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LE CHATEAU.
ОглавлениеParmi les nombreux châteaux dont est parsemé l’ouest de la France, il en existe peu de plus curieux et de moins connus que celui de Bressuire. Quoiqu’il soit réduit depuis très-longtemps à l’état de ruine, l’antiquité et le style très-varié de ses immenses constructions, l’étendue considérable de terrain qu’elles occupent, l’ensemble complet qu’il présente, en font un véritable type de forteresse féodale digne de l’étude la plus attentive.
C’est sur un promontoire de rochers taillés à pic en certains endroits que s’élève la forteresse des Beaumont-Bressuire. La face tournée vers le midi, sur le bord d’un précipice, elle regarde d’un côté l’humble rivière du Dôlo, qui serpente à ses pieds dans une profonde vallée, et de l’autre la ville, qui se développe à son ombre sur le penchant d’un coteau, et qu’elle a protégée et dominée si longtemps, après l’avoir, pour ainsi dire, enfantée. En effet, le château de Bressuire n’a pas été fait pour la ville; il en est tout à fait indépendant: c’est la ville, au contraire, qui est venue s’abriter sous ses puissantes murailles. Il a choisi d’abord son assiette; puis l’enceinte urbaine s’est rattachée plus tard à la sienne comme à son protecteur naturel. Quant à lui, s’il a accepté ce secours, il pouvait fort bien s’en passer, et toutes ses dis positions étaient déjà prises pour se défendre isolément et avec vigueur. Nous insistons sur ce point, car, ainsi que l’a remarqué M. Viollet-Leduc, il constitue un des caractères saillants du château féodal, et on le rencontre parfaitement tranché dans celui de Bressuire. L’histoire, d’ailleurs, nous apprend que sa fondation primitive est antérieure à celle des églises, et par conséquent à la ville elle-même, qui n’a véritablement prospéré et augmenté qu’à ce moment, comme une foule d’autres petites cités.
Dès l’année 1029, il est fait mention du château de Bressuire, castrum quod vocatur Berzoriacum, dans l’acte de donation du petit bourg et de la petite église, alors toute récente, de Saint-Cyprien de Bressuire. Or, à cette époque, la ville de Bressuire avait assurément très-peu d’importance. L’église de Notre-Dame ne fut fondée que vers l’an 1090, par Thibaud de Beaumont, et Saint-Jean et Saint-Jacques sont encore moins anciens. Ce n’est donc guère que pendant le XIIe siècle que la ville prit un sérieux développement. Le château, au contraire, est né avec la féodalité, et a été établi dans son admirable position par les premiers seigneurs, pour asseoir et étendre leur puissance sur le pays environnant. Il ne serait même pas impossible, malgré l’absence complète de données à cet égard, qu’il ait remplacé un castrum romain ou gaulois, ainsi qu’on l’a constaté en d’autres lieux. Mais, quelque certaine que puisse paraître l’existence d’un château à Bressuire dès les premiers temps féodaux, il est clair qu’il ne subsiste plus aucune trace des constructions de cette époque, où le bois jouait un grand rôle et était presque exclusivement employé, excepté dans les donjons, toujours bâtis en pierres, comme ceux de Langeais (992), Loches, Beaugency (XIe siècle), Nogent-le-Rotrou, Montbazon, etc. On ne peut même pas faire remonter les constructions actuelles à l’époque indiquée plus haut (1029). Il faut descendre, pensons-nous, jusqu’à la fin du XIe siècle au moins, pour trouver l’origine approximative assez certaine des parties les plus anciennes.
Cette curieuse forteresse de Bressuire, si intéressante surtout par l’unité de son plan et de son système défensif, qui n’ont subi aucun remaniement, si ce n’est dans les bâtiments d’habitation, se compose de deux enceintes précédées d’une forte barbacane. (Voir planche XXI.) La première enceinte enveloppe de toutes parts le plateau sur lequel est assis le château; elle côtoie autant que possible les escarpements les plus abrupts, élément essentiel de sa force, et vient se relier sur le point le plus inaccessible, au midi, à l’enceinte intérieure, dont l’assiette est bien plus restreinte, mais en même temps beaucoup plus forte.
C’est, en effet, au sommet le plus élevé du plateau, sur un massif de rochers isolé, taillé à pic et affectant la forme d’un demi-cercle, que se trouve perchée l’enceinte intérieure, sorte de petite citadelle indépendante au milieu d’une plus grande, et où les seigneurs ont eu le soin de placer et de maintenir toujours leur habitation. Là est le cœur de la place. Remarquons de suite que là aussi est la partie la plus ancienne, celle dont nous croyons devoir fixer la construction au dernier quart du XIe siècle au plus tôt. Le château, pendant assez longtemps, un siècle à peu près, n’a pas dépassé ces limites. On reconnaît à différents signes que l’enceinte extérieure est plus jeune et doit être attribuée à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe. Cependant la section comprise entre la tour n° 29 et la tour de la Fontaine (n°39), bâtie, comme nous le dirons plus loin, sur l’emplacement de la plus ancienne porte du château, semble avoir précédé l’ensemble de cette enceinte: en sorte qu’il y aurait eu du côté de la ville, dès l’origine, une muraille extérieure beaucoup plus restreinte, à la vérité, mais enveloppant une petite avant-cour ou bayle, comme dans tous les châteaux.
On peut se rendre un compte immédiat de l’importance du château de Bressuire par le développement extraordinaire de ses fortifications, qui ne présentent pas moins de 670 mètres de circonférence, sans y comprendre la barbacane qui mesure 150 mètres. L’enceinte extérieure est flanquée de 31 tours; l’autre n’en a que 12, dont deux n’existent plus; la barbacane était munie de 5 tours: ce qui fait un total de 48 tours, luxe de défense et signe d’une puissance vraiment surprenante pour un château qui n’était qu’un arrière-fief du comté de Poitou.
Lorsqu’on arrive de la ville par la rue Saint-Nicolas, la barbacane est le premier obstacle qu’on rencontre (E). Elle est aujourd’hui très-défigurée; pourtant on y reconnaît encore les débris d’une tour (E1) qui était creuse et percée d’archères. Pour entrer dans la barbacane, il faut franchir le premier fossé au point D, où se trouvait jadis un premier pont-levis, placé à l’angle et dans une position si oblique relativement à la porte, que de là on ne peut pas l’apercevoir. Puis on arrive, en tournant subitement à droite, devant la grande porte du château. Mais, avant d’y aborder, il faut encore franchir un fossé sur lequel était jeté un autre pont-levis qui, en se relevant, fermait hermétiquement l’entrée en s’emboîtant dans un encastrement rectangulaire. Les deux fossés qu’on vient de traverser ont 60 pieds de largeur sur 21 de profondeur.
