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NOTICE SUR CHARLES PERRAULT.

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CHARLES L’ERRAULT naquit à Paris le 12 janvier 1628. Il a écrit lui-même sa vie. C’est dans ses mémoires que nous avons puisé les détails sur la jeunesse et l’âge mur de cet auteur illustre, un des plus chers à l’enfance.

Donnons-lui tout de suite la parole.

«Je fus nommé Charles par mon frère le receveur-

» général des finances, qui me tint sur les fonts avec

Françoise Pépin, ma cousine.

» Ma mère se donna la peine de m’apprendre à lire, après quoi on m’en-

» voya au collége de Beauvais, à l’âge de huit ans et demi. J’y ai fait toutes

» mes études, ainsi que tous mes frères. Mon père prenait la peine de me

» faire répéter mes leçons, les soirs, après souper, et m’obligeait de lui dire,

» en latin, la substance de ces leçons. J’ai toujours été des premiers dans mes

» classes, hors des plus basses, parce que je fus mis en sixième que je ne sa-

» vais pas encore bien lire. J’aimais mieux faire des vers que de la prose, et

» les faisais quelquefois si bons, que mes régents me demandaient souvent qui

» me les avait faits. J’ai remarqué que ceux de mes compagnons qui en fai-

» saient bien ont continué d’en faire: tant il est vrai que ce talent est naturel,

» et se déclare dès l’enfance.

» Je réussis particulièrement en philosophie: il me suffisait souvent d’a-

» voir attention à ce que le régent dictait, pour le savoir, et pour n’avoir pas

» besoin de l’étudier ensuite. Je prenais tant de plaisir à disputer en classe,

» que j’aimais autant les jours qu’on y allait que les jours de congé. La facilité

» que j’avais pour la dispute me faisait parler à mon régent avec une liberté

» extraordinaire, et qu’aucun autre des écoliers n’osait prendre. Comme j’é-

» tais le plus jeune, et un des plus forts de la classe, il avait grande envie

» que je soutinsse une thèse à la fin des deux années; mais mon père et ma

» mère ne le trouvèrent pas à propos, à cause de la dépense où engage cette

» cérémonie,

» Le régent eut tant de chagrin, qu’il me fit taire lorsque je voulus

» me disputer contre ceux qui devaient soutenir des thèses. J’eus la har-

» diesse de lui dire que mes arguments étaient meilleurs que ceux des Hiber-

» nois qu’il faisait venir, parce qu’ils étaient neufs, et que les leurs étaient

» vieux et tout usés. J’ajoutai que je ne lui ferais point d’excuses de parler

» ainsi, parce que je ne savais que ce qu’il m’avait montré. Il m’ordonna une

» seconde fois de me taire, sur quoi je lui dis, en me levant, que puisqu’il ne

» me faisait plus dire ma leçon qu’on ne disputait plus contre moi et qu’il m’é-

» tait défendu de disputer contre les autres, je n’avais plus que faire de venir

» en classe. En disant cela, je lui fis la révérence, et à tous les écoliers, et

» sortis de la classe. Un de mes amis, nommé Beaurin, qui m’aimait fort, et

» qui s’était en quelque sorte rangé auprès de moi parce que toute la classe

» s’était déchaînée contre lui sans savoir pourquoi, sortit aussi, et me suivit.

» Nous allâmes de là au jardin du Luxembourg, où ayant réfléchi sur la dé-

» marche que nous venions de faire, nous résolûmes de ne plus retourner en

» classe parce qu’il n’y avait plus à profiter, tout le temps ne s’employant

» qu’à exercer ceux qui devaient répondre; et nous nous mimes à étudier.

» Cette espèce de folie fut cause d’un bonheur; car si nous eussions achevé nos

» études à l’ordinaire, nous aurions apparemment, chacun de notre côté, passé

» le temps à ne rien faire. Nous exécutâmes notre résolution, et, pendant trois

» ou quatre années de suite, M. Beaurin vint presque tous les jours deux fois au

» logis, le matin à huit heures jusqu’à onze, et l’après-dînée, depuis trois

» heures jusqu’à cinq. Si je sais quelque chose, je le dois particulièrement

» à ces trois ou quatre années d’études.

