Читать книгу Manuel de recrutement, à l'usage de MM. les maires de toutes les communes de France - C.-M. Gonvot - Страница 4

RELATIF A LA CRÉATION AU RENGAGEMENT AU REMPLACEMENT ET AUX PENSIONS MILITAIRES

Оглавление

PRÉSENTÉ AU CORPS LÉGISLATIF.

MESSIEURS,

L’obligation de satisfaire au service militaire constitue, sans contredit, pour les populations, et particulièrement pour celles des campagnes, une des charges les plus lourdes qu’elles aient à supporter. Et, cependant, tous ceux qui ont été appelés à constater les effets de la loi du 21 mars 1832, sur le recrutement de l’armée, savent avec quelle merveilleuse facilité cette loi reçoit son application, et combien peu elle rencontre de résistance.

Le nombre des insoumis, qui, de 1841 à 1850, a varié, par année, pour toute la France, de 486 à 375, s’est abaissé, en 1851, au chiffre de 229; proportion assurément bien faible, sur un contingent de 80,000 hommes, et d’autant plus remarquable qu’un grand nombre de départements n’y figurent pour aucun insoumis.

Les rapports annuels des autorités civiles et militaires sont presqu’unanimes pour demander qu’il ne soit apporté à cette loi aucune modification importante sans une absolue nécessité.

Ces heureux et excellents résultats doivent être attribués à ce que le service n’est pas personnellement obligatoire, à ce que la loi est passée dans les mœurs et dans les habitudes, à ce qu’elle est parfaitement connue de tous et appliquée avec équité et modération.

Ce qui démontre jusqu’à l’évidence la justesse de ces appréciations, ce sont les faits qui se sont produits en 1854, alors que, pour la première fois depuis la promulgation de la loi, le contingent, par suite des circonstances de la guerre, se trouva élevé à 140,000 hommes.

Cette grande épreuve a été acceptée avec un patriotisme admirable. La formation et la mise en activité du contingent se sont accomplies avec la même régularité que de coutume, et ce résultat a été d’autant plus digne de remarque, que, par suite, soit de l’élévation des prix de remplacement, soit de l’impossibilité où ont été les Compagnies de satisfaire à leurs engagements, l’obligation du service personnel a été proportionnellement beaucoup plus étroite que dans les années précédentes.

Il faut conclure des diverses observations qui précèdent, qu’il serait téméraire ou impolitique d’ébranler les fondements de la loi du 21 mars 4832 et de toucher aux principes généraux qu’elle a consacrés, notamment en ce qui concerne les appels, la formation des contingents, les conditions et la durée du service.

Loin de nous cependant la pensée de prétendre que cette loi soit parfaite et exempte de défauts dans toutes ses dispositions. Ces défauts, dont l’importance ne saurait être méconnue, sont de deux sortes: les uns relatifs à des détails d’exécution auxquels le projet actuel n’a pas voulu toucher, laissant à l’avenir le soin de les corriger, alors que le moment serait venu de remanier la loi dans son ensemble; les autres, plus essentiels, auxquels on a reconnu qu’il y avait urgence et opportunité de remédier.

Parmi ces derniers figurent en première ligne le mode de remplacement et le silence de la loi sur la constitution de l’armée et de la réserve. Tels sont les deux points qu’il convient d’examiner successivement.

La loi du 21 mars 1832 consacre le principe du service personnel, non pas comme en Prusse, où ce principe est absolu et le service personnel obligatoire, mais avec la faculté de remplacement comme exception et sous le contrôle de l’État. C’est cette faculté de remplacement qui a permis aux Compagnies de se développer, sans que la loi les eût cependant autorisées, et de là sont nés ces abus qui ont soulevé contre elles, depuis longtemps, tant de réprobation. Le système de corruption organisé par leurs agents, les désordres de toute espace auxquels ces derniers entraînent les remplaçants avant leur arrivée dans les corps, développent chez eux des germes d’immoralité et de débauche dont le temps et la discipline ne parviennent que lentement à détruire les effets.

Les fraudes et les spéculations de la cupidité président trop souvent aux opérations des Compagnies; le père de famille, habituellement rançonné par elles, est exposé, dans les temps difficiles, à les voir tomber en faillite, et à se trouver privé de leur concours au moment où il en aurait le plus grand besoin.

