Читать книгу Le Reliquaire de M. Q. de La Tour, peintre du roi Louis XV - Charles Desmaze - Страница 13
ОглавлениеLETTRE DE DEMOURS A DE LA TOUR .
Je devrois actuellement, mon cher ami, être bien près de votre bonne ville, et pour mon malheur, me voilà encore à Avignon. Ce ne sont ni mes affaires, ni mes plaisirs qui m’y retiennent. C’est le temps, qui est ici le plus mauvais qu’on aie vu depuis bien des années. Il y a six pieds de neige sur la route de Lyon, et nous en avons eu notre part, qui est tombée par un vent du Nord des plus piquants, et qui ne paroît pas prête à fondre. Je ne trouve ni compagnon, ni voiturier, qui veuille s’hazarder à faire le voyage. De sorte que, je ne pourrai partir que quelques jours après le dégel. Mon départ est donc encore incertain, et cette incertitude me désole. Mettez-vous à la place d’un Homme qui s’ennuie, qui est loin de chez soi, et qui sent que ses affaires souffrent de son absence. Il n’est point de jour que je ne fasse des vœux pour les galeries du Louvre, et pour la vie des bons enfants.
Les oliviers ont beaucoup souffert ici, peut-être sont-ils morts. On en paroît si persuadé, qu’on a renchéri l’huile de la moitié. Heureusement j’en avois fait une petite provision, qui doit être arrivée à Paris depuis quelques jours.
Pour me distraire de l’Ennui qui me dévore, je vais vous parler de la fontaine de Vaucluse, qu’on met au rang des sept Merveilles du monde, et qui je crois n’y figure pas mal. Je regrette beaucoup, que le Hazard ou la Curiosité, n’ayent pas conduit Bachaumont et Chapelle à Vaucluse. Ils auroient trouvé de quoi exercer leur pinceau. Que n’ai-je le talent de peindre comme eux! Je repandrois dans ma description ces graces qui leur sont si naturelles, et qui conviendroient si bien dans un sujet, tel que celui-ci, où il est question de peintre la Nature, mais la Nature dans son plus beau. Je vous transporte d’abord à la fontaine.
Un Rocher des plus secs qu’on puisse voir, s’élève perpendiculairement à perte de vue. Il y a au pied de ce Rocher, dont la face est un peu concave, un espace d’environ 15 à 20 toises de long sur un peu moins de large. Cet Espace qui est un ovale terminé en pointe par ses deux extrémités et un peu applati du côté du rocher, est occupé par un bassin, dont la plus grande moitié représente parfaitement le pavillon d’un entonnoir. L’autre est inégalement arrondie et perpendiculaire comme le rocher. Le fond de ce bassin est occupé par un gouffre, situé en partie sur le rocher, et dont on n’a jamais pu atteindre le fond, quelque quantité de corde qu’on y ait jettée. Ce Gouffre est toujours plein de l’eau la plus pure, et la plus limpide qu’on puisse voir. Le terrain qui conduit jusqu’au bord de l’Eau est en pente assez rude, mais non pas impraticable. Il est assez uni, formé de morceaux de rochers, et tel qu’il faut y descendre avec beaucoup d’attention, et à petit pas, car si le pied manquoit, il ne seroit plus question de vous. L’eau de ce gouffre n’a jamais tari; mais le bassin se trouve quelques fois plein à verser, et d’autres fois l’eau y est extrêmement basse, sans qu’on ait jamais pu sçavoir ni le pourquoi, ni le comment. Je soupçonne que les neiges du mont Ventous, le plus haut des environs y contribuent beaucoup, quoique cette montagne en soit éloignée d’environs 5 lieues. La raison en est que la fontaine de Vaucluse est ordinairement fort haute lors de la fonte des neiges, et fort basse dans les mois d’Août et de Septembre. Sur ce soupçon j’oserois presque prédire qu’elle versera cette année au mois d’avril ou de Mai, attendu la prodigieuse quantité de neige qui est tombée non seulement sur le Mont Ventous, et sur les montagnes voisines, mais encore dans la plaine, où on en voit rarement.