Bien différente en cela des portes de villes et de châteaux des XIIIe et XIVe siècles, presque toujours flanquées de deux tours en saillie, celle du château de Bressuire est percée dans une seule tour demi-cylindrique, très-massive, dont le diamètre surpasse celui de toutes les autres. (Voir pl. XXIII.) Aussi le passage d’entrée, voûté en ogive, est-il très-étendu. Deux herses, qu’on manœuvrait dans la chambre supérieure, en défendaient les deux extrémités. Entre chacune d’elles il y avait en outre une porte à doubles vantaux; en sorte qu’il fallait briser quatre obstacles en comptant le pont-levis. D’après M. Viollet-Leduc , les ponts-levis ne datent guère que du commencement du XIVe siècle. M. de Caumont pense qu’on les employa dès le XIIIe siècle, mais d’une manière moins générale. Cette dernière opinion nous semble la plus vraie. La porte du château de Bressuire, par son appareil et sa forme générale, qui s’harmonisent d’ailleurs si bien avec toute la muraille d’enceinte, présente les caractères d’une construction de la première moitié du XIIIe siècle, au plus tard. Elle serait donc une des premières où le pont-levis ait été mis en usage; l’encastrement dont nous avons parlé tout à l’heure en est la preuve. Ici, d’ailleurs, le tablier n’était pas mis en mouvement, suivant les règles ordinaires, par deux poutres jouant dans des rainures pratiquées au-dessus de la porte. Une seule ouverture, qui ne ressemble guère, il faut l’avouer, aux rainures usitées en pareil cas, existe au sommet de l’encastrement: par conséquent une seule poutre soulevait le pont. Cela prouverait donc qu’on était encore peu familiarisé avec l’usage des ponts-levis, usage néanmoins plus ancien qu’on ne le croit généralement.
L’entrée de la chambre supérieure se trouve du côté de la cour, sur un massif à gauche, et devait communiquer avec le chemin de ronde de la courtine voisine. Une plate-forme crénelée couronnait la tour, dont la hauteur est d’environ 40 pieds, à partir de sa base dans le fossé. Quand on l’examine dans ses détails, il ne faut pas tenir compte, bien entendu, de la petite guérite et du pilastre en maçonnerie, percés chacun d’une meurtrière à mousquet, qu’on a placés à droite et à gauche de l’entrée: ce sont des additions du XVIe siècle.
De la grande porte, bâtie au sommet de l’angle saillant que forme en cet endroit le château, partent les deux murailles de la première enceinte, dont l’une se dirige vers l’ouest et l’autre vers le midi. Les nombreuses tours qui les flanquent sont de deux sortes, quoique de la même construction. Les unes, terrassées, avaient leur défense disposée sur leurs plates-formes au moyen de hourds et de créneaux; les autres, munies de couronnements semblables, et contenant en outre un ou plusieurs étages intérieurs percés d’archères, pouvaient opposer une plus grande résistance. Ce mélange de deux systèmes différents, employés simultanément dans la première ligne de fortifications du château de Bressuire, est un indice non trompeur de la période de transition. On n’ignore pas, en effet, que, dès le XIIe siècle, on commença à établir des étages inférieurs dans les tours et courtines des places, afin de les mieux garantir contre la sape. L’usage des tours pleines, reconnu désormais défectueux, était entièrement ahandonné au XIIIe siècle. Ainsi, pour n’en citer qu’un exemple, parmi les tours du château de Chinon, toutes celles qui datent de cette époque contiennent plusieurs salles voûtées très-remarquables. Il parait donc à peu près certain que l’enceinte extérieure du château de Bressuire a été édifiée durant le dernier quart du XIIe siècle ou dans les premières années du XIIIe, au plus tard. Un examen plus détaillé achèvera de nous en convaincre.
Le front oriental de la muraille, depuis la grande porte jusqu’à l’enceinte intérieure, est flanqué de onze tours demi-cylindriques, toutes terrassées, à l’exception de la tour 42, percée de trois archères, et de la tour dite de la Fontaine , située au milieu (n° 39). Celle-ci, par son diamètre, non moins considérable (36 pieds) que sa hauteur (63 pieds), et l’épaisseur de ses murs (9 pieds), se fait remarquer parmi ses voisines, qu’elle domine et protège d’une manière toute particulière. Elle contient quatre étages, dont deux voûtés. On descend de la cour du château dans l’étage inférieur par un couloir long et étroit: c’est un réduit voûté, d’une faible dimension, presque envahi par une source d’eau vive; il est éclairé par une grande meurtrière ouvrant presque au niveau du fond du fossé. Le deuxième étage, beaucoup plus vaste et isolé du reste de la tour, a également son issue du côté de la cour. Chose bizarre! là était, comme nous l’avons déjà dit, l’ancienne porte extérieure du château, englobée plus tard dans la masse de la tour, lors de la construction de la grande enceinte, mais qu’on reconnaît encore distinctement à son arceau voûté en plein cintre, percé d’un mâchicoulis longitudinal condamné dans la suite, et reposant sur un cordon et des jambages unis, semblables à ceux de la porte intérieure (N) du château, que nous décrirons plus loin. Le troisième étage, qui n’était pas voûté, est percé de trois archères à tir rasant, battant le talus du fossé et chevauchant avec celles du dernier étage. Deux portes, qu’on pouvait fermer au besoin, au moyen de forts vantaux bardés de fer, le mettent de plain-pied en communication avec le chemin de ronde. Quant au dernier étage, il devait reposer sur un plancher, et on y montait sans doute du troisième au moyen d’un escalier en bois. Il n’est percé que de deux archères, et était abrité par une toiture en pointe reposant sur un crénelage aujourd’hui détruit. Ce qui distingue surtout la tour de la Fontaine, c’est qu’elle pouvait faire au besoin un petit fort séparé et indépendant, capable de résister aux assiégeants, dans le cas où ils seraient parvenus à se rendre maîtres des courtines voisines. A la différence des tours pleines, dont la plate-forme était au même niveau que les courtines, et sur lesquelles le chemin de ronde passait librement, la tour de la Fontaine dominait toute la muraille orientale de la hauteur de deux étages, et, sans gêner le passage du chemin de ronde, l’interceptait, à un moment donné, en fermant les vantaux du troisième étage. Beaucoup de tours dans les châteaux du moyen âge, notamment celles de la célèbre cité de Carcassonne, étudiée avec tant de soin par M. Viollet-Leduc, présentent une disposition semblable.
