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CHAPITRE TROIS

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Zoe marcha à grands pas le long des couloirs de l’immense bâtiment du QG FBI à Washington, DC, en direction de la salle de réunion où Shelley avait dit qu’elle allait l’attendre. Ce genre de bâtiments rassurait Zoe : construit il y a bien longtemps mais avec suffisamment d’organisation et de logique pour qu’il soit facile de se repérer et se déplacer à chaque étage.

Le bâtiment J. Edgar Hoover avait été construit à dessein. Même si de l’extérieur, il était carré et gris, le genre d’architecture que les gens qualifient d’horreur, la composition géométrique, monolithique était ce que Zoe aimait le plus. Les couloirs bifurquaient exactement de la même manière, quel que soit l’endroit d’où l’on sortait de l’ascenseur, et les pièces étaient numérotées selon un ordre logique. La pièce 406, naturellement, était la sixième porte devant laquelle on débouchait en s’arrêtant au quatrième étage. Ceci était particulièrement appréciable. Tous les bâtiments n’étaient pas créés égaux.

Bien entendu, Shelley attendait déjà dans la salle de réunion, étudiant des notes et des photographies couleur disposées à intervalles réguliers le long d’une table de réunion. Elle leva les yeux et sourit quand Zoe entra.

Zoe avait du mal à comprendre comment Shelley, avec un jeune enfant à la maison et sans être particulièrement avantagée par la distance depuis la maison, avait pu arriver avant elle au QG. Non seulement cela, mais comment pouvait-elle être si bien habillée, dans un ensemble qui épousait à merveille ses formes rondes mais sveltes, tout en mettant en valeur le galbe de ses hanches, sa taille et ses seins, sans une seule trace de la saleté habituelle à laquelle on pourrait s’attendre au contact d’un enfant. Comment pouvait-elle même être si bien maquillée, avec sa bouche subtilement réhaussée d’une touche de rouge à lèvres rose et ses cheveux blonds proprement noués en un élégant chignon. Elle y parvenait pourtant.

Leur chef, l’Agent Spécial Superviseur Leo Maitland, se tenait debout à l’avant de la pièce, attendant avec l’impatience d’un jaguar prêt à bondir sur sa proie. C’était un vétéran de l’armée, avec l’allure d’un soldat et qui, après une carrière auréolée de succès de grade en grade, rentra chez lui pour rejoindre les forces de l’ordre. C’était il y a quinze ans, mais les cheveux grisonnants sur ses tempes n’indiquaient en rien qu’il n’était plus le guerrier qu’il fut à l’époque. Il mesurait un mètre quatre-vingt-dix, avec un tour de poitrine de cent-quatorze centimètres et des biceps de trente-huit centimètres qui se contractaient encore aux plis de son uniforme.

« Ah, Agent Spécial Prime, » dit-il. « Bienvenue. J’ai transmis les notes d’informations à votre partenaire. Asseyez-vous, s’il vous plait, et parcourez-les. »

Zoe suivit l’ordre et s’assit, posant un gobelet de café devant Shelley. C’était devenu une de leurs habitudes. Zoe apportait le café et Shelley menait les conversations courtoises nécessaires tout au long d’une affaire. Chacune s’occupait de quelque chose qu’elle pouvait gérer.

« L’Agent Spécial Rose a toutes les informations, mais je vais vous en donner un aperçu. On a déjà deux morts sur le dos, et ceci a l’air d’être une affaire locale, donc vous ne devriez pas avoir à vous déplacer. » Maitland croisa ses bras sur son torse, ce qui fit se tendre le tissu de son costume autour des épaules. « La presse locale va nous mettre la pression, sachant que l’une des victimes était très en vue dans la communauté. Vous vous doutez certainement de l’urgence d’éviter un troisième meurtre et de nous prémunir de ce que les journalistes ne nous collent pas l’étiquette « criminel en série ». »

Zoe acquiesça. Ce genre de reportage pouvait déclencher l’hystérie et contribuer à entraver l’affaire. Cela pouvait également faire diffuser les nouvelles plus loin – et cela voulait dire faire face à encore plus de presse nationale, voire même internationale. Les agents FBI avaient l’habitude d’être confrontés avec des situations très stressantes, mais cela ne voulait pas dire qu’elles étaient désirées. En particulier par Zoe, qui aurait compté les microphones et étudié les longueurs des câbles des caméras de télévision plutôt que de se concentrer sur son discours lors de la conférence de presse.