Quand la fontaine verse, elle monte jusqu’à un figuier qui a pris naissance dans la roche même, où sûrement personne ne s’est avisé de l’aller planter. On l’a vuë quelques fois si basse, qu’elle est descenduë à 11 Toises de cet arbre, et alors elle ressemble à un puits; et laisse la liberté d’entrer dans une Caverne assez grande pratiquée naturellement dans le rocher, dont le sol est en glacis, et où il est dangereux d’entrer, par la difficulté qu’on a d’en sortir. Autour de ce bassin, est un petit chemin en dos d’âne, fort étroit dans l’endroit qui est vis-à-vis le lit de la Rivière à laquelle la fontaine de Vaucluse donne naissance, un peu plus large ailleurs. Quand cette source enfle, au point de verser par dessus les bords de son bassin, elle se précipite à travers mille quartiers de pierre qui se sont détachés des rochers voisins, dont quelques uns menacent encore d’une chute prochaine, et font trembler les passants. Je n’ai point vû le bassin verser, mais quand on est sur les lieux, on se représente sans peine l’effet que doit produire à travers un si grand nombre de rochers, dont les uns se touchent par quelques’uns de leurs angles, et les autres ne laissent entre eux qu’un espace de quelques pouces, une si prodigieuse quantité d’Eau, qui tombe dans un lit dont la pente est extrêmement roide. Mon imagination a été si loin, que j’ai été saisi d’une secrete horreur, à l’idée seule du bouillonement, du bruit épouvantable, et de l’écume que doit faire cette eau dans sa chûte, et j’ai vû des momens où je cherchais des yeux un azyle sûr contre ce torrent impetueux. Quel spectacle! Quelles cascades! Les Cataractes du Nil, offrent-elles rien de semblable? J’oublie de vous dire, que tous les rochers qui sont dans le lit de cette rivière, sont autant d’Emeraudes, c’est-à-dire qu’ils sont tous couverts de mousse, de façon qu’on ne voit la pierre nulle part.
Le 20 du mois de février dernier l’eau étoit à environ 15 pieds du Figuier. Il n’y avoit point de neige sur les rochers, ni sur les montagnes voisines, quoique celles de Provence et de Dauphiné en fussent couvertes.
Je vous ai d’abord transporté à la source même. Mon avide curiosité ne m’a pas permis de vous faire rien observer sur la route, autrefois impraticable depuis le pont de Vaucluse, jusqu’à la fontaine, mais réparée aujourd’hui, de façon qu’on peut y aller à cheval, et que les carosses en approchent d’environ 5o pas.
En descendant le long du lit de cette rivière, on voit sortir l’eau de tous côtés. Ici c’est un filet d’eau, et là un torrent impétueux, qui sort de dessous vos pieds, qui bouillonne en sortant et qui paroit se réduire en neige, tant l’Ecume en est blanche. Ces cascades sont en très grand nombre, et offrent un des plus beaux spectacles de la Nature. La pente du lit de cette rivière est si grande que l’Eau s’éloigne de sa source avec une impétuosité extraordinaire, qu’elle conserve longtemps. Le Rhosne, ce fleuve fougueux, dont l’aspect offre quelque chose d’effrayant, est tranquille en comparaison, de la rivière de Vaucluse.
Le lit en est tout jonché de plusieurs sortes de plantes aquatiques. Celle qu’on nomme la Berle, y domine sur toutes les autres, et dans les endroits où elle est naissante, son beau verd, vû à travers une eau aussi limpide que le crystal de roche, le plus pur, offre un coup d’œil ravissant. Imaginez-vous un ruisseau d’Emeraudes rendu liquides, et coulant très rapidement; dont le verd est fondu de côté et d’autre avec un semblable ruisseau de crystal de roche, le tout veiné de quelques filets de vif argent. La comparaison n’est pas outrée, et ces coups d’œil sont souvent répétés dans le cours de cette rivière, qui porte batteau à sa source, qui nourrit les meilleures anguilles qu’il y ait au monde, et une grande quantité de truites et d’Ecrevisses. Sur la droite de la rivière, est le village de Vaucluse, et entre ce village et la source un rocher très escarpé, au sommet duquel est un vieux château abandonné qui étoit autrefois la demeure de Petrarque et de Mad. Lora sa maitresse. A une heure et demie du chemin de Vaucluse, cette rivière se divise et se subdivise en 7 autres gros ruisseaux, qui tous peuvent porter de petits bateaux. C’est à Lile que se fait cette division, Lile, petite ville du Comtat dont les dehors sont enchantés. Ce n’est partout que ruisseaux de crystal. Chaque particulier en a un qui entoure son prés, sa terre, sa maison de campagne. On ne voit partout que cascades, que petites cataractes. Les chemins y sont de belles promenades. Mais il ne faut point entrer dans la ville, qui est fort sale, et mal batie, et dont les Habitans perpétuellement enveloppés dans les vapeurs que fournissent ces différents ruisseaux, sont aussi froids, qu’on est vif dans tout le reste du Comtat et de la Provence.
Je vous embrasse et suis
DEMOURS .
A Avignon, ce 11 mars 1748.