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MM Alfred du Graty.--Martin de Moussy.--Santiago

Arcos.--John Le Long.

Au début des hostilités engagées entre le Brésil, Buenos-Ayres, Montevideo et le Paraguay, la presque totalité de la presse européenne se contentait d'enregistrer les hauts faits des armées alliées, dont le récit lui était transmis par des correspondances peu scrupuleuses. Quant à discuter le droit que pouvait avoir le Paraguay à lancer ses bataillons en avant; quant à déterminer le but qu'il poursuivait dans cette guerre, aucune feuille, prétendue sérieuse, ne daignait s'en occuper.

Le Brésil, pays des diamants et des esclaves, était connu en Europe comme un grand empire possédant des ressources immenses. Son union avec deux des républiques platéennes ne laissait point de place au doute sur l'issue du conflit.

La marche des confédérés devait être moins une périlleuse expédition contre un infime ennemi, qu'une simple promenade militaire 1.

Note 1: (retour) Ces trois mots sont textuellement extraits d'une dépêche de M. Andrês Lamas, ministre de l'Urugay à Rio-de-Janeiro, adressée à M. Albuquerque, ministre des affaires étrangères du Brésil, à la date du 28 février 1867.

Le président Mitre, commandant en chef des forces alliées, n'avait-il pas déclaré en plein congrès que, dans trois mois, le drapeau argentin flotterait sur les remparts de l'Assomption, capitale du Paraguay?

Et les feuilles européennes d'accueillir avec une entière confiance ces rodomontades officielles et de les propager dans leurs colonnes; sans se douter que cet Etat, si dédaigné, réservait de cruelles déceptions à ceux qui venaient l'attaquer.

La question paraguayenne n'existait pas encore pour la presse du Vieux Monde.

En Angleterre, un seul journal, le Daily-News, avait pris ouvertement parti pour la vaillante petite république; en France, une feuille estimée de province, la Gazette du Midi, et un organe libéral de Paris, l'Opinion Nationale, s'étaient faits les avocats de cette même cause.

Tous les autres journaux, de ce côté et de l'autre côté de la Manche, ou bien ne se préoccupaient guère d'un conflit dont ils ne comprenaient pas l'importance, et qui, du reste, devait être incessamment étouffé par la main puissante de l'empire des noirs; ou bien n'avaient pas assez de railleries pour accabler cette Chine d'Amérique dont les habitants, pauvres Indiens asservis par les Jésuites, puis abrutis par Francia, se courbaient maintenant sous le féroce despotisme d'un dictateur idiot.

Le Brésil, dont la voix était exclusivement entendue, triomphait donc sur toute la ligne, lorsque l'Etendard, qui venait de prendre sa place parmi les feuilles parisiennes, entreprit de ramener l'opinion publique trop longtemps égarée.

Pour atteindre ce but il n'y avait qu'un moyen, moyen simple et facile, certes: c'était de consulter l'histoire et de donner la parole aux faits qu'elle avait gravés sur ses tables d'airain.

Les consciencieuses études qui parurent alors dans les colonnes de l'Etendard sur l'antagonisme de Buenos-Ayres et des provinces Argentines, sur les convoitises séculaires des Portugais et des Brésiliens, sur le rôle infâme--un rôle de traître--qu'acceptait, depuis douze ans, l'Oriental Florès, et, aussi, sur la noble, la généreuse mission que la déchéance momentanée des deux autres républiques Platéennes imposait à l'Etat paraguayen, firent circuler la lumière à travers l'ombre épaisse qu'amassaient à l'envi des correspondances datées de Buenos-Ayres et de Rio-de-Janeiro.

Les protestations furibondes, les calomnies extravagantes, les affirmations éhontées qui éclatèrent alors sur toute la ligne des feuilles dévouées, attestèrent que les révélations de l'Etendard avaient produit leur effet.

La polémique de ces feuilles, dédaigneuse et arrogante auparavant, était devenue tout à coup acerbe, injurieuse, grossière même.

Cela devait être.

Le voile étendu systématiquement sur les causes réelles du conflit platéen avait été déchiré; conséquemment, l'opinion, désormais avertie et peu à peu édifiée, commençait à prendre parti contre l'empire esclavagiste et contre ses imprudents alliés.

Ce revirement de l'esprit public, d'autant plus sensible qu'il était moins prévu, ne pouvait manquer de porter à son comble l'irritation des plumes qui s'étaient maladroitement compromises, ou qu'on avait audacieusement fourvoyées.

