Читать книгу L'impressionnisme : son histoire, son esthétique, ses maîtres - Camille Mauclair - Страница 4
I
QUELQUES MOTS SUR L’OBJET DE CET OUVRAGE. –LES PRÉCURSEURS DE L’IMPRESSIONNISME.–LES DÉBUTS DE CE MOUVEMENT, L’ORIGINE DE SON NOM.
ОглавлениеIl ne nous sera pas donné en cet ouvrage d’écrire une histoire complète de l’impressionnisme français, et d’y enclore tous les détails attachants qu’elle pourrait comporter, et par elle-même, et à cause du temps si curieux où son évolution s’est déroulée: les proportions de ce livre nous engageront seulement à résumer le plus clairement et le plus simplement possible les idées, les personnalités et les œuvres d’un considérable groupe d’artistes qui n’ont pu être bien connus à cause de plusieurs conditions, et sur lesquels de graves erreurs ont été trop souvent formulées. Ces conditions sont très évidentes; d’abord, les impressionnistes n’ont pu se montrer aux Salons, soit que les jurys leur en refusassent l’entrée, soit qu’ils s’abstinssent de leur propre volonté. Ils ont, sauf de très rares exceptions, exposé toujours à l’écart, dans des galeries particulières où un public très restreint les connut: toujours attaqués et pauvres jusqu’en ces dernières années, ils n’eurent aucun des bénéfices de la publicité et de la gloriole. Enfin, c’est depuis très peu de temps que l’admission au Musée du Luxembourg de la collection Caillebotte, incomplète, mal présentée d’ailleurs, permet au public de se faire une idée sommaire de l’impressionnisme; et pour achever l’énumération des obstacles, il faut dire qu’il n’existe à peu près aucune photographie d’œuvres impressionnistes dans le commerce. Déjà, pour ces toiles consacrées à l’étude des jeux de la lumière, la photographie est une traduction bien infidèle; mais ce faible moyen de diffusion lui-même leur a été refusé. Exposées dans quelques galeries, centralisées surtout par la maison Durand-Ruel, vendues directement à des amateurs en majorité étrangers, ces vastes séries d’œuvres ont été pour ainsi dire inconnues du public français. Il n’en a guère su que les reproches et les sarcasmes des adversaires, et il ne s’est pas douté que le plus grand, le plus riche mouvement que l’école française ait connu depuis le romantisme se déroulait au milieu de la vie moderne. Il a surtout connu l’impressionnisme par les polémiques, et par les fécondes conséquences de ce mouvement dans l’illustration et l’étude des mœurs contemporaines.
Nous ne prétendrons donc pas consacrer ici à l’impressionnisme une histoire détaillée et définitive: il y faudrait plusieurs volumes comme celui-ci. Quel a été exactement notre but? Il a été écrit sur l’impressionnisme une foule d’articles, mais pas un livre, hormis celui de M. Georges Lecomte sur l’Art impressionniste, ouvrage excellent en soi, mais édité luxueusement à très petit nombre et par conséquent incapable de divulgation dans le public. Quelque étonnante que paraisse l’existence d’une telle lacune, le fait est que personne n’a songé jusqu’ici à la combler. Zola, Duranty, Castagnary, Burty, Edmond de Goncourt, Mallarmé, Jules Laforgue, MM. Théodore Duret, Clémenceau, Roger Marx, Alexandre, Mirbeau, Geffroy, de Fourcaud, Huysmans, bien d’autres encore ont écrit des études remarquables: Manet à lui seul comporte une bibliographie considérable, volumes biographiques, caricatures, brochures–et cependant il n’a pas été fait de volume permettant de résumer très clairement devant le public les origines, les théories, les personnalités, les œuvres de ce grand mouvement, de façon à en donner une idée générale à quiconque entendrait même pour la première fois ce nom d’impressionnisme, et souhaiterait en connaître succinctement la signification. Ce livre, nous avons essayé de l’écrire, et dans ce but, on comprendra dès lors que nous ayons renoncé à mentionner toutes les anecdotes, tous les détails propres à intéresser le public déjà averti, pour nous attacher avant tout à des constatations d’ensemble, à la démonstration de quelques principes essentiels, en n’ayant d’autre ambition que celle d’établir une étude préliminaire que d’autres pourront compléter par des lectures, des renseignements personnels et des recherches sur des détails techniques ou biographiques.