Les comptes-rendus officiels sur le recrutement et la justice militaire montrent quelle extension a prise le remplacement et quelle funeste influence il exerce sur la discipline de l’armée.

Le nombre des remplaçants a été en moyenne, pendant les dix dernières années, de 16,433, et si l’on recherche la place qu’ils occupent dans la composition de l’effectif, on trouve qu’au 1er janvier 1853, sur un total de 332, 549 sous-officiers et soldats, représentant la partie de l’armée qui se recrute par la voie des appels, les remplaçants et substituants s’élevaient au chiffre de 93,482, soit 28 pour cent de l’effectif.

Au point de vue de la moralité, voici ce qu’apprend la dernière statistique de la justice militaire pour l’année 1851.

Il a été prononcé, pendant cette année, 1,068 envois de militaires dans les compagnies de discipline ou de pionniers. Ce nombre se divisait ainsi qu’il suit:


En sorte que, eu égard à l’effectif de chacune de ces catégories, les punitions disciplinaires ont eu lieu dans la proportion suivante:


Les relevés des punitions infligées dans les corps pour des fautes purement disciplinaires, et ceux des jugements rendus par les conseils de guerre, présentent des résultats à peu près identiques. Il n’est pas jusqu’aux infirmeries régimentaires et à la clinique des hôpitaux qui ne viennent apporter leur contingent à cette triste énumération.

Tous les pouvoirs publics, depuis quinze ans, se sont émus d’un tel état de choses. Des mesures ont été proposées, des projets de lois présentés. Ces efforts sont restés stériles et sans résultat.

Le Ministère de la guerre, seul, a pu agir dans la limite do ses attributions et de son pouvoir. Grâce à des instructions sévères, d’utiles améliorations ont été obtenues. Mais elles n’ont fait qu’atténuer le mal, sans en tarir la source.

Un système qui a pour l’armée et pour la société des conséquences aussi fâcheuses impose à un Gouvernement fort le devoir d’intervenir résolument dans le but de le modifier ou d’y mettre un terme.

Les esprits les plus hardis diront qu’il faut le supprimer. Mais la suppression absolue équivaudrait à l’obligation dit service personnel, et des raisons de haute politique semblent commander de s’arrêter devant un procédé si rigoureux. L’état des mœurs, de la civilisation et de l’éducation publique en France; la direction donnée par un grand nombre de pères de familles à leurs enfants vers les arts, les sciences ou les carrières littéraires; les besoins de l’agriculture et les nécessités que subissent certaines familles des campagnes; tout concourt à repousser une telle pensée.

Il est donc indispensable, dans la situation de notre société, de laisser subsister le remplacement, mais ce doit être alors à la condition de le régler, de le moraliser, de le rendre moins onéreux pour les populations, et de couvrir d’une égale protection les intérêts de l’armée, ceux des familles et ceux des remplaçants eux-mêmes.

C’est là un des principaux objets du projet de loi qui charge, à l’avenir, l’État seul du soin de pourvoir, dans tous les cas, à la réalisation de l’effectif de l’armée: soit à l’aide du rengagement, comme moyen principal, soit, subsidiairement, à l’aide du remplacement et des engagements volontaires.

Le deuxième reproche qui est fait à la loi du 21 mars 1832, c’est, à côté du mérite qu’elle a incontestablement d’assurer, dans tous les temps, le recrutement de l’effectif, de ne pas constituer l’armée et d’être muette sur les conditions de son organisation. C’est un résultat considérable sans doute que, par le seul effet de son application, on puisse obtenir, avec des contingents de 80,000 hommes, une armée de 520,000 soldats, et élever, en temps de guerre, cet effectif à plus de 900,000, au moyen de contingents successifs de 140,000 hommes, tels que ceux qui ont été assignés aux classes de 1853 et 1854.

Mais ce n’est pas tout. Il importe essentiellement que la législation permette de maintenir sous les drapeaux un noyau de vieux soldats qui puissent servir aux recrues de modèles et de points d’appui, et sans lesquels il ne saurait y avoir ni véritable armée, ni esprit militaire. Cet élément de force, si essentiel pour le temps de guerre, n’aurait pas moins d’importance pour le temps de paix, car il permettrait de satisfaire aux besoins d’économie qui se produisent toujours à ces époques, en entretenant un effectif moindre, et en compensant la quantité par la qualité. Ce serait aussi un moyen assuré d’être toujours en mesure de passer rapidement du pied de paix au pied de guerre; car les réserves, fussent-elles composées, comme aujourd’hui, de jeunes soldats n’ayant jamais servi, trouveraient, au jour de leur incorporation, des cadres susceptibles de s’élargir et de s’étendre sans affaiblir la force et la solidité de l’ensemble. On arriverait donc à une solution, indirecte peut-être, mais satisfaisante, de la question de la réserve, débattue depuis si longtemps, et succombant toujours sous les charges financières qui en ont paru inséparables jusqu’ici.

