qui doit le suivre.

Elle est composée de la division du général Kléber, qui a sous ses ordres les généraux Verdier et Junot, d'une partie des deux demi-brigades d'infanterie légère, et des 25e et 75e de ligne;

De la division du général Regnier, ayant sous ses ordres le général Lagrange, la 9e et la 95e demi-brigade de ligne;

De celle du général Lannes, ayant sous ses ordres les généraux Vaud, Robin et Rambeau, avec une partie de la 22e demi-brigade d'infanterie légère, des 13e et 69e de ligne;

De celle du général Bon, ayant sous ses ordres les généraux Rampon, Vial, et une partie des 4e demi-brigade d'infanterie légère, 18e et 32e demi-brigades de ligne;

De celle du général Murat, avec neuf cents hommes de cavalerie et quatre pièces de 4.

Le général Dommartin commande l'artillerie, et le général Caffarelli le génie.

Le parc d'artillerie est composé de quatre pièces de 12, trois de 8, cinq obusiers, et trois mortiers de cinq pouces.

L'artillerie de chaque division est composée de deux pièces de 8, deux obusiers de six pouces: ces différens corps forment une armée d'environ dix mille hommes.

La 19e demi-brigade, les 3e bataillons des demi-brigades de l'expédition de Syrie, la Légion nautique, les dépôts du corps de cavalerie, la Légion maltaise, sont répartis dans les villes d'Alexandrie, de Damiette et du Caire, pour les garnisons et les colonnes mobiles destinées à protéger contre les Arabes, et à retenir dans l'obéissance les provinces de la Basse-Égypte.

Le général Desaix continuait d'occuper la Haute-Égypte avec sa division.

Le commandement de la province du Caire est remis entre les mains du général Dugua; les autres sont confiés aux généraux Belliard, Lanusse, Zayoncheck, Fugières, Leclerc, et à l'adjudant-général Almeyras. Le citoyen Poussielgue, administrateur-général des finances, reste au Caire; le payeur-général de l'armée, nommé Estève, jeune homme recommandable sous tous les rapports, suit l'expédition.

Le commandement d'Alexandrie était très important. Il ne pouvait être confié qu'à un officier actif, qui réunit les connaissances de l'artillerie à celles du génie et des autres parties militaires. Cette place, par l'éloignement du général en chef, devenait presque indépendante sous les rapports militaires et administratifs. Les Anglais étaient en présence, et des symptômes de peste commençaient à s'y manifester. Le choix du général en chef tomba sur le général de brigade Marmont.

Bonaparte ordonne à l'adjudant-général Almeyras, qu'il charge du commandement de Damiette, de presser les travaux des fortifications, et de faire embarquer des vivres et des munitions pour l'armée de Syrie, en profitant de la navigation du lac Menzalëh et du port de Tinëh, d'où l'on devait les transporter dans les magasins établis à Cathiëh, à cinq heures de marche.

L'armée avait besoin de quelques pièces de siége pour battre la place d'Acre, en cas de résistance. Les difficultés du désert en rendaient le transport impraticable par terre. Les charger sur quelques frégates mouillées dans la rade d'Alexandrie, et braver la croisière anglaise, était un projet audacieux sans doute; mais sans audace marche-t-on à la victoire?

Bonaparte ordonne au contre-amiral Pérée, d'embarquer à Alexandrie l'artillerie de siége dont il avait besoin, d'appareiller avec la Junon, la Courageuse et l'Alceste, de croiser devant Jaffa et de se mettre en communication avec l'armée. Il calcule et détermine l'époque à laquelle il doit arriver.

On rassemble au Caire, en toute diligence, les mulets et les chameaux qui doivent transporter le parc d'artillerie, les vivres, les munitions, et tout ce qui est nécessaire à une armée qui traverse le désert.

Le général Kléber reçoit l'ordre de s'embarquer avec sa division, à Damiette. Les Français s'étaient rendus maîtres de la navigation du lac Menzalëh. Bonaparte ordonne à Kléber de se rendre par ce lac à Tinëh et de là à Cathiëh, de manière à y arriver le 16 pluviôse.

Le général Regnier était parti de Belbéis, avec son état-major, le 4 pluviôse, pour se rendre à Salêhiëh, qu'il avait quitté le 14, afin d'arriver le 16 à Cathiëh où il rejoint son avant-garde; il en part le 18 et prend la route de El-A'rych. Ce village et le fort étaient occupés par deux mille hommes de troupes du pacha d'Acre.

Le général Lagrange, avec deux bataillons de la 85e demi-brigade, un bataillon de la 75e et deux pièces de canon, formait l'avant-garde du général Regnier. Le 20 pluviôse, il aperçoit, en approchant des fontaines de Massoudiac, un parti de marmeloucks auxquels ses tirailleurs donnent la chasse. Il arrive le soir au bois de palmiers près de la mer, en avant de El-A'rych. Le 21, il se porte avec rapidité sur les montagnes de sable qui dominent El-A'rych; il y prend position et y place son artillerie.

Le général Regnier fait battre la charge; à l'instant l'avant-garde se précipite de droite et de gauche sur le village, que Regnier attaquait de front. Malgré la position favorable de l'ennemi dans ce village, situé sur un amphithéâtre, bâti en maisons de pierres crénelées et soutenu par le fort; malgré la vivacité du feu et la résistance la plus opiniâtre, le village est enlevé à la baïonnette; l'ennemi se retire dans le fort et barricade les portes avec tant de précipitation, qu'il abandonne environ trois cents hommes qui sont tués ou faits prisonniers.

Dès le soir, le blocus du fort de El-A'rych est formé par le général Regnier. Ce jour-là même, on avait signalé, sur la route de Ghazah, un corps de cavalerie et d'infanterie qui escortait un convoi destiné à l'approvisionnement de El-A'rych. Ce renfort s'augmente et se grossit jusqu'au 25, où l'ennemi, devenu audacieux par la supériorité que lui donne sa cavalerie, vient camper à une demi-lieue de El-A'rych, sur un plateau couvert d'un ravin très escarpé, position dans laquelle il se croit inexpugnable.

Cependant le général Kléber arrive avec quelques troupes de sa division. Dans la nuit du 26 au 27, une partie de la division Regnier tourne le ravin qui couvrait le camp des mameloucks; elle se précipite dans le camp dont elle est bientôt maîtresse, et tout ce qui ne peut échapper par une prompte fuite est tué ou fait prisonnier. Une multitude de chameaux et de chevaux, des provisions de bouche et de guerre, et tous les équipages des mameloucks tombent au pouvoir des vainqueurs. Deux beys et quelques kiachefs sont tués sur le champ de bataille. C'est le surlendemain de cette glorieuse journée que Bonaparte paraît devant El-A'rych.

Il était encore le 21 au Caire, lorsqu'il reçut un exprès d'Alexandrie, qui lui annonça que le 15, la croisière anglaise, renforcée de quelques bâtimens, bombardait le port et la ville. Il juge aussitôt que ce bombardement ne peut avoir d'autre but que de le détourner de son expédition de Syrie, dont le mouvement commencé avait déjà alarmé les Anglais et le pacha d'Acre. Il laisse donc les Anglais continuer leur bombardement, qui n'a d'autre effet que de couler quelques bâtimens de transport, et part le 22 du Caire, avec son état-major, pour aller coucher à Belbéis. Le 23, il couche à Coreid; le 24 à Salêhiëh; le 25 à Kantara, dans le désert; le 26 à Cathiëh; le 27 au puits de Bir-êl-Ayoub; le 28 au puits de Massoudiac; et le 29, enfin, à El-A'rych, où se réunissent en même temps les divisions Bon et Lannes et le parc de l'expédition.

Le général Regnier avait fait tirer contre le fort quelques coups de canon, et commencer des boyaux d'approche; mais n'ayant pas assez de munitions pour battre en brèche, il avait sommé le commandant du fort et resserré le blocus; il avait aussi fait pousser une mine sous l'une des tours; elle fut éventée par l'ennemi.

Le 30 pluviôse, l'armée prend position devant El-A'rych, sur les monticules de sable, entre le village et la mer. Bonaparte fait canonner une des tours du château, et dès que la brèche est commencée, il somme la place de se rendre.

La garnison était composée d'Arnautes, de Maugrabins, tous barbares sans chefs, ne connaissant aucun des usages, aucun des principes professés dans la guerre par les nations policées. Il s'établit une correspondance également bizarre et curieuse, et qui seule suffirait pour peindre les barbares.

Bonaparte, qui avait le plus grand intérêt à ménager son armée et ses munitions, se prête patiemment à la bizarrerie de leurs procédés; il diffère l'assaut. On continue à parlementer et à tirer successivement. Enfin, le 2 ventôse, la garnison, forte de seize cents hommes, se rend, et met bas les armes, sous la condition de se retirer à Bagdad par le désert. Une partie des Maugrabins prend du service dans l'armée française. On trouve dans le fort environ deux cent cinquante chevaux, deux pièces d'artillerie démontées, et des vivres pour plusieurs jours. Le 3, Bonaparte fait partir pour le Caire les drapeaux enlevés à l'ennemi, et les mameloucks faits prisonniers.

Le 4 ventôse, le général Kléber, à la tête de sa division et de la cavalerie, part de El-A'rych, pour se porter sur Kan-Jounes, premier village qu'on trouve dans la Palestine en sortant du désert.

Le 5, le quartier-général quitte aussi El-A'rych, avec la même destination. Il arrive jusque sur les hauteurs de Kan-Jounes sans avoir de nouvelles de la division Kléber. Le général en chef pousse quelques hommes de son escorte dans le village; les Français n'y avaient point encore paru; quelques mameloucks qui s'y trouvent prennent la fuite, et se retirent au camp d'Abdalla-Pacha, qu'on aperçoit à une lieue de là, sur la route de Ghazah.

Bonaparte n'avait qu'un simple piquet pour escorte. Convaincu que la division Kléber s'est égarée, il se retire sur Santon, trois lieues en avant de Kan-Jounes, dans le désert. Il y trouve l'avant-garde de la cavalerie. Les guides avaient égaré la division Kléber dans le désert; mais ce général ayant arrêté quelques Arabes, les avait forcés de le remettre dans la route dont il s'était éloigné d'une journée de chemin. La division arrive le 6, à huit heures du matin, après quarante-huit heures de la marche la plus pénible, sans avoir pu se procurer une goutte d'eau.

