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PREMIÉRE PARTIE
CHAPITRE IV
ОглавлениеDes Eunuques qui sont nez tels
IL semble qu'il ne soit point impossible que certaines créatures humaines viennent au monde destituées des parties qui servent à la génération. On voit tous les jours des enfans qui naissent sans yeux, sans oreilles, sans mains, ou sans quelqu'autre partie du corps, il peut aussi aisément arriver que quelques-uns naissent dépourvûs de celles dont il est ici question. La Nature qui produit tous les jours tant de monstres pourroit bien en former un de cette espéce; cependant les Naturalistes disent qu'il n'y en a point d'éxemple. Et en effet, Pline qui rapporte éxactement & amplement33 les figures humaines monstrueuses dont le nombre & la diversité sont grands parmi tous les Peuples, ne parle point de celles dont il s'agit ici; Je puis dire néanmoins que j'en ai vû une, & peut être a-t-elle été vûë de toute l'Europe; car ses parens ayant remarqué que le Public avoit de la curiosité pour un corps humain aussi singulier que l'étoit celui dont je vai parler, & qu'ils pouvoient amasser beaucoup d'argent en le menant de lieu en lieu & de Païs en Païs, l'ont sans doute porté par tout. Il étoit à Berlin en l'année 1704. C'est un cul de jatte qu'un homme portoit sur le dos dans une boëte; avec cette différence, qu'au lieu que ceux qu'on nomme ainsi n'ont ni jambes, ni cuisses, dont ils puissent se servir, & qu'ils marchent sur leur derriére enfermé dans une jarre, celui-ci n'a pas même un derriére, c'est à dire de fesses; Il a la tête bien faite, le visage beau & doux, le tein brun & les cheveux chatains; mais quoi qu'il ait eu alors plus de vingt ans, il n'avoit point de barbe, ni aucune apparence qu'il en auroit un jour. Il avoit des bras & des mains fort bien proportionnez, son corps étoit assez bien fait, il étoit de la hauteur d'environ deux à trois pieds; c'étoit par le bout d'en bas une espéce de tronc, il marchoit avec ses mains; il avoit deux conduits comme les autres hommes par lesquels la nature se déchargeoit de ses excrémens, celui de devant étoit fort court & fort petit, & au dessous il y avoit un suspensoire flasque & flêtri dans lequel il n'y avoit aucun Crémastére. Je m'informai fort particuliérement de ses parens s'il étoit né ainsi, ils m'assurérent qu'il étoit absolument tel que la nature l'avoit formé. Comme je sçai qu'il ne faut pas toûjours mal juger de la virilité d'un homme, lors qu'on ne lui trouve point de Crémastére au dehors, parce qu'il arrive quelque fois que quoi qu'ils soient demeurez au dedans, & qu'ils ne soient point descendus dans les suspensoires par des obstacles qui se sont opposez à leur sortie, les hommes, néanmoins, qui les ont ainsi cachez ne laissent pas d'être aussi parfaits que ceux qui les ont au dehors: qu'ils sont forts & vigoureux, & qu'ils ont tous les autres signes nécessaires pour prouver la virilité de l'homme, j'éxaminai fort éxactement ce cul de jatte, & lui trouvant d'ailleurs toutes les marques d'un véritable Eunuque, j'en conclûs qu'il l'étoit en effet & qu'il a été produit tel par la nature dans le sein de sa mére. Ainsi voila une preuve qu'il y a des Eunuques qui naissent tels, quoi qu'en disent les Naturalistes, & particuliérement Pline dans le chapitre second du septiéme livre de son Histoire du Monde.
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Liv. 7. ch. 2.