Pour peu que l’on sonde les détails de la composition de notre armée, on s’aperçoit bien vite qu’elle est loin de présenter ces éléments de vie et de solidité dont elle retrouve, il est vrai, la puissance, au temps de guerre, dans les sentiments qui l’animent, et dans les qualités de notre caractère national (l’armée française en Crimée en est la preuve la plus éclatante); mais au prix d’efforts d’organisation d’autant plus grands, que ces éléments existaient moins auparavant.

Au 1er janvier 1853, sur un effectif général de 376, 101 hommes, l’armée no renfermait, dans la partie de son effectif (332, 549 hommes) qui se recrute par la voie des appels, que 44, 824 sous-officiers et soldats de sept ans de service et au-dessus, quel que fût d’ailleurs le titre en vertu duquel ils servaient. Dans ce nombre se trouvaient seulement 19,066 rengagés, et 25,758 engagés volontaires ou remplaçants. Non-seulement ces chiffres sont peu élevés relativement à l’ensemble, mais en les scrutant plus profondément et en recherchant la valeur individuelle des hommes sous le rapport des qualités qui constituent le soldat accompli, on reconnaît combien il laisse à désirer, surtout parmi les remplaçants qui appartiennent trop souvent à cette partie déclassée de la population que le besoin seul a jetée, sans vocation, dans l’état militaire, et qui, tout en se montrant d’intrépides soldats au jour du combat, sont loin de présenter des garanties dans toutes les circonstances et de bons exemple à suivre.

Si à un effectif formé de tels éléments et composé en très-grande partie de soldats de un à six ans de service, on joint la réserve qui ne compte que des jeunes gens n’ayant jamais servi, et quelques soldats en congé illimité, on aura une idée de l’ensemble de notre état militaire, tel qu’il résulte, sinon de la loi du 21 mars 1832, qui, à vrai dire, n’est chargée que du soin d’en assurer le recrutement, mais du manque de lois constitutives sans lesquelles il ne peut exister de bonne organisation pour une armée.

C’est cette lacune que le projet de loi a eu en vue de combler, en cherchant à développer le rengagement et en le prenant pour base fondamentale du nouveau mode de remplacement qu’il se propose d’établir.

La substitution du rengagement au remplacement aurait ce double avantage, de donner à l’armée des remplaçants de moins et de vieux soldats de plus. Et ce n’est pas seulement une question militaire qui serait ainsi résolue, mais aussi, et au plus haut degré, une question d’humanité ; l’expérience démontre que, tandis que les pertes des effectifs s’élèvent à 6 pour 100 dans la première année de service, elles ne sont, dans la sixième année, et à plus forte raison pour les vieux soldats, que de 2 pour 100 au plus.

L’histoire des guerres fournit encore un autre enseignement, c’est que les fatigues et les privations déciment les jeunes soldats, et qu’elles livrent à la mort plus de victimes que le feu de l’ennemi.

Les armées trop jeunes sont exposées à laisser sur les routes et dans les hôpitaux une notable partie de leurs effectifs, avant même que l’action ne soit engagée, tandis que des armées éprouvées, telles que celles que Napoléon Ier conduisait à la victoire dans les campagnes de l’Italie et de l’Allemagne, arrivaient presque intactes sur les champs de bataille, et ne trompaient jamais les calculs du général en chef.

L’intérêt des familles, aussi bien que l’intérêt militaire, s’accordent donc pour l’adoption d’une mesure si importante pour le succès des armées au jour du combat, et qui offre aux jeunes gens un gage de salut et aux pères de famille des chances de plus pour la conservation de leurs enfants.

Les rengagements sont aujourd’hui réduits à des proportions minimes, puisqu’ils ne s’élèvent pas au-delà de 5 à 6,000 en moyenne par an. Encore ne comprennent-ils, en grande partie, que des sous-officiers, et ne sont-ils contractés que pour un temps très-court.

