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ROME SOUTERRAINE
ОглавлениеM. Paul Allard, l’auteur de l’important ouvrage qui a pour titre Rome souterraine, s’est fait un devoir d’expliquer dans une préface développée le but qu’il a poursuivi, le plan de son livre, et de déterminer, avec une modestie bien rare chez les écrivains, les éléments dont se compose ce vaste travail.
«Depuis deux siècles, et surtout depuis trente ans, dit-il, le sol romain, dans lequel il semble que gisent enfouis les fondements mêmes de l’histoire, a été creusé avec une ardeur infatigable et, quoi qu’on en dise, une grande liberté d’esprit, dans le but d’y surprendre à leurs sources les premières institutions chrétiennes, les origines mêmes de l’Église. Des catacombes entières ont été mises au jour, des milliers d’inscriptions ont été recueillies, de rares et précieuses peintures ont été copiées ou peuvent se voir encore. De ce travail souterrain, de ce travail qui n’a rien de conjectural, l’histoire des origines chrétiennes est sortie complétée, rajeunie, mais telle, en définitive, que la tradition écrite nous l’avait transmise. Nous voulons par ce livre initier à ce travail et à quelques-uns de ses résultats cette portion du public qui n’est pas composée d’érudits seulement, mais de tous les hommes qui ne reculent point devant un examen sérieux pour approfondir des questions vitales... Nous voulons mettre le public en mesure de suivre lui-même, sans intermédiaire, pour ainsi dire, et par un travail personnel, la marche des découvertes dont les catacombes de Rome ont été et sont encore le théâtre; nous voulons lui présenter non pas seulement un abrégé des travaux de M. de Rossi, mais, pour employer une expression toute moderne, une réduction de ces travaux, quelque chose comme ces statuettes qui, sous un volume moindre, reproduisent les traits, les proportions, la forme même de quelque grande œuvre d’art.
«L’œuvre d’art qu’il s’agit de réduire ici, ce sont d’abord les deux volumes in-folio de la Roma sotterranea italienne; ce sont ensuite les Mémoires innombrables, si précis par les détails, si larges quelquefois par les vues historiques, que M. de Rossi a publiés dans les neuf années de son Bulletino di archeologia christiana et dans divers recueils savants. Rien n’a été négligé pour que, au moins par ses côtés matériels, le résumé que nous publions puisse donner une idée fidèle des découvertes et des méthodes de M. de Rossi. A l’aide de nombreuses figures, pour la plupart empruntées à son livre ou à son Bulletino, de chromolithographies, de cartes et de plans, nous avons tenté de représenter non-seulement à l’esprit du lecteur, mais de placer en quelque sorte sous ses yeux les travaux de l’archéologue romain et leurs immenses résultats: nous avons voulu non-seulement décrire, mais, autant qu’il a été en nous, rendre visible à tous Rome souterraine.
«Dans sa forme française, hâtons-nous de le dire, ce travail ne saurait prétendre à aucune originalité. C’est la traduction d’un livre publié il y a trois ans en Angleterre par deux érudits très-distingués, le docteur Northcote et M. Brownlow. L’esprit libéral et désintéressé des auteurs anglais a bien voulu concéder au traducteur une franchise d’allures qu’ils eussent été en droit de lui refuser: mais le plan du livre, la distribution des chapitres, l’ordonnance générale des matières sont demeurés tels qu’ils les avaient faits. Pour nous, quand même nous en aurions le désir, il nous serait impossible de marquer ce qui peut nous appartenir dans l’ensemble de ce travail. Ajouter un détail, compléter une description, rappeler brièvement les découvertes faites dans les Catacombes depuis 1869, date de l’édition anglaise, introduire quelques notes au bas des pages, réparer quelques omissions signalées par M. de Rossi, faire, en un mot, ce que les auteurs auraient fait s’ils avaient donné une nouvelle édition de leur livre, voilà quelle a été ma part de collaboration, part bien modeste et bien effacée. Être confondu avec eux par le lecteur, c’est notre unique désir; ce sera, si nous l’obtenons, une récompense dont nous sentirons tout le prix.»
Maintenant que nous avons laissé M. Allard rendre pleine justice à ses auteurs, nous pouvons aborder l’étude de ce livre redoutable. Mais entendons-nous; il ne saurait entrer dans notre pensée de donner une analyse critique d’un ouvrage aussi complexe et aussi chargé de détails. Dans les travaux considérables, féconds, et sur bien des points vraiment admirables et définitifs de M. de Rossi, la théologie se mêle très-souvent à la science. La préoccupation dogmatique et apologétique qui perce partout m’inquiète et me met sur mes gardes. Dans l’interprétation d’inscriptions, par exemple, dont il ne reste que quelques lettres, M. de Rossi s’est montré ingénieux au suprême degré ; ses essais de restitution dénotent un rare savoir et beaucoup de perspicacité, mais aussi beaucoup d’imagination. Il en est de même de l’appréciation de certaines peintures, de celles en particulier qui se rapportent à la vie de la Vierge, dont il ferait remonter quelques spécimens jusqu’aux confins de l’âge apostolique. La bonne foi de l’auteur italien est hors de cause; mais dans ses inductions plus que hardies et par trop aventureuses, il me semble qu’on sent le désir d’arriver à de certains résultats et de retrouver dans les monuments anciens des traces de dogmes récents. Sur bien des points, je serai donc forcé de faire des réserves. Cependant, comme je n’ai pas revu les Catacombes depuis plus de dix ans, je n’oserais m’inscrire en faux contre des hypothèses dont je ne peux contrôler les éléments, et je négligerai volontairement toute cette partie du livre pour ainsi dire ecclésiastique dans laquelle un parti pris bien involontaire et insconscient, je n’en doute pas, a peut-être quel-fois égaré le jugement du savant archéologue, pour m’attacher à quelques-uns des résultats les plus certains et qui peuvent intéresser la généralité des lecteurs.