Les murailles du château de Bressuire ont une hauteur variant de 30 à 40 pieds. Les créneaux qui en faisaient le couronnement et la défense sont aujourd’hui dérasés; mais le chemin de ronde, large de 3 à 4 pieds, et une partie du parapet subsistent encore presque partout. On y ajoutait en temps de guerre, suivant l’usage, des hourds en bois; et l’on peut voir encore dans une des tours (n° 15) les trous carrés par lesquels on introduisait les poutres destinées à les supporter. Au XIIIe siècle, les poutres furent remplacées par des corbeaux en pierre, comme au donjon de Coucy, construit vers 1220, et bientôt après on substitua aux hourds en bois des galeries complètes de machicoulis de pierre. Or, à l’exception d’un seul point de l’enceinte intérieure, qui, ainsi que nous le démontrerons, a subi un remaniement postérieur, pas une muraille du château de Bressuire ne porte la trace de consoles ou mâchicoulis de pierre: nouvelle preuve de l’âge que nous avons assigné à cette forteresse.
Passons maintenant à la partie septentrionale de l’enceinte, de l’autre côté de la porte. L’une des tours qui la flanquent, située non loin de la porte, affecte une forme curieuse, qui, à notre connaissance, n’a été observée nulle part ailleurs (n° 3). Elle se compose d’une espèce de petite courtine en saillie, flanquée sur ses angles de deux petites tours pleines, dont l’une est écroulée. La base de ce singulier ouvrage, qui ressemble beaucoup à une tour géminée, se termine légèrement en glacis, dans lequel vient se noyer le pied des deux petites tours. La partie centrale, c’est-à-dire la petite courtine, est creuse. On y accède de l’intérieur de la cour par un couloir très-étroit, muré depuis à son extrémité, et au-dessus duquel on voit les degrés d’un petit escalier, qui conduisait sans doute dans la partie supérieure. Près de là, le mur de la courtine (2-3) a conservé sa hauteur primitive, de 40. pieds au moins, et quelques-uns de ses créneaux.
Plus loin s’élève une très-forte tour (n° 7), divisée en plusieurs étages, ainsi que l’indiquent les archères dont elle est percée. On y pénétrait par un corridor voûté, parallèle à la cour, accessible par le chemin de ronde, et d’où l’on descendait sans doute ensuite dans les étages inférieurs, car la tour n’a pas d’autre issue apparente. Elle remplit, sur le front septentrional de l’enceinte, un rôle analogue à celui de la tour de la Fontaine, sur le front oriental. Toutes deux sont également propres à une résistance isolée, dominent avec la même puissance les autres défenses de la muraille, et peuvent balayer au loin les abords des fossés. La même idée a évidemment inspiré leur construction, et leur disposition réciproque paraît fort bien combinée.
A la tour n° 11 vient se raccorder le mur de la ville, qui interrompt brusquement en cet endroit les deux fossés. Au delà, la première enceinte du château n’est plus défendue que par un seul fossé ; mais elle gagne presque immédiatement les escarpements formidables du coteau, en formant un angle obtus flanqué de deux tours. On peut étudier le système de construction de la plupart des tours de la grande enceinte dans celles indiquées sous les nos12 et 8. Ainsi, la tour n° 12, terrassée dans sa partie inférieure, présente dans sa partie supérieure, qui est creuse, trois archères disposées sur deux rangs (deux en bas et une en haut), et chevauchant, suivant l’usage. Ces archères sont abritées sous des arcades en plein cintre à voussoirs cunéiformes, comme celles qui se trouvent à Chinon, dans la courtine de droite en entrant, que l’on attribue au XIIe siècle . Cette tour avait donc deux étages surmontés du crénelage ordinaire, et dont l’un était de niveau avec le chemin de ronde. Les tours n° 8 et autres étaient en tout semblables à celle-ci.
Le mur d’enceinte tourne subitement à la tour n° 14, et court en droite ligne sur des escarpements naturels, jusqu’à la tour de la Poterne, d’où il gagne enfin le château central, en suivant toujours la crête du coteau et après avoir formé deux nouveaux angles. Les fours du front occidental sont terrassées, mais leur sommet est dérasé, sauf celui de la tour n° 15, qui a conservé ses trois créneaux. Munie d’un étage intérieur, comme quelques-unes de ses voisines, elle forme, dans sa partie supérieure, un petit hémicycle ouvert du côté de la cour et accessible par le chemin de ronde. On y remarque, comme nous l’avons dit plus haut, les trous nécessaires pour poser les hourds en bois.
Une tour cylindrique très-grosse défend l’angle sud-ouest, où viennent aboutir les murs de l’ouest et du midi (n° 17). Elle est traversée par une poterne. Le couloir d’entrée, voûté en ogive, se dirige d’abord en droite ligne jusqu’au centre de la tour, puis tourne à gauche, allant déboucher, selon toute apparence, dans la cour par la courtine (16-17). On remarque à l’extérieur un encastrement rectangulaire semblable à celui qui encadre la grande porte. Était-il aussi destiné à recevoir un pont-levis? Ceci paraît évident, car il fallait bien franchir le fossé en cet endroit pour communiquer avec l’ouvrage avancé en terre qui défendait les abords de la poterne, et dont les vestiges sont encore apparents (X). La tour de la Poterne est surmontée d’une autre tour cylindrique, d’un diamètre plus petit, recouverte d’un enduit et ornée d’un cordon de pierre de tuf vers sa partie supérieure. Il est clair qu’il n’existe aucune relation ni aucun rapport entre ces deux constructions, et l’on demeure convaincu, après mûr examen, que la seconde tour, bâtie vers la fin du XVe siècle, n’était autre chose qu’un colombier. Un bloc énorme, débris de l’ancienne plate-forme qu’il a remplacée, gît encore à ses pieds au fond du fossé.
Les deux tours 18 et 19, demi-cylindriques, d’un diamètre d’ailleurs assez restreint, qui flanquent le front méridional, contiennent chacune, dans leur partie basse, un étage voûté percé d’archères, communiquant avec la même cour par des issues disparaissant presque entièrement sous le niveau actuel des terres. Quant à leur sommet, il était disposé, si l’on en juge par ce qui reste de la tour 19, comme celui de la tour n° 15, c’est-à-dire en hémicycle ouvert du côté de la cour, de plain-pied avec le chemin de ronde, et muni d’archères abritées sous des arcades en plein cintre.