Les divisions Bon et Lannes, qui avaient suivi ses traces, s'égarent également une partie du chemin; ces trois divisions, qui, d'après les ordres, n'auraient dû arriver que successivement, se réunissent presque en même temps au Santon. Les puits sont bientôt à sec. On creuse avec peine pour obtenir un peu d'eau; l'armée, qu'une soif ardente dévore, ne peut obtenir qu'un léger soulagement à ses souffrances et à ses besoins.

La division Regnier était restée à El-A'rych, avec l'ordre d'y attendre que tous les prisonniers de guerre l'eussent évacué, que le fort, qui était la clef de l'Égypte, fût mis dans un état de défense respectable, et que le parc d'artillerie fût en marche. Elle devait former l'arrière-garde de l'armée à deux journées de distance.

Le 6 ventôse, le quartier-général et l'armée marchent sur Kan-Jounes.

À une lieue en avant de ce village, on voit sur la route quelques colonnes de granit, et quelques morceaux de marbre épars qu'on pourrait prendre d'abord pour les débris d'un ancien monument; mais comme à quelques toises de là on trouve le puits de Reffa, d'une belle construction, et qui donne de l'eau en grande abondance, il est naturel de penser que ces ruines sont les restes d'un ker-van-serai, où s'arrêtaient les caravanes, pour faire de l'eau à l'entrée du désert qui sépare la Syrie de l'Égypte.

L'armée venait de traverser soixante lieues du désert le plus aride, car les habitations de Cathiëh et de El-A'rych ne présentent que des huttes de terre, et quelques palmiers près des puits. Elle trouva une véritable jouissance à son entrée dans les plaines de Ghazah, et à l'aspect des montagnes de la Syrie.

À l'approche de l'armée, Abdalla, qui était campé avec les mameloucks et son infanterie, à une lieue de Kan-Jounes, avait levé son camp, et s'était replié sur Ghazah.

Le 7, l'armée part de Kan-Jounes, et marche sur Ghazah. À deux lieues de cette ville, on aperçoit un corps de cavalerie qui occupait la hauteur.

Bonaparte dispose en carré chacune des divisions. Celle du général Kléber forme la gauche, et se dirige sur Ghazah, à la droite de l'ennemi; le général Bon occupe le centre, et marche vers son front; la colonne de droite est formée par la division Lannes, qui se dirige sur les hauteurs, et tourne les positions qu'occupait Abdalla; le général Murat, ayant sous ses ordres la cavalerie et six pièces de canon, marchait en avant de l'infanterie, et se disposait à charger l'ennemi.

À son approche, la cavalerie d'Abdalla fait plusieurs mouvemens qui annoncent de l'indécision dans ses desseins. Elle s'ébranle, et paraît vouloir charger; mais bientôt elle rétrograde, et se retire au galop pour prendre une nouvelle position. Le général Murat pousse des partis et fait manœuvrer la cavalerie, pour engager les Turcs à le charger ou à attendre la charge; mais bientôt ils se replient à mesure qu'il avance, et à la nuit ils avaient entièrement disparu; la division Kléber avait coupé quelques uns de leurs tirailleurs, et en avait tué une vingtaine.

L'armée se trouvait à une lieue au-delà de Ghazah; elle prend position sur les hauteurs qui dominent la place, et le quartier-général campe près de cette ville.

Le fort de Ghazah est de forme circulaire, du diamètre d'environ quarante toises, et flanqué de tours. Il renfermait seize milliers de poudre, une grande quantité de cartouches, des munitions de guerre, et quelques pièces de canon. On trouva en outre dans la ville cent mille rations de biscuit, du riz, des tentes et une grande quantité d'orge.

Les habitans avaient envoyé des députés au-devant des Français; ils sont traités en amis. L'armée séjourne le 8 et le 9 dans la ville. Bonaparte consacre ces deux jours à l'organisation civile et militaire de la place et du pays: il forme un divan composé de plusieurs Turcs habitans de la ville, et part, le 10 ventôse, pour Jaffa, où l'ennemi rassemblait ses forces.

Les convois de vivres et de munitions expédiés des magasins de Cathiëh, n'avaient pu suivre la marche de l'armée. Ils étaient arriérés de plusieurs jours de marche, mais les magasins que l'ennemi avait abandonnés à Ghazah mirent l'armée en état de ne pas souffrir de ce retard.

Le désert qui conduit de Ghazah à Jaffa est une plaine immense, couverte de monticules de sable mouvant, que la cavalerie ne parvient à franchir qu'avec beaucoup de difficultés. Les chameaux s'y traînent lentement et péniblement; on est contraint, l'espace d'environ trois lieues, de tripler les attelages de l'artillerie.

L'armée couche le 11 à Ezdoud, et le 12 à Ramlëh, village habité en grande partie par des chrétiens: elle y trouve des magasins de biscuit, que l'ennemi n'avait pas eu le temps d'évacuer; on en trouve également au village de Lida. Des hordes d'Arabes rôdaient autour de ces villages pour les piller; des partis les repoussent et les mettent en déroute. Le 13 ventôse, l'avant-garde, formée par la division Kléber, arrive devant Jaffa. À son approche, l'ennemi se retire dans l'intérieur de la place, et canonne les éclaireurs. Les autres divisions et la cavalerie arrivent quelques heures après.

La cavalerie et la division Kléber ont ordre de couvrir le siége de Jaffa, en prenant position sur la rivière de Lahoya, à deux lieues environ sur la route d'Acre. Les divisions Bon et Lannes forment l'investissement de la ville.

Le 14, on fait la reconnaissance de la place. Jaffa est entouré d'une muraille sans fossés, flanquée de bonnes tours avec du canon. Deux forts défendent le port et la rade; la place paraissait bien armée. On décide le front de l'attaque au sud de la ville, contre les parties les plus élevées et les plus fortes.

Dans la nuit du 14 au 15, la tranchée est ouverte; on établit une batterie de brèche et deux contre-batteries sur la tour carrée, la plus dominante du front d'attaque. On construit une batterie au nord de la place, afin d'établir une diversion.

Les journées du 15 et du 16 sont employées à avancer et perfectionner les travaux. L'ennemi fait deux sorties; il est repoussé vigoureusement et avec perte dans la place; les batteries commencent enfin leur feu.

Le 16, à la pointe du jour, on commence à canonner la place. La brèche est jugée praticable à quatre heures du soir. L'assaut est ordonné. Les carabiniers de la 22e demi-brigade d'infanterie légère s'élancent à la brèche; l'adjudant-général Rambaud, l'adjudant Netherwood, l'officier de génie Vernois sont à leur tête; ils ont avec eux des ouvriers du génie et de l'artillerie. Les chasseurs suivent les éclaireurs. Ils gravissent la brèche sous le feu de quelques batteries de flanc qu'on n'avait pu éteindre. Ils parviennent, après des prodiges de valeur, à se loger dans la tour carrée. Le chef de brigade de la 22e, le citoyen Lejeune, officier très distingué, est tué sur la brèche. L'ennemi fait à plusieurs reprises les plus grands efforts pour repousser la 22e demi-brigade; mais elle est soutenue par la division Lannes, et par l'artillerie des batteries qui mitraillent l'ennemi dans la ville, en suivant les progrès des assiégeans.

La division Lannes gagne de toit en toit, de rue en rue; bientôt elle a escaladé et pris les deux forts. L'aide-de-camp Duroc se distingue par son intrépidité.

La division Bon, qui avait été chargée des fausses attaques, pénètre dans la ville; elle est sur le port. La garnison poursuivie se défend avec acharnement, et refuse de poser les armes; elle est passée au fil de l'épée. Elle était composée de douze cents canonniers turcs et de deux mille cinq cents Maugrabins ou Arnautes. Trois cents Égyptiens qui s'étaient rendus, sont renvoyés au sein de leurs familles. La perte de l'armée française est d'environ trente hommes tués et deux cents blessés.

Bonaparte, maître de la ville et des forts, ordonne qu'on épargne les habitans. Le général Robin prend le commandement, et parvient à arrêter les désordres qui suivent ordinairement un assaut, surtout quand il est soutenu par des barbares qui ne connaissent aucun des usages militaires des nations policées. Les habitans sont protégés; et, le 17, chacun était rentré dans son habitation.

On trouve dans la place quarante pièces de canon ou obusiers de seize, formant l'équipage de campagne envoyé à Djezzar par le grand-seigneur, et une vingtaine de pièces de rempart, tant en fer qu'en bronze; il y avait dans le port environ quinze petits bâtimens de commerce.

Le général en chef donne les ordres nécessaires pour mettre la place et le port en état de défense, et pour établir dans la ville un hôpital et des magasins; il y forme un divan composé des Turcs les plus notables du pays, et expédie, avec l'heureuse nouvelle de la reddition de cette place, l'ordre au contre-amiral Pérée de sortir d'Alexandrie avec les trois frégates, et de se rendre à Jaffa. Cette place allait devenir le port et l'entrepôt de tout ce qu'on devait recevoir de Damiette et d'Alexandrie; elle pouvait être exposée à des descentes et à des incursions. Bonaparte en confie le commandement à l'adjudant-général Gresier, militaire également distingué par ses talens et sa bravoure. Il est mort de la peste.

Le général Regnier était arrivé à Rombih le 19 ventôse. Il y reçoit l'ordre de se rendre à Jaffa, d'y prendre position avec sa division, de donner des escortes aux convois, et de rejoindre ensuite l'armée.

La division Kléber était campée à Misky, en avant de la position qu'elle avait occupée pour couvrir le siége de Jaffa; le 24, les divisions Bon, Lannes et le quartier-général partent de Jaffa, et rejoignent à Misky l'avant-garde. Le 25, l'armée marche sur Zeta. À midi, l'avant-garde a connaissance d'un corps de cavalerie ennemie. Abdalla-Pacha avait pris position, avec deux mille chevaux, sur les hauteurs de Korsoum, ayant à sa gauche un corps de dix mille Turcs qui occupaient la montagne. Le projet du pacha était d'arrêter l'armée, en prenant position sur son flanc, de la déterminer à s'engager dans les montagnes de Naplouze, et de retarder ainsi sa marche sur la ville d'Acre.