Depuis les beaux travaux de Bosio (qu’on a si justement surnommé le Colomb du monde souterrain), travaux qui remontent au commencement du XVIIe siècle, une foule d’archéologues, entre autres Fabretti, Boldetti, Buonarotti, Bottari, d’Agincourt, Raoul Rochette, se sont occupés des Catacombes; mais la méthode manquait, et, comme le remarque M. Allard, c’est au père Marchi qu’il était réservé de donner à l’étude scientifique des Catacombes l’impulsion décisive. Les événements de 1846 et 1849 découragèrent le savant jésuite et interrompirent ses recherches. M. de Rossi les reprit avec plus de méthode et en s’aidant d’une foule de documents anciens, en utilisant des sources d’informations négligées par ses devanciers, qui lui donnèrent les indications les plus précieuses et lui permirent de concentrer ses efforts sur les points les plus importants.
Bottari, d’Agincourt, Raoul Rochette pensaient que les Catacombes étaient d’origine païenne, et que les premiers chrétiens, poursuivis et, à certaines époques, traqués comme des bêtes fauves, s’étaient servis d’anciennes carrières et de sablonnières pour enterrer leurs morts et pour célébrer leur culte. Le P. Marchi avait le premier combattu cette idée, et M. de Rossi a établi, par des documents qui me paraissent irréfutables, que ces sépultures et les chambres qui servaient de lieu de réunion sont d’origine exclusivement chrétienne. En effet, on ne trouve aucune catacombe, pour ainsi dire, dans la tufa litoide et dans la põzzolana, que les Romains ont tant exploitées pour leurs constructions, mais elles sont creusées dans la tufa granulare, roche tendre mêlée de terre et impropre à tout usage utile. Les Catacombes ne sont donc ni des sablonnières ni des carrières abandonnées, et il suffira de jeter les yeux sur les deux plans que donne M. Allard, l’un représentant une partie du cimetière de Sainte-Agnès, l’autre l’Arénaire qui s’étend précisément au-dessus, pour se rendre compte des différences.
Les galeries de l’Arénaire sont larges, confuses, irrégulières; c’est bien là une exploitation où l’on n’a laissé que les massifs nécessaires pour soutenir le sol; celles de la catacombe, au contraire, étroites, disposées d’après un plan relativement régulier et qui semble préconçu, présentent l’aspect d’une ville souterraine.
Les Catacombes, que les premiers auteurs nommaient cœmeterium (lieu destiné au sommeil), martyrium ou confessio, sont toutes situées en dehors des murs de Rome, et en cela les chrétiens n’ont fait que se conformer à la législation et aux usages romains. Elles ne forment pas, comme on l’a cru, un immense labyrinthe, un réseau continu s’étendant sous la campagne romaine, dont toutes les parties communiqueraient les unes avec les autres. La configuration du sol, coupé de vallons et de cours d’eau, s’opposerait à une pareille disposition. Elles sont isolées et quelquefois disséminées par groupes dans une zone qui ne dépasse pas trois milles à partir de l’enceinte de Servius Tullius; mais elles ont souvent plusieurs étages, de sorte que, mises bout à bout, ces galeries présenteraient un développement prodigieux. M. Michel de Rossi, le frère de l’illustre archéologue, a calculé qu’une seule catacombe creusée sous un terrain de 125 pieds carrés peut contenir de 250 à 300 mètres de galerie par chaque étage, c’est-à-dire en supposant trois étages de 7 à 900 mètres. Les galeries des Catacombes, larges en moyenne de 2 à 4 pieds et d’une hauteur variable, ont leurs parois percées de niches qui leur donnent, comme le dit M. de Rossi, l’apparence d’une bibliothèque ou de hamacs superposés dans les cabines d’un navire. Chacune de ces niches était destinée à recevoir un ou plusieurs corps. Ces galeries sont coupées de loin en loin par une porte qui donne accès dans une petite chambre dont les murs renferment également des tombes. Au me siècle, Rome possédait vingt-cinq catacombes chrétiennes. A partir du IVe siècle, non-seulement on cessa de se servir exclusivement de ces nécropoles souterraines, mais l’usage des cimetières à ciel ouvert prévalut. «Les cimetières chrétiens, dit M. Allard, furent, dès l’origine, des propriétés privées; plus tard seulement ils eurent pour propriétaire l’Église elle-même. Les premières catacombes ont été creusées dans les jardins ou les villas des riches chrétiens qui avaient embrassé la foi du Christ et consacré leur fortune à son service. Les plus anciennes portent encore le nom du propriétaire sous le terrain duquel elles s’étendaient. Ainsi la crypte de Lucine, qui vivait du temps des apôtres, et les cimetières d’autres Lucines, qui vécurent dans les deux siècles suivants; le cimetière de Priscille, également contemporaine des apôtres; celui de Fla-via Domitilla, nièce de Vespasien; de Commodilla, propriétaire d’un terrain sur la voie d’Ostie; de Prétextat, qui avait consacré à la sépulture des chrétiens un vaste emplacement sur la voie Appienne; de Pontien, dont le domaine était sur la voie Portuensis; les trois cimetières des Jordani, de Maximus, de Trason, situés sur la voie Salaria Nova. D’autres catacombes ont gardé le nom des membres du clergé qui en eurent l’administration. Ainsi la célèbre catacombe de saint Calliste, sur la voie Appienne, et celle de saint Marc, sur la voie Ardéatine. D’autres prirent, soit immédiatement, soit après la Paix de l’Église, le nom des principaux martyrs dont elles abritaient le tombeau. Celles, par exemple, des saints Hermès, Basilla, Protus et Hyacinthe, sur la voie Salaria Vetus.»
