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LE PAYS DE BRESSUIRE DANS LES TEMPS ANTÉRIEURS AU XIe SIÈCLE.
ОглавлениеBien qu’il soit vrai de dire que la ville de Bressuire, avec son admirable château, son enceinte fortifiée en partie démolie, mais qui n’a pas varié depuis huit siècles, ses églises, les unes détruites, les autres encore subsistantes, soit l’œuvre de la féodalité, et que sa véritable origine soit à peu près contemporaine de celle des Beaumont, ses premiers seigneurs, il serait pourtant téméraire d’en conclure que l’homme a attendu si tard pour venir s’établir sur cette colline des bords du Dôlo. Si l’on ne savait déjà que la plupart des lieux habités remontent à la plus haute antiquité, le vieux nom de Bressuire, Bercorium, Berzoriacum,. dénomination d’un caractère si ancien et analogue à celle de tant d’autres vieilles localités, serait assurément l’indice suffisant d’un âge très-reculé . Mais on n’a pas que des probabilités à invoquer, on possède aussi la preuve matérielle du séjour antique de l’homme sur ce terrain que devaient fouler tant de générations postérieures. Une grande et belle hache celtique en silex, placée dans un vase grossier, a été découverte, il y a quelques années, non loin du château, dans un jardin de la rue Saint-Nicolas. Près d’elle gisait une sorte de petit godet rond en terre cuite, muni d’un pied pointu et ressemblant assez à une bobèche qu’on pouvait ainsi planter sur un chandelier. Il y avait en outre plusieurs morceaux d’une matière assez difficile à déterminer, où l’on a cru reconnaître de l’émail grossier, jadis à l’état liquide, et affectant la forme du vase qui le contenait . Ainsi donc nous avons là la trace certaine d’une agglomération gauloise quelconque, qui avait peut-être déjà utilisé pour sa défense la colline où devait, bien longtemps après, s’élever le château féodal.
D’après M. de la Fontenelle, le pays où est situé Bressuire a dû faire partie du territoire des Ambiliates ou Ambilatri, petite peuplade gauloise mentionnée par César et par Pline, primitivement distincte, quoique alliée des Poitevins, et de bonne heure absorbée par eux . Quoi qu’il en soit, l’antique Bercorium celtique ne fut bien vraisemblablement qu’une misérable bourgade, que la conquête et la civilisation romaines ne semblent pas avoir fait sortir de son obscurité. En effet, s’il en était autrement, comment expliquerait-on l’absence complète de médailles, poteries ou autres objets romains, dans ce sol si profondément remué par les modernes? Malgré cette puissante objection, d’Anville, Sanson et plusieurs autres savants, et en dernier lieu la commission de la topographie de la Gaule , placent à Bressuire l’ancienne station Segora, située, d’après la carte de Peutinger , sur la voie romaine de Poitiers à Nantes; mais, depuis la lumineuse dissertation de M. Léon Faye sur Segora , et l’importante découverte d’une ville gallo-romaine à Faye-l’Abbesse, à quatre lieues de Bressuire, il n’est plus guère possible de soutenir cette opinion. M. Faye, prenant pour base les chiffres de la table de Peutinger, qu’il accepte avec raison tels qu’ils sont, au lieu de les modifier arbitrairement, démontre d’une manière rigoureuse, par le calcul des distances, par l’omission évidente sur la carte d’une autre station, aujourd’hui retrouvée à Faye-l’Abbesse; et enfin par les débris romains considérables de la Ségourie, que la fameuse Segora doit être identifiée avec cette dernière localité, située commune de Fief-Sauvin, près Beaupreau .