Les divisions Kléber et Bon se forment en carré, et marchent sur la cavalerie ennemie qui évite le combat. La division Lannes reçoit l'ordre de se porter sur la droite d'Abdalla, de manière à le couper et à le contraindre de se retirer sous Acre ou Damas, sans s'engager elle-même dans les montagnes.

Cette division se laisse emporter par son ardeur; et, suivant au milieu des rochers l'ennemi qui se retire, elle attaque les Naplouzains, qu'elle met en déroute. L'infanterie légère se met à leur poursuite, et s'élance beaucoup trop en avant; le général en chef est obligé de lui réitérer plusieurs fois l'ordre de se replier, et de cesser un combat engagé sans aucun but; elle obéit enfin et cesse de poursuivre l'ennemi. Les Naplouzains prennent ce mouvement rétrograde pour une fuite, et poursuivent à leur tour l'infanterie légère, qu'ils fusillent avec avantage au milieu des rochers qu'ils connaissent. La division soutient les chasseurs, et tâche d'attirer les Naplouzains dans la plaine; mais ils s'arrêtent au débouché des montagnes. Cette affaire a coûté quatre cents hommes à l'ennemi; les Français ont eu quinze hommes tués et trente blessés.

Le 25, l'armée et le quartier-général bivouaquent à la tour de Zeta, à une lieue de Korsoum; le 26, à Sabarin, au débouché des gorges du mont Carmel, sur la plaine d'Acre. La division Kléber se porte sur Caïffa, que l'ennemi abandonne à son approche; on y trouve environ vingt mille rations de biscuit et autant de riz.

Caïffa est fermé de bonnes murailles flanquées de tours. Un château défend la rade et le port. Une tour, avec embrasures et créneaux, domine la ville à cent cinquante toises; elle-même, elle est dominée par le mont Carmel. Le port de Caïffa aurait été d'une grande utilité pour l'armée française, si, en l'évacuant, l'ennemi n'eût emmené avec lui l'artillerie et les munitions du fort. On laisse une garnison dans le château, et, le 27, on marche sur Saint-Jean-d'Acre. Les chemins étaient très mauvais, le temps très brumeux; l'armée n'arrive que très tard à l'embouchure de la rivière d'Acre, qui coule, à quinze cents toises de la place, dans un fond marécageux. Ce passage était d'autant plus dangereux à tenter de nuit, que l'ennemi avait fait paraître sur la rive opposée des tirailleurs d'infanterie et de cavalerie. Cependant le général Andréossy fut chargé de reconnaître les gués. Il passa avec le second bataillon de la 4e d'infanterie légère, et s'empara, à l'entrée de la nuit, de la hauteur du camp retranché. Le chef de brigade Bessières, avec une partie des guides et deux pièces d'artillerie, prit position entre le plateau et la rivière de Saint-Jean-d'Acre.

On travaille pendant la nuit à un pont sur lequel toute l'armée passe la rivière, le 28, à la pointe du jour. Bonaparte se porte aussitôt sur une hauteur qui domine Saint-Jean-d'Acre, à mille toises de distance. L'ennemi tenait encore en dehors de la place, dans les jardins dont elle est entourée; Bonaparte le fait attaquer, et le force de se renfermer dans la place.

SIÈGE DE SAINT-JEAN-D'ACRE

L'armée prend position, et bivouaque sur une hauteur isolée, qui se prolonge au nord jusqu'au cap Blanc, l'espace d'une lieue et demie, et domine une plaine d'environ une lieue trois quarts de longueur, terminée par les montagnes qui joignent le Jourdain. Les provisions trouvées, tant dans les magasins de Caïffa, que dans les villages de Cheif-Amrs et Nazareth, servent à la subsistance de l'armée; les moulins de Tanoux et de Kerdonné sont employés à moudre les blés; l'armée n'avait pas eu de pain depuis le Caire.

Bonaparte, pour éclairer les débouchés de la route de Damas, fait occuper les châteaux de Saffet, Nazareth et Cheif-Amrs.

Le 29, les généraux Dommartin et Caffarelli font une première reconnaissance de la place, et l'on se décide à attaquer le front de l'angle saillant à l'est de la ville; le chef de brigade du génie Samson, en faisant la reconnaissance de la contrescarpe, est atteint d'une balle qui lui traverse la main.

Le 30, on ouvre la tranchée à environ cent cinquante toises de la place, en profitant des jardins, des fossés de l'ancienne ville, et d'un aqueduc qui traverse le glacis. Le blocus est établi de manière à repousser les sorties avec avantage, et à empêcher toute communication. On travaille aux brèches et aux contre-brèches; on n'avait point encore eu de nouvelles de l'artillerie embarquée à Alexandrie.

Le commandant de l'escadre anglaise, informé qu'il y avait dans Caïffa des approvisionnemens considérables, forma le projet de les enlever, et de se rendre maître en même temps de quelques bâtimens chargés de vivres et récemment arrivés de Jaffa. Le commandement de Caïffa avait été confié au chef d'escadron Lambert, militaire distingué.

Le 2 germinal, on entend du camp d'Acre une vive canonnade vers Caïffa; bientôt on apprend que plusieurs chaloupes anglaises, armées de canons de 32, étaient venues attaquer Caïffa, et s'étaient portées sur les bâtimens de transport pour s'en emparer. Le chef d'escadron Lambert avait ordonné de laisser approcher les Anglais jusqu'à terre, sans paraître faire aucun mouvement de défense; mais il avait masqué un obusier, et embusqué les soixante hommes qui composaient sa garnison; au moment où les Anglais touchent terre, il se jette sur eux à la tête de ses braves, aborde une de leurs chaloupes, s'en empare, leur enlève une pièce de 32, et leur fait dix-sept prisonniers. Enfin le feu de son obusier est dirigé sur les autres chaloupes avec tant de succès qu'elles prennent la fuite, ayant plus de cent hommes tués ou blessés. Le commodore anglais ainsi repoussé abandonne ses projets contre Caïffa, et vient mouiller devant Acre.

Les travaux du siége se continuaient avec activité. Le 6, l'ennemi fait une sortie; il est repoussé avec perte. Le 8, les batteries de brèche et les contre-batteries sont prêtes. L'artillerie de siége n'est pas encore arrivée: on est réduit à faire jouer l'artillerie de campagne. Au jour, on bat en brèche la tour d'attaque; vers trois heures, elle se trouve percée; on avait en même temps poussé un rameau de mine pour faire sauter la contrescarpe. La mine joue; on assure qu'elle a produit son effet, et que la contrescarpe est entamée. Les troupes demandent vivement l'assaut; on cède à leur impatience; l'assaut est décidé.

On jugeait la brèche semblable à celle de Jaffa; mais les grenadiers s'y sont à peine élancés qu'ils se trouvent arrêtés par un fossé de quinze pieds, revêtu d'une bonne contrescarpe. Cet obstacle ne ralentit pas l'ardeur. On place des échelles; la tête des grenadiers est déjà descendue; la brèche était encore à huit ou dix pieds; quelques échelles y sont placées. L'adjoint aux adjudans-généraux Mailly, monte le premier, et meurt percé d'une balle.

Le feu de la place était terrible; il n'était résulté d'autre effet de la mine qu'un entonnoir sur le glacis; la contrescarpe n'est point entamée; elle arrête et force à la retraite une partie des grenadiers destinés à soutenir les premiers qui avaient passé. Les adjudans-généraux Escale et Laugier sont tués.

Un premier mouvement de terreur s'était emparé des assiégés; déjà ils fuyaient vers le port; mais bientôt ils se rallient et reviennent à la brèche. Son élévation, à huit ou dix pieds au-dessus des décombres, rend inutiles tous les efforts des grenadiers français pour y monter.

L'ennemi a le temps de revenir sur le haut de la tour, d'où il fait pleuvoir sur les assiégeans les pierres, les grenades et les matières inflammables. Le peloton de grenadiers, qui est parvenu au pied de la brèche, frémit de ne pouvoir la franchir, et de se voir forcé de rentrer dans les boyaux. Six hommes sont tués, vingt sont blessés dans cette attaque.

La prise de Jaffa avait donné à l'armée française une confiance qui lui fit d'abord considérer la place d'Acre avec trop peu d'importance. On traitait comme affaire de campagne un siége qui exigeait toutes les ressources de l'art, privé surtout, comme on l'était, de l'artillerie et des munitions nécessaires à l'attaque d'une place environnée d'un mur flanqué de bonnes tours, et entouré d'un fossé avec escarpe et contrescarpe.

Étonné et fier de sa résistance, l'ennemi fait, le 10, une vive sortie; repoussé avec une perte considérable, il se retire, ou plutôt il fuit dans ses murs. Le chef de brigade du génie Detroye, périt dans cette action.

Le 12, une frégate vient mouiller dans la rade de Caïffa. Le chef d'escadron Lambert ayant reconnu le pavillon turc, avait défendu à ses braves de se montrer; la frégate, ignorant que Caïffa est au pouvoir des Français, envoie son canot à terre avec le capitaine en second et vingt hommes; ils débarquent avec sécurité; mais à l'instant Lambert les enveloppe, les fait prisonniers, et s'empare du canot.

Djezzar avait envoyé des émissaires aux Naplouzains, et aux villes de Saïd, de Damas et d'Alep. Il leur avait fait passer beaucoup d'argent pour faire lever en masse tous les musulmans en état de porter les armes, afin, disait-il dans ses firmans, de combattre les infidèles.

Il leur annonçait que les Français n'étaient qu'une poignée d'hommes; qu'ils manquaient d'artillerie, tandis qu'il était soutenu par des forces anglaises formidables, et qu'il suffisait de se montrer pour exterminer Bonaparte et son armée.

Cet appel produisit son effet. On apprit par les chrétiens qu'il se faisait à Damas des rassemblements de troupes, et qu'on établissait des magasins considérables au fort de Tabarié, occupé par les Maugrabins.

Djezzar, dans l'assurance de voir paraître au premier moment l'armée combinée de Damas, faisait de fréquentes sorties, qui lui coûtaient beaucoup de monde.

Bonaparte attendait encore, le 12, son artillerie de siége qui devait lui arriver par mer; il apprend ce jour-là même que trois bâtimens de la flottille partie de Damiette, et chargée de provisions de bouche et de guerre, avaient, par une brume très forte, donné dans l'escadre anglaise qui s'en était emparée, mais que le reste de la flottille était heureusement arrivé à Jaffa. Ces trois bâtimens portaient quelques pièces de siége; quant aux frégates, qui, après la prise de Jaffa, avaient dû appareiller d'Alexandrie, on n'en avait point encore de nouvelles.

