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PRÉCIS DE LA VIE ET DES OUVRAGES DE CHARLES PERRAULT, AVEC L'ANALYSE DE SES CONTES.
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PRÉCIS
DE LA VIE ET DES OUVRAGES DE CHARLES PERRAULT, AVEC L'ANALYSE DE SES CONTES.
Deux frères ont rendu ce nom célèbre; leurs talens, leurs ouvrages, & les différentes qualités de leur esprit sont également connus. Les écrits de Claude Perrault sur la médecine & sur l'architecture, sa traduction de Vitruve, ses dessins, & surtout la façade du Louvre du côté de S. Germain-l'Auxerrois, lui ont mérité un nom immortel. Les vers satyriques de Despréaux contre Charles Perrault notre auteur, n'empêcheront jamais qu'on ne rende justice aux agrémens de son esprit, à l'étendue de ses connoissances, & à l'utilité même de la plupart de ses écrits; tels, par exemple, que son poëme sur la peinture, son parallèle des anciens & des modernes, &c. Cet académicien écrivit en vers comme en prose, & les trois Contes que nous réimprimons, sont écrits avec autant de facilité, d'agrément & d'ingénuité que les autres: ils ont aussi leur moralité, & ils seront pour les enfans une nouvelle source de plaisir & d'instruction.
Il est seulement bien étonnant qu'on les ait omis dans toutes les éditions qu'on en a faites jusqu'à présent; & si on a ajouté à ses Contes en prose, ce n'a été que pour donner des Contes qui n'étoient point de lui; comme la Veuve & ses deux Filles, &c. Il y a tout lieu de croire que les éditeurs ne connoissoient que ses Contes en prose, & ignoroient qu'il en eût donné d'autres en vers; ils eussent été encore long-temps ignorés, si M. le marquis de Paulmi, après les avoir annoncés & fait désirer dans plusieurs numéros de sa bibliothèque des romans, cadre charmant où il a fait revivre, par ses esquisses ingénieuses, tant de morceaux délaissés ou peu connus, ne s'étoit enfin décidé à faire lui-même réimprimer tout au long le conte de Peau d'Ane. Les difficultés que M. de Paulmi rencontra pour s'en procurer un exemplaire, retardèrent pendant quelque temps l'empressement du public, qui ne cessoit de demander ce conte; les mêmes raisons nous ont engagés à réimprimer, & à donner enfin une collection complète des Contes de Perrault.
Nous ne ferons donc point ici comme les éditeurs avides seulement d'imprimer tout ce qu'ils trouvent sous la main, mais peu soucieux de la gloire de leur auteur. Perrault n'aura plus ici le sort de Senecé, dont l'éditeur oublia aussi dans le recueil qu'il donna de ses poésies, son meilleur, son charmant conte du Kaïmac. Nous donnerons donc le conte de Peau d'Ane; & malgré le ridicule du sujet, racheté par tant de jolis détails, on pourra répéter avec autant de bonne foi que La Fontaine, qui avoit le goût si sûr en ce genre:
«Si Peau d'Ane m'étoit conté.
«J'y prendrois un plaisir extrême.
Ce court éloge dit plus que nous n'en pourrions dire; & la plupart de nos lecteurs peuvent en porter le même jugement en le lisant.
Nous imprimons en même temps les Souhaits ridicules, conte qui a donné lieu au petit opéra-comique du Bûcheron; & Griselidis, conte tiré de Bocace, dont La Motte a aussi imité ces jolis vers:
Veut-on que je prenne une femme?
Je veux trouver ensemble & jeunesse, & beauté,
L'esprit bien fait, une belle ame,
Délicatesse avec simplicité;
Cœur sensible sans jalousie,
Vivacité sans fantaisie,
Sagesse, agrément & santé.
Enfin, pour la rendre parfaite,
A toutes les vertus joignez tous les appas;
Voilà celle que je souhaite:
Trop heureux cependant de ne la trouver pas.
