Читать книгу De l'abstinence des alimens - Cesar Gardeton - Страница 3
DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
ОглавлениеON s’est élevé de tout temps contre les écrivains qui mettent la médecine à la portée des gens du monde; et c’est avec raison pour ce qui regarde la méthode curative, ou la partie la plus difficile de notre art. Que pourrait y comprendre le lecteur? s’il parvient à retenir le nom de quelques maladies dont il a su distinguer les symptômes dominans, s’il associe ensuite à cette idée celle d’un remède qu’il a vu réussir dans un cas analogue, voilà tout ce qu’on peut espérer. Le reste n’est pour lui qu’une source d’erreurs plus ou moins dangereuses, puisqu’elles ne servent qu’à l’égarer. Se permettrait-il, avec ces notions superficielles, de donner un avis, quand il ne connaît ni les organes, ni leurs fonctions, ni les parties lésées, ni la nature de leur lésion; ni la marche, les symptômes, les causes de la maladie, ni les modifications que font éprouver à celle-ci, le tempérament, l’âge, le sexe, les habitudes, la vie de l’individu; lorsqu’il ignore enfin, la préparation et la propriété des remèdes? Il est prouvé qu’il ne réussirait que rarement. On ne peut tolérer aujourd’hui ces sortes d’écrits qu’en faveur des personnes officieuses qu’un zèle louable porte à secourir, dans les campagnes, les malheureux dénués de toute autre ressource; et qui se font un cas de conscience d’aventurer la vie d’un malade, toutes les fois qu’elles ont la possibilité de le confier à un médecin. Hors ces circonstances fâcheuses, qui disparaîtront dès que le Gouvernement aura placé des médecins dans toutes les contrées du royaume, il n’y a qu’une coupable témérité à proposer des remèdes que l’on connaît à peine. Tel est cependant l’abus de ces livres de médecine populaire, qu’ils ne servent en général qu’a favoriser le charlatanisme et à tromper le peuple.
On n’en dira pas de même de celui que je publie: il ne s’agira ici que d’une partie de l’hygiène, ou de l’alimentation. Tout homme doit s’étudier, s’observer, se connaître soi-même, afin de satisfaire au sentiment naturel qui le porte à veiller à sa conservation; et il n’y parvient qu’à la faveur de cette science. Il y a long-temps qu’on l’a mise au rang de celles qu’il faut enseigner à la jeunesse. Les élèves doivent s’en occuper après les études de latinité, lorsqu’ils commencent à penser mûrement, et qu’ils sont près d’entrer dans le monde, où ils seront plus livrés à eux-mêmes. Mais elle fixera particulièrement l’attention des pères de famille, chargés de diriger les premiers pas de leurs enfans, de leur fortifier le corps, de former leur caractère, même dès l’âge le plus tendre, et de jeter les premiers fondemens des bonnes mœurs. C’est donc rendre un service au peuple que de la propager, et d’en répandre les traités généraux ou partiels.
Les choses dont on fait un usage habituel sont souvent celles que l’on connaît le moins: les alimens nous en offrent la preuve. Lorsqu’ on s’est assuré qu’une substance n’est pas vénéneuse et qu’elle peut servir de nourriture, on ne cherche guère plus qu’à la rendre agréable par les apprêts, et on l’emploie jusqu’à ce qu’elle cause quelque indisposition qui oblige à la prendre avec plus de réserve. Chaque famille, chaque contrée, chaque peuple, a ses alimens de prédilection, qui se transmettent d’âge en âge. Si l’on profite parfois d’une découverte, ce n’est guère sans en abuser, et cela doit être, puisqu’on ne réfléchit pas assez sur le genre de vie qu’il faut préférer. L’hygiène aussi a son empirisme. Les hommes versés dans cette science sont au vulgaire ce que les vrais médecins sont aux médicastres: le nombre de ceux qui savent choisir leurs alimens est le plus petit.
On ne cherche pas assez à connaître la nature du besoin de se sustenter. A voir les soins que les hommes mettent à satisfaire leurs désirs, on peut croire que l’espèce serait bientôt perdue, si l’instinct ne suppléait pas la raison. Vainement il les porte à s’abstenir des alimens; loin de le suivre comme le font les enfans et les animaux, ils le forcent au silence en excitant l’estomac par des apprêts de haut goût. L’appétit se trouve-t-il saturé , on cesse de manger, sans penser que cette abstinence est aussi nécessaire que les repas; qu’il est utile de la prolonger même quand la faim se manifeste de nouveau; et que, dans tous les cas, elle est préférable aux alimens. On voit enfin tous les jours les suites douloureuses de l’intempérance et les bons effets du jeûne, du maigre et du Carême, et l’on reste indifférent! Que dis-je! les deux routes ouvertes, la plus dangereuse est celle que l’on suit. Les préceptes de l’Eglise sont abandonnés, comme s’il ne s’agissait pas de la culture de l’homme et de sa conservation, de son perfectionnement au moral ou au physique, et de son bonheur le plus réel.