Quant à la découverte de Faye-l’Abbesse, elle contribue fortement, elle aussi, à ruiner les prétentions de Bressuire, puisque, ajoute M. Faye, si la mansion Segora se trouvait dans ces parages, évidemment c’était aux Crânières. C’est en effet sur la métairie des Crânières, distante de 600 mètres environ du bourg de Faye-l’Abbesse, que les premières fouilles, entreprises, en 1851, par M. Touchard, firent soupçonner l’existence d’une ancienne ville romaine . Bientôt après, en 1852, la Société de statistique des Deux-Sèvres ayant fait exécuter d’autres fouilles plus sérieuses, on découvrit, dans un champ dit les Terres-Noires, les fondations d’un édifice romain, de forme pentagonale, ayant 56 mètres sur un côté et 33 mètres sur l’autre. Un portique régnait à l’intérieur, comme l’indiquaient les assises des colonnes, placées régulièrement à 1 m. 85 c. l’une de l’autre. Au centre de cet atrium s’élevaient deux tours concentriques de 15 et 7 m. de diamètre, et à l’angle se trouvait un bassin carré où venait aboutir un aqueduc. Une grande quantité d’objets intéressants furent recueillis près des ruines: meules de granit, tuiles à rebords, fragments de chapiteaux ou de colonnes en calcaire, fragments de belles poteries, deux haches celtiques, chaînes de diverses grosseurs, clefs, couteaux, instruments divers, 36 fers de lance, 7 épées dont 2 avec leurs fourreaux, agrafes en bronze, fragments de verre de toute sorte, 51 monnaies celtiques et 91 monnaies romaines en bronze, à l’effigie de 23 empereurs, depuis Auguste jusqu’à Valentinien Ier (364-375). Enfin, avec tous ces débris, se trouvaient beaucoup d’ossements d’hommes et d’animaux . Encouragée par ce résultat, la Société de statistique des Deux-Sèvres vient de faire pratiquer de nouvelles fouilles dans le champ contigu aux Terres-Noires, sur une étendue d’un hectare environ. Là encore elles ont été couronnées d’un plein succès, puisque des constructions antiques, remplies de débris, ont surgi à chaque pas sous la pelle des travailleurs. Une magnifique voie romaine de 21 pieds de large, remarquable par sa solidité et le soin avec lequel elle a été construite, s’avance majestueusement à travers les maisons qui la bordent des deux côtés. Une petite ruelle aboutissant sur la voie sépare les maisons les unes des autres, et dans chaque habitation on a trouvé un puits. Au surplus, tous ces édifices sont beaucoup moins soignés que celui découvert en 1852, lequel semble avoir été jadis un monument public, ou du moins une riche habitation. Quant aux objets recueillis dans les dernières fouilles, ils sont bien moins intéressants. En effet, parmi la masse énorme de débris informes, tuiles à rebords, poteries, ferrailles, dont la terre était parsemée, on n’a rencontré que deux ou trois vases entiers, une poignée de couteau ou poignard en fer, une hache en fer, une petite lampe en bronze très-curieuse et quelques monnaies, la plupart frustes, à l’exception d’une, à l’effigie de Galba. N’oublions pas aussi les amas considérables d’huitres qu’on a remarqués dans plusieurs endroits de ces ruines, fait généralement constaté dans les gisements gallo-romains, et qui prouve l’état avancé de la civilisation sous l’Empire, car il faut bien conclure de là que les communications avec les côtes de la mer étaient faciles et rapides. Si l’on songe maintenant que le sol est parsemé de débris de même nature sur une étendue de 20 hectares environ, on ne pourra pas assurément mettre en doute l’existence d’une ville gallo-romaine assez importante sur le plateau des Crânières. Un autre fait acquis, c’est qu’elle se trouvait assise sur le parcours de la voie de Poitiers à Nantes. A partir de Gourgé (Gurgicuyum), localité également gallo-romaine , où elle est connue sous le nom de Chemin de Saint-Hilaire, la voie continuait à se diriger vers Nantes, en droite ligne, par le gué de Vieille-Menée, dans le Cesbron, au milieu de la plaine des Gardes (commune de l’Ageon), et devait passer ensuite, selon toute vraisemblance, dans la commune