Outre ces trois contes en vers, nous donnons le petit Chaperon rouge, les Fées, la Barbe bleue, la Belle au bois dormant, le Maître Chat ou le Chat botté, Cendrillon ou la petite Pantoufle de verre, Riquet à la Houpe, le petit Poucet, & l'adroite Princesse ou les Aventures de Finette, adressé à madame la comtesse de Murat. On doute que ce dernier conte soit de Perrault, quoiqu'il soit d'une narration agréable & facile. Les autres, que le plus grand nombre de nos lecteurs connoit sans doute dès l'enfance, furent imprimés, pour la première fois, en 1697, & dédiés à Mademoiselle, sous le nom du jeune Perrault d'Armancour, encore enfant, fils du célèbre Charles Perrault l'académicien, qui en est le véritable auteur. Le ton naïf & familier, l'air de bonhomie, la simplicité, qui règnent dans ces fictions, étoient bien propres à leur acquérir la célébrité dont elles jouissent; & nous ne savons si tant de Contes écrits de nos jours avec plus de prétention, & d'un style plus brillant, plus noble & plus recherché, peuvent espérer la même fortune. Il y a dans les contes de Perrault une ingénuité qui met au niveau le conteur & l'enfant qui l'écoute: on croit ici les voir également affectés du merveilleux du récit, également simples dans la manière d'exprimer ce qui les affecte; de sorte que si le lecteur supposoit l'enfant qui lui raconte ce qu'il lit, il n'en auroit ni plus ni moins de plaisir qu'il en trouve en lisant l'académicien Perrault.
Chacun de ces Contes est terminé par une moralité en vers, quelquefois par deux. Ces moralités ont le même caractère de simplicité que les récits.
Les huit premiers de ces Contes sont si connus, qu'on se souvient, pour ainsi dire, de tout ce qu'ils renferment, en les entendant nommer, tant ils firent d'impression dans la jeunesse: nous nous contenterons, par cette raison, de rappeler le but moral qu'eut l'auteur en les écrivant, & d'y ajouter quelques réflexions.
Le Petit Chaperon Rouge.
Le but de ce conte est d'apprendre aux jeunes personnes à se défier des charmes d'un entretien dont leur amour-propre est flatté. La jeunesse est l'âge de la confiance; ce sentiment est la source des dangers. On a dit avec esprit & avec vérité:
Quand on daigne écouter les sons de la musette,
On écoute bientôt les soupirs du Berger.
Les bergers sont les véritables loups. Une jeune personne frappée de voir une imprudente de treize ans dévorée par un loup rusé, dont elle a trop écouté les louanges ou les conseils, craindra d'écouter les discours de quiconque peut tromper sa crédulité; & la fable qui lui peint une catastrophe aussi effrayante, devient pour elle une vérité, en lui donnant tout-à-coup de l'expérience.
Les Fées.
Il s'agit de deux jeunes filles inégalement partagées du côté du caractère. L'une est douce & officieuse, l'autre est fière & désobligeante. Leur humeur influe sur leurs procédés. Elles trouvent toutes les deux le prix qui est dû à leur différente manière d'agir, dans la même circonstance. Le conte dans lequel l'une est opposée à l'autre par la destinée, comme par la conduite, présente une double leçon. La mère des deux filles est idolâtre de celle que ses yeux ne devroient envisager qu'avec douleur: la plus aimable est l'objet de sa haine. Cet exemple est commun; les suites en sont ordinaires. La morale a souvent essayé de détruire ce scandale domestique, par l'usage de ses maximes respectables; le mal subsiste, & nous étonne tous les jours. L'auteur a cru qu'une action surnaturelle, racontée d'une manière naïve, entreroit plus utilement dans l'esprit, qu'une aventure plus ordinaire. La mère injuste, la fille orgueilleuse, sont toutes deux punies. C'est un petit cadre qui renferme un grand tableau.
La Barbe Bleue.
Un homme fort puissant & fort riche a une physionomie rebutante, & une barbe très-bleue. Ces défauts le rendent si laid, qu'il n'y a pas de fille qui puisse se flatter de l'aimer, en s'unissant à lui. De plus, il passe, avec raison, pour très-méchant; & les premières femmes qu'il a épousées ont disparu sans qu'on sache ce qu'elles sont devenues: cela est cause que toutes les filles à qui on le propose en mariage, refusent d'accepter sa main. Il a beau afficher la plus grande magnificence & faire parade de ses richesses, rien ne peut balancer ses défauts. La couleur de sa barbe révolte plus que la grandeur de son château & l'étendue de ses domaines ne peuvent éblouir. Cependant une jeune imprudente, ne consultant que sa vanité, cède à l'éclat dont elle est frappée, & au charme des présens. On peut épouser un homme qui n'est point digne de trouver un cœur, lorsque des soins délicats & des galanteries intéressantes excitent la reconnoissance. Ce sentiment supplée à l'amour quand le cœur est bon, & que la raison est formée. Mais l'hymen n'est qu'un malheur, & qu'une source de repentirs, si la magnificence qui séduit n'intéresse que la vanité. C'est le sort qu'éprouva la jeune indiscrète, & c'est bien là le sujet d'une moralité. Son mari, qui joignoit à la brutalité une sorte de malice, feint d'être obligé de s'éloigner d'elle pour quelques jours, lui laissant l'absolue liberté de s'amuser, ne lui défendant que d'entrer dans un appartement dont il lui laisse cependant la clef. Elle promet, & ne tient point parole; la curiosité conduit à la désobéissance. Le mari, à son retour, convaincu de la faute qu'elle a commise, veut lui faire subir un châtiment affreux, dont elle éprouve toute l'horreur, & dont elle n'est sauvée que par un secours inespéré. Ce tableau terrible fait une impression profonde sur des enfans, & leur apprend à résister à une curiosité, à respecter leurs engagemens, & à n'en pas prendre légèrement. En même temps, rien n'est plus propre à développer dans un jeune cœur le sentiment de pitié qui doit l'animer un jour en faveur des malheureux, s'il est heureusement formé, que la situation vraiment tragique que cette fiction leur présente.