On continue de battre en brèche, on fait sauter une portion de la contrescarpe. Bonaparte ordonne qu'on tente de se loger dans la tour de la brèche; mais l'ennemi l'avait tellement remplie de bois, de sacs de terre, et de balles de coton auxquelles les obus avaient mis le feu, que l'entreprise ne put réussir. On fut contraint d'attendre quelques pièces de siége et d'autres munitions pour faire une nouvelle attaque. Provisoirement, on travaille à pousser un rameau, à l'effet d'établir une mine sous la tour de brèche et de la faire sauter; ce qui aurait ouvert la place. Cet ouvrage était important; l'ennemi en a connaissance et fait de nouvelles sorties, dans l'intention de s'emparer de la mine; mais il est toujours repoussé avec perte.

Djezzar était parvenu à soulever et faire armer les habitans de Sour, l'ancienne Tyr. Le général Vial part le 14, à la pointe du jour, pour s'en rendre maître. Il y arrive après onze heures de marche, par des chemins impraticables pour l'artillerie. Il trouve au passage du cap Blanc, sur le haut de la montagne, les restes d'un château bâti par les Mutualis, il y a cent cinquante ans, et détruit par Djezzar. Après avoir passé le cap Blanc, et en entrant dans la plaine, il reconnaît les vestiges d'un fort et les ruines de deux temples.

À l'approche du général Vial et de ses troupes, les habitans de Sour effrayés avaient pris la fuite. On les rassure; on leur promet paix et protection s'ils renoncent à leurs dispositions hostiles, ils rentrent dans la ville; Turcs et chrétiens sont également protégés. Le général Vial laisse à Sour une garnison de deux cents Mutualis, et rentre le 16 germinal, avec son détachement, dans le camp sous Acre.

Le 18, à la pointe du jour, l'ennemi fait une sortie générale sur trois colonnes; à la tête de chacune d'elles on voit des troupes anglaises tirées des équipages et des garnisons des vaisseaux; les batteries de la place étaient servies par des canonniers de cette nation.

On reconnaît aussitôt que le but de cette sortie est de s'emparer des premiers postes et des travaux avancés; à l'instant on dirige, des places d'armes et des parallèles, un feu si violent et si bien nourri sur les colonnes, que tout ce qui s'est avancé est tué ou blessé. La colonne du centre montre plus d'opiniâtreté que les autres. Elle avait ordre de s'emparer de l'entrée de la mine; elle était commandée par un capitaine anglais, ce même Thomas Aldfield qui entra le premier dans le cap de Bonne-Espérance. Cet officier s'élance avec quelques braves de sa nation à la porte de la mine; il tombe à leurs pieds, et sa mort arrête leur audace. L'ennemi fuit de toutes parts, et se renferme avec précipitation dans la place. Les revers des parallèles restent couverts de cadavres anglais et turcs.

Des déserteurs grecs et turcs s'échappent de la place; ils confirment, par leurs rapports, que les batteries sont servies par des Anglais, et que le commodore Sydney Smith a près de lui des émigrés français, entre autres l'ingénieur Phelippeaux.

On leur demande ce que sont devenus quelques soldats français qui ont été blessés et faits prisonniers dans diverses attaques; ils répondent qu'après les avoir fait mutiler, Djezzar a ordonné de promener par la ville leurs têtes sanglantes et leurs membres palpitans.

Quelques jours après l'assaut du 8, les soldats avaient remarqué sur le rivage une grande quantité de sacs; ils les ouvrent. Ô crime!.. ils voient des cadavres attachés deux à deux. On questionne les déserteurs, et l'on apprend d'eux que plus de quatre cents chrétiens qui étaient dans les prisons de Djezzar, en ont été tirés par les ordres de ce monstre, pour être liés deux à deux, cousus dans des sacs et jetés à l'eau.

Nations, qui savez allier avec les droits de la guerre ceux de l'honneur et de l'humanité, si les événemens vous eussent forcées d'unir votre pavillon et vos drapeaux à ceux d'un Djezzar, j'en appelle à votre magnanimité, vous n'eussiez point souffert qu'un barbare les souillât par de pareilles atrocités; vous l'eussiez contraint de se soumettre aux principes d'honneur et d'humanité que professent tous les peuples civilisés.

Bonaparte est informé par des chrétiens de Damas, qu'un rassemblement considérable, composé de mameloucks, de janissaires de Damas, de Deleti, d'Alepins, de Maugrabins, se met en marche pour passer le Jourdain, se réunir aux Arabes et aux Naplouzains, et attaquer l'armée devant Acre en même temps que Djezzar faisait une sortie soutenue par le feu des vaisseaux anglais.

Le commandant du château de Saffet prévient que quelques corps de troupes ont passé le pont de Jacoub sur le Jourdain. L'officier qui commande les avant-postes de Nazareth, annonce de son côté qu'une autre colonne a passé le pont dit Djesr-el-Mekanié, et se trouve déjà à Tabarié; que les Arabes se montrent au débouché des montagnes de Naplouze; que Genin et Tabarié reçoivent des approvisionnemens considérables.

Le général de brigade Junot avait été envoyé à Nazareth pour observer l'ennemi; il apprend qu'il se forme sur les hauteurs de Loubi, à quatre lieues de Nazareth, dans la direction de Tabarié, un rassemblement dont les partis se montrent dans le village de Loubi. Il se met en marche avec une partie de la 2e légère, trois compagnies de la 19e, formant environ trois cent cinquante hommes, et un détachement de cent soixante chevaux de différens corps, pour faire une reconnaissance. À peu de distance de Ghafar-Kana, il aperçoit l'ennemi sur la crête des hauteurs de Loubi; il continue sa route, tourne la montagne et se trouve engagé dans une plaine où il est environné, assailli par trois mille hommes de cavalerie. Les plus braves se précipitent sur lui; il ne prend alors conseil que des circonstances et de son courage. Les soldats se montrent dignes d'un chef aussi intrépide, et forcent l'ennemi d'abandonner cinq drapeaux dans leurs rangs. Le général Junot, sans cesser de combattre, sans se laisser entamer, gagne successivement les hauteurs jusqu'à Nazareth; il est suivi jusqu'à Ghafar-Kana, à deux lieues du champ de bataille. Cette journée coûte à l'ennemi, outre les cinq drapeaux, cinq à six cents hommes tant tués que blessés. On ne peut donner trop d'éloges au courage et au sang-froid qu'a déployés le chef de brigade Duvivier dans cette affaire.

Bonaparte, à la nouvelle du combat de Loubi, donne ordre au général Kléber de partir du camp d'Acre avec le reste de l'avant-garde, pour rejoindre le général Junot à Nazareth.

Kléber bivouaque le 20 à Bedaouïé, près Safarié, et se rend le lendemain à Nazareth pour y prendre des vivres. Informé que l'ennemi n'a point quitté la position de Loubi, il prend la résolution de marcher à lui et de l'attaquer le lendemain 22 germinal. Il était à peine à la hauteur de Ledjarra, à un quart de lieue de Loubi, et à une lieue et demie de Kana, que l'ennemi, descendant des hauteurs, débouche dans la plaine. Le général Kléber est aussitôt enveloppé par quatre mille hommes de cavalerie et cinq ou six cents d'infanterie, qui se mettent en devoir de le charger. Il les prévient, attaque à la fois et la cavalerie et le camp de Ledjarra, qu'il emporte. L'ennemi abandonne le champ de bataille et se retire en désordre vers le Jourdain, où il aurait été poursuivi, si la division n'eût été dépourvue de cartouches. Les troupes rentrent dans la position de Safarié et de Nazareth. Après l'affaire de Ledjarra ou Kana, l'ennemi se retire, partie sur Tabarié, partie sur le pont de Êl-Mekanié, et partie sur le Baïzard. Ce dernier point devient le rendez-vous d'un rassemblement général, d'où, le 25, toute l'armée ennemie se rend dans la plaine de Fouli, anciennement dite d'Esdrelon; elle y opère sa jonction avec les Samaritains ou Naplouzains. Cette armée pouvait monter, d'après les rapports du général Kléber, à quinze ou dix-huit mille hommes environ; les récits exagérés des habitans du pays la portaient à quarante ou cinquante mille hommes. Kléber annonce en même temps qu'il part pour l'attaquer.

Bonaparte est de plus informé par le capitaine Simon, commandant de Saffet, que le 24 les ennemis se sont présentés, qu'ils ont dévasté les environs, qu'il s'est retiré avec son détachement dans le fort, où il a été attaqué; que les assiégeans ont tenté l'escalade, qu'ils ont été repoussés avec une grande perte, mais qu'il se trouve bloqué avec peu de vivres et de munitions. Le capitaine Simon s'était conduit, dans cette occasion, avec autant de talent que de bravoure. Le citoyen Tedesio, employé dans l'administration, qui était fort bien monté, et se trouvait en outre le seul du détachement qui eût un cheval, ayant été reconnaître l'ennemi avec quelques Mutualis, fut malheureusement atteint d'une blessure mortelle.

Bonaparte juge qu'il faut une bataille générale et décisive pour éloigner une multitude qui, avec l'avantage du nombre, viendrait le harceler jusque dans son camp. Une fois battus, ces peuples, qu'on ne peut conduire malgré eux au combat, seraient moins confians dans les assurances de Djezzar, et peu tentés de se mesurer de nouveau avec les Français.

Bonaparte reconnaît les inconvéniens d'un combat devant la place d'Acre, et se décide à faire attaquer l'ennemi sur tous les points, afin de le forcer à repasser le Jourdain.

On arrive de Damas en traversant le Jourdain, soit à la droite du lac de Tabarié, sur le pont de Jacoub, à trois lieues duquel est situé le château de Saffet; soit à la gauche de ce lac, sur le pont de Êl-Mekanié, à très peu de distance du fort de Tabarié. Chacun de ces deux forts est bâti sur la rive droite du Jourdain.

Le 24, le général de brigade Murat part du camp d'Acre, avec mille hommes d'infanterie et un régiment de cavalerie. Il a ordre de marcher à grandes journées sur le pont de Jacoub, et de s'en emparer, de prendre en revers l'ennemi qui bloquait Saffet, et de se réunir ensuite avec le plus de célérité possible au général Kléber, qui devait avoir en présence des forces considérables.

