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L'abbé entra sans façon, avec son élève Septime, prendre des nouvelles de madame Durosay dont toute la ville s'inquiétait à cause de la troisième visite du grand médecin.

On appelle grand médecin, à Néans, quelque confrère imposant par sa tenue, son âge ou son long exercice dans une sous-préfecture, et que s'adjoint le docteur Grandier quand le cas est grave ou le malade récalcitrant. Le grand médecin se paie fort cher et il inspire la foi qui sauve. Quelques personnes encore le font venir pour un oui ou pour un non, mais c'est par manière de faire largement les choses en face de la ville, ou de piquer M. Grandier dont les façons ne siéent pas à tout le monde.

Ces messieurs étaient déjà couverts et causaient ventre à ventre dans l'étroit corridor, quand l'abbé montra le nez qu'il portait long.

—Je suis importun, peut-être? hasarda-t-il, avec un geste de retrait, tout en refoulant la porte sur le corps fluet de Septime, pincé dans l'entre-bâillement.

—Ah! ce cher abbé!... comment donc! mais pas le moins du monde! fit souriant, gros, gras et rouge, M. Durosay. Docteur, permettez-moi de vous présenter monsieur l'abbé de Prébendes, un savant et un aimable homme, qui pourrait être évêque et remplit ici, par complaisance et par goût, les fonctions d'auxiliaire de monsieur le curé doyen et de précepteur de ce petit freluquet de Septime de Jallais que voici... Monsieur l'abbé vous dira notre façon de vivre, puisque vous y tenez; il vient tous les soirs que le bon Dieu nous donne, faire avec moi sa partie d'échecs. Ah! c'est un fort joueur!... Connaissez-vous les échecs, docteur? Moi, une fois devant mes pions, je suis là, comme en toutes choses, tout entier à la besogne; je ne vois plus, je n'entends plus rien; madame Durosay me traite de sauvage parce que je n'écoute pas ce qu'elle me peut dire en ces moments-là: je ne pourrais pas seulement fumer ma pipe, monsieur!... Eh bien! l'abbé, lui, reste aimable et galant jusqu'au fort de la partie; il me bat à plate couture, et il converse théologie et charité avec madame, tout en citant des vers latins à monsieur Septime quand il nous fait l'honneur d'accompagner son excellent maître.

—Mais n'avez-vous pas à offrir à madame, dit le grand médecin, quelque distraction, comment dirai-je? plus mouvementée, et, au point de vue de sa santé, plus efficace... que ces réunions familiales, excellentes à la vérité, mais, de par leur nature, peu fertiles en éléments de nouveauté?...

—Monsieur, nous allons aux Veulottes, une ou deux fois par semaine. C'est à deux petites lieues d'ici et Bichette nous abat encore ça sans trop rechigner, bien que les côtes soient mauvaises. Nous avons là de braves métayers; madame Durosay prend une tasse de lait au pis de la vache, fait un tour dans le clos; visite ses poiriers, ses groseilles et ses coings; et nous sommes ici pour dîner, après avoir cueilli au passage votre confrère ici présent, monsieur Grandier, que nous appelons communément Esculape.

Le grand médecin, qui s'impatientait, brusqua:

—Pas de soirées, pas de jeunes gens, pas de garnison ici... musique... réunions... promenades? non. Regrettable. Monsieur, j'ai l'honneur de vous saluer.

Le docteur Grandier, plus communément appelé Esculape, alla reconduire au train son illustre confrère. M. Durosay retint l'abbé par la manche et l'entraîna au jardin.

—Monsieur Septime, voulez-vous bien nous excuser une petite minute! Entrez donc au salon, il y a le dernier numéro du Magasin pittoresque.

Le gros dos à jaquette d'alpaga du notaire et les grêles épaules de l'abbé s'enfoncèrent sous une allée de tilleuls.