Nous nous rappelons que ce sujet a été traité au théâtre: il est en effet très-théâtral. Le tableau qu'il renferme, & la moralité qui en résulte, ne sont pas plus étrangers aux personnes formées qu'aux enfans. Nous ignorons le nom de l'auteur, & ce qu'est devenue la pièce.
On peut ici s'adresser aux parens & aux instituteurs de la jeunesse, & leur dire: Voulez-vous connoître la trempe de l'ame du tendre objet que vous élevez? Présentez-lui le spectacle du supplice que va éprouver l'imprudente qui a donné lieu à ce conte tragique. Si l'enfant babille, s'il n'est pas effrayé, & si la terreur de la victime ne passe pas dans son cœur, & ne se peint point sur sa physionomie avec les traits de la pitié, c'est du marbre que vous formez.
La Belle au bois dormant.
Ce conte se divise naturellement en deux parties. Dans la première, l'Auteur semble n'avoir voulu offrir qu'un grand tableau à l'imagination des enfans. Dans la seconde, il a voulu, sans doute, leur faire sentir les charmes de la bienfaisance, en donnant un zèle toujours renaissant au maître-d'hôtel de la reine, en faveur des objets infortunés qu'elle veut tous les jours immoler à son appétit barbare.
Nous pourrions citer au moins trois tragédies bien applaudies au théâtre François, dont les auteurs ont profité de la pieuse infidélité du maître-d'hôtel, & de quelques autres circonstances de ce conte, qui, par ce moyen, fait pleurer les grands enfans comme les petits.
Le sommeil d'Epiménide a pu donner à Perrault l'idée de cette fiction.
Le Maître Chat ou le Chat Botté.
L'industrie & le savoir faire.
Valent mieux que des biens acquis.
C'est l'esprit de ce conte, dont le but, plus philosophique que moral, est d'apprendre à la jeunesse que l'étude, le travail, les talens sont l'équivalent de la fortune, quand on sait mettre à profit les avantages qui en résultent. Il ne suffit pas de savoir, il faut agir. L'inaction & l'indifférence sont imbécillité, lorsqu'on est né avec des dispositions, ou que l'on a acquis des talens qui peuvent réparer les rigueurs de la destinée. Le génie ne connoîtroit jamais la pauvreté, si la paresse ou l'étourderie n'étoit souvent le partage des esprits les plus propres à s'avancer heureusement dans le monde, par les dons naturels ou acquis. Des maximes disent les mêmes choses à l'esprit; mais un tableau parle aux sens; & les jeunes gens ont besoin, pour ainsi dire, de voir, pour penser & pour réfléchir. Ce conte, qui est tout en action, doit produire l'effet que l'auteur s'en est promis.
Cendrillon.
Un enfant maltraité dans le sein de sa famille, est souvent dans le cas d'éprouver la sensibilité des personnes étrangères. Cette sensibilité le console & l'encourage à cultiver avec modestie ses vertus & ses talens, pour mériter de plus en plus des dédommagemens aussi flatteurs.
Un autre enivré des preuves de tendresse, & même d'une admiration aveugle qu'il obtient de ses parens, conçoit un orgueil qu'il porte dans le monde, & qui l'y rend insupportable. L'ingratitude & l'indocilité sont le prix des bontés dont son amour-propre se nourrit. Il faut qu'un enfant sache que la modestie, au sein du bonheur, est encore plus touchante que les qualités les plus aimables; & que la meilleure manière de vaincre l'humeur des parens les plus injustes & les plus prévenus, c'est de conserver avec eux le caractère de soumission & de simplicité dont la nature a fait un devoir envers eux, tandis que l'accueil & les louanges des étrangers semblent dispenser de ce tribut nécessaire. C'est le but que l'auteur s'est proposé en écrivant ce conte, où le merveilleux ne sert qu'à relever, pour ainsi dire, les charmes de la simplicité.