La tour cylindrique, dite pilier massif (n° 20), bâtie sur le point le plus inaccessible du rocher, est la dernière de l’enceinte extérieure. Le mur forme là un angle droit très-prononcé, et atteint presque aussitôt le château proprement dit au point j, où l’on aperçoit les traces du raccordement, preuve de l’antériorité de l’enceinte centrale. Comme le pilier massif et le mur (20-j), en cas de prise d’assaut de la première enceinte, eussent pu devenir dangereux pour la sûreté du château intérieur, s’ils eussent été en relation directe avec le chemin de ronde, on prit le soin de les en rendre complétement indépendants, et on leur donna, dans ce but, une hauteur de 40 pieds environ; de cette manière, aucune communication n’était possible entre le pilier massif et la courtine (20-19), bâtie en contre-bas. Près de là, une poterne étroite, donnant sur les escarpements, semble avoir été ménagée au point i.
Revenons maintenant à la grande porte et entrons dans l’intérieur du château, en laissant à gauche le petit bâtiment qui servait de corps de garde (o). Tout d’abord se présente une cour immense, aujourd’hui cultivée: c’est le bayle ou ballium ancien, qu’on nommait aussi lices. Deux murs dont la maçonnerie paraît ancienne, l’un (m) partant de la tour de la Fontaine, l’autre (k-l) unissant la tour 12 à la tour 24, divisaient autrefois les lices en trois portions. Ceci avait pour but d’isoler du reste de la place celle des trois parties de l’enceinte qui aurait eu le malheur d’être conquise par l’assiégeant, et de l’arrêter ainsi, du moins pour quelque temps, dans sa marche victorieuse. On sait que le système de fortification au moyen âge consistait surtout à semer des obstacles de toutes sortes sous les pas des assiégeants. La défense était alors, en général, supérieure à l’attaque.
Nous voici arrivés en face de l’enceinte intérieure, décrite sommairement plus haut. C’est le château proprement dit, construit, suivant nous, vers la fin du XIe siècle, et dont se contentèrent, pendant une certaine période, les premiers seigneurs de Bressuire. Si, faisant abstraction des importantes constructions du XVe siècle, l’on étudie avec attention, dans leur ensemble, la muraille demi-circulaire qui constitue la plus grande partie de son périmètre, et les huit tours qui la flanquent, on est frappé du caractère plus ancien dont elles sont empreintes. Ici, à la différence de ce que nous avons observé dans l’enceinte extérieure, toutes les tours sont entièrement terrassées, et leurs plates-formes sont partout de plain pied avec le sommet des courtines et le chemin de ronde. Il ne faut tenir aucun compte, bien entendu, des tours 27 et 28, dont la partie supérieure a été évidemment remaniée au xve siècle, aussi bien que les deux courtines intermédiaires.
Mais c’est principalement dans la porte qu’on retrouve les caractères de l’époque romane. Placée à l’angle sud-est, entre le fossé, d’un côté, et le précipice qui borde la façade méridionale de l’autre, cette porte (N), contemporaine de l’enceinte du château central, en était la seule entrée primitive, et a toujours conservé depuis cette destination. Elle se compose, d’abord, d’un arceau cintré, en ogive naissante, retombant sur un simple tailloir supporté par des jambages unis, et qui se prolonge en forme de cordon tout le long du passage voûté. Cet arceau s’ouvre entre deux pilastres ou contre-forts, d’une faible saillie, qui s’élèvent en dehors jusqu’au haut de la muraille; puis vient un autre arceau en plein cintre, reposant sur le même cordon et d’un diamètre un peu plus petit, Entre chacun d’eux, une ouverture servant de mâchicoulis et régnant dans toute la largeur de l’entrée est pratiquée de haut en bas dans la voûte. On ne peut admettre que ce fût là une rainure destinée à faire glisser une herse, car elle est beaucoup plus large que celles adoptées pour cet usage; et, d’ailleurs, le cordon indiqué tout à l’heure ne subit dans cet endroit aucune interruption. D’un autre côté, il ne faut pas oublier que la herse a été remise en usage pour la première fois à la fin du XIe siècle, au château de Rochester, par Gundulphe, moine normand, devenu évêque de cette ville, et mort en 1095 . Ainsi, point de herse à notre porte; de pont-levis, pas davantage. On est donc en droit de conclure de ce fait et de la disposition générale décrite tout à l’heure qu’elle date de la fin du XIe siècle environ, aussi bien que la muraille d’enceinte dont elle fait partie intégrante.
Lors des réparations considérables entreprises au château de Bressuire dans la dernière moitié du xve siècle, on conserva cette porte; mais elle fut noyée, pour ainsi dire, au milieu des constructions nouvelles. Ainsi, au point même où on la quitte pour pénétrer dans l’intérieur des bâtiments d’habitation, il faut passer encore sous un nouvel arc ogival très-ouvert percé dans la muraille (g c), du XVe siècle, qui, accolée contre elle, s’élève ensuite beaucoup plus haut, pour se terminer en pignon. Ici la juxtaposition est évidente, tant à cause du défaut de parallélisme que de la différence sensible de style. Du côté de l’extérieur, existe un avant-corps (a’ b’ dc), assez semblable à celui qui précédait l’entrée du château de Montargis, bâti au XIIIe siècle . C’est là une addition postérieure, autant qu’on peut en juger par le mur (a’ b’), percé d’une petite ouverture cintrée, condamnée plus tard, et par le passage voûté en ogive (P). Au xve siècle, cet avant-corps fut lui-même modifié et encastré de toutes parts: 1° par le mur (a b), dont le sommet porte une rangée de consoles de mâchicoulis travaillées avec un très-grand soin; 2° par le grand pignon (b d), où est pratiquée la nouvelle porte (B), dans l’axe même du passage voûté du xie siècle (N); 3° enfin, par la tour 29, dont la hauteur (90 pieds) et l’élégance sont remarquables au même degré.
La poterne pratiquée au point A, par laquelle passent depuis longtemps les touristes, n’existait pas primitivement. La preuve, c’est le dérangement sensible causé par son ouverture dans le revêtement de la muraille. Le château central, alors isolé sur son rocher, n’avait d’autre issue que la porte romane décrite plus haut (N). Cette poterne, d’ailleurs sans style, n’a été ouverte que beaucoup plus tard; elle était de difficile accès, car on y monte par une rampe très-raide. Une petite bretêche soutenue par trois corbeaux en pierre, encore subsistants, avait été établie pour en défendre l’approche, au sommet de la tour 26, au pied de laquelle on avait eu le soin de la placer.