Les tombeaux des Catacombes portèrent, suivant leurs formes et leurs dimensions, différentes dénominations. On appela locus la tombe qui ne renfermait qu’un seul corps, cubicula les chambres qui se trouvaient dans les galeries, arcosolia des tombeaux de forme oblongue construits en maçonnerie ou creusés à même le roc, recouverts d’une table de marbre et surmontés d’une niche cintrée. Ces arcosolia, qui renferment ordinairement les restes d’un martyr ou d’un personnage important, servaient, au jour anniversaire du mort (natalilia), de chapelle où se réunissaient les parents et les amis du défunt pour célébrer le culte. Assez souvent on rencontre des cubicula autour desquels on avait creusé d’autres chambres éclairées par la même ouverture et qui devenaient ainsi de petites églises où une centaine de fidèles pouvaient se rassembler. Quelques-uns de ces lieux, particulièrement consacrés au culte, ont conservé leurs dispositions primitives, et on y voit encore les bancs et la chaire creusés dans le roc.
Les renseignements fournis par les travaux de M. de Rossi sur la position sociale et religieuse des premiers chrétiens présentent le plus grand intérêt, et nous voudrions pouvoir analyser plus longuement des pages où le savant archéologue complète et redresse bien des opinions qui avaient cours jusqu’ici. Comme les Catacombes le prouvent assez, le christianisme se développa rapidement à Rome et se recruta, non pas seulement dans le petit peuple, mais dans toutes les classes de la société, de sorte que Tertullien, écrivant au commencement du IIIe siècle, a pu dire sans hyperbole: «Nous ne sommes que d’hier et nous remplissons tout, vos villes et jusqu’à votre Sénat et au palais de votre empereur.»
A l’origine, les Romains paraissent avoir confondu les chrétiens avec les Juifs, et c’est cette confusion qui explique la tolérance relative dont les premiers jouirent pendant un certain temps. «Les chrétiens, dit Tertullien, étaient très-proches parents des Juifs et vivaient à l’ombre du judaïsme, dont la légalité n’était pas contestée.» On se souvient en effet du décret de Tibère qui permettait «aux Juifs ses sujets de conserver leurs antiques coutumes sans crainte d’être inquiétés.» Les chrétiens ne commencent à être sérieusement poursuivis que sous Néron, qui, pour détourner les soupçons qui pesaient sur lui, accusa les sectateurs de la religion nouvelle d’être les auteurs de l’incendie de Rome. Sulpice Sévère est catégorique sur ce point: «L’incendie de Rome fut, dit-il, le commencement des persécutions contre les chrétiens; ensuite des lois spéciales furent rendues contre eux, et le christianisme déclaré illégal.»
La loi romaine était d’ailleurs formelle, et il n’était pas besoin d’édits nouveaux; toute religion qui n’était pas positivement reconnue était illicite et devait être poursuivie, de sorte que les chrétiens vivaient sous une menace continuelle, et ne devaient la tranquillité dont ils jouirent dans certaines parties de l’empire, et par moments, qu’à la tolérance et à la bienveillance des empereurs ou des magistrats. Rien n’éclaire mieux cette question que la correspondance de Pline avec Trajan. Les chrétiens, écrivait le proconsul, adorent le Christ comme un dieu. La loi est formelle contre eux, répondait l’empereur. Et tout en conseillant à Pline de ne pas les rechercher avec rigueur, il lui ordonne de les punir conformément aux lois si, traduits devant son tribunal, ils refusent d’abjurer. Dès que la jalousie de l’État, dit très-bien M. Allard, était éveillée contre eux, le droit commun suffisait pour les condamner. Souvent même la haine populaire mettait à leur charge, outre le crime de religion illicite, d’autres accusations également capitales. Les calomnies répandues au sujet de leurs assemblées secrètes donnaient quelquefois naissance à l’accusation de meurtre ou d’immoralité. Le refus de brûler de l’encens en l’honneur de l’empereur, ou de jurer par son génie, les faisait tomber sous le coup des lois si élastiques et si complaisantes de lèse-majesté. Par-dessus tout ils étaient accusés de former, de préparer ou de rêver une société nouvelle, res novas moliri, et cette imputation, vraie dans le sens où elle pouvait être vraie sans crime, suffisait pour attirer sur eux la haine perspicace du monde païen. Ils étaient en quelque sorte enveloppés par tout le droit pénal romain, et il n’y avait pas une loi qui, tournée d’une certaine façon, ne leur fût applicable. Mais si les chrétiens, comme affiliés à une religion illicite, tombaient sous le coup de la loi et s’exposaient aux persécutions et aux peines les plus sévères, leurs tombeaux jouissaient d’une immunité complète. L’explication que M. de Rossi donne de ce fait, qui paraît anormal au premier abord, est ingénieuse, nouvelle et semble parfaitement acceptable.
On connaît le respect que les Romains portaient aux sépultures, et la protection toute spéciale que la loi leur accordait. Le terrain qui les renfermait était inaliénable, insaisissable, sacré, et on peut dire que jusqu’au me siècle les cimetières chrétiens jouirent du droit commun. Les tombes chrétiennes étaient placées, comme les tombes païennes, sous la juridiction des pontifes, et nous savons même, par de nombreux documents, que les magistrats délivraient sans difficulté à ceux qui en faisaient la demande les corps des martyrs. C’était la règle; l’autorité romaine n’y contrevenait que dans de rares exceptions pour éviter des démonstrations qu’elle regardait comme séditieuses, et pour ainsi dire par mesure de police. C’est donc sous la protection des lois que les cimetières chrétiens s’établiront dans les propriétés de quelques riches particuliers et qu’ils devinrent de véritables hypogées. Certaines de ces areæ étaient d’une grande étendue, et M. de Rossi cite une inscription conservée au musée d’Urbin qui parle d’une aréa romaine mesurant 1,800 pieds de long sur 500 de large. On ne songeait pas à cacher les cimetières chrétiens, dont plusieurs s’ouvraient ostensiblement sur la voie publique, el ce n’est que lorsque les persécutions redoublèrent que les sectateurs de la religion nouvelle durent en dissimuler et en obstruer les entrées.
