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LE PÉLICAN
ОглавлениеChacun a entendu parler de cet oiseau qui, n’ayant plus rien à donner à ses petits affamés, se déchire la poitrine d’un coup de bec, et les nourrit de son propre sang. C’est probablement là, mes chers enfants, tout ce que vous savez du pélican.
Eh bien, quoi qu’il m’en coûte de vous le dire, ce bel exemple d’amour maternel poussé jusqu’à l’héroïsme, n’a jamais été offert par le pélican; et bien plus, malgré toutes les recherches que l’on a faites, personne n’a pu découvrir à quelle époque cette croyance bizarre avait pris naissance. Pendant plusieurs siècles elle fut si généralement admise, qu’il est peu de monuments anciens sur lesquels vous ne trouviez sculpté un pélican plus ou moins fantastique se donnant lui-même en pâture à sa couvée. C’est un spectacle très-touchant; mais c’est la représentation d’un fait imaginaire.
Il est assez singulier qu’un oiseau aussi remarquable sous le double rapport des habitudes et de la conformation, doive sa célébrité, non pas à ce qui le rend digne de l’attention, mais à une fable que l’on a débitée sur son compte.
Pour en finir sur ce sujet, je dois vous dire qu’un des naturalistes qui ont le mieux étudié le pélican croit avoir trouvé l’origine du préjugé en question.
Il serait dans ce cas le résultat d’une observation incomplète.
Quand la femelle du pélican a des petits, elle les nourrit d’abord avec une sorte de bouillie composée de poissons qu’elle a broyés et laissés macérer dans la poche dont son bec est pourvu. En dégorgeant cette bouillie teinte du sang des poissons, la femelle du pélican en laisse souvent tomber sur les plumes de sa poitrine. Il suffit que quelque voyageur superficiel ait vu les petits recueillant des gouttelettes, des bribes de cette bouillie arrêtée sur le corps de la mère, pour s’imaginer qu’ils buvaient son sang, et fabriquer l’histoire merveilleuse qui a fait d’autant mieux son chemin dans le monde, qu’elle est fausse et absurde.
Cet oiseau habite l’ancien et le nouveau monde. Toutefois l’espèce américaine est la plus petite, mais ne diffère sous aucun point important de l’espèce répandue sur un grand nombre de points de l’ancien continent.
Le pélican de la grosse espèce surpasse le cygne par le volume de son corps. Celui de la petite espèce est de la taille de l’oie. Son plumage varie du blanc au gris foncé.
Il se tient habituellement dans le voisinage des eaux salées, et s’écarte peu des bords de la mer. Il se nourrit exclusivement de poissons, et par exception seulement de ceux des eaux douces.
Son vol, quoique lourd et bruyant, est soutenu; et il n’est pas rare de le voir, pendant une demi-heure, décrire sans se reposer de grands cercles au-dessus des lames du rivage dans lesquelles il cherche sa proie.
Dès qu’il l’aperçoit, il se laisse tomber sur elle comme une pierre. Alors la brusquerie de son temps d’arrêt, même quand il file à plein vol, et la rapidité de sa chute sont telles qu’on dirait un oiseau atteint d’un coup de fusil.
La culbute que le pélican est obligé de faire pour arriver sur le poisson la tête la première, achève de rendre l’illusion complète.
Mais ce qui distingue le pélican des autres palmipèdes, c’est la conformation de son bec, dont la mandibule inférieure est garnie d’une vaste poche où l’oiseau peut entasser et mettre en réserve les poissons qu’il a pêchés. Ce sac, qui s’étend depuis l’extrémité du bec jusqu’à l’œsophage, n’est pas très-apparent lorsqu’il est vide, parce qu’il se compose d’une membrane épaisse et rétractile; mais quand il est plein et par conséquent distendu, il forme une poche oblongue dont on peut apprécier le volume par la quantité d’eau qu’elle est capable de contenir. Or cette quantité dépasse cinq litres d’eau, pour les individus adultes et de forte taille.