Nous n'aurions relevé que d'une manière générale les écarts de langage de la presse acquise à la triple alliance, si une des nouvelles recrues de cette presse n'avait dépassé dans ses articles toutes les bornes de la discussion décente, toutes les limites du droit commun et des plus simples convenances.

Oublieux du mot--si profond--de Talleyrand: «Surtout, Messieurs, pas de zèle;» et afin, sans doute, de donner à ses patrons un gage plus éclatant de son dévouement, la recrue dont il s'agit a cherché à passionner le débat, en y introduisant des personnalités d'un goût détestable et qui voulaient être blessantes.

Nous ne savons plus dans quel ouvrage se trouve cette formule axiomatique:

«De si haut qu'elle tombe, chaire ou tribune, une parole ne produit son effet qu'en raison de l'autorité morale qui lui appartient.»

On ne saurait mieux exprimer cette pensée, que le caractère d'un homme donne seul de l'autorité à ses jugements.

Or, dans un travail que la Revue Contemporaine a publié sous ce titre: le Paraguay, et avec ce sous-titre: la Dynastie des Lopez, un écrivain qui ne possède aucune notoriété, ni dans les lettres, ni dans les sciences, ni dans la politique, déverse à pleines mains l'injure et l'outrage sur la figure contemporaine la plus remarquable de l'Amérique du Sud, sur l'homme que le gouvernement français, par l'organe de son orateur le plus éminent, appelle un «héros» 2.

Note 2: (retour) M. Rouher. Discours prononcé au Corps Législatif, dans les séances de 19 et 20 mai 1868.

M. John (avons-nous affaire à un Anglais?) Le Long n'hésite pas à présenter le Paraguay comme étant le domaine d'une famille, et, comme tel, exploité à outrance par cette famille à laquelle il applique ironiquement cette désignation: Dynastie des Lopez.

L'accusation est formelle.

Sur quels documents? sur quels titres? sur quels faits s'appuie-t-elle?

Est-ce sur les connaissances personnellement acquises dans le pays même dont on apprécie l'organisation économique?

Non pas; M. Le Long avoue qu'il n'a jamais visité le Paraguay.

Est-ce sur l'ouvrage le plus complet qui ait paru dans ces dernières années, et dont l'auteur a parcouru en tous sens les régions dont il se proposait de faire connaître l'importance 3?

Nullement.

S'il avait lu le livre de M. du Graty, M. Le Long y aurait trouvé cette constatation, à savoir que, sous l'administration de celui qu'il appelle Lopez Ier, «la république du Paraguay prospérait visiblement; son commerce et son industrie avaient acquis une nouvelle importance; près de CINQ CENTS ÉCOLES PRIMAIRES donnaient l'instruction gratuite à plus de VINGT MILLE enfants...... et cet immense progrès matériel et moral du pays était l'oeuvre du président Lopez 4

Note 3: (retour) Dédicace de: la République du Paraguay, par M. Alfred du Graty. Bruxelles-Leipzig, 1862.

Note 4: (retour) Même ouvrage, page 84.

Nous ajouterons, pour notre compte, que ce même président, rendant un légitime hommage à la civilisation européenne, a envoyé de l'autre côté de l'Océan une centaine de jeunes gens, pensionnaires de l'État, pour compléter leur éducation dans les écoles universitaires de France, d'Angleterre et d'Allemagne.

Singulier moyen d'abrutir un peuple que de former des professeurs qui devront inoculer à ce même peuple les principes qui dirigent les sociétés modernes!

Notre contradicteur s'est bien gardé, avant de rédiger son acte d'accusation, de consulter M. du Graty; il a préféré se renseigner auprès de deux écrivains dont les attaches avec Buenos-Ayres sont notoires, et qui, dès lors, ne sauraient offrir toutes les garanties qu'on est en droit d'exiger de juges rendant un arrêt.

L'un, voyageur distingué sans doute, et auteur d'un volume estimé 5, avait été chargé par le gouvernement argentin d'explorer les territoires qui sont l'objet d'un litige entre ce gouvernement et celui du Paraguay. Ces territoires étant la légitime propriété de son pays, le président Carlos Lopez n'a pu permettre qu'ils fussent explorés au nom d'un État qui en revendiquait la possession. En conséquence, il en a interdit l'accès au mandataire officiel de Buenos-Ayres.