Mais bientôt le nombre des chrétiens augmentant, ces asiles que la charité des riches mettait à la disposition de tous ne suffirent plus, et M. de Rossi se demande si, à un certain moment, les chrétiens formés en corporations ne devinrent pas propriétaires de cimetières communs où, par une fraude pieuse que facilitaient les usages romains, ils purent célébrer leur culte aussi commodément que dans les areæ particulières.
On comptait à Rome un grand nombre de corporations ou de colléges. «Avant la fin de la république, dit M. Allard, ces diverses catégories de colléges ne paraissent pas s’être occupées d’assurer la sépulture de leurs membres. A partir de Jules César, au contraire, cet objet prit une si grande place dans leurs préoccupations, que la plupart des colléges existants se transformèrent en associations funéraires, et Tertullien a écrit à un gouverneur païen: «Chacun de nous fournit une petite contribution, un certain jour du mois, s’il le veut et si ses ressources le lui permettent; car rien n’est forcé, tout est volontaire parmi nous. Le montant des sommes versées forme un fonds commun que l’on emploie à des œuvres de piété ; il sert non à festoyer et à boire ou à se livrer à des excès indécents, mais à nourrir et à enterrer les pauvres.»
Une inscription païenne, découverte dans les ruines des bains de Lanuvium, donne les détails les plus significatifs sur ces corporations, dont les premiers chrétiens adoptèrent, sans doute, les usages. Pour faire partie de ce collége composé en grande partie d’esclaves et institué dans cette ville en l’an 133 «en l’honneur de Diane et d’Antinous et pour la sépulture des morts», il fallait payer une certaine cotisation mensuelle, et fournir une amphore de bon vin. Quand un membre du collége mourait, une somme fixe était consacrée à ses funérailles, partie pour en payer les frais, partie pour être distribuée au pied du bûcher aux sociétaires qui auraient suivi le convoi. Six fois par an, les membres du collége dînaient ensemble en l’honneur de Diane, d’Antinoüs, et du patron du collége. Les plaintes, les querelles, les mauvais rapports étaient interdits les jours de fête. Enfin, trait curieux et que je note, quoiqu’il n’intéresse pas notre sujet, si l’un des membres s’était donné volontairement la mort, la société refusait de subvenir aux funérailles du suicidé. C’est en rapprochant ces indications, et d’autres qu’il serait trop long de relater, que M. de Rossi a cru pouvoir conclure que, «ramenées à des habitudes plus graves, sanctifiées par l’usage de la charité et par l’idée religieuse, ces règles pouvaient s’adapter parfaitement aux mœurs de la communauté chrétienne...» Ces usages romains mieux connus nous donnent l’explication de bien des traits de l’histoire ecclésiastique primitive. L’exercice presque entier du culte chrétien put, dès que l’Église, au commencement du IIIe siècle, eut adopté la forme légale d’une association funéraire, se dissimuler sous l’apparence des rites et des cérémonies qui se célébraient à des époques fixes auprès des tombeaux païens. Les païens avaient leurs sacrifices et leurs repas de corps anniversaires en l’honneur d’un parent mort ou du patron d’un collége; les chrétiens eurent leurs réunions pieuses en l’honneur des martyrs. «A un certain jour, à une certaine heure, réunis ensemble dans la saison de son martyre, nous serons en communion avec le combattant et le noble témoin du Christ.» Les termes mêmes usités par les païens s’accordaient aisément avec les nécessités de la langue liturgique. Ainsi le mot natale, par lequel on désignait l’anniversaire de la naissance de celui qu’on voulait honorer par des repas et des fêtes, fut employé par l’Église pour désigner les solennités qu’elle célébrait en l’honneur des martyrs, et, appliqué ainsi au jour anniversaire de leur mort, il prit une signification symbolique dont saint Augustin et d’autres Pères ont fait ressortir la beauté.»
Nous recommandons la lecture de ce chapitre sur la position sociale et sur les usages des premiers chrétiens, qui est l’un des plus curieux et des plus importants du livre publié par M. Allard. C’est avec regret que nous quittons ce sujet pour nous occuper des emblèmes et des peintures que renferment les Catacombes et qui sont, pour ainsi dire, les seuls témoignages de l’art chrétien pendant cette première et obscure période.
Ainsi que je l’ai fait pressentir dans la première partie de ce travail, je pense que M. de Rossi a attribué à quelques-uns des ouvrages d’art importants des Catacombes des dates qui ne leur appartiennent pas. En dehors de renseignements précis qui nous manquent absolument, nous n’avons d’autre moyen de déterminer leur âge que de les comparer aux monuments païens, car. le christianisme naissant s’étant recruté, comme nous l’avons vu, dans toutes les classes de la société, il se trouvait parmi les adeptes de la nouvelle religion des peintres et des sculpteurs de mérite qui avaient partagé l’éducation des artistes de l’époque. Théoriquement, ce criterium est aussi celui de M. de Rossi, mais en fait il arrive à des conclusions qui ne me paraissent pas soutenables. On conviendra que sur ce point c’est le sentiment artistique qui doit être avant tout consulté, et que ses appréciations auront d’autant plus de poids qu’elles sont corroborées par les rares témoignages écrits que nous possédons. Pour abréger et éviter une discussion trop détaillée, je me bornerai à rappeler, en les résumant, quelques-uns des arguments que j’ai présentés il y a plus de dix ans , après avoir étudié les Catacombes avec soin et bonne foi pour établir un point de vue que les découvertes de M. de Rossi n’ont pas ébranlé.