Cet état de choses est la conséquence inévitable de l’abandon où nos institutions ont laissé la profession des armes. Le sous-officier et le soldat, qui ne sont pas appelés, par leur éducation et leur capacité, à devenir officiers, n’ont d’autre avenir que des chevrons et une haute-paie de 10 à 15 centimes. Puis, après trente années de services effectifs, le soldat ne reçoit, pour toute récompense d’une vie de privations, qu’une modique retraite de 2 à 300 francs, insuffisante pour les besoins de son existence.

On peut dire hardiment que l’un et l’autre n’ont en perspective que la misère. Aussi le nombre de ceux qui atteignent la retraite ne dépasse-t-il pas 800 environ par année.

Que l’on attribue, au contraire, au rengagement des avantages importants; qu’une prime de 1,000 fr. et une haute-paie de 10 centimes soient allouées à la première période de sept à quatorze ans de service; que des avantages moindres, tels qu’une haute-paie de 20 centimes, soient le prix des rengagements postérieurs au premier; qu’enfin, une retraite au minimum de 365 fr., pouvant s’élever, avec le bénéfice des campagnes, à 4 ou 500 fr., soit accordée au bout de 25 ans de service, et l’on peut affirmer que, dans ces conditions, qui sont celles du projet de loi, le sous-officier et le soldat auront désormais devant eux une carrière ouverte et un avenir assuré. La loi aura fait pour eux ce qu’elle a déjà fait, avec tant de raison, pour l’état de l’officier.

A l’âge de quarante-six ans, le sous-officier et le soldat pourront rentrer dans leurs foyers, possesseurs d’un capital de 1,000 fr. au moins, que leur aura conservé la caisse de la dotation, ou en jouissance d’une retraite de 365 à 500 fr., et peut-être avec la médaille ou la croix d’honneur. A cet âge, ils peuvent encore se marier, fonder un petit établissement, se livrer à une industrie, occuper un emploi. Ils sont assurés, quoi qu’il arrive, de se créer un rang honorable dans la société où ils porteront, au grand profit de tous, leurs habitudes d’ordre et d’obéissance aux lois.

C’est à ces dignes serviteurs que devra profiter surtout le bénéfice de la loi du 5 juillet 1850, sur l’admission dans les fonctions publiques, et dont nous nous plaisons à rappeler l’article 2.

«Dans tous les services publics qui le permettront, il sera réservé

» une portion déterminée de fonctions, emplois et gestions, aux anciens

» militaires des armées de terre et de mer ayant contracté un ou plusieurs

» rengagements, et aux marins et ouvriers des arsenaux, portés depuis

» plus de quinze ans sur les registres de l’inscription maritime.»

Que l’on compare les deux situations et que l’on juge.

L’Etat lui-même, en rémunérant dignement ceux qui l’auront servi avec dévouement, aura acquitté la dette du pays et recueillera les bienfaits de ces dispositions.

Si, grâce à ces avantages, le nombre des demandes de rengagement se trouvait équivaloir à celui des demandes de remplacement, le problème que s’est posé le projet de loi serait résolu; le remplacement se ferait par l’armée, et celui qui se pratique en dehors serait supprimé de fait.

Si ce nombre était supérieur, la solution n’en serait que plus complète, puisque l’Etat, en satisfaisant à toutes les demandes d’exonération, n’aurait qu’un choix à faire parmi les rengagés qui lui conviendraient le mieux.

Mais la prudence commandait de prévoir le cas où il serait inférieur et de prendre des mesures contre cette éventualité, afin que, dans aucun cas, le recrutement de l’armée ne pût être compromis. C’est de là qu’est née la pensée du remplacement subsidiaire, qui permettra de se livrer sans danger à l’expérience que prépare le projet de loi. Si l’on remarque que, dans les temps ordinaires, le nombre des anciens soldats qui entrent, sans pression, chaque année dans les rangs de l’armée, soit par la voie du rengagement, soit par celle du remplacement, est de onze à douze mille, on est porté à penser qu’en présence des avantages nouveaux qui leur sont offerts, non-seulement ce nombre se maintiendra, mais qu’il devra s’élever au chiffre de seize à dix-sept mille, qui est celui des demandes de remplacement. Toutes les probabilités sont pour qu’il en soit ainsi en temps de paix, et si quelque doute pouvait s’élever, ce ne pourrait être que pour le temps de guerre où le remplacement et les engagements volontaires viendraient alors suppléer à l’insuffisance du rengagement

Mais, quoi qu’il arrive, il est facile de voir que le remplacement, s’il est nécessaire d’y recourir, se trouvera réduit à de minimes proportions, et que dès lors ses choix seront plus faciles et meilleurs.