» Dans ce temps-là vint la mode du burlesque. M. Beaurin, qui savait que

» je faisais des vers, mais qui jamais n’avait pu en faire, voulut que nous tra-

» duisissions le sixième livre de l’Énéide en vers burlesques.

» Il y a deux vers, dans le sixième livre de l’Énéide, qui ont été fort esti-

» més: c’est dans l’endroit où Virgile dit que les héros conservent, dans les

» Champs-Elysées, les mêmes inclinations qu’ils ont eues pendant leur vie. On

» voyait là, dit la traduction, le cocher Tydacus,

Qui, tenant l’ombre d’une brosse,

Nettoyait l’ombre d’un carrossa.

Charles Perrault alla un 1651, prendre ses licences à Orléans, il raconte avec une naïveté charmante cette expédition scientifique.

«Dès le soir même que nous arrivâmes, dit-il, il nous prit fantaisie de nous

» faire recevoir; et ayant heurté à la porte des écoles sur les dix heures du

» soir, un valet qui vint nous parler à la fenêtre, ayant su ce que nous souhai-

» tions, nous demanda si notre argent était prêt. Sur quoi ayant répondu que

» nous l’avions sur nous, il nous fit entrer, et alla réveiller les docteurs, qui

» vinrent au nombre de trois nous interroger, avec leurs bonnets de nuit sous

» leur bonnet carré. En regardant ces trois docteurs à la faible lueur d’une

» chandelle, dont la lumière allait se perdre dans l’épaisse obscurité des voù-

» tes du lieu où nous étions, je m’imaginais voir Minos, Éaque et Rhada-

» mante, qui venaient interroger des ombres.

» Ces trois docteurs nous dirent qu’il y avait plus de deux ans qu’ils n’en

» avaient interrogé de si habiles, et qui en sussent autant que nous. Je crois

» que le son de notre argent, que l’on comptait derrière nous pendant que l’on

» nous interrogeait, fit la bonté de nos réponses. Le lendemain, après avoir

» vu l’église de Sainte-Croix, la figure de bronze de la Pucelle, qui est sur le

» pont, et un grand nombre de boiteux et de boiteuses parmi la ville, nous re-

» prîmes le chemin de Paris. Le 27 du même mois, nous fûmes reçus tous

» trois avocats.»

Charles Perrault plaida deux causes avec succès, il avait le projet de suivre la carrière du barreau, mais ses frères le dégoûtèrent tellement de la profession d’avocat qu’il s’en dégoûta lui-même.

Pierre Perrault frère aîné de notre auteur. Ayant acheté la charge de receveur-général des finances de Paris, lui proposa d’être son commis, et d’aller demeurer avec lui. Il accepta cette proposition, où il voyait d’ailleurs plus de douceur et de plaisir qu’à traîner une robe dans le palais.

«Je fus dix ans avec lui, dit-il, car j’y entrai au commencement de l’année

» 1654, j’en sortis pour aller chez M. Colbert, en 1664, et voici comment la

chose arriva.

» Ma mère étant morte en l’année 1657, peu de temps après le mariage de

» mon frère le receveur-général des finances, la maison de Viry fut donnée à

» mon frère le receveur, dans le partage que nous fîmes des biens de la suc-

» cession de la famille. Il y fit bâtir un corps de logis, et comme j’avais un

» plein loisir, car mon frère avait pris un commis pour sa recette générale, je

» m’appliquai à faire bâtir cette maison, qui fut trouvée bien entendue. Il est

» vrai que mes frères avaient grande part au dessin de ce bâtiment, que je

» conduisis, n’ayant pour ouvriers que des Limousins qui n’avaient fait autre

» chose toute leur vie que des murs de clôture: je leur fis faire aussi la rocaille

» d’une grotte, qui était le plus bel ornement de cette maison de campagne.