« Vu votre retard… » continua Maitland. Zoe sentit sa bouche s’ouvrir, prête à protester, mais elle la referma bien serrée. Elle s’était organisée pour prendre cette matinée pour son brunch, récupérant ainsi un peu de ses nombreuses heures supplémentaires de travail non-payées. Elle n’était pratiquement pas en retard. Mais on ne se disputait pas avec l’Agent Spécial Responsable du Bâtiment J. Edgar Hoover. « J’ai déjà débriefé votre partenaire. Je vais la laisser vous donner les détails. Étant donné votre inclination pour les mathématiques, nous avons considéré que cette affaire correspondra à vos aptitudes. Ne me décevez pas. »

Maitland quitta la pièce d’un pas altier, sans se retourner. Tandis qu’il sortait de la salle, Zoe constata que sa main s’égarait immédiatement vers sa poche et elle comprit que la bosse de trois millimètres d’épaisseur devait être un portable. C’était quelqu’un de très occupé, avec beaucoup d’appels à passer et d’autres instructions à donner. Il était peu probable qu’elles allaient le voir beaucoup avant la clôture de l’affaire – sauf si elles foiraient, auquel cas il était susceptible de débouler avec l’effet d’une tonne de briques.

Étant donné les mensurations de Maitland, et sachant qu’une tonne correspond à mille kilos, il n’équivalait pas réellement à une tonne de briques. Plutôt un dixième de cette valeur.

« Deux victimes, » dit Shelley, attirant l’attention de Zoe sans aucune formule de politesse banale pour démarrer la conversation. Elle commençait à mieux connaître Zoe et elle dut se rendre compte que, jusqu’à présent, ce genre de commentaires n’avait aucun impact positif sur leur relation. Zoe avait remarqué une baisse du bavardage d’au moins soixante-dix pour cent depuis qu’elles avaient commencé à travailler ensemble. « Les deux victimes dans notre propre jardin. La zone métropolitaine de DC.

– J’espère qu’aucune des deux victimes n’a été retrouvée littéralement dans nos jardins. En tant qu’agents fédéraux, tu penses qu’on s’en serait rendu compte. »

Une étincelle éclaira les yeux de Shelley alors qu’elle donnait un petit coup de coude à Zoe. « C’était une vraie blague ça ? Qu’y a-t-il dans ce café ?

– J’ai vu une ancienne amie ce matin. Je pense que ça m’a mise de bonne humeur.

– Alors je regrette de la briser. » Shelley lui indiqua les dossiers des deux victimes, soigneusement disposés et délibérément séparés. « C’est la première victime, il y a de cela une semaine environ. C’était un jeune étudiant retrouvé sur le terrain du campus de Georgetown. Sa tête a été défoncée avec un objet lourd – les médecins-légaux disent que c’était probablement un bâton.

– Six jours, murmura Zoe, son regard parcourant le dossier. Elle prit ses informations : taille un mètre quatre-vingt-trois, quatre-vingt-un kilos, vingt-trois ans.

« Oui, pardon. » De toute évidence, Shelley avait encore du mal avec les exigences de précision que Zoe attendait, même si elles se comprenaient facilement à d’autres égards. « La seconde victime a été retrouvée hier soir. Un professeur d’Anglais de Georgetown, sa tête fracassée à plusieurs reprises contre le côté de sa voiture jusqu’à ce que des dommages crâniens irrémédiables lui furent infligés.