d’Amaillou, non loin d’une villa romaine récemment découverte à la Raconnière. De là elle atteignait forcément Faye-l’Abbesse, en passant à la Missardière, commune de Chiché, où ses traces ont été reconnues, et non loin de Chausseraye; mais son tracé est moins connu entre les Crânières et la Ségourie. Beaucoup le font passer à Bressuire, Chatillon, les Echaubroignes, Izernay, Tout-le-Monde, Nuaillé, Trémentines, le May, Andrezé, la Chapelle-du-Genêt et la Ségourie. La voie aurait suivi de la sorte la direction de l’ancien chemin de Bressuire à Mauléon (Chatillon), chemin évidemment très-ancien, sur le parcours duquel on trouve des vestiges de la Chaussée, près l’Epinay et les lieux-dits suivants: la Tourette, la Roche-aux-Murs, le Grand-Perray, le Petit-Perray, la Roche-Diablère, la Bordelière, la Tourette, le Plessis, Rorthais, Mauléon. Une autre voie romaine, conduisant également de Poitiers à Segora et à Nantes, a été étudiée par M. Charles Arnaut. Elle passait à Marnes, à Saint-Jouin, dans la plaine de Noizé, à Luzay, et dans les communes de Luché (à la Croix-de-Malheur), Coulonges-Thouarsais, la Chapelle-Gaudin, Noirlieu, Voultegon, les Aubiers, Saint-Aubin-de-Baubigné, pour se diriger ensuite sur la Ségourie . Mais nous ne pensons pas qu’elle ait été la vraie ligne directe de Poitiers à Nantes, qui passait, à notre avis, à la ville des Crânières. C’était un chemin de second ordre. D’ailleurs, il ne faut jamais perdre de vue un fait aujourd’hui suffisamment établi: c’est qu’il existait sur toute la surface de l’empire romain un réseau de routes très-nombreuses, probablement aussi complet que celui de nos temps modernes.
La voie découverte dans les ruines des Crânières, si remarquable par son état de conservation, n’était aussi qu’une voie secondaire. Elle a été suivie jusqu’au moulin de Gastine, où l’on trouve d’autres vestiges romains, dans la direction de Pierrefitte, côtoyant ainsi et empruntant peut-être plus loin le vieux chemin de Marans à Thouars indiqué sur toutes les anciennes cartes, et que nous soupçonnons être un chemin gaulois.
Une question intéressante demeure sans réponse. Quel nom portait la ville gallo-romaine des Crânières? Placée à 33 lieues gauloises de la Ségourie, chiffre indiqué par la carte de Peutinger et conforme à la distance réelle, elle remplit toutes les conditions voulues pour tenir la place d’une station intermédiaire entre Poitiers et la Ségourie, station omise par cet antique document géographique. Là n’était donc pas Segora. Faut-il admettre que la dénomination actuelle des Crânières soit une traduction plus ou moins exacte de son ancien nom, ou bien ce nom a-t-il disparu complétement? La découverte d’une inscription, d’une borne milliaire, par exemple, pourrait seule nous révéler la vérité. Autre question: à quelle époque cette ville a-t-elle été détruite? Ici la réponse est plus facile. C’est à la grande invasion du ve siècle qu’il faut attribuer sa ruine. Ne sait-on pas en effet, d’après une lettre de saint Jérôme, que les barbares poussèrent alors leurs conquêtes et leurs ravages jusqu’à l’Océan? Des ruines de la ville des Crânières, incendiée à la suite d’une lutte, comme le témoignent les armes et les cendres et objets nombreux carbonisés ou noircis par le feu qu’on y a rencontrés, est sorti le bourg de Faye-l’Abbesse, construit tout près de là, dans un lieu boisé et donné plus tard par le roi Lothaire, en 973, à l’abbaye de Saint-Jean-de-Bonneval de Thouars (Curtim de Faia ubi exstitit vetus capella sancti Hilarii) . La contrée avait été évangélisée par le grand saint Hilaire, évêque de Poitiers, alors que la ville romaine était encore debout. Aussi l’église de Faye-l’Abbesse, qui n’est autre chose que cette ancienne chapelle de Saint-Hilaire déjà qualifiée d’antique en 973, et cent fois remaniée depuis lors, a-t-elle conservé pieusement un marbre d’autel portatif qui aurait servi au célèbre docteur dans ses courses apostoliques, d’après une tradition respectable qui n’offre rien d’invraisemblable.