L’Etat d’ailleurs, en faisant lui-même cette opération, en assurera la régularité et les bons résultats. L’armée gagnera considérablement à son intervention directe et immédiate, et la population civile, de son côté, applaudira à une mesure qui rendra ses obligations plus faciles et plus économiques, tout en la déchargeant de la responsabilité que le remplacement laissait peser sur elle pendant une année.

Il reste à examiner à l’aide de quelles dispositions le projet de loi réalise les importantes améliorations qui viennent d’être énumérées.

Le titre 1er crée une institution nouvelle, sous le nom de Dotation de l’armée. Il détermine les recettes qui doivent alimenter la caisse de cette dotation, ainsi que les dépenses auxquelles elle doit pourvoir.

La dotation est instituée sous la garantie de l’État et gérée par l’administration de la Caisse des dépôts et consignations, combinaison déjà consacrée législativement, et que l’on rencontre notamment dans la loi du 18 juin 1850, relative à la caisse des retraites pour la vieillesse.

Elle est placée, en outre, sous la surveillance et le contrôle d’une Commission supérieure nommée par l’Empereur, et dont la haute position est de nature à rassurer tous les intérêts militaires, civils et financiers.

Cette Commission, en ce qui concerne son contrôle, jouira d’une indépendance entière et aura la responsabilité morale de ses décisions. Néanmoins, en ce qui concerne les actes extérieurs, son rôle aura un caractère consultatif, et ses propositions ne deviendront exécutoires que par arrêté du Ministre de la guerre.

La gestion de la dotation constitue un service spécial dont le budget et les comptes seront annexés à ceux du Ministère de la guerre, d’une manière analogue à ce qui se pratique aujourd’hui dans le département de la Marine, pour la caisse des invalides.

Le Corps Législatif sera donc appelé, chaque année, à connaître la situation, la marche et les progrès de cette grande institution.

Enfin, le 4e paragraphe de l’art. 1er renferme le principe d’un véritable établissement d’utilité publique pour les militaires de tous grades, établissement qui est dans les vues du Gouvernement, et dont la réalisation ne se fera pas longtemps attendre.

Le titre II traite de l’exonération du service, et ouvre, à tous les jeunes gens compris dans le contingent annuel, la faculté d’assurer, au moyen de prestations, leur remplacement dans l’armée par la voie du rengagement d’anciens militaires.

La Commission supérieure déterminera, chaque année, le prix de l’exonération, et, sur sa proposition, le Ministre de la guerre le fixera définitivement par un arrêté, dont la promulgation précédera la formation des contingents cantonaux. Ce prix sera nécessairement variable, comme l’est aujourd’hui celui du remplacement, et empruntera ses éléments de fixation aux avantages plus ou moins grands qui devront être offerts aux rengagements, suivant les circonstances politiques dans lesquelles se trouvera le pays. Il sera le même pour toute la France. Il suffira d’en verser le montant à la caisse des receveurs particuliers, et de justifier de ce versement par un récépissé présenté au préfet en conseil de préfecture, dans un délai de dix jours après la clôture des opérations des conseils de révision.

On reconnaîtra qu’il était impossible de donner aux populations des villes et des campagnes une voie plus simple et plus facile pour obtenir l’exonération.

L’article 5 a eu pour objet de venir en aide aux familles peu aisées, en leur offrant les moyens de faire à la caisse de la dotation plusieurs versements anticipés, en vue d’arriver à réunir le prix total de l’exonération au moment où la classe dont les jeunes gens font partie est appelée à former le contingent. Il est inutile d’ajouter que ces versements anticipés porteraient intérêt et seraient restitués en entier aux familles, dans le cas où les jeunes gens se trouveraient exemptés par le bénéfice de leurs numéros, ou voudraient renoncer, au dernier moment, à user de la faculté de se faire exonérer.

On comprend que, dans le système du projet de loi, les jeunes gens qui n’auraient pas profité en temps utile du bénéfice de l’exonération, ne pourraient y prétendre plus tard, à moins qu’ils ne rejoignissent préalablement leur corps, et qu’ils ne fussent admis par les Conseils d’administration des corps à jouir de la faculté accordée par l’article 8.