– L’Université est un lien.

– Non seulement. » Shelley fouilla les photos et en sortit des clichés pris en plongée et qui montraient entièrement la scène du crime. « Tous les deux ont eu leurs chemises déchirées – et je veux dire, déchirées avec une certaine violence. Il semblerait que le fait de tuer n’était pas suffisant pour rassasier la rage du criminel. Ensuite il y a ces… bref, regarde toi-même. »

Zoe arracha presque les photos des mains de Shelley. Elle avait déjà commencé à reconnaitre la forme des marques gribouillées sur les torses des deux hommes, et un examen plus attentif le confirma. Les deux avaient été ornés d’équations mathématiques complexes – tellement complexes que Zoe tira une chaise et s’affala dessus sans les quitter des yeux.

« A-t-on montré cela à des témoins éventuels ? Amis, membres du corps professoral, étudiants ?

– En ce qui concerne la première victime, oui. La police locale a montré la photo. Fortement recadrée sur l’équation uniquement, bien sûr. Ils viennent de finir de faire circuler l’autre cliché ce matin, mais on peut encore trouver quelques pistes, je suppose.

– Et ? »

Shelley haussa les épaules. « Personne ne sait ce que ça veut dire. »

Zoe savait très bien que le département de mathématiques de Georgetown était un vivier de professionnels et si ceux-ci n’étaient pas capable de la déchiffrer, alors il s’agissait d’une équation sérieuse. « On dirait des mathématiques quantiques.

– C’est ce qu’une partie des professeurs a dit. Mais ils ne se rappellent pas l’avoir vue avant, ni avoir travaillé avec. »

Zoe continua à fixer l’équation, son cerveau bouillonnant devant les symboles complexes, les chiffres et les lettres, essayant de trouver au moins une entrée dans le schéma. « Quelles autres pistes avons-nous ? »

Shelley passa au crible encore quelques pages. « Je me suis arrêtée là quand tu es arrivée. Attends… les colocs et amis de l’étudiant ont tous été interrogés, ainsi que sa famille et le personnel enseignant. Il a été retrouvé dans un endroit du campus qui n’était pas surveillé par les caméras, pile dans un angle mort.

– Pratique, » dit Zoe en soupirant. Elle souhaitait qu’au moins une fois, ils tombent sur une affaire commise au vu et au su de témoins ou enregistrée par une caméra. Évidemment, on n’appelait pas le FBI pour celles qui étaient faciles à résoudre.

« Quant au professeur, il parait qu’il y avait des caméras seulement à l’entrée du parking. Tellement de gens y entrent et en sortent durant la journée, et on n’a aucun visuel sur l’une des sorties piétons. Rien de suspect enregistré par la caméra.

– Absolument aucune piste, » nota Zoe, appuyant son menton dans la paume de sa main tandis qu’elle analysait l’équation pour la énième fois. Lentement, rapidement, cela ne changeait rien. L’équation ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait déjà vu. Bien au-dessus du niveau qu’elle avait étudié pendant ses années de fac.

Elle passa à l’autre, celle du professeur. C’était pareil. Que signifiait tout cela ?

« Que veux-tu faire d’abord ? » demanda Shelley, en achevant sa propre analyse des dossiers.

« Attends une seconde. » Zoe n’avait même pas pris soin de vérifier les renseignements sur la deuxième victime, mais il restait encore du temps pour cela. Elle sortit son calepin et son stylo et commença à écrire, griffonnant des marques rapides et nettes sur la page tandis qu’elle commençait à esquisser une analyse préliminaire. Des lettres grecques, des traits, des crochets, des triangles inversés – tous les symboles des mathématiques quantiques avaient un sens équivalent qui pouvait révéler un chiffre. M divisé par t” moins t’, un divisé par s’, puis additionné à un divisé par s”, et ainsi de suite, afin de retrouver la valeur de B1 qui ensuite pourrait être réinsérée dans une autre ligne de l’équation pour déterminer la valeur d’une autre inconnue.