Note 5: (retour) Description géographique et statistique de la Confédération Argentine. Paris, 1860.

Naturellement, M. de Moussy a gardé rancune du procédé; naturellement aussi, n'ayant pas pu se rendre compte par lui-même des nouvelles conditions au milieu desquelles fonctionnait l'administration paraguayenne, cet écrivain a traité, dans son livre, les questions relatives au Paraguay (c'est M. du Graty qui parle) «d'après les données, ou suivant l'opinion du gouvernement qui l'avait commissionné.»

C'est sous cette double influence que M. Martin de Moussy a tenu la plume, et cette influence suffit pour expliquer la sévérité trop grande--M. du Graty dit: l'animosité--qu'accusent ses appréciations à l'endroit du gouvernement du Paraguay.

L'autre peut être plus justement récusé encore.

Le volume de M. Santiago Arcos 6 représente, à vrai dire, le prologue de la guerre actuelle. Inspiré par la politique exclusive des Porteños, ce volume a paru au début du conflit.

Note 6: (retour) La Plata, par Santiago Arcos. Paris. 1860.]

Le moment était bien choisi pour agir sur l'opinion dont on voulait capter les sympathies. Une fois ce premier succès obtenu contre le Paraguay, on poursuivrait hardiment, avec l'approbation des populations abusées, l'oeuvre d'iniquité dont on venait ainsi de préparer l'exécution.

M. Arcos est un ancien volontaire de l'armée de Buenos-Ayres. Il a assisté à la bataille de Cepeda, où les provinces, commandées par Urquiza, ont vaincu les troupes de leur intraitable capitale.

Après la défaite de Mitre, à Cepeda, M. Arcos reçut la mission de fortifier les défenses de Buenos-Ayres. Plus tard, il fut nommé secrétaire de la légation argentine à Washington. La presse de Buenos-Ayres a publié sa nomination.

M. Santiago Arcos est donc tout à la fois le soldat et l'historien des alliés.

En l'état, nous le demandons au lecteur, quelle autorité peut avoir son témoignage contre le président actuel de la République Paraguayenne?

C'est pourtant sur ce témoignage que s'est appuyé M. Le Long pour rédiger ses réquisitoires envenimés.

M. de Moussy, du moins, a eu le bon goût de rester dans les termes d'une discussion sérieuse; tout en condamnant les institutions qu'on lui a dit être mauvaises, il ne s'est point acharné contre les personnes.

Ainsi n'a pas agi M. Arcos, que possédaient, on est en droit de le croire, une curiosité malsaine et un parti-pris de dénigrement.

Sachant bien que les détails risqués feraient lire son ouvrage; convaincu, du reste, que la loi Guilloutet ne serait pas invoquée contre lui, cet écrivain n'a pas craint de pénétrer dans le domicile du maréchal Lopez, afin de mieux surprendre les secrets de ses habitants. Oubliant toute retenue, il a fini par déchirer brutalement le voile qui, pour tous les caractères dignes, protége l'intimité familiale.

L'exemple était, paraît-il, contagieux.

M. Le Long a franchi, après lui, le seuil de cette demeure que consacraient doublement l'amour et le travail; mais c'était pour y chercher le sujet de scandaleuses révélations.

Ni l'âge, ni le sexe n'ont trouvé grâce devant lui; il n'a pas eu plus de respect pour la mère vénérable, que pour la compagne dévouée du président paraguayen.

Comment, dès lors, le mérite et le patriotisme de ce président l'auraient-ils garanti contre les traits acérés de son calomniateur?

M. Le Long, il faut bien le constater, ne s'est même pas incliné devant la majesté de la mort!

Il a osé jeter l'insulte et l'outrage sur la tombe de Carlos Antonio Lopez! Confondant dans sa haine le père et le fils, il les a accusés tous deux d'avoir poursuivi l'oeuvre abrutissante de Francia; de donner l'exemple de l'immoralité; de ruiner le pays, en s'enrichissant. Ne tenant aucun compte du démenti formel que lui donnait d'avance M. du Graty, M. Le Long a eu le triste courage d'écrire cette phrase qui représente les deux Lopez comme les derniers des scélérats:

«Il n'y a guère de crime devant lequel ils aient reculé, lorsqu'il s'est agi d'augmenter leur colossale opulence.»

Ou bien ces paroles ne sont qu'une vaine déclamation qui manque absolument de portée, ou bien elles expriment réellement une opinion consciencieuse.