N’en doutons point, cet éloignement de l’abstinence réglée ne vient que du défaut d’instruction. L’homme cherche sans doute à s’éclairer, mais il lui était difficile jusqu’ici d’acquérir les connaissances dont il avait besoin. Elles n’étaient point à sa portée.
Ce travail manquait à la médecine, lorsque j’en conçus le dessein. En réfléchissant sur la répugnance que bien des personnes ont à s’imposer des privations, je pensai que le meilleur moyen de les y déterminer était de leur en démontrer les avantages, et sur tout de leur prouver que les préceptes de l’Eglise n’ont rien de contraire à la loi naturelle et à l’hygiène. Il me parut que, dans cette circonstance, l’hygiène et la religion pouvaient se prêter un mutuel secours; celle-là, en expliquant les phénomènes de l’abstinence, et la déduisant des lois de la nature; celle-ci interposant son autorité suprême pour exiger des privations qu’on n’obtiendrait jamais de l’intérêt personnel.
Le plan était vaste; mais, pour ne pas fatiguer le lecteur, j’ai cru devoir me renfermer dans l’exposé le plus succinct des vérités essentielles que j’avais à faire connaître. Voici l’ordre que j’ai suivi: il offre,
1.° Une idée générale de l’abstinence, considérée dans les sens et dans les forces vitales;
2.° La diététique des peuples, qui prouve que l’homme peut se nourrir de végétaux et de poissons, et que l’abus des viandes a eu, dans tous les temps, les suites les plus funestes;
3.° Ce qu’il faut entendre par besoin, aliment, boisson, digestion, assimilation, alimentation;
4.° L’examen des différentes abstinences selon l’hygiène, et du jeûne, du maigre et du Carême, suivant l’Eglise;
5.° Les exceptions que présentent ces règles générales;
6.° L’exposé détaillé des alimens maigres, de leurs propriétés, de leurs apprêts, des boissons et de leur usage;
7.° Enfin, le tableau des substances alimentaires et des boissons, avec l’énoncé de leurs propriétés et de leur emploi dans le régime.
Cet ouvrage n’est pas le premier qu’on ait publié sur l’abstinence et sur le maigre. J’ai marché sur les traces de MM. Hequet, Winslow, Andry, et d’autres savans distingués. Les préceptes de l’Eglise, à ce sujet, n’ont jamais trouvé de détracteurs parmi les gens de l’art; ils ont, au contraire, reçu dans tous les temps l’approbation la plus éclairée. Qui pourrait méconnaître les inappréciables avantages de l’abstinence, tandis que l’expérience les confirme chaque jour, et qu’on voit, dans les lois de la vie, l’absolue nécessité de la pratiquer? En craindrait-on l’abus? c’est un prétexte trop vain. L’homme peut abuser de tout ce qui est à sa disposition, plutôt que des privations, qui sont elles-mêmes en opposition avec presque tous les excès; et, d’ailleurs, sa conduite n’est-elle pas soumise à des règles dont il ne saurait s’écarter qu’a son détriment?
«M. Grant approuve les lois diététiques de l’Eglise-Romaine: et en cela il a raison,» dit Zimmermann. Et quelle autorité que celle d’un Anglican et d’un luthérien, à qui la force de la vérité arrachait un pareil aveu! En émettant leur opinion, ces deux illustres savans étaient bien assurés qu’elle ne serait jamais démentie. Ils étaient l’un et l’autre profondément versés dans la diététique: Zimmermann nous a laissé, sur cette branche de la médecine, un Traité qu’on lira toujours avec le plus vif intérêt; Grant s’était fait distinguer parmi les plus célèbres praticiens de Londres. Ils avaient donc pu concevoir toute l’importance des privations régulières; et ils ne les ont recommandées qu’après un examen mûri dans l’expérience.
Mais, eussé-je été privé de l’opinion des grands maîtres, l’état actuel de nos connaissances et des lumières généralement répandues, m’aurait suffi pour démontrer par le simple raisonnement et par les faits sur lesquels je l’ai fondée, toute la valeur hygiénique des préceptes de l’Église sur le jeûne et le maigre, tels qu’ils furent institués dans un temps où la médecine ne permettait pas de les approfondir comme à présent.
J’ai écrit cet ouvrage pour les gens du monde, et peut-être plus encore pour les hommes de l’art, qui n’ont pas pris la peine de diriger leurs recherches sur les alimens, d’une manière aussi spéciale que je l’avais fait pour moi. On aime les chemins tracés. Nos Traités des Alimens sont si incomplets, ils offrent tant de lacunes, que mon travail pourrait paraître neuf, sous plusieurs rapports; mais mon ambition ne va pas jusques là. Si ma doctrine est orthodoxe, si mes idées ont été assez claires pour être bien saisies, j’aurai atteint le but que je me suis proposé , celui d’être utile.