Lorsqu’on a franchi le seuil de la poterne, on se trouve tout à coup dans la cour intérieure, en présence de ruines grandioses, où une végétation luxuriante continue poétiquement l’œuvre de destruction brutalement commencée par la main de l’homme. C’est comme un changement de décoration. Là, si une section demi-circulaire du vieux mur d’enceinte se laisse encore apercevoir avec sa nudité triste et guerrière, d’immenses constructions du XVe siècle, élevées à la place des bâtiments plus humbles de l’époque romane, apparaissent de toutes parts avec leurs pignons aigus, leurs fenêtres à croisillons et leurs larges cheminéès suspendues aux flancs des murailles. Mais, avant de nous y arrêter, dirigeons nos pas vers la chapelle, qui appartient, suivant nous, à la première époque du château.
Assise sur le bord de l’escarpement méridional, comme le grand bâtiment d’habitation auquel elle est contiguë, la chapelle (V) ne présente plus que des restes incomplets et défigurés. La porte (h), à laquelle on arrive par un escalier extérieur, est le seul indice caractéristique de son ancienne destination et de son âge. Ses deux archivoltes, cintrées en ogive, se composent uniquement de deux tores ou boudins retombant sur deux colonnettes de la plus grande simplicité. Deux contre-forts s’élèvent le long de chacun des murs latéraux; ceux du mur méridional sont peu saillants et rappellent un peu le style roman des XIe et XIIe siècles. La chapelle du château de Bressuire, dédiée à saint Nicolas, avait été érigée en paroisse à une époque très-ancienne, puisqu’elle est mentionnée à ce titre dans le Pouillé du diocèse de Poitiers, connu sous le nom de Grand-Gauthier, lequel date des dernières années du XIIIe siècle. Plus tard, elle fut annexée à la paroisse Saint-Jean; mais elle existait à titre de chapelle à une époque bien antérieure dès le XIe siècle, ainsi que le prouve un acte de l’an 1095 . Nous serions assez portés à admettre la contemporanéité de cet édifice et du château central, sans nier toutefois qu’il ait pu être l’objet de restaurations postérieures. Ce qui parait certain, c’est que la chapelle a été notablement diminuée et défigurée lors de la construction du grand corps de logis, dans la dernière moitié du xve siècle. L’abside, dont il n’y a plus de trace, devait nécessairement s’étendre du côté de l’appartement placé en U; et l’écroulement si regrettable de la partie supérieure de la tour 32, en mettant au jour un vieux contre-fort de la construction primitive, nous a confirmé dans cette supposition. On pourrait peut-être fixer la limite de la chapelle, du côté de l’occident, du point j au point p, où s’élevait jadis une tour, aujourd’hui détruite.
Au surplus, l’état actuel de cette portion du château ne permet pas de se rendre compte de son ancienne disposition. Tout ce qu’on peut affirmer, c’est que la tour ou courtine circulaire 21, qui clôt en cet endroit le château, est contemporaine du mur d’enceinte, ce dont il est facile de se convaincre en examinant les assises du revêtement, qui correspondent et se raccordent parfaitement avec celles de la tour 22 et de la courtine intermédiaire.
Arrivons maintenant au grand logis du XVe siècle. Il se compose de deux corps de bâtiments construits en forme d’équerre, l’un à l’orient, l’autre au midi. C’est la façade de ce dernier, dont le magnifique développement produit un effet si imposant. C’était aussi le plus important, car il n’avait pas moins de trois étages, comprenant chacun quatre spacieux appartements, sans compter les combles et les soubassements. La lumière pénétrait dans toutes ces chambres par de grandes et belles fenêtres à croisillons de pierre, appareillées avec un soin remarquable. Leurs vastes embrasures sont garnies de perrons; un corridor ménagé le long de la façade méridional, aux dépens de l’appartement placé en S, mettait en communication directe les chambres voisines R, T. Là aussi s’ouvrait la porte donnant accès dans la tour 31, depuis longtemps détruite. Un autre corridor plus petit reliait les chambres T et U, et communiquait en même temps avec la tour 32, divisée, comme le corps de bâtiment, en trois étages éclairés par des fenêtres à croisillons. Nous avons déjà constaté l’écroulement assez récent de la partie supérieure de cette belle tour. Une autre (n° 30), qui a disparu depuis bien plus longtemps, communiquait à l’appartement R. La même division se répétait à tous les étages. On peut encore y voir toutes les cheminées superposées jusqu’au haut des pignons avec leurs larges manteaux et leurs jambages ornés de belles moulures prismatiques. (Voir pl. XXIII.) Les soubassements, qu’on serait tenté de prendre aujourd’hui pour des caves, à cause de l’exhaussement prodigieux du sol de la cour intérieure, n’étaient en réalité, jadis, que le rez-de-chaussée; ils se commandent mutuellement: celui placé en R communique d’une part, au dehors, par la grande porte (N), et de l’autre à la cour intérieure par un immense arceau ogival (e). De telle sorte qu’on pouvait entrer dans le château sans gêner en rien le service des appartements seigneuriaux placés aux étages supérieurs.
Le bâtiment oriental adossé au vieux mur d’enceinte de la fin du XIe siècle a été édifié sur des constructions antérieures de diverses époques, dont plusieurs portions ont été conservées et utilisées. Ainsi le soubassement, ancien rez-de-chaussée, aujourd’hui semblable à un souterrain, par suite des décombres qui ont élevé de dix pieds l’ancien sol de la cour, nous semble appartenir à la fin du XIe, ou plutôt au commencement du XIIe siècle, comme le mur de fortification. Creusé en partie dans le roc vif, voûté en ogive peu accentuée, sans nervures ni arcs-doubleaux, et éclairé, du côté de la cour, par trois ouvertures étroites, à jour plongeant, ce magnifique soubassement règne sous la plus grande partie du bâtiment, sur une longueur de 50 pieds. Il devait servir autrefois de cellier et de magasin pour les approvisionnements du château. Sa porte carrée, d’une grande simplicité, que nous avons fait dégager récemment, ouvrait sur la cour au point K. Au-dessus, et formant par conséquent premier étage, est un immense appartement (G), dont les dimensions sont les mêmes (50 pieds sur 22). Il était éclairé par une fenêtre à croisillons, percée à l’orient dans l’épaisse courtine qui relie les tours 27 et 28. La cheminée, placée en face, a conservé son élégant tuyau rond, qu’on aperçoit de partout dominant les ruines. (Voir pl. XXIII.) Quant à la destination de cet appartement, nous pensons que là était la grande salle du château désignée sous le nom de vieille salle dans le compte de 1589, parce qu’en effet le bâtiment où elle se trouve, quoique plusieurs fois remanié, est néanmoins le plus ancien. La muraille qui sépare la grande salle de l’appartement voisin (L) présente une trace évidente de ces remaniements; sa construction date au moins du XIVe siècle, car on remarque sur ses deux faces, à la hauteur du deuxième étage, des cheminées et une porte cintrée dont le type diffère très-sensiblement de celui des cheminées et des portes du grand bâtiment méridional.