Comme le pêcheur et le chasseur, le pélican ne consomme pas le produit de sa pêche à mesure qu’il attrape une pièce. Il commence par garnir sa gibecière, et ce n’est que lorsqu’il est las, ou en possession de provisions suffisantes, qu’il va chercher un endroit commode pour dîner à son aise. Arrivé là, il met son couvert, c’est-à-dire vide son sac devant lui, examine ses poissons, les tourne et retourne avec son bec, et se décide enfin à prendre gravement son repas.
Tous ces détails sur les habitudes du pélican sont extraits des relations de voyageurs, qui, comme le Père Labat et le Père Raymond, méritent une entière confiance, surtout lorsqu’ils parlent de faits qu’ils ont vus de leurs propres yeux. Du reste, leurs observations, déjà anciennes, se trouvent confirmées pour les pélicans américains par M. Magendie, et pour les pélicans de l’ancien continent par M. Nordman, savant et consciencieux naturaliste, qui, sur les bords de la mer Noire, a étudié d’une manière toute spéciale les mœurs de ces curieux palmipèdes. C’est M. Nordman qui le premier a signalé les grandes parties de pêche auxquelles se livrent en commun les pélicans de ces contrées. Ce sont des associations volontaires, et pour un but déterminé, que forment de temps en temps quarante à cinquante individus de tout âge et de tout sexe.
Quand ils se sont réunis et qu’ils ont choisi le théâtre de leur pêche, ordinairement une petite baie dont les eaux sont peu profondes, les pélicans prennent les dispositions suivantes. S’abattant tous à la fois dans la mer à une portée de fusil du rivage, ils se placent en ligne de manière à barrer l’ouverture de la baie. Ils arrivent ainsi du large, nageant et battant bruyamment l’eau de leurs ailes et de leur bec pour effrayer le poisson et le pousser devant eux vers la terre. Ils continuent cette manœuvre, s’avançant toujours en bon ordre et conservant bien leurs distances, de manière que le poisson ne puisse passer à travers leurs rangs. Bientôt les deux pélicans placés aux deux extrémités du cordon qui se courbe en fer à cheval trouvent pied. Alors leurs compagnons, redoublant leur tapage, et plongeant fréquemment leur tête dans l’eau pour empêcher le poisson de passer sous eux, se rapprochent les uns des autres et rétrécissent le demi-cercle jusqu’à ce que le poisson se trouve acculé au fond de la baie.
Là, dans un espace aussi resserré que peu profond, où les poissons éperdus se heurtent et se débattent, les pélicans les puisent à plein bec et remplissent en quelques minutes la vaste poche dont ils sont munis.
M. Nordman affirme avoir été plusieurs fois témoin de ces parties de pêche, dont il a suivi attentivement toutes les phases.
Ce qui rend extraordinaires ces pêches en commun exécutées par les pélicans, c’est que ces animaux ne vivent pas en société comme les fourmis et les abeilles. S’ils vivaient en société, s’ils formaient une association permanente, ces pêches n’auraient rien de plus merveilleux que les travaux des abeilles. Mais ce qui leur donne un caractère particulier, c’est qu’on ne peut les expliquer sans admettre forcément que les pélicans qui vivent habituellement soit isolés, soit par couples, ont un moyen de se communiquer entre eux, quand l’envie leur en prend, le désir, le besoin, la volonté, de monter une partie de pêche.
Il y a donc là, d’abord, chez quelques individus formation d’un projet qui ne peut être réalisé immédiatement (notez bien ceci); communication du projet aux pélicans du voisinage; acceptation par une cinquantaine d’individus de la partie proposée; enfin exécution du projet.
Et un grand philosophe a écrit que les bêtes n’étaient que des machines organisées, des espèces de mécaniques, qui, une fois montées par la main toute-puissante du Créateur, marchaient jusqu’à ce que l’usage ou un accident les mît hors de service!