L’idée chrétienne est à peine sensible dans les premiers essais de l’art nouveau. Les expressions sont peu marquées; la physionomie générale est indécise et sans caractère personnel. La composition, par contre, et l’exécution techniques sont supérieures à ce qu’elles deviendront plus tard. Mais à mesure qu’on s’éloigne de ces premiers temps, que le style s’affaiblit, que les dernières traditions léguées par la décadence romaine à l’art chrétien se perdent et s’effacent, la pensée nouvelle se fait jour. La beauté disparaît et les figures ne présentent plus rien qui rappelle l’idéal antique; mais les expressions se précisent, le caractère spiritualiste et ascétique du christianisme naissant s’accuse et souvent avec une énergie singulière; les expressions deviennent saisissantes, et des ouvrages qui ne frappent d’abord que par leur barbarie finissent par agir fortement sur l’esprit de celui qui les étudie sans parti pris de les dénigrer.
Ainsi, à l’origine, perfection relative des ouvrages d’art, sous l’influence des souvenirs de l’antiquité ; puis, de siècle en siècle et à travers bien des incertitudes, aspirations vers un but nouveau, élimination ou plutôt oubli des traditions et des moyens classiques, infériorité apparente des résultats. En dehors de ce double mouvement, qui se laisse bien clairement discerner, il serait imprudent et présomptueux de chercher à classer avec trop de rigueur des ouvrages dont le caractère est souvent très-peu déterminé. Du commencement à la fin de cette longue période, pendant ce mystérieux crépuscule qui sépare l’antiquité de la Renaissance, les événements se suivent sans paraître s’enchaîner. Ils vont au hasard, comme emportés par un vaste fleuve, sans direction fixe et presque sans courant. Leur marche est indécise, irrégulière, obscure et souvent contradictoire, comme celle des aveugles éléments, et il ne faut pas s’étonner que les arts partagent leur destinée.
Cependant je crois qu’il est possible de déterminer avec une assez grande précision l’âge de la plupart des peintures importantes qui ornent les tombeaux des Catacombes. On a voulu rapporter plusieurs de ces ouvrages aux premiers temps de notre ère. Il nous paraît évident que quelques-uns des cimetières chrétiens remontent à la fin du 1er siècle ou au commencement du IIe. Dans la crypte de Lucine, par exemple, on a trouvé des inscriptions à dates consulaires qui se rapportent aux années 107 et 110; d’autres pierres sans date précise paraissent également très-anciennes. Mais sans exception elles accompagnent des tombes ou absolument nues ou qui ne portent que des ornements en stuc, des peintures décoratives de style classique, guirlandes de roses, d’épis, de raisins, des hermès, des pains, des poissons et autres symboles qui étaient lettres closes pour les païens. Comment supposer, en effet, que les premiers chrétiens, qui se réunissaient, à la vérité, dans les Catacombes pour célébrer leur culte, mais qui s’y réunissaient à la dérobée et sous des prétextes spécieux, qui y étaient souvent surpris et traqués, massacrés et même murés vivants, aient volontairement appelé l’attention sur les tombes de leurs frères et de leurs martyrs en les désignant par des peintures de sujets empruntés à l’Ancien ou au Nouveau Testament, et se soient exposés de gaieté de cœur aux coups de leurs ennemis? Comment expliquer le silence de saint Jérôme (IVe siècle), qui visitait souvent les Catacombes, pour lesquelles il avait une vénération particulière? Comment les actes du second concile de Nicée, où se trouvent énumérées et recommandées à la dévotion des fidèles un grand nombre d’images anciennes, n’en feraient-ils aucune mention? Ajoutons que Prudence, qui vivait dans la seconde moitié du IVe siècle et au commencement du ve, ne parle que d’une peinture chrétienne à Rome (martyre de saint Hippolyte), qui n’était pas dans les Catacombes, et qu’Adrien Ier, écrivant à Charlemagne contre les iconoclastes, lui fait remarquer que la vénération pour les images est de date ancienne et cite Célestin 1er (422 à 432) comme ayant fait orner de peintures la catacombe de Sainte-Priscille où il fut lui-même enterré. Il est vrai que ce ne sont là que des arguments négatifs. Mais il existe un monument de la plus grande valeur et qui fournit les indications les plus précises. C’est le Virgile du Vatican, qui date du Ve siècle. Ce précieux manuscrit renferme des miniatures qui ont, par le style, la plus grande analogie avec les peintures des Catacombes qui représentent des sujets. Cette pièce est, à mon avis, capitale dans le procès, et c’est à elle que je dois surtout la conviction que j’exprime ici. On possède une autre source de comparaisons; ce sont les peintures de Pompéi, qui datent en grande partie du Ier siècle. Elles sont dues à des artistes qui n’étaient certainement pas de premier ordre, et il est impossible de se dissimuler qu’elles l’emportent de beaucoup par le style et par la facture sur les fresques des Catacombes. Il faut en conclure que celles-ci leur sont postérieures, et je regrette que les auteurs de Rome souterraine aient négligé des arguments qui me paraissent décisifs.
Ce ne serait donc pas avant le IVe et le Ve siècles qu’auraient été exécutées les premières peintures des Catacombes, et il est naturel de supposer que ce fut après la fin des persécutions, à l’époque de la Paix de l’Église après 312, que les chrétiens songèrent à orner les tombes des martyrs et des saints. On sait qu’au IVe siècle, saint Damase, qui avait, comme saint Jérôme, une dévotion toute spéciale pour les Catacombes, fit placer sur un grand nombre de tombes anciennes de magnifiques inscriptions composées par lui et gravées par un calligraphe excellent. Pourquoi quelque autre pape, Célestin Ier, par exemple, n’aurait-il pas imité son prédécesseur en faisant exécuter des peintures, comme le dit si clairement Adrien 1er dans sa lettre à Charlemagne? L’usage une fois établi, on continua pendant tout le moyen âge à orner quelques sépultures anciennes ou nouvelles, comme semble l’indiquer le style tout à fait barbare du plus grand nombre de ces peintures.