A part ce mur, le soubassement et quelques parties moins apparentes, le bâtiment oriental est aussi une oeuvre du xve siècle. A son extrémité s’élevait la tour du grand escalier (H). Suivant le style du temps, elle était à pans coupés, et le noyau de l’escalier devait s’épanouir à la voûte en forme de palmier. Pour arriver à la porte qui, conformément au plan général, était placée à la hauteur du premier étage, il fallait monter un escalier extérieur (J), aujourd’hui recouvert de décombres; puis on entrait à droite dans la grande salle (G). Quoique la tour de l’escalier soit en partie ruinée, cependant on aperçoit encore les arrachements des marches s’élevant en spirale sur les parois intérieures, et deux portes à linteau taillé en accolade, encadrées de moulures prismatiques assez soignées, qui conduisaient dans les appartements du deuxième étage, placés en G et en I. Il n’est guère possible de se rendre compte des réduits sans nom situés en I, non plus que de l’appartement L, qui nous paraît avoir été l’objet de modifications ultérieures.
En adossant le bâtiment oriental à la vieille muraille et aux deux tours qui la flanquent de ce côté, l’architecte du XVe siècle devait naturellement mettre en harmonie ces anciennes constructions avec les nouvelles. C’est ce qui explique les remaniements qu’il leur a fait subir. Ainsi le mur de la courtine (27-28), qui forme le côté oriental de la grande salle (G), fut dérasé jusqu’au linteau de la fenêtre environ; puis on enta par-dessus un nouveau mur moins épais pour édifier les étages supérieurs. Le mur oriental de l’appartement contigu (L) a été traité d’après la même méthode. Les deux tours 27 et 28 furent exhaussées jusqu’à la hauteur du nouveau bâtiment, comme le prouve l’emploi de la brique dans la maçonnerie supérieure, et un appartement voûté fut ménagé à leur sommet. Celui de la tour 27 n’a conservé que la porte qui le mettait en communication avec le chemin de ronde. Quant à la tour 28, dite tour du Trésor, parce qu’elle contenait les archives de la baronnie de Bressuire, elle est encore intacte. Son appartement, voûté et éclairé au levant par une fenêtre à croisillon, subsiste toujours. Elle n’a été dépouillée de sa toiture en ardoises qu’en 1780, époque à laquelle les archives furent transportées au château de Saint-Loup, par ordre de M. d’Abbadie, nouvel acquéreur de la baronnie de Bressuire.
Enfin l’avant-corps qui précède la porte fut aussi complétement remanié au xve siècle et relié au grand corps de logis, en sorte qu’au lieu d’être à ciel ouvert, comme jadis, il fut transformé en corridor surmonté d’appartements. Pour réaliser ce plan, on éleva sur le devant le grand pignon b’d, où vint s’appuyer la charpente, qui de là allait se raccorder avec celle du grand logis sur le pignon gc. Dans cette façade s’ouvrait, comme nous l’avons expliqué plus haut, la première porte, au-dessus de laquelle était percée une fenêtre, toutes deux inscrites dans une grande arcature. Plus haut s’ouvre une autre fenêtre qui éclairait l’étage supérieur. A droite, au nord, on juxtaposa une muraille (ab), destinée à supporter cette jolie galerie de machicoulis, qui pouvait servir à la fois de moyen de défense et de promenoir. Enfin, l’angle méridional fut flanqué d’une tour élégante, très-élevée, construite en glacis, encore couronnée de sa corniche, et où l’on remarque aussi l’emploi de la brique (29). Les appartements qu’elle contient communiquaient avec celui de l’avant-corps, excepté l’étage inférieur, dans lequel on entrait par une porte ouvrant en dehors dans l’angle formé par la rencontre de la première enceinte. On pourrait croire à priori que c’était là le donjon, car les comptes de la baronnie de l’an 1589 mentionnent une faible dépense faite pour la pose d’un seuil à la porte qui sort de la court dudit chasteau pour entrer au donjon. Or, cette désignation ne s’appliquerait pas mal à la tour n° 29. Mais un compte plus ancien de l’an 1451 enregistre, de son côté, une dépense de deux septiers de seigle pour la nourriture de ceulx qui ont recouvert le daujon du chastel . Il est donc fait allusion ici à une tour plus ancienne, puisque celle indiquée sous le n° 29 ne peut dater que de la fin du XVe siècle, et n’existait probablement pas encore en 1451. Il faut alors chercher nécessairement le donjon dans une des tours de l’enceinte extérieure, la tour n° 7, par exemple. L’existence de deux donjons, qui semble résulter d’un article du compte de 1590, où il est fait mention du petit donjon , éclaicirait peut-être ce doute. On pourrait voir alors sans inconvénient, dans la tour 29, l’un des donjons, tandis que l’autre serait une des grosses tours de la première enceinte.
Les logements de la domesticité et des soldats en temps de guerre avaient été établis dans la cour intérieure, le long de la muraille circulaire. Des vestiges assez considérables subsistent encore, notamment une immense cheminée, dont le manteau est au niveau actuel du sol (f): nouvelle preuve de l’exhaussement considérable du sol primitif de la cour. D’autres logements, élevés après coup, ont dû exister également le long du grand logis, ainsi que le prouveraient les enduits dont il est revêtu et les substructions que les décombres n’ont pas recouvertes entièrement.
En temps ordinaire, la garde de cet immense château était confiée aux habitants de la châtellenie de Bressuire, qui y venaient, à tour de rôle, s’acquitter de leur service militaire, sous le commandement du capitaine de la place, nommé et rétribué par le seigneur. C’était ce qu’on appelait le droit de guet et garde. Chaque habitant de la baronnie, noble ou roturier, sans exception, devait se rendre au château, sur la réquisition du capitaine, et y veiller en armes, sur les murailles, une nuit par mois. En revanche, ils avaient le droit de s’y réfugier, eux et leurs biens, dès que la guerre ou un péril quelconque venait compromettre la sécurité du pays. L’utilité incontestable du droit de guet et garde pour les populations, dans beaucoup de circonstances critiques, compensait donc la gêne et les tracasseries qu’il pouvait occasionner quelquefois pendant les périodes pacifiques. Aussi, lorsqu’en 1424, plusieurs habitants des paroisses de Beaulieu, Saint-Aubin-du-Plain et Chambroutet refusèrent de s’acquitter de leur service au château, un arrêt du sénéchal de Poitou de l’an 1425, maintenu par un arrêt du Parlement de l’an 1426, repoussa avec raison leur plainte, et maintint le seigneur de Bressuire dans l’exercice de son ancien droit .
