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DESCRIPTION DU GRAND AQUARIUM
ОглавлениеCe vaste aquarium, qui occupe dans son ensemble une superficie de 680 mètres, est situé au rez-de-chaussée, sur le boulevard Montmartre, entre la rue Richelieu et la rue Vivienne; il se trouve, par conséquent, au centre même de Paris.
La façade présente, au milieu, une grille de fer qui précède la porte d’entrée; de chaque côté de cette grille sont établis trois bacs formant de petits aquariums construits en verre et en ardoises avec rochers; cinq de ces bacs contiennent de l’eau douce; le sixième, placé au milieu du groupe gauche, renferme de l’eau de mer. De chaque groupe s’élève un support à feuilles d’acanthe qui se termine par six plates-formes ornées de beaux vases de cristal et de grands pots de fleurs au-dessous desquels sont suspendus de jolis petits ballons de verre. Les végétaux et les animaux contenus dans ces aquariums de fantaisie, ou de luxe font de ces supports de véritables candélabres vivants. — De chaque côté, deux autres supports, fixés dans la muraille, présentent d’élégantes et riches potiches garnies de végétaux et de fleurs. Enfin la devanture est fermée par de grandes glaces mobiles qui permettent aux promeneurs du boulevard de voir les collections d’aquariums de toutes dimensions, de toutes formes et de tous prix, rangées sur les étagères de deux magasins de vente dans lesquels on pénètre en franchissant la grille.
Cette entrée est libre.
Le magasin de droite est affecté aux aquariums d’eau douce; celui de gauche aux aquariums d’eau de mer.
En suivant le couloir qui conduit à ces deux magasins, l’on arrive à l’ouverture d’une vaste grotte mystérieusement éclairée, et l’on passe, à droite, dans un tourniquet pour pénétrer dans la galerie d’entrée.
L’on se trouve alors au milieu de rocailles ou de rochers bizarrement découpés, arrondis ou émoussés par l’action des eaux; ils semblent avoir été creusés dans le roc par la vague ou le flot. Là, un beau bassin contenant de grands animaux, tels que marsouins, raies, turbots et congres, se développe au niveau du plancher; ce bassin, de forme elliptique, entouré d’une pittoresque galerie en ciment-bois-rustique, est alimenté par une cascade d’eau de mer.
J’ai beaucoup voyagé, j’ai exploré bien souvent les îles et le littoral de l’Océan, et je n’ai jamais vu les eaux de la mer tomber en cascade; il faut venir sur les bords de la Seine, au milieu de Paris, pour pouvoir contempler cette merveille.
Dans sa chute, la nappe d’eau reçoit les rayons de feux colorés dont les puissants réflecteurs donnent à tout l’ensemble un aspect magique. A la hauteur même de la chute, une faille de rocher laisse voir, dans une fantastique lumière, un groupe de poissons qui semblent lutter contre le flot pour ne pas se laisser entraîner.
Dans le bas, la surface et l’intérieur du bassin reçoivent à travers l’eau une lumière douce, mais assez vive pour que l’œil puisse suivre les évolutions des grands animaux rassemblés dans cette petite baie.
A droite, les parois de la grotte offrent, dans leurs enfoncements rocheux, trois petits bacs d’eau douce garnis de végétaux et d’animaux divers, et éclairés par des becs de gaz dissimulés dans l’enrochement. L’eau s’écoule, en murmurant, par un ruisselet qu’elle semble avoir creusé dans la pierre.
En suivant la galerie d’entrée, l’on trouve, à droite, le grand bac n° 1 qui commence la série des viviers spécialement affectés aux productions marines.
Ces viviers ont une forme à peu près rectangulaires. Le devant, c’est-à-dire la paroi qui donne du côté de la galerie, est en cristal bien blanc, parfaitement poli, pour laisser voir facilement tout l’intérieur; les trois autres parois et le fond sont en ardoises d’Angers ou en béton Cognet.