M. de Rossi a divisé les peintures et emblèmes chrétiens qui ornent les Catacombes en un certain nombre de groupes. Nous suivrons cette classification qui est bien entendue et facilite l’étude. Nous commencerons par les peintures symboliques qui sont certainement les plus anciennes, et nous dirons avec Kugler que «c’est la crainte de l’idolâtrie qui introduisit dans la peinture chrétienne un système de représentations purement composées de types et de symboles», en ajoutant toutefois que cette langue pour ainsi dire franc-maçonique, et comprise des seuls initiés, avait de plus l’avantage de détourner les soupçons des ennemis de la religion nouvelle.
L’ancre est l’un des symboles que l’on rencontre le plus fréquemment sur les tombeaux chrétiens; elle représentait l’espérance, (ou plutôt la certitude) du salut, et on la voit en particulier sur les pierres tombales de personnes qui portaient ce nom sous l’une de ses formes latines ou grecques: spes, clpis, elpidis, elpisusa. Cette ancre est quelquefois traversée d’une barre, et forme ainsi une sorte de croix dont la signification n’est pas douteuse. L’agneau et la brebis symbolisent les membres du troupeau du Christ, et peut-être, dans certains cas, le Christ lui-même. La colombe représente l’Esprit-Saint; mais, suivant l’observation judicieuse de M. de Rossi, elle personnifie souvent l’âme chrétienne. On rencontre fréquemment cette gracieuse image symbolisant l’âme des défunts, particulièrement celle des petits enfants, «la colombe sans fiel: palumbulus sine felle.» Cependant M. de Rossi fait remarquer avec raison que l’on ne doit pas prendre pour des symboles une foule d’oiseaux qui ne jouent qu’un rôle décoratif dans un grand nombre de peintures des Catacombes. Le poisson est aussi l’un des plus anciens, des plus importants et des plus fréquents symboles employés par l’art chrétien. «En usage, dit M. Allard, depuis les premiers temps du christianisme, il commença à tomber en désuétude dès la première moitié du IIIe siècle et disparut presque entièrement lorsque prirent fin les persécutions. On ne connaît pas d’exemple du poisson employé avec une intention théologique dans un monument chrétien postérieur au ve siècle... Quel était le sens de cet antique symbole? A cette question, la pensée se reporte vers la parabole évangélique dans laquelle Jésus compare le royaume des cieux à un filet jeté dans la mer et retiré plein de poissons; on se souvient de la parole adressée à Simon et à André : «Venez, je vous ferai pêcheurs «d’hommes.» Ce souvenir des allusions évangéliques occupe en effet une assez grande place dans l’art et la liturgie des premiers siècles; mais telle n’est pas l’idée principale attachée par les peintres et les graveurs des Catacombes au symbole du poisson. A l’origine, le poisson fut adopté par l’art symbolique pour deux raisons différentes: d’abord parce que les fidèles doivent leur régénération spirituelle à l’élément de l’eau, et ensuite parce que de bonne heure la langue chrétienne désigna le Christ par le signe du poisson .»
Le pain se trouve aussi fréquemment représenté sur les monuments, et je crois qu’il signifie la nourriture spirituelle, la parole de Dieu. Cette explication me paraît d’autant plus vraisemblable qu’on rencontre assez souvent un poisson portant un pain dans sa bouche ou quelques pains placés entre deux poissons, ou un poisson nageant et portant sur son dos une corbeille pleine de pains, ce qui symboliserait, à mon sens, l’homme se nourrissant du pain de vie. Dans bien des cas, ces deux symboles font probablement allusion au miracle de la multiplication des poissons et des pains. Mais M. de Rossi établit sur ces deux représentations une théorie qu’il développe longuement, que je trouve plus spécieuse que solide, et dont je me bornerai à donner la formule: «Avant les récentes découvertes, dit-il, le sens symbolique du pain et du poisson, représentant, l’un, les espèces eucharistiques, l’autre, la divine réalité de l’eucharistie, avait été deviné et proposé, comme une conjecture probable, par de savants et sagaces archéologues. Aujourd’hui, la conjecture est devenue certitude.» L’ingénieux auteur donne la même signification aux peintures qui représentent un agneau portant un vase de lait, ou le même animal avec le bâton pastoral auquel est également suspendu un vase de lait. Il me semblerait plus simple de voir là une image de l’agneau sans tache qui apporte aux siens la nourriture céleste. Enfin, on trouve très-fréquemment sur les monuments chrétiens de toutes les époques le monogramme formé des deux premières lettres du nom du Christ, et qui est trop connu pour que je m’y arrête.
Les peintures allégoriques se distinguent à peine des peintures symboliques, dont elles ne sont qu’un développement. Elles sont plus complexes et représentent en général des sujets empruntés aux paraboles de l’Évangile. Les ouvrages de cette nature ne sont pas nombreux. M. Allard n’en cite que trois, et nous ne pouvons mieux faire que de reproduire ce qu’il en dit: «Parmi les paraboles et les figures évangéliques celle de la vigne et des raisins paraît avoir été en usage dès le Ier siècle. Nous en avons sans doute un exemple dans la grande et gracieuse vigne du Cimetière de Domitille. Les petits génies ailés, si souples et si naturels, qui jouent parmi ses branches, ne sont nullement en contradiction avec le sens chrétien et figuré de cette importante peinture. On a voulu voir en eux soit des anges, soit l’image emblématique de la vie humaine; nous croyons qu’il ne faut pas aller chercher si loin le sens de ces charmants accessoires. Ce sont des ornements dessinés dans une intention purement décorative, selon le mode classique; c’est un souvenir de l’école artistique d’où est sortie la peinture chrétienne, et dont elle conserva longtemps les habitudes, les formules, le tour d’imagination et le goût.