En temps de guerre, le seigneur, outre les hommes d’armes ordinaires qu’il pouvait avoir à sa solde, faisait appel à tous ses chevaliers et tenanciers, et le château se trouvait alors sur un pied de défense respectable. Il arriva aussi, pendant les longues luttes de la France et de l’Angleterre, que le château reçut des garnisons étrangères, soit anglaises, soit françaises, suivant les vicissitudes de la guerre. Ainsi Louis IX, en 1242, exigea du seigneur la faculté d’y mettre garnison; et l’on sait que Bressuire, assiégée par du Guesclin en 1371, avait des Anglais pour principaux défenseurs.
Lorsque, du bas de la colline, on contemple les magnifiques ruines du château de Bressuire, on éprouve un sentiment d’étonnement et de curiosité. (Voir pl. XXII, vue du château.) Ce noble et respectable témoin d’un passé qui a bien eu sa raison d’être et ses gloires nous étonne par ses proportions grandioses, si peu en rapport avec les constructions mesquines de notre temps. On voudrait apprendre de lui tous les événements qu’il a vus, connaître tous les personnages qu’il a abrités; mais c’est en vain: il est muet. Essayons pourtant de rompre ce silence; interrogeons les vieilles archives épargnées par le temps; évoquons les ombres de ceux qui l’ont fondé, agrandi, embelli et habité si longtemps; repeuplons pour un moment ces ruines désolées, et que le souvenir de son antique splendeur ne puisse pas du moins entièrement disparaître C’est là le but que nous avons poursuivi en écrivant ce livre.
Chose étonnante! le manoir de Bressuire, qui, par sa grandeur et sa force, semble avoir joué un rôle important dans l’histoire, occupe néanmoins dans ses fastes une très-petite place. Lors de la prise mémorable de Bressuire par du Guesclin, en 1371, il eût pu s’illustrer en lui opposant une résistance quelconque; mais la garnison, effrayée par l’assaut vigoureux de la ville, préféra en ouvrir les portes au vainqueur . Ses annales sont donc moins riches et moins intéressantes que ne le laisseraient croire au premier abord son attitude fière et le luxe de son architecture.
Fondé par les Beaumont à une époque qu’on ne saurait préciser, mais avant le XIe siècle très-probablement, il ne consistait sans doute, dans l’origine, qu’en un donjon entouré de palissades. Vers la fin du XIe siècle, ses possesseurs, dont la fortune avait grandi avec la puissance, le reconstruisirent d’une manière plus solide et élevèrent cette muraille circulaire flanquée de tours, qui bientôt ne forma plus qu’une enceinte intérieure. Vers la fin du XIIe siècle et dans les premières années du XIIIe, les Beaumont-Bressuire, ayant conquis un rang plus élevé parmi les feudataires poitevins, augmentèrent encore les fortifications de leur château et firent construire la grande muraille d’enceinte qui embrasse tout le plateau. Outre les considérations archéologiques développées plus haut, diverses raisons historiques nous donnent la conviction que cet important ouvrage militaire était achevé avant l’expiration du premier quart du XIIIe siècle, au plus tard. Une curieuse charte de la fin du XIIe siècle (1188-1194), octroyée à ses vassaux par Raoul de Beaumont, seigneur de Bressuire, et sa famille, charte sur laquelle nous insisterons plus loin, limite à trois journées par an la durée de la corvée due par chaque possesseur d’un chariot . Si donc, à partir de ce moment, les vassaux de Bressuire cessèrent d’être corvéables à merci, ne seraient-ce pas les travaux excessifs imposés par le seigneur pour l’achèvement de son château qui auraient amené et motivé cet acte de justice, réparation tardive de la violation d’une coutume déjà existante? C’était d’ailleurs, l’époque des grandes guerres entre Jean Sans-Terre et Philippe-Auguste, guerres dont le Poitou, et notamment la vicomté de Thouars, furent plusieurs fois le théâtre. Elles devinrent même fatales pour la ville de Bressuire, qui fut incendiée par l’armée de Philippe-Auguste . Qu’on se rappelle la lettre par laquelle le roi d’Angleterre promet au seigneur de Parthenay de lui aider à fortifier son château en 1202: pourquoi n’aurait-il pas rendu le même service au seigneur de Bressuire, qui lui était également dévoué, et chez lequel il séjourna plusieurs fois à cette époque? De cet état de lutte presque continuel surgirent la plupart des grandes forteresses féodales. L’histoire vient donc ici en aide à l’archéologie pour attribuer à cette période guerrière (1180-1225) l’entier achèvement du château de Bressuire. Dès lors, il fut regardé comme l’une des plus fortes places de la province, puisqu’en mai 1242, le roi saint Louis, recevant la soumission et l’hommage de Raoul II de Beaumont, sire de Bressuire, se réserva le droit d’y mettre garnison, quand il le jugerait nécessaire.
Depuis le XIIIe siècle jusqu’au XVe, le château de Bressuire ne subit aucun changement de quelque importance. C’est alors que paraît Jacques de Beaumont, le grand homme, ou, pour parler plus exactement, l’homme marquant de sa famille. Louis XI, qui avait reconnu en lui un serviteur fait à sa main, l’avait successivement nommé conseiller et chambellan, lieutenant général en Poitou, Saintonge et Aunis, etc. Il entretenait avec son ami M. de Bressuire, comme il avait l’habitude de l’appeler, une correspondance très-active, l’initiant ainsi à tous les secrets de sa politique. La confiance presque illimitée dont ce soupçonneux-monarque l’avait investi, et les charges nombreuses dont il le revêtit, contribuèrent, dans une large proportion, à augmenter sa fortune patrimoniale, déjà grossie par de riches alliances. Dans la grande situation qui lui était faite, il n’est donc pas étonnant que Jacques de Beaumont ait songé à faire de son château de Bressuire une demeure digne d’un chambellan du roi de France.