Les corrélations démarrèrent assez facilement. Si la valeur de M était égale à la valeur de r’, alors les deux premières lignes de l’équations auraient du sens ; mais la troisième ligne perturbait le tout et semblait donner une toute autre valeur à M. D’accord ; elle le fit d’une autre façon. Peut-être que M était effectivement le double de la valeur de r’, ce qui avait encore assez de sens dans ce cas et faisait marcher la troisième ligne – mais dès la sixième ligne, la valeur de M devait atteindre zéro et ici, encore une fois, cela n’avait plus de sens.

Quand Zoe leva de nouveaux ses yeux, elle n’eut aucune d’idée du temps passé. À un moment, Shelley avait dû s’assoir devant elle et balayait quelque chose sur l’écran de son portable.

« Ça n’a pas de sens, » annonça Zoe.

Shelley leva la tête, haussant un sourcil soigneusement dessiné. « Tu n’y arrives pas ? »

Les lèvres de Zoe se pincèrent avant de se résoudre à l’admettre. « Je n’y arrive pas encore, » dit-elle. « On manque peut-être d’indices. C’est tout ce qu’on a ? Il n’y avait rien d’écrit sur leur dos ou sur leurs bras, ou quelque part ailleurs ?

– Je n’en sais pas plus que toi, » dit Shelley. « Je me suis renseignée sur le prof. Rien ne ressort de son passé académique, ni de ce que j’ai pu voir de la vie personnelle qu’il s’était construite en ligne.

– Revérifie les photos, » suggéra Zoe tout en lui en passant un paquet et en prenant elle-même quelques-unes. Elle se pencha sur toutes les détails des clichés, ses yeux analysant les angles des os, le degré de torsion d’une jambe lors de la mort, la longueur des déchirures de leur chemise contre la résistance du tissu et de la couture. Elle ne trouva aucune connexion nulle part. Ni dans leur taille, ni dans leur poids, ni dans leur âge – et aucune indication que de l’encre avait été tailladée ailleurs sur leur peau.

Ce qui était inquiétant, bien sûr, fut le fait que plus on avait d’informations, plus les schémas mathématiques devenaient facilement prédictibles. Deux chiffres pouvaient sembler sans rapport, avec un nombre de possibilités entre eux, trop pour se décider sur une piste définitive. Trois nombres, et bien, cela pourrait en rendre un autre plus compréhensible, démarrer une formule. Mais cela nécessitait encore un meurtre.

Et elles n’en voulaient certainement pas d’autre.

« Je n’ai rien, » dit Shelley, secouant la tête.

« On échange, » suggéra Zoe en passant son paquet de photos à Shelley et prenant le sien à la place. « La seule chose de remarquable est l’angle de l’impact à la tête de la première victime. L’agresseur était un peu plus petit, peut-être un mètre soixante-quinze. »

Et puis, c’était pareil. Le même vide frustrant. Aucune trace d’encre sur les vêtements, aucune suite des chiffres en-dessous du tissu, rien à proximité. Les places de parking n’étaient pas numérotées et il n’y avait pas de numérotation non plus ni sur les murs, ni sur les piliers en béton qui soutenaient le plafond, ni sur l’herbe près de laquelle l’étudiant avait été retrouvé.

Rien.

Zoe renonça, secouant sa tête. « J’ai besoin de voir le corps du professeur, » dit-elle. « C’est la seule manière de trouver quelque chose d’autre en dehors de ce que nous avons déjà appris des photos.

– Parfait, » dit Shelley. C’était possible qu’elle fût sarcastique ; Zoe avait toujours du mal à faire la distinction. « Alors, allons jeter un coup d’œil de plus près sur un mec mort. »

Le Visage du Meurtre

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