Le général Kléber avait prévenu qu'il partait le 25 pour tourner l'ennemi dans sa position de Fouli et Tabarié, le surprendre et l'attaquer de nuit dans son camp.

Bonaparte laisse devant Acre les divisions Regnier et Lannes; il part le 26 avec le reste de sa cavalerie, la division Bon et huit pièces d'artillerie. Il prend position sur les hauteurs de Safarié où il bivouaque. Le 27, au point du jour, il marche sur Fouli, en suivant les gorges qui tournent les montagnes que l'artillerie ne peut traverser. À neuf heures du matin, il arrive sur les dernières hauteurs, d'où il découvre Fouli et le mont Thabor. Il aperçoit, à environ trois lieues de distance, la division Kléber qui était aux prises avec l'ennemi, dont les forces paraissaient être de vingt-cinq mille hommes de cavalerie, au milieu desquels se battaient deux mille Français. Il découvre en outre le camp des mameloucks, établi au pied des montagnes de Naplouze, à près de deux lieues en arrière du champ de bataille.

Bonaparte fait former trois carrés, dont deux d'infanterie et un de cavalerie; il fait ses dispositions pour tourner l'ennemi à une grande distance, dans l'intention de le séparer de son camp, de lui couper la retraite sur Jenin où étaient ses magasins, et de le culbuter dans le Jourdain, où il devait être coupé par le général Murat.

La cavalerie se porte, avec deux pièces d'artillerie légère, sur le camp des mameloucks; elle est commandée par l'adjudant-général Leturq: les deux colonnes d'infanterie se dirigent de manière à tourner l'ennemi.

Le général Kléber, qui avait reçu des munitions, quatre pièces de canon et un renfort de cavalerie, était parti le 26 de son camp de Safarié, avait marché au hasard dans l'intention d'attaquer l'ennemi le 27 avant le jour, en quelque nombre qu'il pût être; mais égaré par ses guides, retardé par la difficulté des chemins et des défilés qu'il avait rencontrés, il n'avait pu arriver, quelque diligence qu'il eût faite, qu'une heure après le soleil levé: de sorte que l'ennemi, prévenu par ses avant-postes de la hauteur d'Harmoun, avait eu le temps de monter à cheval.

Le général Kléber avait formé deux carrés d'infanterie, et avait fait occuper quelques ruines où il avait placé son ambulance. L'ennemi occupait le village de Fouli avec l'infanterie naplouzaine, et deux petites pièces de canon portées à dos de chameaux. Toute la cavalerie, au nombre de vingt-cinq mille hommes, environnait la petite armée de Kléber; plusieurs fois elle l'avait chargée avec impétuosité, mais toujours sans succès; toujours elle avait été vigoureusement repoussée par la mousqueterie et la mitraille de la division, qui combattait avec autant de valeur que de sang-froid.

Bonaparte, arrivé à une demi-lieue de distance du général Kléber, fait aussitôt marcher le général Rampon à la tête de la 52e, pour le soutenir et le dégager, en prenant l'ennemi en flanc et à dos. Il donne ordre au général Vial de se diriger avec la 18e vers la montagne de Noures, pour forcer l'ennemi à se jeter dans le Jourdain, et aux guides à pied de se porter à toute course vers Jenin, pour couper la retraite à l'ennemi sur ce point.

Au moment où les différentes colonnes prennent leur direction, Bonaparte fait tirer un coup de canon de douze. Le général Kléber, averti par ce signal de l'approche de Bonaparte, quitte la défensive; il attaque et enlève à la baïonnette le village de Fouli, passe au fil de l'épée tout ce qu'il rencontre, et continue sa marche au pas de charge sur la cavalerie, qui est aussi chargée par la colonne du général Rampon; celle du général Vial la coupe vers les montagnes de Naplouze, et les guides à pied fusillent les Arabes qui se sauvent vers Jenin.

Le désordre est dans tous les rangs de la cavalerie de l'ennemi; il ne sait plus à quel parti s'arrêter; il se voit coupé de son camp, séparé de ses magasins, entouré de tous côtés, enfin il cherche un refuge derrière le mont Thabor; il gagne pendant la nuit et dans le plus grand désordre, le pont de Èl-Mekanié, et un grand nombre se noie dans le Jourdain en essayant de le passer à gué.

Le général Murat avait, de son côté, parfaitement rempli le but de sa mission. Il avait chassé les Turcs du pont de Jacoub, surpris le fils du gouverneur de Damas, enlevé son camp, et tué tout ce qui n'avait pas fui; il avait débloqué Saffet, et poursuivi l'ennemi sur la route de Damas l'espace de plusieurs lieues. La colonne de cavalerie, envoyée sous la conduite de l'adjudant-général Leturq, avait surpris le camp des mameloucks, enlevé cinq cents chameaux avec toutes les provisions, tué un grand nombre d'hommes, et fait deux cent cinquante prisonniers. L'armée bivouaque le 27, au mont Thabor. L'ordre du jour est expédié de ce point aux différens corps de l'armée française qui occupent Tyr, Césarée, les cataractes du Nil, les bouches Pélusiaques, Alexandrie et les rives de la mer Rouge qui portent les ruines de Korsoum et d'Arsinoé.

Les Naplouzains de Noures, Jenin et Fouli n'avaient cessé, depuis le commencement du siége, d'attaquer les convois de l'armée française, d'entretenir des intelligences avec Djezzar, et de lui fournir des secours. Ces hostilités, d'un exemple si dangereux, méritaient un châtiment exemplaire. Bonaparte ordonne de brûler ces villages, et de passer au fil de l'épée tout ce qui s'y rencontrera; il reproche aux habitans, qui implorent sa clémence, d'avoir pris les armes contre lui, et d'avoir égorgé avec des circonstances horribles des soldats qui servaient d'escorte aux convois qu'ils avaient pillés. Cependant il se laisse fléchir, arrête la vengeance, et leur promet protection, s'ils restent tranquilles dans leurs montagnes.

Le général Murat n'avait pris encore aucun repos. Après avoir laissé un poste au pont de Jacoub, approvisionné Saffet, il s'était emparé des munitions de guerre et de bouche que l'ennemi avait abandonnées; les vivres renfermés dans ces magasins auraient suffi à nourrir l'armée pendant plus d'un an.

Le général Kléber prend position au bazar de Nazareth; il a l'ordre d'occuper les ponts de Jacoub et de Èl-Mekanié, les forts Saffet et de Tabarié, et de garder la ligne du Jourdain.

Le résultat de la bataille d'Esdrelon ou du mont Thabor est la défaite de vingt-cinq mille hommes de cavalerie, et de dix mille d'infanterie par quatre mille Français, la prise de tous les magasins de l'ennemi, de son camp, et sa fuite en désordre vers Damas. Ses propres rapports font monter sa perte à plus de cinq mille hommes. Il ne pouvait concevoir qu'au même moment il fût battu sur une ligne de neuf lieues, tant les mouvemens combinés sont inconnus à ces barbares.

Bonaparte rentre au camp d'Acre avec son état-major, la division Bon, et le corps de cavalerie aux ordres du général Murat. Il n'avait point encore eu de nouvelles de la manière dont le contre-amiral Pérée avait exécuté l'ordre qu'il lui avait expédié, après la prise de Jaffa, de sortir d'Alexandrie avec les frégates la Junon, la Courageuse et l'Alceste. Il apprend enfin que ce contre-amiral est devant Jaffa, qu'il a débarqué trois pièces de vingt-quatre, et six de dix-huit, avec des munitions.

Il donne ordre au contre-amiral Gantheaume de faire croiser ses frégates sur la côte de Tripoli, de Syrie et de Chypre, pour enlever les bâtimens qui approvisionnent la place d'Acre en vivres et en munitions.

Quelques Arabes, campés aux environs du mont Carmel, inquiétaient les communications de l'armée, l'adjudant-général Leturq part le 30 germinal avec un corps de trois cents hommes, surprend les Arabes dans leur camp, en tue une soixantaine, et leur enlève huit cents bœufs qui servent à nourrir l'armée.

Le 3 floréal, l'ennemi travaille à une place d'armes pour couvrir la porte par laquelle il faisait ses sorties, vers les bords de la mer du côté du sud. Le 5, la mine destinée à faire sauter la tour de siége est achevée; les batteries commencent à canonner la place; on met le feu à la mine; mais un souterrain qui se trouve sous la tour, offre une ligne de moindre résistance, et une partie de l'effort de la mine s'échappe vers la place. Il ne saute qu'un seul côté de la tour, et elle reste dans un état de brèche qui la rend aussi difficile à gravir qu'auparavant.

Bonaparte ordonne qu'une trentaine d'hommes essayent de s'y loger pour reconnaître comment elle se lie au reste de la place; les grenadiers parviennent aux décombres sous la voûte du premier étage, ils s'y logent; mais l'ennemi qui communiquait par la gorge, et qui occupait les débris des voûtes supérieures, les force à se retirer.

Le 6, les batteries continuent à démolir la tour de brèche; le soir on essaye de se loger au premier étage; les travailleurs y restent jusqu'à une heure du matin. L'ennemi, qu'on n'avait pu chasser des étages supérieurs, foudroie ces braves avec avantage, lance sur eux des matières incendiaires, et les force, malgré leur opiniâtreté, à évacuer le premier étage de la tour. Le général Vaud est dangereusement blessé dans cette attaque.

Le 8, l'armée fait une perte qui sera ressentie par toute la France; le brave Caffarelli meurt des suites de la blessure qu'il avait reçue à la tranchée du 20 germinal. Une balle lui avait cassé le bras, et il fallut recourir à l'amputation. Caffarelli emporte au tombeau les regrets universels. La patrie perd en lui un de ses plus glorieux défenseurs, la société un citoyen vertueux, les sciences et les arts un savant distingué, le génie un commandant rempli de connaissances et de ressources, les soldats un compagnon d'armes plein de bravoure, de dévouement et d'activité. L'expérience l'aurait rendu l'un des premiers généraux de son arme.

Cette perte est bientôt suivie de celle du chef de bataillon du génie, Say, jeune officier d'une grande espérance. Une balle l'avait blessé au bras sous les murs de Saint-Jean-d'Acre. Il est mort à Qaisarié des suites de l'amputation. Il était chef de l'état-major du génie.