Nous essaierons surtout de mettre en évidence cette idée: l’impressionnisme n’est ni une manifestation isolée, ni un démenti violent aux traditions de l’art français, mais précisément un retour logique à ces traditions, contrairement à ce qu’ont prétendu ses détracteurs. C’est parce que là fut leur principal argument qu’il importe de n’en rien laisser subsister. Et c’est pourquoi dès ce premier chapitre nous dirons quelques mots des précurseurs de ce mouvement.
Aucune manifestation d’art, en effet, n’est isolée. Si neuve qu’elle semble, elle procède toujours des époques antérieures. Les spontanéités individuelles sont les réviviscences des spontanéités individuelles de jadis: et comme tout, en art, se réfère à quelques idées logiques et immuables, il s’ensuit que toutes les spontanéités sincères qui s’y sont appuyées se rejoignent sur un plan supérieur en paraissant ne pas se ressembler. Les maîtres véritables ne donnent pas de leçons, car l’art ne s’enseigne pas et tout artiste refait l’art selon soi-même et n’apprend que ce qu’il s’est appris: mais ils donnent des exemples. Les admirer n’est pas les imiter, c’est reconnaître en eux les idées logiques communes aux arts de tous les siècles, et en connaître la source pour raviver en soi-même cette source éternelle, qui est le jaillissement d’une vision sincère et émue des aspects de la vie. Les impressionnistes n’ont pas échappé à cette loi si belle. Nous parlerons d’eux sans enthousiasme excessif, avec impartialité: nous nous attacherons surtout à bien montrer en chacun d’eux le culte d’un prédécesseur, car on a vu peu de mouvements artistiques où soit plus tenace l’amour, presque l’hérédité, des maîtres antérieurs.
L’Académie a lutté avec une extrême violence contre l’impressionnisme, en l’accusant de folie, de négation systématique des «lois de la beauté» qu’elle-même prétendait défendre et dont elle se proclamait la prêtresse officielle. Elle a fait preuve de l’animosité la plus partiale en cette querelle. Elle a exclu les impressionnistes des Salons, des honneurs, des achats de musées: récemment encore l’acceptation du legs Caillebotte au Musée du Luxembourg provoqua une tempête d’indignation chez les peintres officiels. Nous examinerons au cours de ce livre la valeur de ces attaques. Mais nous pouvons bien dire dès maintenant à quel point cet acharnement nous semble et semblera regrettable à tous les libres esprits: il est indigne même d’une conviction ardente de traiter en bloc un groupe d’artistes comme des fous, ennemis de la beauté, ou des mystificateurs désireux d’avilir l’art de leur nation, alors que ces artistes travaillent durant quarante années dans un même sens sans recueillir de leur effort, si discutable soit-il, autre chose que la pauvreté et la raillerie. Il y a environ dix ans que l’impressionnisme s’est imposé, que ses artistes peuvent vendre leurs toiles, et qu’un public accru chaque jour les admire et les vante; l’heure est donc venue de considérer avec calme un mouvement qui s’est imposé à l’histoire de l’art français de1860à1900avec une énergie extrême, et de quitter aussi bien le dithyrambe que la polémique, pour en parler avec le souci de l’exactitude. L’Académie, qui continue la propagation d’un idéal de beauté à canons, issu de l’art grec, de l’art latin et de la Renaissance, tenant peu de compte des gothiques, des primitifs et des réalistes, se considère comme la gardienne de la tradition nationale, parce qu’elle a l’autorité hiérarchique sur l’École de Rome, les Salons, l’École des Beaux-Arts. Il n’en est pas moins vrai qu’elle obéit à un idéal très composite et peu français: ses principes en effet sont ceux qui régissent l’art académique à peu près dans toutes les écoles officielles de l’Europe. Cet art mythologique et allégorique, régi par des dogmes et des formules qui s’imposent indifféremment à tous les tempéraments d’élèves, est plutôt international que national. Cette constatation fera trouver plus singulière encore l’excommunication jalousement lancée par les peintres académiques contre des Français qui, loin d’avoir l’absurde parti pris de s’insurger contre le génie de leur race, s’y réfèrent peut-être plus sincèrement qu’eux. Pourquoi, délibérément, un groupe d’hommes s’aviserait-il de faire de la peinture folle, illogique, mauvaise, en y gagnant la raillerie publique, la pauvreté et la stérilité? Il est insensé de supposer une telle mystification qui serait avant tout cruelle pour ses auteurs. Le simple bon sens indique donc en eux une conviction, une sincérité, un effort soutenu, et cela seul devait, au nom de la solidarité sacrée de tous ceux qui, par des moyens divers, cherchent à dire leur amour du beau, supprimer les fâcheuses accusations qui furent trop facilement portées contre Manet et ses amis.