L’existence bien constatée d’un centre romain considérable à Faye-l’Abbesse, d’où rayonnaient plusieurs voies, est un fait qui enlève toute sa raison d’être à une ville contemporaine placée à Bressuire, lieu si rapproché. Ainsi donc Bressuire, quoique habitée positivement par les Gaulois à une époque ancienne, non-seulement ne peut prétendre à l’honneur d’avoir succédé à Segora, mais semble au contraire, suivant toutes les apparences, avoir été, nous ne disons pas complétement déserte, mais négligée durant la période gallo-romaine, malgré sa situation favorable sur la voie de Poitiers à Nantes.
De même que le plateau des Crânières n’est pas assurément le seul point romain qu’on puisse signaler dans la contrée, de même Bressuire ne fut pas la seule localité fréquentée par les Gaulois. On sait d’ailleurs que bien souvent les Gallo-Romains continuèrent à habiter là où leurs sauvages ancêtres avaient fixé primitivement leurs demeures. C’est ainsi qu’on voit encore, près des Crânières, un dolmen sur le bord du Thouaret. A défaut de vestiges matériels, l’étude des lieux-dits, entreprise avec succès par MM. Fillon et de Longuemar, peut fournir à cet égard des lumières trop négligées auparavant .
Parmi les noms de lieux d’origine celtique, citons en première ligne Puygaillard (de Gaiola, équivalent de carcer, prison) , situé dans l’enceinte même de Bressuire, et plus tard fief noble relevant du château . Puis, en examinant la carte de Cassini et celle de l’état-major, nous trouvons dans le pays environnant: Château-Gaillard (près Voutegon), Bois-Gaillard (près la Tremblaie), Château-Gaillard (près Argenton), Pierrefitte, Pierre-Arrivée (dans Beaulieu), Pierre-Couverte (dans Bretignolles), Pierre-Couverte (dans Montra-vers), indices certains d’un monument celtique, menhir ou dolmen; la Motte, nom de lieux très-commun, qu’on trouve dans Chiché, Sanzais, Voultegon, Saint-Aubin-de-Baubigné, Clazais, où il reçut plus tard l’appellation de Beaumont, et la Chapelle-Saint-Laurent, où il est répété trois fois. Ce sont là, très-souvent, des tumulus celtiques; cependant les mottes sont parfois d’origine féodale. La dénomination de Chiron, appliquée à divers lieux dans Voultegon, Beaulieu, Cerizay, Saint-Sauveur et Boismé, indique l’existence de tombelles gauloises ou cairns. On attribue une origine non moins ancienne au mot Combe , qu’on trouve dans Beaulieu et Chanteloup, et à ses dérivés ou équivalents, les Combertières (dans Chambroutet), les Combaudières (dans Noireterre), le Combault (dans Saint-Clémentin). D’après M. Fillon , les Folies étaient des lieux consacrés au culte druidique. Il en existe plusieurs dans les environs de Bressuire: une dans Saint-Porchaire, une autre dans Noireterre, la Fole dans Fayel’ Abbesse, Bas-Folet dans Nueil, la Roche-au-Fou, près Montigny. La Cave, dans Noireterre, serait, d’après M. de Longuemar, l’indice d’un souterrain-refuge , et la Gannerie, dans Chapelle-Gaudin, aurait été en outre un lieu de débauche, suivant l’étymologie donnée par Ducange (Ganea loca occulta subterranea et meretricia) . La Ferrière, dans Saint-Porchaire, rappelle une très-ancienne exploitation métallurgique. Vultaconnus (Voultegon), mentionné, dès le VIe siècle, par Grégoire de Tours, dans les Miracles de saint Martin; Flaheziacum (Clazay) et Bomniacum (Boismé) , noms de lieux analogues, quant à la terminaison, à celui de Bressuire, Berzoriacum, et, par suite, d’une origine aussi ancienne, sont encore assurément des points celtiques. Combien d’autres dénominations ont pareillement une racine gauloise, mais