Tout le monde connoît la pièce lyrique jouée avec succès sous ce titre: dans le conte, & dans l'opéra-comique, le bonheur de Cendrillon est l'effet d'un coup de baguette; des réflexions sages peuvent opérer, avec le temps, ce que la Fée que la malheureuse Cendrillon intéresse, fait réussir tout d'un coup.
Riquet à la Houpe.
Si le plus grand plaisir est d'augmenter les avantages de ce que l'on aime, ou de réparer les outrages de la nature envers lui, quel moment que celui où son ingratitude lui fait oublier tout ce que la reconnoissance devoit lui inspirer en notre faveur! C'est bien connoître la jeunesse, que de lui présenter dans un petit cadre les objets de son instruction; & Riquet à la Houpe éprouvant, à quinze ans, l'ingratitude de la princesse à qui il a donné de l'esprit, touchera toujours plus des enfans de dix ans, qu'un grand personnage livré au malheur de la même situation. Si l'enfant qui lit ou écoute ce conte, est né avec du sentiment, l'instant où la jeune princesse consent enfin à exercer le pouvoir d'embellir Riquet, dont elle a presque méconnu le bienfait, n'effacera point le mépris que lui a inspiré son premier procédé.
Du reste, rien de si ingénieux que le fond & la première idée de cette fiction. Perrault n'en a pas tiré tout le parti possible; il n'a fait, en quelque façon, qu'un croquis. Madame de Villeneuve a mieux saisi cette idée dans ses contes marins; car le conte charmant de la Belle & la Bête en est le fruit. Le Procope & Romagnesi avoient suivi plus à la lettre le conte de Perrault, en donnant au théâtre Italien, sous le titre des Fées, une comédie charmante, où les auteurs ont su répandre un intérêt délicat, qui n'est pas dans le conte; en convertissant, pour ainsi dire, en sentiment, l'esprit que reçoit la jeune personne. Cette comédie est du nombre de celles qu'en regrette de ne pouvoir plus voir qu'en province.
Le Petit Poucet.
Il semble que dans ce conte, Perrault, qui en vouloit à Homère, ait essayé de parodier quelques traits de l'Odyssée & de l'ancienne Mythologie. Le petit Poucet ramenant, au moyen des cailloux blancs qu'il avoit semés dans son chemin, ses frères du fond de la forêt où leurs parens les avoient abandonnés, est Ariane aidant Thésée à débrouiller les erreurs du labyrinthe, par le secours d'un fil. Le petit Poucet chez l'Ogre, est Ulysse chez Poliphême; & nous ne savons si la manière dont il délivre ses frères n'est pas aussi adroite que celle dont Ulysse s'y prend pour délivrer ses compagnons. Quoi qu'il en soit, l'auteur veut que des enfans sachent qu'à tout âge, avec de l'esprit, du courage & de la prudence, on peut échapper à la méchanceté des hommes; & la conduite du petit Poucet est ici un exemple d'autant plus capable de les instruire, qu'il est plus à leur portée. La meilleure manière de former la jeunesse, est de lui donner, pour ainsi dire, de grandes idées avec de petits moyens.
M. Carmontel a trouvé dans cette fiction le sujet d'un proverbe dramatique, & en fait un usage conforme à l'opinion que l'on a de son goût & de ses talens.
L'adroite Princesse, ou les Aventures de Finette.
C'est ici le Conte que nous croyons n'être pas de Perrault, que l'on a ajouté dans l'édition de la Haye, & qui n'étoit point dans les éditions précédentes. Comme il est nécessairement moins connu que les huit premiers, nous croyons devoir nous attacher à développer l'objet moral que l'on s'est proposé, en donnant une certaine étendue à notre Extrait. L'Auteur met en action ces deux principes: Que l'oisiveté est mère de tous vices; que défiance est mère de sûreté.
Au temps des croisades, un roi qui alloit faire la guerre aux infidelles, après avoir remis son royaume entre les mains d'un sage ministre, alloit partir fort inquiet sur le sort de ses filles; Nonchalante, l'aînée; Babillarde, la cadette; Finette, la plus jeune. Quant à celle-ci, il étoit fort tranquille: active, adroite, elle réunissoit tous les talens & toutes les qualités.
Le roi pria une Fée, sa voisine, de lui faire trois quenouilles de verre. Il désira que chaque quenouille cassât sitôt que celle à qui elle appartiendroit feroit quelque chose de contraire à sa gloire. Lorsqu'il eut les trois quenouilles, il conduisit ses filles dans une tour bien haute, & dans un lieu désert; leur défendit d'en sortir, & d'y recevoir personne; présenta à chacune une quenouille; leur ôta tous leurs officiers; ferma la porte, prit les clefs, & partit.