Nous définirons plus loin les idées des impressionnistes sur la technique, la composition, le dessin, le style en peinture. Dès maintenant il est nécessaire d’indiquer leurs principaux précurseurs.
Leur mouvement peut être ainsi formulé: une réaction contre l’esprit gréco-latin et l’organisation scolastique de la peinture telle que l’avait imposée, après la seconde Renaissance et l’école italo-française de Fontainebleau, le siècle de Louis XIV, l’École de Rome, le goût consulaire et impérial. A cette réaction s’en superpose une autre: la réaction de l’impressionnisme, non plus seulement contre les sujets classiques, mais contre la peinture noire des dégénérés du romantisme. Enfin, ces deux réactions se contre-balancent par un retour à l’idéal français, à la tradition réaliste et caractéristique qui commence à Jean Foucquet, à Clouet, et se continue par Claude Lorrain, Poussin, Chardin, Watteau, La Tour, Fragonard, les admirables graveurs du XVIIIe siècle, jusqu’au triomphe du goût allégorique de la Révolution romaine. Il y a là une filiation d’artistes vraiment nationaux qui ont toujours été ou méconnus, comme Chardin, ou considérés comme des «petits maîtres», et exclus du premier rang au profit des pompeux allégoristes issus de l’école italienne.
Comme l’impressionnisme est avant tout une réaction technique, on doit surtout rechercher ses prédécesseurs à ce point de vue matériel. Watteau est le plus saisissant. L’Embarquement pour Cythère est, par sa facture elle-même, une toile impressionniste. On y trouve appliqué le plus significatif des principes exposés par Claude Monet: la division des tonalités par des touches de couleurs juxtaposées reconstituant à distance sur l’œil du spectateur la coloration véritable des choses peintes, avec une variété, une fraîcheur et une délicatesse d’analyse que ne pourrait donner un seul ton composé et mélangé sur la palette.
Claude Lorrain est réclamé par les impressionnistes comme un précurseur au point de vue de l’arrangement décoratif des paysages et surtout de la prédominance de la lumière baignant tous les objets. Ruysdael et Poussin, pour les mêmes raisons, sont à leurs yeux des précurseurs, surtout Ruysdael, qui observa si franchement les colorations bleues des horizons et l’influence du bleu dans le paysage. On sait le culte que Turner gardait à Claude Lorrain pour les mêmes motifs. Les impressionnistes considèrent à leur tour Turner comme un de leurs maîtres; ils ont pour ce génie puissant, pour ce visionnaire somptueux, la plus grande admiration. Ils l’ont également pour Bonington, pour certaines œuvres de Constable, ce maître dont la technique est inspirée des mêmes observations que la leur. Ils trouvent enfin dans Delacroix l’application fréquente et très visible de leurs idées, notamment dans la célèbre Entrée des Croisés à Constantinople: la femme blonde agenouillée au premier plan est peinte selon le principe de la division des tonalités; son dos nu est sillonné de touches bleues, vertes et jaunes qui composent à quelque distance, par leur juxtaposition, un admirable ton de chair.
MANET.–LES MUSICIENS AMBULANTS.