sur lesquelles on n’est pas fixé, à cause des notions incertaines que l’on possède sur la langue primitive de nos ancêtres, ou bien ont été altérées, défigurées par les idiomes postérieurs, et même remplacées par des noms de saints, lors de l’établissement du christianisme! Les noms qui ont généralement le moins varié, et qui ont dû le mieux conserver, par conséquent, leur physionomie primitive, sont ceux des rivières. Ainsi doit-on ranger dans cette classe le Dôlo, le Fréno, l’Argenton et le Thouaret, Toariolus (acte de 1090).
Les Gaulois habitaient peu en grandes agglomérations; ils vivaient dispersés dans une multitude de petits villages, et ne se réunissaient que pour des affaires importantes comme la guerre et les cérémonies religieuses. Leurs villages étaient reliés par une quantité de chemins, ou plutôt de sentiers, qui ne sont autres probablement que ces nombreux chemins de traverse existant encore, ce qui vérifierait le proverbe connu, «vieux comme les chemins.» L’un d’eux semble avoir acquis, à une époque reculée, une plus grande importance: c’est le chemin de Thouars à Marans et Fontenay, indiqué sur la carte de Cassini et plusieurs anciennes cartes du Poitou. Dans son parcours à travers le pays de Bressuire, il passait à Pierrefitte, Faye-l’Abbesse, non loin de la Motte-de-Chiché, laissait Boismé sur la droite, atteignait les Mottes près d’un ancien camp dont nous allons parler, et côtoyait, un peu plus loin, un champ nommé le champ du Chêne-du-Débat, dans la Chapelle-Saint-Laurent. Il passait ensuite à la Motte, près de l’étang des Olivettes, et gagnait Largeasse (la Rajacia). Les anciens chemins de Bressuire à Mauléon (Châtillon), et de Bressuire à Parthenay, indiqués aussi sur les anciennes cartes, peuvent être classés, comme celui de Thouars à Marans, parmi les routes les plus fréquentées par les Gaulois.
La première ville, ou du moins le premier centre de quelque importance fondé dans le pays fut donc, sans contredit, la ville romaine des Crânières. Sa période florissante, et peut-être son origine, doivent dater de l’ouverture de la voie de Poitiers à Nantes, c’est-à-dire du IIIe siècle au moins. Mais ce ne sont pas là les seules traces de la domination romaine. Des camps ont été élevés en assez grand nombre par les légions, soit lors de la conquête, soit principalement au déclin de l’Empire. L’un d’eux, désigné sous le nom de Château-Sarrasin par la tradition et par les anciens aveux du moyen âge, est situé entre Faye-l’Abbesse et Bressuire, sur la métairie de la Bimboire (commune de Saint-Sauveur-de-Givre-en-Mai), et, fait remarquable, à très-peu de distance de la voie romaine. Suivant l’usage presque constant, il affectait la forme d’un carré long. Nivelé peu à peu par la culture, il n’en subsiste plus qu’un des côtés les plus étroits, lequel mesure environ 100 mètres. Quant à la tradition qui attribue aux Sarrasins sa construction et veut que ces barbares ne se soient retirés du pays qu’à la vue du givre en mai, d’où vient le surnom de Saint-Sauveur, il n’est guère possible d’en tenir compte. Si la présence d’une bande de Sarrasins dans la contrée, lors de, l’invasion de 732, est admissible, il est douteux qu’ils aient pris le temps d’élever ces retranchements, surtout en se conformant aux règles de la castramétation romaine. Il est bien plus simple de croire qu’ils les auront utilisés pour leur défense, comme beaucoup l’avaient sans doute fait ailleurs avant eux, et l’ont fait encore depuis. Un autre camp placé plus loin, dans la commune de Saint-Aubin-de-Baubigné, était