Dans le premier cas, nous n'avons pas à nous en occuper; dans le second, au contraire, nous avons le droit et le devoir de sommer celui qui les a signées de les appuyer de preuves précises, irrécusables;

Cette maison dont la raison sociale est Lopez ET Cie, et qui, pratiquant l'abominable système de Méhemet Ali, monopolisait toutes les denrées, tous les produits du Paraguay, où se trouve-t-elle? où est son siége? où sont ses comptoirs? avec qui fait-elle des affaires? quels sont ses correspondants?

Qu'on nous montre donc une pièce probante, facture ou bordereau, lettre de change ou acquit, qui émane de cette maison et qui porte le timbre social.

Si cette pièce avait pu être fournie, on l'aurait mise depuis longtemps sous les yeux de l'Europe qu'on abuse; on l'aurait opposée, comme un argument formidable, aux loyaux défenseurs du Paraguay.

Cette pièce, introuvable, certes, n'a figuré dans aucun volume, aucune brochure, aucun journal, par la raison bien simple que la maison Lopez et Cie n'a jamais existé que dans l'imagination enfiévrée de notre contradicteur.

Et pourtant les prétendus chefs de cette maison fantastique sont signalés à l'opinion comme «n'ayant reculé devant aucun crime pour augmenter leur colossale opulence!»

Lorsqu'on formule une accusation aussi monstrueuse et qu'on fait ainsi le procès aux morts et aux vivants, il est nécessaire, il est indispensable, il est strictement honnête, enfin, d'abriter son dire derrière le témoignage de l'histoire austère et impartiale. Quand ce témoignage fait défaut, de pareilles allégations s'appellent des calomnies; elles provoquent alors des protestations indignées qui couvrent de honte ceux qui les ont mises en circulation.

Egaré par l'excès de son zèle, M. Le Long n'épargne personne. Après avoir déversé sa bile sur la mémoire du successeur de Francia, et amèrement critiqué l'administration du président actuel, M. Le Long prend à parti les agents paraguayens et même, sans qu'il s'en doute, peut-être, les journalistes qui poussent la candeur--le mot lui appartient--jusqu'à suspecter les intentions de l'empire esclavagiste.

Il fait à ces agents précisément le même reproche que l'opinion publique adresse à la diplomatie brésilienne, au sujet des télégrammes mensongers que publient les journaux à l'arrivée de chaque packet.

D'après M. Le Long, «à la fin de 1867, il en parut un plus extraordinaire que tous les autres, et comme quelques journalistes se plaignaient à l'un des agents de Lopez II, à Paris, qu'on se fit ainsi un jeu de tromper leur bonne foi, celui-ci répondit: «Ces dépêches télégraphiques ne sont pas faites pour l'Europe, mais par le maréchal Lopez.»

M. Le Long ajoute: «Il n'est pas un seul agent qui ne soit soigneusement surveillé et espionné.»

Oh! oh! voilà une autre affirmation qui pourrait bien attirer un nouveau démenti à son auteur.

Comment, Monsieur, vous connaissez l'agent paraguayen qui se moque impudemment du public et vous ne le nommez pas hautement? Mais c'est un devoir; que disons-nous? c'est une nécessité pour vous de le faire connaître, si vous tenez à ce que votre parole soit crue.

Et les journalistes dont «on trompe la bonne foi» et qui se contentent de «se plaindre»; sont-ils assez candides ceux-là, pour accepter le rôle de comparses que l'agent en question leur fait jouer?

Allons donc! on est un peu plus soucieux de sa dignité, en Europe, du moins lorsqu'on a l'honneur de tenir une plume; et parce qu'on se respecte, on veut être respecté.

Nommez-les donc aussi, ces hommes de la presse qui, loin de flétrir de pareilles manoeuvres, s'y seraient associés, soit par un silence complaisant, soit en continuant à prêter à leur auteur la publicité de leur journal!

Après avoir énoncé le fait de publication de fausses nouvelles, désignez par leur nom, et l'agent qui a fabriqué ces nouvelles, et les journalistes indignes qui les ont sciemment propagées.

Vous avez posé la question de loyauté, Monsieur; nous acceptons volontiers le débat sur ce terrain; mais à la condition que le jugement rendu par l'opinion, sur les pièces que vous aurez produites, couvrira de confusion ou l'accusateur ou les accusés.

La politique du Paraguay

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