L’article 10, qui supprime le mode de remplacement établi par la loi du 21 mars 1832, annule, en fait, les compagnies de remplacement. Le titre III fait connaître le nouveau mode qui lui est substitué.

Cette suppression ne porte aucune atteinte aux opérations des Compagnies financières d’assurances avant le tirage. Ces sociétés, dont les opérations aléatoires sont destinées à venir en aide aux classes peu aisées, qui en profitent aujourd’hui dans de grandes proportions, pourront continuer leurs opérations de mutualité, tendant à fournir à ceux des jeunes gens que le sort n’aurait pas favorisés le montant du prix fixé pour l’exonération, dans les conditions déterminées par l’article 15.

Le titre III fixe la durée et les conditions du rengagement, ainsi que l’âge de quarante-sept ans, au-delà duquel il n’y a plus intérêt, pour l’État, à maintenir un militaire sous les drapeaux. Cette limite a été calculée de manière que, même avec de légères interruptions, le militaire pût accomplir les vingt-cinq ans de services qui lui sont nécessaires pour obtenir la retraite.

Il fixe aussi les allocations et hautes-paies auxquelles ont droit les rengagés, dans les diverses périodes de leur service. Les hautes-paies de rengagement, qui y sont spécifiées, sont indépendantes de celles prévues par l’article 36 de la loi du 21 mars 1832, et déterminées par l’ordonnance de 1837 sur la solde, sous le nom de haute-paie, de chevrons, lesquels continueront à subsister simultanément.

Les allocations de rengagement pourront être augmentées par arrêté du Ministre de la guerre, sur la proposition de la Commission supérieure. Ces augmentations seront subordonnées à la facilité plus ou moins grande que présenterait le rengagement dans des circonstances exceptionnelles, et elles réagiront naturellement sur la fixation du prix de l’exonération qui est toujours destiné, il ne faut pas le perdre de vue, à assurer le rengagement des anciens militaires.

L’article 15 spécifie qu’en cas d’insuffisance du nombre des rengagements, comparé à celui des exonérations, des remplacements seront effectués par voie administrative.

Pour constater cette insuffisance, l’administration de la guerre n’aura qu’à recueillir, dans les divers corps de l’armée, les demandes de rengagement qui auront été formées, et à en comparer le chiffre total à celui des demandes d’exonération.

Si le chiffre de ces dernières est supérieur, alors seulement il y aura lieu de recourir au remplacement dans la forme indiquée.

Par ces mots «voie administrative» il faut entendre une opération qui sera effectuée par les soins de l’État, dans des formes et conditions déterminées par le règlement d’administration publique à intervenir pour l’exécution de la loi. Ce mode pourrait être ainsi réglé :

Des registres seraient ouverts dans les préfectures, les sous-préfectures et les mairies, sur lesquels iraient s’inscrire les jeunes gens qui auraient la volonté de remplacer, moyennant le prix déterminé par la Commission supérieure. Le nombre de ces inscriptions, centralisées à la préfecture de chaque département, serait transmis au Ministre de la guerre qui, le comparant à celui des demandes de remplacement dans toute la France, serait en mesure de les répartir utilement entre tous les départements et de faire concourir, au besoin, ceux qui en auraient le plus, à opérer des remplacements dans les départements où les remplaçants seraient insuffisants. Les remplaçants seraient, dans tous les cas, examinés dans les départements où ils se trouveraient, par une Commission militaire chargée de reconnaître leur aptitude physique, de vérifier s’ils remplissent les conditions voulues par la loi du 21 mars 1832 et de procéder, enfin à leur réception définitive.

En désignant une Commission militaire, qui pourrait être composée du général commandant le département, du sous-intendant militaire et de l’officier commandant le recrutement, le règlement d’administration ne ferait que sauvegarder les intérêts de l’armée et consacrerait un départ naturel et légitime d’attributions entre les conseils de révision, chargés de la formation du contingent, et les commissions départementales dont la préoccupation serait de veiller plus scrupuleusement aux intérêts militaires et de n’admettre, à titre de remplaçants, que ceux qui seraient rigoureusement propres au service.

Les membres de l’intendance militaire seraient chargés de dresser les actes de remplacement.