également de forme rectangulaire. Il porte le nom de fief des Houlleries et de camp des Anglais, sans doute parce qu’ils s’en seront servis. Deux de ses côtés ont été abattus . Un troisième camp, d’un aspect différent, existait à une distance plus rapprochée dans la commune de la Chapelle-Saint-Laurent, près du château féodal des Mottes. Il consiste en un fossé circulaire, encore très-large et très-profond, environnant une espèce de motte d’un diamètre assez restreint. Les deux champs contigus entre lesquels s’élève la Motte portent le nom significatif de Grand et de Petit-Châtelet. Comme nous l’avons dit plus haut, ce camp est placé sur le bord du vieux chemin de Thouars à Marans. Malgré cette disposition insolite, on ne saurait l’attribuer qu’à l’époque romaine, tant à cause de sa dénomination latine, châtelet, castellum, qu’à raison surtout de sa position symétrique à l’égard d’autres camps romains aujourd’hui disparus, mais dont le souvenir s’est conservé sous le nom presque invariable de Chasteliers.
Il existe en effet, sur toute la surface du pays environnant Bressuire, beaucoup de lieux appelés Chasteliers. M. Gouget, dans une dissertation courte, mais substantielle et concluante, a établi que la partie du Poitou et de l’Ouest comprise dans le triangle formé par Nantes, Poitiers et Saintes, de même que les autres provinces extrêmes de l’Empire romain, comme il le suppose avec assez de raison, était couverte de camps fixes et de postes moins importants, appelés Châtelliers depuis bien longtemps, distants les uns des autres de 8 à 12 kilomètres environ. Il a compté 62 Châtelliers dans lés Deux-Sèvres seulement, et comme on sait que l’Empire eut à sa solde, dans les deux derniers siècles, beaucoup de troupes auxiliaires barbares, notamment les Taïfales, cantonnés en Poitou au commencement du Ve siècle , il démontre que les lieux appelés Tiffauges, la Tiffardière, les Tiffaudières, etc., ne sont autre chose que des camps semblables à ceux dits Châtelliers et en relation constante de distance avec eux. Or, l’administration romaine ayant été la seule assez forte, assez générale pour établir un tel système de cantonnements militaires dans des pays si éloignés, il en résulte logiquement que tous les Châtelliers étaient jadis des camps romains, dont les moins anciens remontent au Ve siècle .
Appliquons maintenant le système découvert par M. Gouget au pays dont Bressuire est le centre, et, en promenant des regards attentifs sur la carte de Cassini et sur celle de l’état-major, nous trouverons régulièrement espacés: Château-Sarrasin (Saint-Sauveur), Châtillon (Boussais), les Châtelliers (Amailloux), le Grand et Petit-Châtelet (la Chapelle-Saint-Laurent), le Châtellier (Cirière), les Arcis (Combrand), la Roche-aux-Murs, la Châtrière (entre Saint-Aubin-de-Baubigné et Nueil), le camp dit des Anglais (Saint-Aubin-de-Baubigné), les Champs-Carrés (les Aubiers), le Châtellier (au delà les Aubiers), le Châtellier (Sanzais), la Tiffonnière (entre Chapelle-Gaudin et Coulonges), le Châtellier (Chambroutet), le Petit-Châtellier (près Saint-Porchaire), poste intermédiaire reliant ce dernier au Château-Sarrasin; enfin, un aveu de l’an 1420 nous révèle l’existence d’une maison dite la Taifferie, sise au bourg de Saint-Cyprien, c’est-à-dire à Bressuire même, et tout près de là se trouve le champ des Murailles, où l’on reconnaît les traces très-apparentes d’un camp. Ce nouveau poste militaire, car ces lieux-dits ne sauraient signifier autre chose, aurait donc ainsi complété le réseau de camps qui couvrait le pays.