Dans l’organisation de ces prisons de verre, l’on a pris des dispositions très-ingénieuses. Les animaux aquatiques ont, comme tous les autres êtres de la création, besoin de repos; et une lumière de longue durée, surtout si elle est vive et directe, peut les fatiguer et les incommoder. Pour leur donner des abris à leur convenance, et pour compléter la décoration intérieure, l’on a construit, dans chaque bac, des rochers d’un effet très-pittoresque et dont les pierres ou rocailles sont artistement et habilement disposées en amphithéâtres, en pyramides, en voûtes ou en petites grottes, de manière à ce que les animaux, même quand ils veulent éviter une lumière trop vive, viennent toujours se placer sous les yeux de l’observateur. Ces rochers produisent, d’ailleurs, un effet d’optique très-remarquable: la surface de l’eau, faisant l’office d’un miroir, reproduit à l’œil l’image renversée de tout l’intérieur des bacs; l’illusion est complète, et l’on croit avoir, devant soi, de véritables cavernes sous-marines.
Sur les rochers, s’étalent ou s’élèvent diverses espèces de plantes aquatiques, ou bien se reposent divers animaux aux formes et aux couleurs les plus variées.
Le fond est garni d’une couche de sable, de graviers ou de galets sur lesquels certaines espèces aiment à se frotter, ou même à se fixer, et sous lesquels d’autres espèces cherchent à se blottir ou à se cacher.
Au milieu de tout cet ensemble, de petits mollusques ou coquillages s’allongent et cheminent avec lenteur; des langoustes et des homards, hauts sur pattes, se promènent avec un certain air de gravité et de dignité ; des crevettes folâtres, vives et diaphanes, bondissent sur le sable ou sur les arêtes des rochers; des crabes semblables à de grosses araignées courent de côté, déchirant et dévorant ce qu’ils peuvent saisir; le bernard-l’ermite se tient blotti dans la coquille dont il s’est emparé, et traîne tout échevelée l’anémone de mer qui s’est fixée sur cette coquille; des poissons plats ou ronds, trapus ou allongés, lents ou alertes, circulent dans tous les sens et font ondoyer gracieusement les rameaux fins et déliés des plantes aquatiques; des anémones ou actinies étalent leurs riches collerettes, dont les pétales se meuvent et se contractent aux moindres mouvements de l’eau et au plus léger frottement de corps étrangers; semblables à de gigantesques fleurs de cactus, brillantes des plus ardentes couleurs, ces roses de la mer ornent les anfractuosités des rochers de leurs couronnes de tentacules, ou s’étendent au fond comme un parterre de renoncules variées; les clochettes blanches ou bleuâtres des méduses, semblables à des champignons de gélatine, flottent à travers ce monde enchanté ; puis, la pieuvre, dont la respiration toujours haletante trahit la voracité et la cruauté, se tient blottie et roulée dans une cavité, ou aplatie sur le sable, jusqu’au moment où elle allonge et lance comme un trait, pour saisir une proie, ses tentacules armées de puissantes ventouses.
Ces scènes et ces drames de la vie aquatique sont-éclairés, naturellement ou artificiellement, soit par le haut, soit par les parois latérales; mais la lumière n’arrive jamais à l’œil de l’observateur qu’après avoir traversé la nappe d’eau, et laisse ainsi toute l’étendue des galeries dans une demi-obscurité.
A partir du bac n° 1, une élégante et solide balustrade eh acajou verni, qui règne d’un bout à l’autre des galeries où sont établis les grands bacs, tient les visiteurs à une distance convenable et leur permet, en leur offrant un point d’appui et de repos, de contempler à loisir les merveilles de la vie aquatique.
Entre la balustrade et les vitrines, l’on a disposé, en plan incliné, des séries d’étiquettes mobiles portant les figures et les noms des plantes et des animaux contenus dans chaque bac. A l’aide de ces étiquettes, qui forment une espèce d’inventaire ou de répertoire, il est facile de se reporter aux descriptions de la notice ou aux ouvrages spéciaux d’histoire naturelle.