Le prix du remplacement serait le même pour toute la France. Il serait soldé par la caisse de la dotation, mais seulement à la libération du service, sauf des cas spéciaux dont les conseils d’administration des corps seraient juges, et où le remplaçant pourrait obtenir des à-comptes dans le cours de son service.

Le remplacement, ainsi pratiqué, perdrait ce caractère de marché d’homme à homme, tel qu’il existe aujourd’hui. Ce ne serait qu’un engagement envers l’État, moyennant un prix déterminé. Il n’y aurait plus en réalité de remplaçants, mais simplement des engagés.

Les allocations attribuées aux rengagés et aux engagés volontaires, après la libération, sont incessibles et insaisissables. Elles appartiennent, en cas de mort, à leurs héritiers et ayant cause.

Les militaires ne peuvent en perdre le bénéfice ou en encourir la suspension.

Le titre IV règle les conditions nouvelles de la pension de la retraite qui sera accordée aux sous-officiers, caporaux, brigadiers et soldats des corps qui se recrutent par la voie des appels. Ces militaires sont les seuls auxquels s’appliquent les dispositions de la loi actuelle.

Le droit à la retraite est acquis à vingt-cinq ans de service effectif. Cette limite est déjà aujourd’hui consacrée pour la marine, et on ne pouvait guère la faire descendre davantage, sans s’exposer à augmenter démesurément le nombre des retraites et, par suite, les charges de la dotation et celles du Trésor.

La quotité de la retraite est augmentée de 165 francs, c’est-à-dire que le minimum de la pension du soldat, qui est fixé par la loi du 11 avril 1831 à 200 francs, est porté à 365 francs, soit 1 franc par jour

Le maximum serait de 465 francs.

Quant aux sous-officiers, le sergent, par exemple, le minimum de sa pension serait de 415 francs et le maximum de 565 francs.

On reconnaîtra que ces chiffres n’ont rien d’exagéré. Ils atteignent, sans le dépasser, le but que s’est proposé la loi, d’assurer l’avenir du soldat et d’acquitter la dette de l’État envers lui.

L’article 20, en spécifiant que le surcroît de dépenses résultant de cette nouvelle fixation des pensions serait prélevé sur l’actif de la dotation de l’armée, ne fait qu’énoncer une des principales conditions d’existence de la dotation, qui est chargée de pourvoir au paiement, non-seulement des allocations, hautes-paies de rengagement; mais encore, dans la mesure do ses ressources, au paiement des pensions de retraite dont la quotité et le nombre vont se trouver considérablement augmentés.

C’est ici le lieu de montrer sommairement les conséquences financières du projet de loi.

Il résulte de calculs faits avec soin, et, pour ainsi dire, homme pour homme, c’est-à-dire en mettant en présence l’exonéré et le rengagé que dans l’hypothèse d’un prix d’exonération de 1,500 francs, par exemple, la dotation, après avoir payé au rengagé les allocations et les hautes-paies, réalise encore, en tenant compte des intérêts, un fonds de réserve important destiné au service des pensions. Le disponible laissé par chaque rengagé est:

Après 7 ans de rengagement, de 580 fr.


Or, les intérêts cumulés de ces sommes disponibles seront évidemment plus que suffisants pour assurer le paiement du surcroît de dépenses résultant de l’exécution de l’article 20, relatif aux pensions à accorder après vingt-cinq ans de service.

Sans doute, le nombre des pensions qu’obtiendront annuellement les sous-officiers, caporaux et soldats, lequel n’est que de mille environ aujourd’hui (gendarmerie comprise), et n’occasionne qu’une dépense budgétaire de 280,000 francs, s’élèvera beaucoup par suite des avantages accordés dans le cours du service et d’une durée de jouissance de cinq ans de plus; mais qu’importe! le capital dont les intérêts doivent y pourvoir demeure à la Caisse de la dotation.

Il est difficile de se livrer à des calculs précis avec des éléments aussi mobiles et susceptibles d’un aussi grand imprévu; mais ce qui ressort d’hypothèses diverses, dans lesquels ces calculs ont été établis, c’est que, si le nombre des pensions s’élève, après vingt-cinq ans, à deux, à trois cent mille, ainsi qu’il est permis raisonnablement de le prévoir, la Caisse de la dotation sera en mesure de pourvoir au paiement des six huitièmes au moins de la quotité de toutes ces pensions.