Mais bientôt toutes ces précautions devinrent impuissantes devant le flot montant de l’invasion et le relâchement croissant du lien qui rattachait les provinces au pouvoir central, agonisant lui-même en Italie. Les garnisons, abandonnées à elles-mêmes aux extrémités de l’Empire, après avoir parfois passé au service des conquérants germains, finirent par se fondre dans les populations qu’elles avaient mission de défendre. Ainsi en advint-il des Taïfales du Poitou, dont le nom est demeuré attaché aux lieux occupés par eux. Traités sans doute avec ménagement, quoique avec défiance, par les nouveaux souverains, lors de la cession de la deuxième Aquitaine aux Visigoths par l’empereur Julius-Nepos, en 475, ils s’allièrent ensuite, vers 497, aux Francs, qui, bientôt après, ayant fait la conquête de l’Aquitaine, en 507, confirmèrent, selon toute apparence, leur établissement en Poitou . La Taifferie de Saint-Cyprien, d’abord poste militaire romain-taïfale, se transforma, pendant la période mérovingienne, en alleu, propriété d’homme libre ou ahriman, lequel passa, dans les premiers temps féodaux, aux vicomtes de Thouars, qui y fondèrent un bourg et une église, donnés ensuite par eux, comme nous l’expliquerons plus loin, à l’abbaye de Saint-Cyprien de Poitiers, l’an 1029. L’acte de donation se sert du mot alodum, alleu, pour désigner le bourg de Saint-Cyprien. Or, les mots alodum, sala, curtis, traduits plus tard par l’alleu, la salle, la cour, indiquent toujours un point habité à l’époque mérovingienne, soit qu’ils soient employés dans des actes contemporains, soit qu’on les rencontre dans un titre postérieur, comme dans le cas présent.
Il est possible de signaler autour de Bressuire, au moyen du même procédé, l’existence, dès les temps mérovingiens, de plusieurs localités qui devinrent ensuite des bourgades plus ou moins importantes. Nous avons déjà parlé du domaine de Faye-l’Abbesse, curtim de Faia, avec sa vieille chapelle de Saint-Hilaire, qui succéda à la ville gallo-romaine des Crânières, et où vint se grouper une certaine population, après la donation du roi Lothaire à l’abbaye de Saint-Jean de Bonneval, en 973. L’ancien alleu de Clazay, alodum de Flaiziaco ou villa Flaheziaco , dont les premiers propriétaires sont inconnus, tomba entre les mains des vicomtes de Thouars, de même que l’alleu de Saint-Cyprien de Bressuire, et peut-être à la même époque, au Xe siècle au plus tard. Boismé, ainsi désigné dans un titre de 1028 environ: curtis de Bomniaco, remonte également à une très-haute antiquité, et, ce qui achève de le prouver, c’est d’abord le vocable de saint Pierre donné à son église, laquelle tombait de vétusté dès 1028, ecclesiam Sancti Petri antiqua vetustate dirutam; puis c’est l’histoire de saint Mairault, originaire de ce pays, suivant toutes les apparences.