» Quand ils montraient tout cela à leurs amis limousins, comme leur ouvrage,

» il les étonnaient fort, et ils s’acquirent une grande réputation d’habileté. Je

» rapporte ici la part que j’ai au bâtiment de Viry, parce que le récit qu’on

» en fit à M. Colbert fut cause particulièrement de ce qu’il songea à moi pour

» en faire son commis dans la surintendance des bâtiments du roi: ce qui

» arriva vers la fin de l’année 1663.

Sur la fin de 1662, Colbert, qui prévoyait que Louis XIV lui donnerait la surintendance des bâtiments, eut l’idée de former d’avance auprès de lui un conseil de gens de lettres «qu’il pût consulter sur toutes les choses qui regardent les bâtiments, et où il pût entrer de l’esprit et de l’érudition. Il jeta d’abord les yeux sur Chapelain, qu’il connaissait «pour l’homme du monde qui avait le goût le meilleur et le sens le plus droit;» il lui adjoignit l’abbé de Bourseis et l’abbé de Cassagnes. Pour choisir une quatrième personne, il s’adressa à Chapelain, qui, de son propre mouvement, nomma Charles Perrault avec toutes sortes d’éloges. Colbert, qui avait vu et goûté les vers de Perrault, voulut avoir de sa prose, et pria Chapelain de lui demander d’écrire sur l’acquisition de Dunkerque que le roi venait de faire. Ce discours, rédigé aussitôt, plut au ministre, qui réunit son conseil, lui déclara ses intentions, et fixa les assemblées aux mardi et vendredi de chaque semaine. Dès cette première séance, Charles Perrault fut désigné pour tenir la plume, et, le 15 février 1664, Colbert lui remit une bourse contenant cinq cents écus en or, gratification que le ministre augmenta depuis de deux cents livres, et qui fut continuée jusqu’en 1689.

Cette petite Académie, comme on l’appela, était chargée de corriger tous les ouvrages à la louange du roi qu’on devait imprimer au Louvre, et de composer toutes les devises latines dont Colbert avait besoin pour les médailles, pour les enseignes de régimens, pour les monumens, et pour les tapisseries des Gobelins; ce fut l’origine de l’Académie des inscriptions et Belles-Lettres. Colbert se proposait d’employer la petite Académie à travailler sous ses yeux à l’histoire du roi; il présenta même les quatre historiographes à Louis XIV, qui leur dit: «Vous pouvez, messieurs, juger de l’estime que je fais de vous, puisque je vous confie la chose du monde qui m’est la plus précieuse, qui est ma gloire, je suis sûr que vous ferez des merveilles; je tâcherai, de ma part, de vous fournir de la matière qui mérite d’être mise en œuvre par des gens aussi habiles que vous êtes.» Le savant helléniste Charpentier fut associé à la petite Académie, et spécialement chargé de rédiger cette histoire, dont Charles Perrault avait déjà écrit plusieurs parties sous la dictée même de Colbert. Mais ce projet fut abandonné, et repris plus tard par Mme de Montespan, qui confia ce travail à Pélisson, Racine et Boileau.

Charles Perrault, que ses attributions avaient placé dans les bonnes grâces de Colbert, devint contrôleur-général des bâtimens; il fut bientôt à portée de servir son frère Claude avec un noble dévouement en lui facilitant l’entrée de l’Académie des Sciences qui venait d’être créée, et en favorisant l’adoption de ses plans d’architecture pour l’Observatoire et pour le Louvre. Ce fut en 1664 que l’on songea sérieusement à élever la façade de ce palais; les modèles de Levau, premier architecte du roi, furent soumis à la critique des autres architectes, et ceux-ci invités à présenter des dessins de leur invention: on exposa ces dessins dans une salle du Louvre; l’un d’eux réunit tous les suffrages; il était de Claude Perrault, qui devait à son frère Charles l’idée du péristyle. «Colbert en fut charmé, et ne concevait pas qu’un homme qui n’était pas architecte de profession eût pu faire rien de si beau.» Néanmoins Colbert résolut de ne pas se décider sans avoir l’approbation des principaux architectes de l’Italie.