«La parabole des vierges sages et des vierges folles a été vue par Bosio dans un cubiculum du cimetière de Sainte-Agnès, ou plutôt, dans cette fresque, les vierges sages paraissent seules représentées deux fois. La parabole tout entière, les vierges sages à la droite du divin fiancé, les vierges folles à sa gauche, a été découverte récemment dans les fresques d’un cubiculum du cimetière de Saint-Cyriaque; les unes et les autres tiennent dans leurs mains non des lampes, comme le veut le texte évangélique, mais des torches, suivant l’usage romain.
«Sur une pierre tombale conservée au musée Kircher, on voit l’image d’un homme qui, la tunique relevée, jette au loin des semences. Est-ce une allusion à la parabole du Semeur? Peut-être, et c’est alors le seul exemple connu; peut-être aussi a-t-on voulu simplement représenter l’image du défunt et rappeler les occupations de la vie rurale.»
Les peintures symboliques qui se rapportent à la personne elle-même du Christ sont beaucoup plus nombreuses. Les premiers chrétiens l’ont représenté sous les traits d’Orphée, sous ceux de Moïse, de Tobic, de Jonas, d’un jeune homme sans barbe au milieu des docteurs, et, sans adopter en aucune manière la théorie exclusive et passionnée de Raoul Rochette, il me semble que M. Allard n’a pas assez insisté sur ces curieuses personnifications. Ces représentations étaient, dans l’esprit de leurs auteurs, de véritables allégories. Moïse est le précurseur du Christ, le représentant de l’ancienne alliance, de la loi; Jonas figure la résurrection; Orphée, comme les sibylles, passait pour avoir prédit aux Gentils la venue du Messie; et, de même que dans la Sixtine Michel-Ange fait alterner les sibylles avec les prophètes hébreux, ainsi, dans les peintures des Catacombes, Moïse et Orphée ou Jonas et Orphée sont deux types de précurseurs ou de prophètes du Christ, l’un pour les Juifs, l’autre pour les Gentils.
De toutes les paraboles de l’Évangile, c’est celle du bon Pasteur que l’on rencontre le plus souvent dans les Catacombes, et ce tendre et doux berger conduisant ou rapportant sur ses épaules ses brebis semble avoir été le sujet favori des premiers peintres chrétiens. Tertullien nous apprend qu’il était souvent gravé sur les calices. On la rencontre partout et sous toutes les formes, peinte à fresque sur les murailles et sur les voûtes, dessinée sur les pierres sépulcrales, sculptée sur les sarcophages, moulée sur les lampes en terre cuite. Ces représentations ont une certaine diversité. Ordinairement, c’est le bon Pasteur qui porte sur ses épaules un agneau et même un bouc ou une chèvre; d’autres fois il caresse une brebis isolée ou il se tient debout au milieu du troupeau. Les attributs que les artistes chrétiens ont donnés au bon Pasteur sont également variés; ce sont le plus souvent la houlette, le vase de lait, le syrinx ou flûte du Pan. Ce dernier attribut, emprunté aux habitudes païennes, se rapporte certainement à cette parole de l’Évangile: «Les brebis suivent le berger parce qu’elles connaissent le son de sa voix.» Ces représentations sont quelquefois compliquées de figures de personnages réels. «C’est là précisément ce que nous voyons, dit M. Allard, dans la planche XVII, copie d’une fresque peinte au-dessus d’un arcosolium dans le cimetière de Calliste, et coupée plus tard par l’entaillement d’un loculus, ce qui est, pour une peinture, une note évidente d’antiquité. Des deux côtés du bon Pasteur, qui occupe le centre de la composition, on voit deux hommes, probablement saint Pierre et saint Paul (?), représentant l’universalité des apôtres et des ministres de l’Évangile. Devant chacun d’eux s’élève un rocher, le vrai rocher du désert, d’où coulent les eaux de la vie éternelle, c’est-à-dire les sacrements et les grâces du christianisme. Les apôtres unissent leurs deux mains comme pour y recevoir l’eau qui tombe du rocher et la répandre ensuite sur la tête des fidèles, représentés par deux brebis qui se tiennent devant chacun d’eux. D’un côté est une brebis qui, la tête levée, semble écouter attentivement; peut-être ne comprend-elle pas, mais elle médite la parole et cherche à en pénétrer le sens; l’autre se détourne: sans doute une âme rebelle sur laquelle la parole ne prend pas. Du côté opposé, une des brebis boit avec simplicité et amour l’enseignement qui tombe sur elle; l’autre, sans se détourner, baisse la tête et continue à brouter l’herbe, âme pliée vers les choses de la terre, incapable de s’en détacher.» J’ai tenu à citer ce passage du livre de M. Allard, non-seulement à cause de l’importance et de l’intérêt de la peinture, mais pour donner un exemple (et j’aurais pu en choisir de beaucoup plus marqués) de ces interprétations, que tous ceux qui verront les planches, d’ailleurs très-bien exécutées, du volume de M. Allard trouveront, je crois, un peu aventurées et par trop précises, mais qui sont dans les habitudes de l’école catholique moderne.
Les ouvrages représentant des scènes de l’Ancien Testament sont nombreux dans les Catacombes; cependant ils roulent sur un nombre de motifs assez restreint. On y voit très-souvent, par exemple, l’arche de Noé, mais il est toujours figuré sous le même aspect: un homme debout, dans une sorte de caisse qui a l’aspect d’un fauteuil creux et qui tient dans la main une colombe portant le rameau d’olivier; la figure de Jonas se trouve aussi fréquemment reproduite sur les murs des cimetières chrétiens; il symbolisait sans deute la résurrection, et on donne peut-être un peu arbitrairement la même signification à Daniel dans la fosse aux lions. Deux autres sujets: Moïse frappant le rocher et Jésus ressuscitant Lazare, se voient très-souvent réunis sur la même muraille ou sur le même sarcophage; mais je ne crois pas que jusqu’ici on ait donné une explication satisfaisante de ce rapprochement.