Le Trésor peut donc être exposé à payer l’excédant. Mais cette charge nouvelle dans les dépenses du budget, si toutefois elle a lieu, sera plus que compensée par les avantages considérables que l’État est appelé à recueillir, et par les notables économies que le rengagement doit opérer. Des économies seront, en effet, réalisées immédiatement sur les frais de route des recrues, les premières mises de petit équipement et d’habillement, et sur les dépenses d’hôpital, et elles peuvent être évaluées par homme:


Le titre V contient quelques dispositions générales et transitoires destinées à régler les conséquences de l’application de la loi au moment de sa mise à exécution. Les unes, obligatoires, en ce qui concerne l’accomplissement du temps du rengagement pour les militaires sous les drapeaux; les autres, bienveillantes, pour ceux de ces militaires qui n’auraient pas vingt-cinq ans de service effectif à cette époque.

Il énumère les objets principaux auxquels devra pourvoir le règlement d’administration publique nécessaire à l’exécution de la loi, notamment l’organisation de la Caisse de la dotation et de son service spécial, et les formes à suivre dans le mode administratif du remplacement.

L’article 23 déclare la loi exécutoire à partir du 1er janvier 1856. Il était nécessaire que le délai d’exécution fût assez long, d’un côté, pour que les anciens militaires connussent les avantages qui allaient leur être accordés d’autre part, pour que la population civile et les entreprises de remplacement fussent mises en demeure de se préparer à son application. Il y avait opportunité, d’ailleurs, à ce que la loi donnât les moyens de récompenser et de conserver, dans les rangs de l’armée, ces braves soldats qui défendent si héroïquement, aujourd’hui, l’honneur du drapeau. Aussi cet article contient-il une disposition spéciale pour faire jouir du bénéfice de la loi ceux qui contracteraient des rengagements dans le cours de l’année 1855 et qui refuseraient d’accepter le droit qui leur est acquis à la libération.

Tel est, Messieurs, l’ensemble des dispositions du projet de loi qui est soumis à vos délibérations.

Dans le discours prononcé par Sa Majesté, à l’ouverture de la session législative de 1855, l’Empereur annonçait que la loi qui serait présentée aurait pour but, entre autres avantages, d’améliorer, sans augmenter les charges du Trésor, la position des militaires qui se rengagent.

Les développements qui précèdent prouvent que ce résultat est obtenu de la manière la plus heureuse et la plus certaine.

Quant aux autres avantages que cette loi procure, ils peuvent se résumer ainsi:

1° Elle maintient tous les principes fondamentaux de la loi du 21 mars 1832, sur le recrutement de l’armée;

2° Elle met fin à ce trafic honteux que l’opinion publique a stigmatisé du nom de traite des blancs;

3° Elle fait disparaître cette réprobation, souvent injuste, qui s’attache, dans l’armée, à la position du remplaçant;

4° Elle protège les petites fortunes, en abaissant le taux du remplacement;

5° Elle est favorable aux populations, en leur créant de grandes facilités d’exonération, et en donnant la faculté de diminuer, en temps de paix, le nombre des hommes appelés sous les drapeaux;

6° Elle fait de l’état militaire une profession; elle constitue la carrière et assure l’avenir du sous-officier et du soldat;

7° Elle retient sous les drapeaux un noyau de cent à cent trente mille anciens soldats, rompus aux fatigues et aux exercices; et constitue, par les avantages qu’elle leur assure, une véritable armée et un véritable esprit militaire;

8° Elle facilite la solution do la question si longtemps débattue de la réserve et du passage du pied de paix au pied de guerre;

9° Elle donne à l’État les moyens de récompenser d’une manière plus juste et moins parcimonieuse la vie de privations du sous-officier et du soldat;

10° Enfin, elle est humaine, en permettant de n’employer, au début d’une guerre, que des hommes faits, au lieu de jeunes gens qui meurent de fatigues ou vont peupler les hôpitaux.

Ces considérations nous ont paru devoir agir vivement sur vos esprits, et le Gouvernement ne peut que les recommander à votre sollicitude et à votre patriotisme.

Signé E. ROUHER, vice-président du Conseil d’état;

Général ALLARD, président de la section de la guerre et de la marine, Rapporteur;

PETITET, conseiller d’État.

Manuel de recrutement, à l'usage de MM. les maires de toutes les communes de France

Подняться наверх