Il fit même venir à Paris l’artiste italien le plus célèbre de ce temps-là, le cavalier Bernin. Mais on renonça bientôt aux plans soumis par cet artiste, pour s’en tenir aux plans de Claude Perrault.

Bientôt Charles Perrault fut élu de l’Académie française. Il avait toute la confiance du grand Colbert, qui appréciait la capacité et. empruntait les lumières de son modeste conseiller dans ce qui concernait les arts et les sciences. Après les conquêtes de Flandre et de Franche-Comté, Colbert voulut ériger un arc-de-triomphe à la gloire du roi: Lebrun et Levau eurent ordre de présenter un plan; mais Charles Perrault envoya au ministre un griffonnement qui fut agréé, et qui servit à Claude Perrault pour faire le modèle du monument de la porte Saint-Antoine, démoli en 1716. Riquet, ce grand ingénieur, qui avait réuni les deux mers par le canal du Languedoc, proposa d’amener les eaux de la Loire à Versailles; mais Charles Perrault jugea du premier coup d’œil cette entreprise, comme impossible, et invita Colbert à ne pas commencer les travaux sans avoir fait niveler le terrain que les eaux devaient parcourir: l’Académie des sciences justifia les prévisions de Perrault, en constatant par le nivellement que les eaux venues de la Loire n’atteindraient pas le pied de la montagne de Satory. Ce débat entre Riquet et Perrault fut peut-être l’origine du conte de Riquet à la Houpe, dans lequel la cuisine du prince se prépare sous terre, et ou l’on voit les miracles que peut faire l’esprit.

Le génie des deux Perrault eut à s’exercer dans l’ornement du jardin de Versailles que Louis XIV faisait planter par Lenostre et La Quintinie; Charles Perrault imagina les bains d’Apollon «pour représenter que le roi vient se reposer à Versailles après avoir travaillé à faire du bien à tout le monde;» Claude Perrault mit en œuvre la pensée de son frère, et dessina les groupes que Giradon, Regnaudin et Guérin sculptèrent en marbre. Les deux frères composèrent ensemble la plupart des grands vases, plusieurs bas-reliefs et quelques fontaines, qui furent exécutés en marbre et en bronze d’après leurs dessins à l’admiration du roi et de sa cour.

En 1682, Perrault sur qui pesait tout le poids des ennuis et des préoccupations que les prodigalités de Louis XIV amenèrent vers la fin de son règne, se décida à céder sa place de contrôleur-géneral à M. de Blainville, fils de Colbert. Il se retira pour vivre obscurément dans sa petite maison de la rue Saint-Jacques au milieu de ses fils: là, il prenait soin lui-même de leur éducation, en les envoyant au collége voisin; il ajoutait ses leçons à celle des régents de classes, et surveillait spécialement les mœurs de ses enfans. Il ne laissait pas néanmoins de continuer dans sa retraite les études et les compositions qu’il aimait; il se rendait scrupuleusement aux séances de l’Académie, et y faisait des lectures de ses ouvrages, la plupart de peu d’étendue, mais tous remarquables par la variété du genre et par quelque tour de force d’expression.

La longue querelle de Perrault avec Boileau est connue de tout le monde. Les contes en vers de Perrault servirent de texte à la malignité de Boileau qui inventa pour eux ce titre bouffon: «Le conte de Peau d’Ane et l’histoire de la Femme au nez de Boudin, mis en vers par M. Perrault, de l’Académie française.

Ce fut sans doute à cause de cette réprobation de Boileau contre les Contes de Fées, que Perrault n’osa pas imprimer sous son nom le recueil qu’il attribua en 1697 à son fils, Perrault d’Armancour.

Perrault, dont la maison était le rendez-vous des savans et des gens de lettres, aimé et estimé de quiconque le connaissait, exclusivement occupé de poésie et de critique, indifférent aux honneurs et satisfait de sa fortune, mourut tranquillement, en philosophe chrétien, dans les bras de ses enfans et de ses amis, le 16 mai 1703.

Les contes des fées

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