L'ennemi, pour défendre son front d'attaque, dont presque toutes les pièces étaient démontées, était parvenu à établir une place d'armes en avant de sa droite; il cherche à en établir une seconde à la gauche, vis-à-vis le palais de Djezzar. Il y fait construire des batteries, et à la faveur de leur feu et de celui de la mousqueterie, ces ouvrages flanquent avec avantage la tour et la brèche. Il travaille sans relâche, élève des cavaliers, pousse des sapes pour augmenter ses feux de revers; enfin il marche en contre-attaque sur les boyaux des assiégeans.

Par la protection de la fusillade de ses tours et de ses murailles élevées, d'où il plongeait sur les assiégeans, l'ennemi avait une grande facilité à pousser ses ouvrages extérieurs. Pour éteindre ses feux et parvenir à se loger dans ses ouvrages, il aurait fallu une grande supériorité d'artillerie et des munitions qu'on était loin d'avoir. On parvenait bien, après des prodiges de valeur, à les enlever; mais on manquait de moyens suffisans pour s'y maintenir, et l'ennemi ne tardait pas à y rentrer.

Le 12, quatre pièces de dix-huit sont mises en batterie, et dirigées contre la tour de brèche, pour en continuer la démolition. Le soir, vingt grenadiers sont commandés pour se loger dans la tour; mais l'ennemi, profitant du boyau qu'il avait établi dans le fossé, fusille la brèche à revers. Les grenadiers reconnaissent l'impossibilité de descendre de la tour dans la place, et se voient forcés de se retirer.

Au moment où l'on montait à la tour de brèche, les assiégés avaient fait, avec un corps de troupes nombreux, une sortie à leur droite; ils sont chargés par deux compagnies de grenadiers avec tant de succès et d'impétuosité, qu'on parvient à les couper, et tout ce qui n'a pu rester sous la protection du feu de la place est culbuté dans la mer. La perte de l'ennemi dans cette journée est d'environ cinq cents hommes tués ou blessés.

Bonaparte ordonne de faire une seconde brèche sur la courtine de l'est, et une sape pour marcher sur les fossés, y attacher le mineur, et faire sauter la contrescarpe.

Jusqu'au 15, les ouvrages des assiégeans et des assiégés se poussent avec ardeur; mais l'armée manque de poudre, et Bonaparte est obligé d'ordonner de ralentir le feu; alors l'ennemi redouble d'audace; il travaille aux sapes avec une nouvelle activité; il pousse surtout avec ardeur celle de sa droite, dont le but était de couper la communication de la sape des assiégeans avec la nouvelle mine.

Bonaparte ordonne qu'à dix heures du soir des compagnies de grenadiers se jettent dans les ouvrages extérieurs de la place. L'ordre est exécuté; l'ennemi est surpris, égorgé; on s'empare de ses ouvrages, trois de ses canons sont encloués; mais le feu de la place, qui plonge sur ses ouvrages, ne permet pas d'y tenir assez long-temps pour les détruire entièrement; l'ennemi y rentre le 16, et travaille à les réparer. Il s'obstinait opiniâtrement à trouver les moyens de cheminer sur le boyau de la mine destinée à faire sauter la contrescarpe établie vis-à-vis la nouvelle brèche de la courtine. Le 17, dans la matinée, il fait une nouvelle tentative, qui ne réussit pas au gré de ses désirs, et il prend aussitôt le parti de couper sa contrescarpe le plus près possible de la mine.

On s'aperçoit à trois heures que l'ennemi débouche par une sape couverte sur le masque de la mine; on le canonne; le mal était fait; on parvient dans la nuit à le chasser de son logement; mais la mine était éventée, les châssis défaits et le puits comblé.

Cet événement était d'autant plus funeste, que la mine aurait pu jouer, à la rigueur, dans la nuit du 16 au 17, ainsi que Bonaparte l'avait ordonné; mais le général commandant l'artillerie avait insisté pour un délai de vingt-quatre heures, espérant voir enfin arriver dans la journée les poudres demandées au commandant de Ghazah. L'ancienne tour de brèche devenait alors le seul point où l'on pût continuer l'attaque; Bonaparte ordonne que, dans la nuit du 17 au 18, on s'empare de nouveau des places d'armes de l'ennemi, des boyaux qu'il a établis pour flanquer la brèche, et particulièrement de celui qui couronnait le glacis de la première mine, qu'on surprenne et qu'on égorge tout ce qui s'y trouvera, qu'on attaque les ouvrages et qu'on s'y loge.

Les éclaireurs de la 87e, et les grenadiers s'emparent de tous les ouvrages, excepté du boyau qui couronne le glacis de l'ancienne mine et prend la tour à revers; le feu terrible de l'ennemi rend inutiles tous les efforts de la valeur; on ne peut ni travailler au logement, ni le faire évacuer.

Le 18, on a connaissance d'environ trente voiles turques venant du port de Mœris, de l'île de Rhodes, et apportant aux assiégés des vivres, des munitions et un renfort de troupes considérable. Ce convoi était sous l'escorte d'une caravelle et de plusieurs corvettes armées.

Bonaparte veut prévenir l'arrivée de ces secours. Il ordonne de renouveler, dans la nuit du 18 au 19, la même attaque qui avait eu lieu la nuit précédente, à dix heures du soir; les deux places d'armes de l'ennemi, son boyau de glacis et la tour de brèche sont enlevés. On parvient à se loger dans la tour et dans le boyau. Les 18e et 32e demi-brigades comblent les boyaux et les places d'armes de cadavres ennemis; elles enlèvent plusieurs drapeaux et enclouent les pièces; la résistance opiniâtre des ennemis, le feu de ses batteries, rien n'arrête leur intrépidité. Jamais on ne déploya plus d'audace et de valeur. Les généraux Bon, Vial et Rampon étaient eux-mêmes à la tête de ces demi-brigades, et donnaient l'exemple du courage et du sang-froid. Le chef de la 18e, Boyer, militaire distingué, périt dans l'attaque; cent cinquante autres braves, dont dix-sept officiers, sont tués ou blessés; mais la perte des assiégés est considérable, et leurs cadavres servent d'épaulement aux assiégeans.

On apprend dans la nuit que les poudres venant de Ghazah arriveront le lendemain. Bonaparte ordonne qu'à la pointe du jour, on batte à la fois en brèche et la courtine à la droite de la tour de brèche, et cette tour elle-même. La courtine tombe et offre une brèche qui paraît praticable; Bonaparte s'y porte et ordonne l'assaut; la division Lannes marche précédée de ses éclaireurs et de ses grenadiers que conduit le général de brigade Rambaud; les autres divisions sont disposées pour les soutenir.

On s'élance à la brèche, on s'en empare; deux cents hommes sont déjà dans la place. D'après les ordres de Bonaparte, les troupes qui étaient dans la tour devaient, au moment où l'on s'emparerait de la brèche, attaquer quelques Turcs logés dans les débris d'une seconde tour, qui dominaient la droite de la brèche; les bataillons de tranchée devaient en outre se porter dans les places d'armes extérieures de l'ennemi, pour qu'il ne pût ni en sortir, ni fusiller la brèche en revers; ces ordres importans ne sont point exécutés avec assez d'ensemble.

L'ennemi, sorti de ses places d'armes extérieures, file dans le fossé de droite et de gauche, et parvient à établir une fusillade qui prend la brèche à revers. Les Turcs qui n'avaient point été délogés de la seconde tour qui domine la droite de la brèche, font une vive fusillade, ils lancent sur les assiégeans des matières enflammées; les troupes qui escaladaient hésitent et s'arrêtent; l'incertitude est dans leurs rangs; elles ne filent plus dans les rues avec la même impétuosité. Le feu des maisons, des barricades des rues, du palais de Djezzar, qui prenait de face et à revers ceux qui descendaient de la brèche, et ceux qui étaient déjà dans la ville, occasionne un mouvement rétrograde parmi les troupes qui sont entrées dans la place et ne s'y voient point assez soutenues. Elles abandonnent deux pièces de canon et deux mortiers dont elles s'étaient déjà emparées derrière les remparts.

Le mouvement se communique bientôt à toute la colonne. Le général Lannes parvient enfin à l'arrêter et à reporter sa colonne en avant. Les guides à pied, qui étaient en réserve, s'élancent à la brèche. On se bat corps à corps avec un acharnement réciproque. Mais l'ennemi avait repris le haut de la brèche, l'effet de la première impulsion ne subsistait plus, le général Lannes était grièvement blessé; le général Rambaud avait été tué dans la place. L'ennemi avait eu le temps de se rallier. Le débarquement s'était opéré. Non seulement on avait à combattre toutes les troupes qui se trouvaient sur la flotte, mais tous les matelots turcs étaient placés à la brèche pour la défendre: on se battait depuis le point du jour, et il était nuit. Tout l'avantage était désormais du côté de l'ennemi; la retraite devenait nécessaire, et l'ordre en fut donné.

En arrivant au camp, on apprend par le contre-amiral Gantheaume, que le chef de division Pérée, en croisant devant Jaffa, avait pris deux petits bâtimens qui avaient été séparés de la flotte turque, et sur lesquels se trouvaient six pièces d'artillerie de campagne, une quantité considérable de harnais et de provisions de bouche, cent cinquante mille francs en numéraire, quatre cents hommes de troupes, et l'intendant de la flottille turque. On avait trouvé sur lui l'état des forces embarquées sur la flotte, celui des munitions et des vivres; et il résultait de ses déclarations et de ses réponses, que la flotte faisait partie d'une expédition projetée contre Alexandrie, et combinée avec une autre expédition que Djezzar devait tenter par terre; mais à la nouvelle de l'attaque inopinée de Saint-Jean-d'Acre, on avait détaché de cette expédition tout ce dont on pouvait déjà disposer pour l'envoyer au secours de cette place.

Bonaparte avait fait continuer le feu des batteries, dans la journée du 20 et pendant la nuit. Le 21, à deux heures du matin, il se rend au pied de la brèche et ordonne un nouvel assaut.

Les éclaireurs des différentes divisions, les grenadiers de la 15e, ceux de la 19e, les carabiniers de la 2e légère montent à la brèche. Ils surprennent les postes de l'ennemi, les égorgent; mais ils sont arrêtés par de nouveaux retranchemens intérieurs qu'il leur est impossible de franchir; ils sont contraints de se retirer.