Ce que l’on sait de la vie de ce personnage se réduit à peu de chose. Mayrulfus, ou, suivant l’expression vulgaire, Mairault, était un moine de la célèbre abbaye d’Ension ou Saint-Jouin, vivant au VIe siècle. Sa sainteté le sauva de l’oubli. Après sa mort, il fut enseveli à Boismé, où on lui dédia une église, ce qui doit faire présumer qu’il y était né. L’église de Saint-Mairault, mentionnée dès 1028 et en 1421, existait encore au XVIIe siècle, sous l’épiscopat de M. de la Rocheposay, et son tombeau continuait à être l’objet de la vénération publique. Une chapelle appartenant à l’abbaye de Saint-Jouin lui était aussi dédiée à Moncontour .
Voultegon, Vultaconnus, cette antique localité gauloise, avait un atelier monétaire sous les Mérovingiens. Un triens de cette époque, portant le mot Vultaconno, est cité par la Revue numismatique .
Lors de l’institution des vigueries, après la constitution du royaume d’Aquitaine par Charlemagne, en faveur de son fils Louis, en 778, Bressuire et son territoire furent attribués à la viguerie de Thouars, déjà chef-lieu d’un vaste pagus, puisque les limites de cette viguerie s’étendaient jusqu’à Clazay, et peut-être au delà (acte de 975) .
D’après la chronique de Nantes, le territoire de Bressuire aurait été détaché momentanément du Poitou en 943 et compris dans la cession viagère faite au comte de Nantes, Alain Barbe-Torte, par Guillaume Tête-d’Etoupe, comte de Poitou. En effet, les limites du pays ainsi démembré étaient, d’une part, le cours du Layon, affluent de la Loire, et une ligne s’étendant des sources de cette rivière jusqu’à Pierrefitte (Petram Frictam); d’autre part, une ligne partant de ce point et allant, par Cirières ou Cerizay (Ceriacum), aux sources du Lay .
Nous atteignons le Xe siècle, on le voit, sans rencontrer un seul document où soit écrit le nom de Bressuire. On ne saurait s’en étonner; car, avant cette époque, la ville de Bressuire ne possède pas encore, répétons-le, une existence véritable. Sans doute les Gaulois y ont laissé quelques traces, comme en tant d’autres lieux; mais, durant la période romaine, cet obscur village ne tente même pas d’entrer en lutte avec la cité voisine des Crânières, et ce n’était pas, assurément, à la société barbare qu’il était réservé de lui donner la vie. Un fait d’un très-grand poids dans la question confirme le peu d’importance de Bressuire dans les temps antérieurs au XIe siècle. Tout le territoire qui a formé depuis son doyenné dépendait alors de l’immense doyenné de Thouars. Ce fut vers l’année 1180 seulement qu’une nouvelle circonscription ecclésiastique, détachée de celle de Thouars, fut créée au profit de Bressuire par Jean III, évêque de Poitiers .
Toutefois, nous sommes en possession d’une précieuse vérité : le faubourg Saint-Cyprien, cet antique cantonnement taïfale dont le souvenir nous a été transmis par le fief de la Taifferie, transformé en alleu mérovingien, puis en bourgade appartenant aux vicomtes de Thouars, est le premier quartier de la ville de Bressuire qui ait été habité d’une manière stable et sérieuse. Sous les auspices de ces puissants feudataires, la population s’y accrut d’une manière notable dans la dernière moitié du Xe siècle. Pour ce motif, et aussi sans doute pour attirer encore de nouveaux habitants, Geoffroy, vicomte de Thouars, fonda une église qu’il ne tarda pas à donner, avec le bourg lui-même, en 1029, à l’abbaye de Saint-Cyprien de Poitiers . De là son nom. C’est alors également qu’apparaît le château féodal sur la colline voisine, et que les habitations commencent à se grouper de l’autre côté du Dôlo, sur un terrain appartenant aux Beaumont, sous la protection desquels va grandir la nouvelle ville. Ce pénible travail d’enfantement, commencé, sans aucun doute, dès le Xe siècle, alors que le faible avait si grand besoin du secours de l’homme fort, même quand il en était opprimé, ne prit un développement rapide et sérieux qu’au XIe siècle.