Déjà, dès l’an 1420, dans l’intérêt général du pays, Guy de Beaumont, son grand-père, alors seigneur de Bressuire, de concert avec les habitants, consultés à cet effet, avait sollicité et obtenu de Charles, régent du royaume, le droit de lever pendant deux années le dixième du vin vendu en détail dans toute l’étendue de la ville et de la châtellenie, pour le produit en être appliqué aux réparations des fortifications du château et à l’acquisition d’un matériel de guerre, canons, poudre, arbalètes et autres engins. La même taxe fut autorisée, dans le même but, en 1425, pour deux années, par lettres patentes du roi Charles VII. En 1438, de nouvelles lettres patentes autorisèrent pour quatre années la perception du dixième sur la vente en détail du vin, à la condition que le tiers du produit serait appliqué aux fortifications du château, et les deux tiers à celles de la ville. Cet impôt fut encore octroyé pour quatre ans, aux mêmes conditions, en 1442. Enfin, Jacques de Beaumont, qui venait de succéder à son grand-père dans la seigneurie de Bressuire, obtint successivement des rois Charles VII et Louis XI, en 1446, 1450, 1455, 1459 et 1463, c’est-à-dire après chaque période de quatre ans, la prorogation du même impôt. Mais, à partir de 1459, la part afférente aux réparations du château fut augmentée et portée à la moitié, en vertu des dispositions des lettres royales, qui d’ailleurs, il faut le remarquer, ne permettaient jamais la levée de l’impôt sans requérir, d’une manière expresse, le consentement préalable des habitants Outre le dixième perçu sur la vente du vin, la châtellenie de Bressuire, pour faire face aux dépenses sans cesse renaissantes occasionnées par les réparations des fortifications du château et de la ville, fut frappée, pendant la période quinquennale de 1457 à 1462, d’une autre taxe de 500 livres tournois, également consentie par les habitants, à raison de 100 livres par année. Les lettres patentes qui l’autorisèrent furent accordées, comme les précédentes, à la sollicitation du seigneur . La part afférente au château, il faut le reconnaître, fut parfois détournée de son but et employée aux besoins personnels du seigneur. On en trouve la preuve dans le compte de 1461, rendu par le fermier du dixième. Quoi qu’il en soit, au moyen de toutes ces ressources, jointes à celles qu’il pouvait tirer de sa fortune particulière, Jacques de Beaumont, non-seulement remit en bon état les défenses de son château, mais encore renversa l’habitation modeste de ses ancêtres, pour élever à la place les splendides logis que nous avons décrits tout à l’heure. Comynes, que Louis XI, on le sait, avait en si haute considération, reconstruisit aussi, à la même époque, son château d’Argenton, œuvre pour l’exécution de laquelle il reçut des subsides de la main du roi (1477-1482) . Or, en comparant les restes du château d’Argenton avec celui de Bressuire, on est frappé de la ressemblance de leur architecture: il n’y a pas à en douter, ils sont contemporains. Qui sait même si Jacques de Beaumont ne reçut pas aussi, comme son voisin, une bonne part des libéralités royales?
Au XVIe siècle, le château de Bressuire fut plus rarement habité par ses nouveaux seigneurs, les Laval-Montmorency, que par les Beaumont, leurs prédécesseurs. Toutefois il fut entretenu avec soin, et la place était très-belle et forte, ainsi que le constate un document de l’époque, qui, en nous apprenant l’entrée des huguenots dans Bressuire, au mois de septembre 1588, présage la reddition très-prochaine du château, faute de garnison suffisante . En 1595, M. de Malicorne, gouverneur du Poitou, y envoya une garnison . Un aveu rendu en 1605 au duc de Thouars par François de Fiesque, nouveau seigneur de Bressuire, mentionne le château comme subsistant toujours en bon état, encore muni de toutes ses défenses, créneaux, ponts-levis, arbalestières, etc. Enfin, les lettres patentes de Louis XIII, du 6 avril 1614, prorogent pour dix ans le droit de dixième sur le vin, afin, disent-elles, de réparer et entretenir les fortifications de la ville et du château, qui tombent en ruines .
Mais l’heure de la destruction va bientôt sonner pour lui. C’est en vain que la guerre a épargné depuis des siècles l’antique demeure des Beaumont: la politique implacable de Richelieu la frappera sans pitié. Partout les châteaux féodaux sont démantelés par ordre royal. Pierrefonds s’écroule, en 1617, sous l’action destructive de la mine et de la sape. La mine fait également sauter, en 1652, l’incomparable château de Coucy . Est-il donc téméraire de mettre à la charge de la monarchie absolue du XVIIe siècle, et surtout de l’administration de Richelieu ou de Mazarin, la destruction du château de Bressuire? Nous ne le pensons pas, si l’on tient compte, d’une part, de la tradition, et, d’autre part, de l’aspect significatif des ruines. Il est certain, en effet, que, d’après le témoignage des personnes les plus âgées, qui elles-mêmes le tenaient de la bouche de leurs ancêtres, l’état de dégradation où nous voyons le château date d’une époque dont personne n’a conservé le souvenir. Or, s’il subsistait encore dans son entier au commencement du XVIIe siècle, n’est-ce pas évidemment la dernière lutte de la royauté contre la féodalité qui a causé sa ruine? Qu’on se transporte de nouveau dans la cour intérieure, et, si l’on n’y a pas déjà fait attention, on remarquera, pratiquées dans les bâtiments, cinq ou six grandes brèches longitudinales semblables à celles produites par la mine et la sape dans les murailles de Pierrefonds. On aurait donc employé à Bressuire le même procédé de destruction, peut-être dans le but d’enlever aux frondeurs, très-nombreux dans le pays, et à leur puissant chef, le duc de Thouars, la possibilité de s’emparer de cette place importante et de l’utiliser pour leur défense, à l’époque des troubles de 1649 . La belle façade méridionale, qui en est la partie la plus pittoresque et la plus grandiose, est encore debout; mais, si elle a résisté deux siècles, la pluie, à force de s’infiltrer dans sa maçonnerie, et les tempêtes, à force de l’assaillir, lui font perdre de plus en plus son aplomb et la menacent incessamment d’une chute terrible et sans remède. Depuis le jour où fut prononcé l’arrêt de mort du château de Bressuire jusqu’à la Révolution, le silence et la solitude qui l’envahirent n’ont été troublés que par le bruit des pas du procureur fiscal de la baronnie, lorsqu’il venait dans la tour du Trésor consulter les archives. Les mémorables guerres de la Vendée, en passant sur le pays comme un ouragan, l’épargnèrent, ou plutôt l’oublièrent, à cause de sa décrépitude et de son inutilité. L’incendie de la ville, allumé en 1794 par une politique sauvage, projeta sur ses murailles, sans les atteindre, ses lueurs sinistres. Aujourd’hui, son seul ennemi, c’est le temps; et si l’utilité publique, invoquée souvent sans raison, ne vient pas le faire disparaître ou le mutiler, ses propriétaires, descendants des derniers barons de Bressuire , le conserveront religieusement, à la légitime satisfaction de la ville de Bressuire, pour laquelle il est un véritable titre de noblesse, et de l’archéologie, aux yeux de laquelle il sera toujours un monument du plus haut intérêt.
LISTE
DES CAPITAINES DU CHATEAU ET DE LA VILLE DE BRESSUIRE.