—Ces sommités de l'art, dit M. Durosay, sont toujours insaisissables; il faut y aller avec eux comme votre charbonnier avec la foi. Ça vous tourne, ça vous retourne, ça vous déshabille, ça vous fait dire Dieu sait quoi à cent lieues de la question... Non, vous n'avez pas idée de ce que cet homme m'a ausculté à propos de ma femme pour qui je le fais venir... Tenez, l'abbé, c'était le cas de l'interroger sur votre affection du cœur, je crois que ça n'aurait pas coûté plus cher!... Oh! mais je ne peux pas vous rapporter tout ce que ce diable d'homme avait envie de savoir sur ma vie privée, mes mœurs, mes antécédents, que sais-je? Savez-vous bien que j'ai été sur le point de lui taper sur le ventre et de l'appeler gros polisson? Ils vous prennent des airs d'arriver à leur but, quand ils sont embourbés jusqu'au nombril; et d'autres fois, avec l'air d'être embourbés, ils arrivent, n'est-ce pas? Il faut bien qu'ils arrivent à quelque chose, car vous avouerez, l'abbé, que dans le cas contraire, il serait assez godiche de leur allonger, comme je viens de le faire pour la troisième fois, les petits bleus sur la banque. Mais reconnaissons que leurs manières sont de charlatans. J'ai lu Molière, monsieur l'abbé... Voyez-vous, comme dit cet animal de Grandier, les hommes sont géniaux ou stupides, il n'y a presque pas de milieu et la plupart du temps on n'est pas fichu de savoir si c'est l'un ou l'autre qu'ils sont!

—Mais, en somme, qu'a-t-il dit de madame Durosay?

—Il a dit... il a dit... c'est une femme qui dort! Madame Durosay est une femme qui dort! nous voilà bien avancés! Pas une ordonnance. L'air des montagnes, du mouvement, de la distraction! Le diable m'emporte s'il n'a pas parlé de militaires en s'en allant! Que voulez-vous? Je ne peux ni m'accoutrer en carabinier, ni faire venir la troupe, ni faire pousser les montagnes... Les aller chercher? Eh bien, et mon étude? Mais ça ne s'est jamais fait; il n'y a pas un notaire de Néans qui ait mené sa femme dans les montagnes; on a longtemps vécu sans montagnes! Hein! était-ce commode autrefois; le brave médecin, la petite trousse, l'apothicaire, et tout était dit: nos bonnes femmes de mamans retrottinaient comme devant, dans le pays plat... Tenez, j'ai envie d'organiser trois voyages aux Veulottes par semaine, au lieu de deux. Qu'en pensez-vous, l'abbé? Vous viendrez avec nous, Septime viendra avec nous, Esculape viendra avec nous; nous installerons un jeu quelconque, un tennis!...

—Monsieur Septime, monsieur Septime! une bonne nouvelle!

M. Durosay criait la bonne nouvelle en ouvrant la porte du salon qu'il s'étonna de trouver dans l'obscurité complète, pensant que Septime avait ouvert les volets, pour regarder le Magasin pittoresque. Mais il aperçut toute la longueur de Septime sur le divan dans la mollesse des coussins. Il tenait une brochure non coupée à la main et il était parfaitement inerte.

—Septime, dit l'abbé, je vous ai défendu de rester dans l'obscurité et de demeurer sans rien faire. Vous savez que je suis autorisé par votre père à vous mettre à scier le bois. Je m'y verrai obligé; gare à vous!

—À son âge, monsieur l'abbé, dit le notaire, j'abattais des arbres. Ma manie, mon bonheur était d'abattre des arbres, et les plus gros, les plus forts! Un été, mon père nous envoya, ma mère et moi, à la campagne, passer trois semaines. Je m'occupai à y abattre les arbres. Il y en avait une vraie forêt. Je commençai par ceux qui étaient morts. Ma mère m'admirait. Après je passai aux vivants, aux touffus. Je ne savais pas, moi, ce que c'était que me reposer à l'ombre: j'étais toujours à faire des courses au soleil. Je coupai l'ombre. Ma mère commença de jeter les hauts cris; elle pleura pour des arbres qu'elle avait connus étant jeune; elle écrivit à mon père; le brave homme arriva, fit la grimace, jura comme un galérien. Mais il y avait tant d'arbres par terre et par mon seul fait qu'il ne sut que dire en se tournant vers ma mère: «Ventre-bleu! c'est tout de même un gars!» Ma mère pleurait toujours, mais je crois que c'était d'attendrissement.

Septime se leva lentement:

—Excusez-moi, monsieur Durosay, je n'avais pas d'arbres à abattre, et il fait si bon ici, si frais!...

—Allons! jeune homme d'aujourd'hui, êtes-vous de notre partie? Nous organisons un tennis aux Veulottes? Connaissez-vous les Veulottes? Mais non, Dieu me pardonne! Monsieur l'abbé vous tient à l'attache. Voici le beau temps, il faut donner de l'air à ce grand pierrot-là, l'abbé. Le temps d'aplanir le terrain, et, dans huit jours, nous sommes raquettes en main, sur la pelouse aux pivoines et passons nos entr'actes, sauf votre respect, monsieur l'abbé, à téter Moumoute la blonde, dont on vous fera faire aussi connaissance.

»Voulez-vous monter dire bonjour à madame Durosay?

Le Médecin des Dames de Néans

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