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«ON PEUT LUI DIRE…»

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L'entrée de Sabine chez les Bertin fit sensation, car elle s'était croisée certainement, dans l'escalier, avec M. de Vérancourt, qu'elle avait dû épouser récemment et qui s'était conduit avec elle de la façon la plus abjecte.

Sabine dit, simplement:

—Je viens de rencontrer monsieur de Vérancourt. Nous ne nous sommes pas mangés.

Tout le monde rit. On était enchanté qu'elle parlât de Vérancourt, et avec une pareille désinvolture. Personne n'eût osé, devant elle, aborder le sujet, bien que chacun en grillât d'envie.

—Bravo! s'écria madame Bertin; j'aime à voir que vous ne vous troublez pas à propos de ce personnage.

—Ah! les hommes! dit le maître de la maison, ils sont magnifiques à la guerre, oui, certes; mais regardés à la loupe, un à un, quels vauriens!…

—A qui le dites-vous! soupira Sabine.

Elle avait eu beaucoup à souffrir d'un mari de qui elle était séparée par le divorce; puis elle s'était aveuglément confiée à M. de Vérancourt, croyant trouver en lui l'homme rêvé.

On essaya de détourner la conversation, qui menaçait de devenir dangereuse; mais l'occasion inespérée de pouvoir parler, enfin, de Vérancourt, avec sa principale victime, ramenait, malgré toute opposition, le nom de l'homme qu'avait aimé Sabine.

—J'ai eu un pressentiment, dit une des quelques personnes retenues à dîner, tout le temps que monsieur de Vérancourt a été là, que Sabine entrerait… A chaque coup de sonnette je tremblais…

—Eh bien! je vous affirme, dit Sabine, que moi, je n'ai pas tremblé en le trouvant sur le palier! Quelqu'un m'eût annoncé, dans l'escalier, que monsieur de Vérancourt était à l'étage au-dessus, que je ne fusse pas redescendue d'une marche…

—Il a dû juger l'accueil ici assez froid, dit madame Bertin: je fais le pari qu'il ne s'y risque pas de nouveau.

—Oh! oh! s'écria quelqu'un, vous ne connaissez pas Vérancourt! C'est un de ces gaillards qu'un accueil glacial excite. Il reviendra ici jusqu'à ce qu'il y ait triomphé.

—En ce cas, puisque notre chère Sabine a la bravoure de l'affronter, je lui demande de ne pas manquer un seul de mes jours; on verra bien qui triomphera!

—Il n'y a pas une seule personne, parmi les amis et amies de cette maison, dont les sympathies, Sabine, n'aillent entièrement à vous.

—Pas une! non… sauf celle que Vérancourt se sera juré de séduire.

—Il faudrait supposer que celle-ci fût bien sotte, étant donné tout ce qu'on sait de lui aujourd'hui!

On chuchotait autour de la table, chacun stupéfait qu'on pût parler si librement devant Sabine. Mais, décidément, Sabine ne bronchait pas. Elle-même osa parler:

—Vous savez, dit-elle, avec qui il vit?

—Oui.

—Mais savez-vous de quoi il vit?

—Non.

—De la même! J'en ai les preuves…

Et elle cita des faits accablants.

On n'en revenait pas. On renchérit. Qui ne possédait quelque anecdote sur ce grand chenapan mondain qu'était M. de Vérancourt? Sabine les dévorait; elle en provoquait de nouvelles avec une sorte d'appétit rageur.

Deux voisins de table murmuraient:

—Elle a contre lui une rancune mortelle; elle le hait; on peut tout lui dire.

—Méfiez-vous, cependant, si vous connaissez les femmes!…

—Bast! celle-ci le juge comme ferait un président de tribunal…

—Elle a aimé Vérancourt, opinait un autre, c'est certain. Mais ce qui est non moins hors de doute, c'est qu'elle l'a en exécration. On peut tout lui dire…

Et les anecdotes de pleuvoir sur le dos de Vérancourt. C'était une joie, un soulagement pour tous, qui s'étaient tant apitoyés sur le sort d'une femme comme Sabine devenue la proie d'un tel homme, d'être témoins qu'enfin elle était revenue à la raison et donnait elle-même son assentiment à la réprobation générale.

Tout ce qu'on peut énumérer à la charge d'un homme qui, tout juste, ne fut pas un assassin de droit commun, on le fit, autour de la table, en présence de Sabine. Chaque histoire scandaleuse était précédée de la question, tantôt formulée à voix basse, tantôt ouvertement, et par manière plaisante; «On peut le dire…?» Sabine demeurait imperturbable; sa bouche souriait; ses yeux jetaient un feu inaccoutumé. Encore une fois, quelqu'un chuchota:

—On peut lui dire!…

—Oh! répondit-on, après ce qui a été dit, il ne s'agit vraiment là que d'une peccadille!

—Ma chère Sabine, avez-vous su cela? Quand Vérancourt était à vos pieds, l'hiver et le printemps 1913-1914; quand il était invité partout où vous dîniez, paraissait entièrement dompté, captivé, converti par vous,—miracle qui n'avait rien d'étonnant;—quand Vérancourt ne s'entretenait que de projets d'avenir charmant à vos côtés, et bâtissait châteaux en Espagne, et même en Ile-de-France, en s'ouvrant un crédit sur votre fortune personnelle, il est vrai, Vérancourt avait une liaison avec la propre femme de chambre de sa tante du Hautoit. Madame du Hautoit, qui les a surpris dans la mansarde de son hôtel, le raconte à qui veut entendre. Et il s'affichait, en outre, à Montmartre, avec la môme Tata dont le nom, au moins, vous est connu, chère amie…

Sabine bondit:

—Ça, ce n'est pas vrai!… Ce n'est pas vrai!

—Mais, chère amie, il y a les témoins, il y a les faits!…

—Je me moque des témoins et des faits. Je vous dis que ceci est faux, archi-faux! Et puis, j'en ai assez… j'en ai assez! Vous ne vous apercevez pas que vous dites des horreurs et que vous m'en faites dire?… Je connais Vérancourt, moi: voulez-vous que je vous dise ce qu'il est?…

—Il est celui qu'elle aime!… murmura quelqu'un.

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