Les peintures historiques proprement dites, celles qui représentent Jésus-Christ, la Vierge et les saints, se rencontrent rarement dans les Catacombes, et, comme je l’ai dit plus haut, je crois, malgré tout le respect que j’ai pour les opinions de M. de Rossi, qu’elles sont postérieures au IVe siècle. On ne possède aucun portrait de Jésus-Christ, et ceux que l’on attribue à saint Luc et que l’on voit partout en Italie et ailleurs n’ont aucune espèce d’authenticité. Sur ce point, aucune contestation sérieuse. Eusèbe, saint Augustin et saint Basile semblent, il est vrai, faire allusion à des portraits anciens, mais s’ils ont existé, ils avaient disparu déjà de leur temps et n’ont laissé aucune trace dans les Catacombes où les images de Jésus-Christ n’offrent aucune ressemblance entre elles ni aucun caractère individuel. Il se passa d’ailleurs longtemps avant qu’on essayât de reproduire la figure du Christ. Plusieurs docteurs, et entre autres saint Cyrille, citant Tertullien, prétendirent que son visage était ignoble «aspectu quidem honestus... si ingloriosus, si ignobilis meus erit Christus .» Était-ce tradition ou un souvenir des paroles d’Isaïe: «Il n’y a en lui ni forme ni apparence; quand nous le regardons, il n’y a rien en lui qui fasse que nous le désirions» ; ou simplement une expression énergique pour marquer le mépris qu’il fallait avoir de la chait et de la beauté et l’importance qu’on devait donner à l’être moral sans se soucier de la forme? Tout en convenant de la part importante que les prophéties messianiques durent avoir sur la formation de cette idée et de la sanction qu’elles lui donnèrent, il est peut-être plus naturel de supposer qu’on ne voulait que détourner et dégoûter des représentations matérielles qui auraient pu fournir un aliment à l’idolâtrie encore menaçante.
A partir du Ve siècle, les compositions où se trouve la figure du Christ sont nombreuses. Elles représentent les principales scènes de sa vie, et souvent aussi le couronnement de la Vierge, sujet pour lequel les peintres mystiques montrent une grande prédilection. Mais il semble qu’on ait hésité longtemps devant la représentation du sacrifice final de cette vie sublime. C’est, si je ne me trompe, dans la catacombe de saint Valentin que se trouve le premier crucifiement. Cette peinture paraît dater du VIIe siècle, et c’est en effet en 692 que le concile de Constantinople permit de représenter le Christ sur la croix .
Les représentations de la Vierge sont relativement peu nombreuses, et elles ne semblent pas être très-anciennes. Je ne parle pas, bien entendu, de ces femmes isolées, debout, les bras étendus, dans l’attitude de la prière, de ces orantes où l’on a cru voir la personnification soit de Marie, soit de l’Église. Je parle de la mère de Jésus-Christ; et l’absence d’une figure qui a pris plus tard une si grande importance dans l’art ecclésiastique est toute naturelle. En effet, à moins d’être sous l’empire d’une idée préconçue, on reconnaîtra que la personnalité de la mère du Christ tient une place très-effacée, soit dans l’Évangile et dans les autres livres du Nouveau Testament, soit dans les ouvrages des premiers Pères. Le motif si connu de la Vierge avec l’Enfant ne se formula qu’assez tard, et en général on peut dire que les types de l’art chrétien qui prirent par la suite la valeur de véritables dogmes, et dont tous les traits furent réglés avec un soin minutieux, donnèrent lieu à bien des hésitations.
L’élément gentil, celui que représente saint Paul pour les premiers docteurs, et qui fut plus particulièrement mis en lumière par les Pères grecs et par les Églises de l’Asie Mineure, semble avoir d’abord dominé. Jusqu’au concile d’Éphèse, en 431, la Vierge (et on pourrait même douter de la légitimité de cette attribution) est représentée sous les traits d’une jeune femme seule. Ce n’est que plus tard que la mère apparaîtra. Cette idée d’un Dieu né d’une femme semble avoir paru scandaleuse aux premiers chrétiens; ils évitent d’accuser par une représentation précise un fait qui devait paraître inouï à des gens imbus des idées de la Grèce, qui regardaient la femme comme un être inférieur destiné aux plaisirs d’un maître et aux occupations vulgaires de la vie. Il fallut les influences juives et romaines réunies pour lui donner sa place. L’égalité de la femme, cette seule base possible donnée à la famille par le christianisme, devait être facilement acceptée par les Juifs, qui y étaient préparés par l’importance extrême qu’ils donnaient à la filiation légitime. Quant aux Romains, leur admirable instinct juridique leur avait fait prévoir comme vérité sociale une idée qui devait jeter plus tard de si profondes racines dans la conscience et dans les mœurs.
Il faut s’arrêter. Je n’ai pourtant parlé ni des peintures liturgiques, ni des verres dorés si importants pour l’histoire de l’art ecclésiastique, ni surtout des intéressantes découvertes que M. de Rossi a faites dans la catacombe de Calliste, ni de tant d’autres sujets qu’il a traités avec passion peut-être, mais aussi avec une rare érudition et un esprit plein de ressources. Cependant j’espère en avoir dit assez pour faire comprendre l’admiration que méritent de si nobles travaux et l’intérêt d’un livre qui, par les richesses des matériaux qu’il renferme, les nombreuses et belles gravures dont il est orné, mérite de trouver place dans toute bibliothèque sérieuse.
Décembre 1872.