Le feu des batteries continue toute la journée; à quatre heures du soir, les grenadiers de la 25e demi-brigade arrivent de l'avant-garde; ils sollicitent et obtiennent l'honneur de monter à l'assaut. Ces braves s'élancent; mais l'ennemi avait établi une deuxième et une troisième ligne de défense, qu'on ne pouvait forcer sans de nouvelles dispositions: la retraite est ordonnée. Ces trois assauts coûtent à l'armée environ deux cents tués et cinq cents blessés. Elle a surtout à regretter la perte du général Bon blessé à mort; celle de l'adjudant-général Fouler; du chef de la 25e, le citoyen Venoux; de l'adjoint Pinault, de l'adjoint aux adjudans-généraux Gerbault, du citoyen Croisier, aide-de-camp du général en chef.

Le citoyen Arrighi, aide-de-camp du général Berthier; les adjoints aux adjudans-généraux Nethervood et Monpatris, sont grièvement blessés. Dans les deux derniers assauts, les grenadiers et les éclaireurs étaient commandés par le général Verdier.

Les revers des parallèles étaient remplis de cadavres turcs qui exhalaient une infection insupportable et dangereuse; comme on ne pouvait y entrer, Bonaparte envoie, le 22 au matin, un parlementaire à Djezzar, avec une lettre ainsi conçue:

«Alexandre Berthier, chef de l'état-major-général de l'armée,

«À Amet-Pacha-el-Djezzar.

«Le général en chef me charge de vous proposer une suspension d'armes pour enterrer les cadavres qui sont sans sépulture sur le revers des tranchées. Il désire aussi établir un échange de prisonniers; il a en son pouvoir une partie de la garnison de Jaffa, le général Abdallah, et spécialement les canonniers et bombardiers qui font partie du convoi arrivé il y a trois jours à Acre, venant de Constantinople.»

Le parlementaire dont Bonaparte avait fait choix était un Turc arrêté comme espion. On n'aurait pu, sans imprudence, hasarder avec ces barbares les usages militaires des nations policées. On tire sur le parlementaire; la place continue ses feux, et les batteries des assiégeans lui répondent.

Le 24, on renvoie le même parlementaire; il entre dans la place; mais elle continue son feu, et rien n'annonce qu'on se dispose à répondre. Au contraire, vers les sept heures du soir, au signal d'un coup de canon, l'ennemi fait une sortie générale; mais il est vigoureusement repoussé.

Les nouvelles que Bonaparte recevait d'Égypte lui annonçaient plusieurs soulèvemens, qui paraissaient se lier à un système général d'attaque qui devait avoir lieu, en Égypte, contre les Français.

Au Caire, et dans les autres villes principales, la tranquillité n'avait point été troublée par le plus léger mouvement; mais il n'en était pas de même dans les provinces de Benisouef, de Charkié et de Bahiré; toutes ces insurrections furent heureusement comprimées par la valeur et l'activité des troupes françaises et de leurs généraux.

Une tribu d'Arabes, sortie d'Afrique, s'était établie sur les frontières de la province de Gisëh, qu'elle inquiétait par ses brigandages, et dont elle cherchait à soulever les fellâhs. Le général envoie contre cette horde le général Lanusse, qui leur tend des embuscades, enlève leur camp et les disperse. Le fils du général Leclerc, jeune homme de la plus haute espérance, est dangereusement blessé en combattant ces barbares.

Peu de jours après, le village de Bodéir, province de Charkié, s'étant révolté, le chef de brigade Durantheau, officier de mérite, s'y porte à la tête d'une colonne, et le village est brûlé.

Le pacha d'Égypte, qui, à l'approche des Français, avait fui avec Ibrahim-Bey, y avait laissé son kiaya. La conduite de ce kiaya lui avait mérité une sorte de confiance de la part de Bonaparte, qui l'avait nommé émir hadjy pour la prochaine caravane de la Mecque, et lui avait communiqué le plan de son expédition en Syrie. Le kiaya s'était même engagé à suivre l'armée, et il se mit effectivement en route; mais il marchait lentement, et s'arrêta dans la province de Charkié: il prétendit avoir reçu la nouvelle de la mort de Bonaparte, de la déroute complète des Français, et, déguisant sa perfidie sous ce faux prétexte, il soulève et pousse à la révolte la province de Charkié, ainsi que les Arabes, dont quelques uns s'unissent à lui.

Le général Dugua, toujours prévoyant et actif, avait donné l'ordre au général Lanusse de poursuivre ce traître; mais, fidèlement prévenu de la marche des Français, il fuit à leur approche, et leur échappe en se jetant dans le désert, d'où il gagne les montagnes de Damas.

Au commencement de floréal, un émissaire arrivé d'Afrique, débarqué à Derne, joue le saint, se dit l'ange Él-Mahdi, annoncé par l'Alcoran, s'environne de disciples, et se réunit aux Arabes. Deux cents Maugrabins arrivent aussi d'Afrique, comme par hasard, et se joignent au saint prophète. Il annonce que les fusils, les baïonnettes, les sabres, les canons des Français, ne pourront atteindre les vrais croyans qui marcheront sous ses drapeaux; qu'à leur aspect les Français devaient poser les armes, et rester sans défense.

L'espoir d'un triomphe aussi facile et aussi peu dangereux entraîne, sur les pas de cet imposteur, une multitude aisée à séduire. Lorsqu'il se croit assez fort pour attaquer les Français avec avantage, il marche à la tête des Arabes sur Demenhour. Ces mêmes Arabes venaient, il y a quelques jours, de faire un traité de paix avec le général Marmont, commandant à Alexandrie. Soixante hommes de la Légion nautique étaient restés dans Demenhour, malgré l'ordre qu'avait reçu leur commandant de se rendre au fort de Rahmanié. Ils sont surpris et massacrés. L'ange Él-Mahdi profite de ce premier succès, et de la confiance qu'il inspire dans ses promesses pour augmenter le nombre de ses prosélytes. Il parvient à soulever toute la province. Les habitans le suivent avec transport à des combats où ils doivent être invulnérables.

L'illusion de ces malheureux ne fut pas de longue durée. Le chef de brigade Lefebvre part du fort de Rahmanié avec deux cents hommes; il est bientôt environné par des nuées de ces fanatiques; il se bat jusqu'à six heures du soir, et rentre dans le fort de Rahmanié après avoir tué tout ce qui a eu la témérité d'avancer à la portée de son feu.

La mort de tant de croyans, victimes de leur crédulité, affaiblit considérablement le crédit de l'ange Èl-Mahdi et la foi de ses soldats; mais tout le pays était soulevé, et la crainte d'un châtiment terrible, la nécessité de s'y soustraire par des succès, la confiance dans leur nombre, rendaient aux habitans cette intrépidité que leur inspira d'abord le fanatisme. Il fallait pour les soumettre des forces plus considérables que celles dont le chef de brigade Lefebvre pouvait disposer. Le général Lanusse, à la tête d'une colonne mobile, arrive le 19 floréal à Rahmanié, et de là marche sur Demenhour. Il bat et met en fuite tout ce qui se présente devant lui. Il fait passer au fil de l'épée quinze cents hommes qui se trouvent dans la ville, et la réduit en cendres. Il dissipe et poursuit les disciples du saint Él-Mahdi, qui lui-même, tremblant et grièvement blessé, ne trouve de salut que dans une prompte fuite.

Les Maugrabins passent le Nil et gagnent la Charkié; les Arabes se dispersent, et l'ordre est rétabli dans la province.

Dans le même temps quelques partis de mameloucks, chassés de la Haute-Égypte par le général Desaix, étaient descendus dans les provinces de la Basse-Égypte, où ils cherchaient à soulever les fellâhs et les Arabes; ils sont atteints et battus par le chef de brigade Destrées. Ils se réfugient dans la province de Charkié, où, d'après les ordres du général Dugua, le général de brigade Lagrange ne tarde pas à les poursuivre. Le 19 floréal, il atteint Elfy-Bey et les Arabes Belley; il les bat, leur tue trois principaux kiachefs, et contraint le reste de se sauver dans l'oasis d'Housrel, d'où ils gagnent la Syrie à travers le désert.

Le général Lanusse, qui a déployé la plus grande activité et rendu les plus signalés services, en se portant avec une rapidité étonnante partout où il y avait des séditions, atteint, le 7 prairial, dans la Charkié, les Maugrabins et les autres disciples de l'ange Él-Mahdi, échappés de la Bahiré, lorsqu'il brûlait Demenhour. Il leur tue cent cinquante hommes, et brûle le village où ils se sont réfugiés.

Pendant ces expéditions les Anglais s'étaient présentés devant Suez; ils y avaient paru le 15 floréal, avec un vaisseau et une frégate. Ayant trouvé ce port en état de défense, ils se retirent, et laissent un brick en croisière; mais le chérif de la Mecque force les Anglais à souffrir que les bâtimens continuent d'apporter le café à Suez.

Une seule expédition avait manqué; celle contre Cosséir, dont le but était d'enlever les richesses que les mameloucks, battus par le général Desaix dans la Haute-Égypte, faisaient embarquer dans ce port. La chaloupe canonnière le Tagliamento, qui, d'après les ordres de Bonaparte, était partie de Suez le 16 ventôse, ayant sauté dès le premier coup de canon, il avait fallu se retirer; hors ce cas, un succès complet avait couronné toutes les entreprises, et les troupes restées en Égypte n'avaient pas manqué d'occasions de signaler leur courage et de rivaliser d'intrépidité avec les divisions qu'elles n'avaient pu suivre dans l'expédition de Syrie.

Cette expédition touchait elle-même à son terme; son but principal était rempli. L'armée, après avoir traversé le désert qui sépare l'Afrique de l'Asie, et vaincu tous les obstacles avec plus de rapidité qu'une armée arabe, s'était emparée de toutes les places fortes qui défendent les puits du désert. Elle avait déconcerté les plans de ses ennemis par l'audace et la rapidité de ses mouvemens. Elle avait dispersé, aux champs d'Edrelon et du mont Thabor, vingt-cinq mille cavaliers et dix mille fantassins, accourus de toutes les parties de l'Asie dans l'espoir de piller l'Égypte. Elle avait forcé le corps d'armée qu'on envoyait sur trente bâtimens assiéger les ports de l'Égypte, d'accourir lui-même au secours de Saint-Jean-d'Acre.