Il faut maintenant parler plus longuement d’un grand peintre qui, avec le vibrant et lumineux paysagiste Jongkind, fut l’initiateur plus direct encore de l’impressionnisme technique: Monticelli est un de ces génies singuliers qui ne se relient à aucune école, et dont l’œuvre est une source infinie d’applications. Il vécut à Marseille où il était né, fit une brève apparition aux Salons, puis revint dans sa ville, et y mourut pauvre, ignoré, paralysé et fou. Il vendait, pour vivre, ses petits tableaux dans les cafés, où on en donnait à grand’peine dix ou vingt francs. Aujourd’hui, ils se vendent à des prix considérables, bien que l’État n’ait encore fait figurer aucune œuvre de Monticelli dans ses musées: la seule force mystérieuse de cette peinture lui a donné une gloire, hélas! posthume. Bien des Monticelli ont été vendus par des marchands sous la signature de Diaz; maintenant on les recherche bien plus que des Diaz, et des collectionneurs ont réalisé des fortunes avec ces petites toiles achetées jadis, selon l’expression courante qui se trouve sinistrement exacte, «pour un morceau de pain».
Monticelli peignit des paysages, des scènes romantiques, des fêtes galantes un peu inspirées de Watteau, des natures mortes: on ne saurait imaginer une plus géniale faculté du coloris qu’en ces œuvres qui semblent peintes avec des pierreries écrasées, d’une harmonie puissante, et surtout d’une délicatesse inouïe dans la perception des nuances. Il y a là des tons que personne n’avait jamais inventés, une richesse, une abondance, une subtilité qui atteignent presque aux ressources de la musique. L’atmosphère de féerie de ces œuvres enveloppe un dessin très sûr, d’un style charmant, mais, selon le mot de l’artiste lui-même, «en ces toiles, les objets sont le décor, les touches sont des gammes, et la lumière est le ténor». Monticelli s’est créé une technique toute personnelle qui se peut guère être comparée qu’à celle de Turner; il peignait en pleine pâte, grasse et si riche que souvent certains détails sont véritablement sculptés, en relief, d’une matière aussi savoureuse que les émaux, les bijoux, les céramiques, et qui est par elle-même un délice. Chaque tableau de Monticelli provoque la surprise: construit sur une couleur comme sur un thème musical, il s’élève à des intensités qu’on eût pensé impossibles.
Ce sont des bouquets éblouissants, des éclats de joie coloriste où pourtant rien n’est jamais criard, où règne un suprême sens de l’harmonisation.
Claude Lorrain, Watteau, Turner et Monticelli forment vraiment la généalogie d’un paysagiste comme Claude Monet. Pour tout ce qui concerne la technique, voilà la filiation directe de l’impressionnisme. En ce qui regarde le dessin, les sujets, le réalisme, l’étude de mœurs, la façon de comprendre la beauté, le portrait, le mouvement impressionniste se réfère aux maîtres français de jadis, principalement à Largillière, à Chardin, à Watteau, à La Tour, à Fragonard, à Debucourt, à Saint-Aubin, aux Moreau, à Eisen. Il s’écarte résolument de la mythologie, de l’allégorie académique, de la peinture d’histoire, des éléments néo-grecs du classicisme aussi bien que des éléments allemands ou espagnols du romantisme. C’est donc une réaction toute française que celle de ce mouvement, et assurément, s’il encourt des reproches, le moins mérité est bien celui qui lui a été fait par les peintres officiels, de désobéir à l’esprit national. L’impressionnisme est un art où ce qu’on appelle l’intellectualité au sens strictement littéraire, entre peu, un art de peintres n’admettant guère que la vision immédiate, répugnant à la philosophie et aux symboles, et considérant la clarté, le pittoresque, l’observation vive et spirituelle, l’antipathie pour l’abstraction, comme les qualités foncières de l’art français. Nous verrons plus loin, en étudiant isolément ses maîtres principaux, que chacun d’eux se réfère précisément à des maîtres de pure race française.