Au haut de la tour, il y avoit une poulie, par le moyen de laquelle on faisoit parvenir aux princesses tout ce dont elles avoient besoin. C'étoient elles-mêmes qui tiroient la corde, & qui la lâchoient, pour éviter toute surprise.
Nonchalante & Babillarde s'ennuyoient, l'une d'être obligée de se servir, l'autre de n'avoir que ses sœurs avec qui parler. Pour Finette, elle se faisoit des amusemens de ses occupations, de ses talens, & de son esprit. Le ministre leur envoyoit tous les quinze jours un état de ce qui se passoit au-dedans & au-dehors du royaume: Finette le lisoit, & s'en occupoit; les autres ne s'en embarrassoient guères.
Un jour que Finette étoit occupée, Nonchalante & Babillarde virent au pied de la tour une pauvre femme toute déguenillée, qui les supplioit de lui permettre d'entrer, & qui offroit de les servir. Nonchalante & Babillarde y consentirent; elles descendirent leur corbillon, & le remontèrent. La vieille étoit sale & dégoûtante; mais Nonchalante voyoit en elle une femme qui la serviroit, & Babillarde une femme avec qui elle pourroit jaser. Quant à Finette, elle fut très-fâchée lorsqu'elle la vit; mais il n'y avoit plus de remède.
Il y avoit un prince nommé Riche-Cautèle, voisin & ennemi du père des princesses, dont il avoit juré de se venger; & ce prince étoit la vieille qui s'étoit introduite auprès des prisonnières. Quand la nuit fut venue, il quitta ses haillons, & parut en cavalier aux yeux des princesses, qui fuirent dans leurs chambres. Mais Nonchalante, qui ne marchoit pas vîte, fut bientôt jointe par Riche-Cautèle. Il l'assura que ce n'étoit que pour elle qu'il s'étoit déguisé, qu'il l'adoroit, & qu'il venoit lui offrir sa main, pour la délivrer de sa prison. Nonchalante se défendit d'abord, mais l'indolence ne sait pas disputer; elle lui promit sa foi, & le mariage fut conclu.
Il la conduisit dans une chambre, l'enferma, & alla faire les mêmes protestations à Babillarde à travers la serrure. Celle-ci, séduite par le plaisir de parler, ouvre la porte au séducteur, l'écoute avec trop de foiblesse, & sa quenouille cassa comme avoit fait celle de Nonchalante. Il restoit Finette à séduire. Celle-ci refusa obstinément d'ouvrir, & répondit avec colère à la proposition qui lui en fut faite. Le prince prit une bûche, & enfonça la porte. Finette indignée de son audace, s'arma d'un marteau, dont elle menaça de casser la tête au téméraire. Cependant, désirant de se venger de lui, elle feignit bientôt de l'écouter plus favorablement; & mettant à profit sa confiance, elle fit faire un lit sur l'ouverture d'un égoût qui donnoit dans une chambre du château: ce lit portoit sur deux bâtons croisés. Le lendemain, ce prince s'étant présenté à elle, elle feignit de consentir au mariage; le prince, sans se déshabiller, se jeta sur le lit, & s'enfonça dans cet horrible égoût, meurtri & fracassé par tout, barbotant dans l'ordure, & passant de caverne en caverne, jusqu'à ce qu'enfin il trouva une issue qui donnoit sur le bord de la rivière. Mais quelle fut la douleur de Finette & de ses sœurs, lorsqu'elles connurent toute sa perfidie!
Cependant Riche-Cautèle songeoit à se venger, & imagina bien des moyens pour cela; mais Finette, conduite par la prudence, & animée par la haine, eut toujours l'avantage de triompher de ses artifices; & devenue plus furieuse lorsqu'elle eut vu les suites cruelles de la foiblesse de ses sœurs dans une grossesse déshonorante, elle fit éclater tous ses sentimens en exerçant son génie contre ce prince coupable, & il trouva enfin la mort dans les pièges qu'elle sut lui tendre.
Finette reçut la récompense de ses vertus des mains de l'amour même. Riche-Cautèle avoit un frère que la nature avoit formé avec complaisance, & qui unissoit les dons aimables aux qualités solides. Il admira Finette dans sa conduite avec son frère, & prit pour elle les sentimens les plus tendres. L'aveu qu'il en fit fut payé du retour dont il étoit digne. Lorsque le père des trois princesses fut revenu dans ses états, il confirma les sentimens de Finette, & accorda sa main à celui qui prétendoit moins honorer ses charmes que couronner ses vertus.