Entre les bacs nos 2 et 3, se trouve l’entrée d’une rotonde dont le pourtour est garni de six bacs d’eau douce portant les nos 14, 15, 16, 17, 18 et 19; entre les nos 16 et 17, une élégante étagère supporte des appareils d’éclosion pour les animaux fluviatiles. Le milieu de celle rotonde est occupé par un bac octogone où circule dans tous les sens une multitude de petits poissons étincelants, tantôt d’un éclat métallique rouge ou brun, tantôt du plus éblouissant reflet d’argent. Au centre s’élève un groupe de rochers supportant un beau globe lumineux entouré de grands végétaux aquatiques.
Cette rotonde est, d’ailleurs, richement décorée par les bambous qui encadrent les bacs et par les toiles peintes qui forment le plafond; c’est un modèle de goût et d’élégance.
En sortant de la rotonde, l’on aperçoit, dans un lointain féerique, la grotte lumineuse devant laquelle on arrive en suivant la galerie des bacs nos 4 et 11.
L’on se trouve alors au milieu d’une grotte entièrement formée de stalactites sur lesquelles on reconnaît, comme dans les grottes les plus anciennes, l’action du temps et celle des eaux d’infiltration. Au fond, une cascade d’eau douce jette, dans un grand bassin circulaire, plus de 500 mètres cubes d’eau par jour. Les feux qui viennent éclairer cette belle nappe donnent aux parois et au plafond de la grotte un aspect fantastique; et l’on ne sait, à travers ces rayons de mille couleurs qui s’entrecroisent, si l’on assiste à un splendide coucher du soleil, ou aux lueurs et aux jets flamboyants d’une aurore boréale. Dans le bassin, les plantes et les animaux sont merveilleusement éclairés par les feux placés au-dessus et au-dessous de la chute d’eau.
En quittant cette grotte, l’on entre dans une galerie formée par six grands viviers d’eau de mer, à droite les nos 5, 6 et 7, et à gauche les nos 8, 9 et 10. Le n° 6 a des dimensions tout à fait exceptionnelles; sa capacité est de 10,000 litres et sa longueur de 4 mètres 57; cette dimension est à peu près le double de celle des plus grands viviers qui ont été construits jusqu’à ce jour dans les aquariums d’Europe. Il paraît matériellement impossible de dépasser cette limite; car ce n’est qu’avec des difficultés extrêmes que l’on a pu se procurer la glace qui forme le devant de ce bac.
A la suite des nos 7 et 8 se trouve la galerie de sortie. Les enfoncements rocheux de la partie droite présentent trois petits bacs d’eau de mer garnis de végétaux et d’animaux divers; ils sont, comme ceux de la galerie d’entrée, éclairés par des becs de gaz dissimulés dans les enrochements, et l’eau s’en écoule par un ruisselet qui se rend dans le grand réservoir d’eau de mer.
Dans cette promenade à l’intérieur de l’aquarium, on peut réellement se croire sous l’eau, au milieu de la mer, confortablement établi dans une vaste cloche à plongeur. Les galeries, en effet, n’ont point de fenêtres; elles ne sont éclairées que par la lumière naturelle ou artificielle qui pénètre à travers l’eau des viviers; il en résulte un demi-jour bleu-verdâtre, uniforme, mystérieux, qui donne une idée exacte des faibles clartés sous-marines. Ce système d’éclairage est d’ailleurs d’un effet saisissant, et produit une illusion singulière. Le regard n’étant point distrait par les objets environnants, l’attention se concentre tout entière sur le polyorama vivant qu’on a sous les yeux.
A l’extrémité de la galerie de sortie, l’on se retrouve sur le pourtour du bassin de la cascade marine que l’on avait suivi, dans sa partie gauche, en entrant dans l’aquarium; et, avant de quitter cette vaste et mystérieuse grotte sous-marine, l’œil et la pensée se reportent avec étonnement et admiration sur toutes ces splendeurs du monde de la mer.
On entre ébloui, on sort émerveillé.