L’impressionnisme a donc été jusqu’ici très mal jugé. Il tient tout entier dans deux caractères: recherche d’une technique nouvelle, expression de la réalité moderne. Sa naissance n’a pas été un phénomène spontané. Manet, qui en groupa autour de lui les principaux membres, par son esprit, son œuvre, ses amitiés, commença par compter dans les rangs des réalistes du second romantisme aux côtés de Courbet, et durant toute la première période de sa production, il resta simplement soucieux de décrire des scènes contemporaines, alors que déjà les lois de la nouvelle technique étaient pressenties par Claude Monet. Peu à peu s’élabora le groupement impressionniste. C’est Claude Monet qui en est l’initiateur véritable: c’est parallèlement à ses idées et à ses œuvres que Manet passa à la seconde période de sa vie artistique, ainsi que Renoir et Pissarro. Comme Manet, dans sa première période, avait déjà, par son réalisme et sa façon de peindre très influencée des Espagnols et de Hals, soulevé de retentissantes polémiques, comme il insistait à chaque Salon pour être reçu et porter ses idées devant le grand public, comme il avait le tempérament d’un chef d’école, la légende attache à son nom le titre de chef de l’école impressionniste, mais cette légende est inexacte. Il faut même retenir que Manet commença par désapprouver les recherches de Claude Monet. La Dame en vert de celui-ci, admirable morceau d’ailleurs, avait été reçue au Salon de1866, et prise pour une œuvre de Manet par des amis de celui-ci qui s’en était montré fort piqué: peu après, voyant des essais de plein-air signés de Monet, il s’écriait avec mauvaise humeur: «Voyez ce jeune homme qui veut faire du plein-air; est-ce que les anciens s’occupaient de cela?» Ce ne fut que vers1870que Manet devint l’ami intime de Monet, et après la guerre seulement il se décida, lui aussi, à tenter ce «plein-air», qui allait lui donner l’occasion de quelques chefs-d’œuvre.
Enfin le nom même d’impressionnisme est dû à Monet. On a commenté gravement ce nom, on en a tiré maint argument; en réalité il est l’effet du hasard. L’impressionnisme, moralement si l’on peut ainsi dire, date du Salon des Refusés de1863; l’empereur avait libéralement exigé qu’on réunît dans une salle spéciale les œuvres rejetées par le jury. La foule y courut pour rire à l’aise, mais beaucoup, venus pour s’amuser sur la foi des critiques académiques, sortirent troublés, sentant bien qu’une force était là. Dès cette heure le mouvement fut constitué. Mais le nom date du Salon de1867, où un soleil couchant de Monet, titré Impressions, fit scandale. On appela dès lors «impressionnistes» les peintres qui peignaient plus ou moins dans cette manière, et par extension, en bloc, les indépendants qui entouraient Manet. Ceux-ci jugèrent avec indifférence que cette étiquette en valait une autre. Elle se trouvait présenter d’ailleurs une signification fausse, mais quand même assez opportune pour certains paysages, sinon pour des tableaux de figures. Elle resta. A ce salon méprisé on trouve les noms de Whistler, Bracquemond, Jongkind, Fantin-Latour, Renoir, Legros, d’autres encore, qui ont depuis connu la gloire. Ce groupe d’hommes fortifia ses amitiés et ses résolutions devant le sarcasme général, et dès lors l’école fut fondée, si l’on peut accepter une locution aussi erronée dans les termes. L’impressionnisme exista: sous cette dénomination de hasard se rangèrent des indépendants, des tempéraments souvent divers, qui n’admiraient ni l’Académie ni l’enseignement scolastique, et trouvèrent là leur point de contact, là et dans la pauvreté, la réprobation officielle et l’amour de la nature, tout en servant des idéals très distincts. On peut dresser la liste exacte des préraphaélites, parce que leurs idées sur le style étaient absolument identiques; on ne dressera pas la liste des impressionnistes, parce que le mot ne signifie rien de précis. La critique peut le prendre dans deux sens; au sens d’une technique spéciale il est possible de séparer nettement les impressionnistes des autres indépendants qui encoururent avec eux les colères des jurys: au sens d’une opposition à l’idéal d’école, on trouve dans ce grand mouvement des hommes aussi éloignés que Fantin-Latour et Sisley, Degas et Monet. Comment qualifier d’école une réunion d’hommes dont le principe est de n’en reconnaître aucune, ni parmi eux ni au dehors? L’impressionnisme est une protestation, un symptôme psychologique, mais non pas une école; la très précise révolution technique à laquelle son nom reste attaché n’a préoccupé qu’une partie de tous les artistes qui s’agrégèrent à la révolution d’idées qu’il représentait.
Ces artistes allaient, pendant trente années, réaliser un immense ensemble d’œuvres sous cette dénomination fortuite et vague, obéir à l’instinct créateur, sans autre dogme que l’observation passionnée de la nature, sans autre solidarité que des sympathies individuelles, en face de l’enseignement disciplinaire des académies.