Bonaparte, avec environ dix mille hommes, avait nourri, pendant trois mois, la guerre dans le cœur de la Syrie; il avait détruit la plus formidable des armées destinées à envahir l'Égypte, pris ses équipages de campagne, ses outres, ses chameaux et un général. Il avait tué ou fait prisonniers plus de sept mille hommes, pris quarante pièces de campagne, enlevé plus de cinq cents drapeaux, forcé les places de Ghazah, Jaffa, Caïffa. Le château d'Acre ne paraissait pas encore disposé à se rendre; mais on avait déjà recueilli les principaux avantages qu'on s'était promis du siége de cette place. Quelques jours de plus donnaient l'espoir de prendre le pacha dans son palais: cette vaine gloire ne pouvait éblouir Bonaparte; il touchait au terme du temps qu'il avait fixé à l'expédition de Syrie; la saison des débarquemens en Égypte y rappelait impérieusement l'armée pour s'opposer aux descentes et aux tentatives de l'ennemi. La peste faisait des progrès effrayans en Syrie; déjà elle avait enlevé sept cents hommes aux Français, et, d'après les rapports recueillis à Sour, il mourait journellement plus de soixante hommes dans la place d'Acre.

La prise de cette place pouvait-elle compenser la perte d'un temps précieux, et celle d'une foule de braves qu'il aurait fallu sacrifier, et qui étaient nécessaires pour des opérations plus importantes?

Tous les militaires qui ont fait des siéges contre les Turcs, savent qu'ils se font tuer, et qu'ils sacrifient femmes et enfans pour défendre jusqu'au dernier monceau de pierres. Ils ne capitulent point et ne s'abandonnent jamais à la bonne foi de leurs ennemis, parce que, en pareil cas, ils ne savent qu'égorger.

Le siége d'Acre pouvait être long et meurtrier. Tout rappelait Bonaparte en Égypte. Il ne pouvait, sans compromettre le sort de son armée et de ses conquêtes, prolonger plus long-temps son séjour en Syrie. La gloire et les avantages de son expédition ne dépendaient nullement de la prise du château d'Acre. Il cède donc aux puissantes considérations qui lui ordonnent d'en lever le siége.

Il lui fallait plusieurs jours pour l'évacuation des blessés et des malades. Il ordonne que les batteries de canons et de mortiers continuent leurs feux, et qu'on emploie le reste des munitions de siége à raser le palais de Djezzar, les fortifications et les édifices.

Le 26, à la pointe du jour, on s'aperçoit que l'amiral anglais a mis à la voile avec trois bâtimens turcs; il venait d'être instruit que les frégates françaises avaient enlevé deux de ses avisos et deux bâtimens turcs, et cette nouvelle lui inspirait des craintes sur un convoi de djermes et deux avisos turcs envoyés devant le port d'Abouzaboura, pour embarquer des Naplouzains que Djezzar croyait avoir déterminés de nouveau à se soulever. Le contre-amiral Pérée donnait en effet la chasse à cette flottille qui est dégagée par les Anglais; il fait prendre le large à ses frégates; mais elles ne sont point poursuivies par les vaisseaux anglais, qui s'empressent de retourner à Saint-Jean-d'Acre.

Le 27, à deux heures et demie du matin, l'ennemi fait une sortie; il est repoussé avec vigueur, après avoir perdu beaucoup de monde. À sept heures, il en fait une nouvelle sur tous les points; partout il trouve la même résistance. Il ne peut pénétrer dans aucun boyau; il est mitraillé par les batteries, et reconduit la baïonnette aux reins dans ses places d'armes: tout est couvert des cadavres des assiégés. Ce combat glorieux et sanglant ne coûte aux Français que vingt hommes tués et cinquante blessés.

Le 28, un parlementaire anglais se présente vers la plage, il ramène le Turc qui avait été envoyé le 22 à Djezzar en parlementaire, et apporte au chef de l'état-major une lettre du commodore anglais, qui s'exprimait ainsi en parlant de Bonaparte: «Ne sait-il pas que c'est moi seul qui peux décider du terrain qui est sous mon artillerie?» Il voulait dire que Djezzar ne pouvait répondre sans son agrément et sa participation, et que c'était à lui qu'il fallait adresser toutes les propositions.

Le commandant du canot remet, en route, un paquet, contenant des proclamations de la Porte ottomane, certifiées par Sidney Smith, et conçues en ces termes:

PROCLAMATION

«Le ministre de la sublime Porte aux généraux, officiers et soldats de l'armée française qui se trouvent en Égypte.

«Le directoire français, oubliant entièrement le droit des gens, vous a induits en erreur, a surpris votre bonne foi, et, au mépris des lois de la guerre, vous a envoyés en Égypte, pays soumis à la domination de la sublime Porte, en vous faisant accroire qu'elle-même avait pu consentir à l'envahissement de son territoire.

«Doutez-vous qu'en vous envoyant ainsi dans une région lointaine, son unique but n'ait été de vous exiler de la France, de vous précipiter dans un abîme de dangers, et de vous faire périr tous tant que vous êtes? Si, dans une ignorance absolue de ce qui en est, vous êtes entrés sur les terres d'Égypte, si vous avez servi d'instrument à une violation des traités, inouïe jusqu'à présent parmi les puissances; n'est-ce point par un effet de la perfidie de vos directeurs? Oui, certes; mais il faut pourtant que l'Égypte soit délivrée d'une invasion aussi inique. Des armées innombrables marchent en ce moment; des flottes immenses couvrent déjà la mer.

«Ceux d'entre vous, de quelque grade qu'ils soient, qui voudront se soustraire au péril qui les menace, doivent, sans le moindre délai, manifester leurs intentions aux commandans des forces de terre et de mer des puissances alliées; qu'ils soient sûrs et certains qu'on les conduira dans les lieux où ils désireront aller, et qu'on leur fournira des passe-ports pour n'être pas inquiétés pendant leur route par les escadres alliées, ni par les bâtimens armés en course. Qu'ils s'empressent donc de profiter à temps de ces dispositions bénignes de la sublime Porte, et qu'ils les regardent comme une occasion propice de se tirer de l'abîme affreux où ils ont été plongés.

«Fait à Constantinople, le 11 de la lune de ramazan, l'an de l'Hégyre 1213, et le 5 février 1799.

«Je, soussigné, ministre plénipotentiaire du roi d'Angleterre près la Porte ottomane, et actuellement commandant la flotte combinée devant Acre, certifie l'authenticité de cette proclamation, et garantis son exécution. À bord du Tigre, le 10 mai 1799.»

«Signé Sidney Smith.»

Cet écrit reçoit la seule réponse que l'honneur accorde à de lâches conseils, le silence du mépris. L'amiral anglais fait connaître qu'il existe entre l'Angleterre et la Porte un traité d'alliance, signé le 5 janvier 1799; il envoie quelques prisonniers français qu'il avait enlevés des mains de Djezzar.

L'officier qui commandait le canot anglais est renvoyé sans réponse, et le feu continue de part et d'autre.

Pendant la nuit, on commence l'évacuation des blessés, des malades et du parc d'artillerie. Le 1er bataillon de la 69e demi-brigade part le 29; le 2e le suit le 30, ils escortent les convois d'artillerie et les blessés. L'avant-garde, aux ordres du général Junot, après avoir brûlé tous les magasins de Tabarié, prend position à Safarié, pour couvrir les débouchés d'Obeline et de Cheif-Amrs sur le camp d'Acre.

L'ennemi, qui était bombardé et canonné plus vivement qu'il ne l'avait encore été, qui voyait un feu plus terrible que tout ce qu'il avait essuyé jusqu'alors se diriger sur le palais de Djezzar, sur les parties des fortifications qui n'avaient point encore été battues, et sur tous les édifices de la ville, fait, le 1er prairial, à la pointe du jour, une sortie générale; il est reçu avec intrépidité et forcé de se retirer promptement. Ce mauvais succès ne le décourage point; à trois heures de l'après-midi, il sort de nouveau sur tous les points; il emploie tous les renforts qu'il a reçus; il combat avec une fureur et un acharnement qu'il n'avait pas encore déployés. Son but était de pénétrer dans les batteries dont le feu lui devenait si incommode, de les détruire, et de prévenir ainsi la ruine de la ville. Malgré son opiniâtreté et la vivacité de ses attaques, il est repoussé sur tous les points, et obligé de se retirer avec une grande perte. Cependant il parvient à s'emparer un instant du boyau qui couronne le glacis de la tour de brèche. Mais à peine y est-il entré, que le général de brigade Lagrange, qui commande la tranchée, l'attaque avec deux compagnies de grenadiers, reprend le boyau, poursuit les assiégés jusque dans leur place d'armes extérieure, tue tout ce qui ne se précipite pas dans la place, et les pousse jusque dans leurs fossés.

L'artillerie de campagne remplaçait aux batteries l'artillerie de siége qui venait de partir. On était parvenu à détruire par des mines et à la sape un aqueduc de plusieurs lieues qui conduisait l'eau à la ville; on réduit en cendres les magasins et les moissons qui sont aux environs d'Acre; on jette à la mer tous les objets inutiles; on se prépare à lever le siége.

La proclamation suivante du général en chef explique suffisamment les motifs de cette conduite.

PROCLAMATION

«Au quartier-général devant Acre, le 28 floréal an VII,

«Bonaparte, général en chef

«Soldats,

«Vous avez traversé le désert qui sépare l'Asie de l'Afrique, avec plus de rapidité qu'une armée arabe.

«L'armée qui était en marche pour envahir l'Égypte est détruite; vous avez pris son général, son équipage de campagne, ses bagages, ses outres, ses chameaux.

«Vous vous êtes emparés de toutes les places fortes qui défendent les puits du désert.

«Vous avez dispersé aux champs du mont Thabor cette nuée d'hommes accourus de toutes les parties de l'Asie dans l'espoir de piller l'Égypte.

«Les trente vaisseaux que vous avez vus arriver devant Acre, il y a douze jours, portaient l'armée qui devait assiéger Alexandrie; mais, obligée d'accourir à Acre, elle y a fini ses destins; une partie de ses drapeaux orneront votre entrée en Égypte.

Mémoires du maréchal Berthier … Campagne d'Égypte, première partie

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