Читать книгу Examen critique des dictionnaires de la langue françoise - Charles Nodier - Страница 5
A
ОглавлениеA. Substantif.
1o En terme d’antiquités, lettre de suffrage on d’absolution.
2o Affirmation en logique.
3o Expression abrégée du mot alto en musique.
4o Expression abrégée du mot accepté, dans l’usage du commerce.
5o Expression abrégée du mot altesse.
Acceptions omises.
Figures familières: ne pas faire une panse d’a ne savoir ni a ni b.
ABANDONNEMENT. Très-beau et très-utile dans un sens où le mot abandon, presque entièrement passé au sens moral, ne suffit plus.
ABAQUE. Outre les acceptions recueillies par M. Boiste, ce mot prend encore les acceptions suivantes:
1o Une planche dont les anciens se servoient pour compter;
2o Une table de jeu antique;
3o Un lutrin.
ABBÉ. De cette racine abba ou appa qui signifie père; il en est de même de pape, de papa, etc. On dit le saint Père; on appelle mon père un ecclésiastique, un moine. Le premier gouvernement a été l’image de la famille, et le premier gouvernement, ce fut la théocratie.
L’analogie s’est perdue dans les choses: elle reste dans les mots.
ABDALAS. 5. m, pl. ACADÉMIE.–Ou singulier, suivant le nombre.
Nom générique. GATTEL.–Nom vague.
Moine persan, BOISTE.–Les religieux du Levant se qualifient abd’allah ou serviteurs de Dieu; mais on ne dit pas un abd allah comme on dit un capucin.
La Perse est un pays et non pas une religion.
Que diroit-on d’un dictionnaire de l’Académie d’Ispahan où les mots serviteur de Dieu seroient expliqués par ceux-ci: moine françois? Mais quand l’Académie d’Ispahan fera un dictionnaire, elle aura le bon esprit de n’y pas parler de nos moines.
ABOYER. Béer à: voilà pourquoi on dit d’un chien qu’il aboie ou qu’il bée à la lune; d’un sot, qu’il baille, baye ou bée aux corneilles: béer est le mot propre, mais bayer s’y est substitué. Bailler, hiare, est un autre verbe. On a écrit: abayer, écouter bouche béante.
ABRACADABRA. Mot de magie, ACADÉMIE. –Y a-t-il donc des mots de magie?
Mot auquel on attribue la vertu de guérir la fièvre en le portant écrit autour du cou. WAILLY. –Si la postérité conclut de là qu’il y avoit quelqu’un en France, à la fin du XVIIIe siècle, qui attribuât une pareille propriété à un amulette, c’est qu’elle sera trompée par un solécisme.
Il falloit dire: mot auquel on a attribué la vertu de guérir les maladies, ses lettres étant disposées suivant un certain ordre:
ou plutôt, il n’en falloit rien dire, car ce mot n’est, pas François.
ABRAXAS s. m. Mot magique et mystérieux. WAILLY.–Ce n’est point un substantif masculin; c’est un nom propre. Ce n’étoit point un mot magique; il n’agissoit ou ne passoit pour agir magiquement qu’à la manière du Jehovah des Hébreux. C’est le nom d’une divinité qui présidoit aux trois cent soixante-cinq jours de l’année et qui avoit une vertu pour chacun. On ne sait ce qu’elle faisoit le bissexte.
ABRÉVIATIONS. Il est essentiel d’indiquer les lettres abréviatives aux étrangers, dans un Dictionnaire bien fait, puisque notre langue en admet un nombre considérable. J’ai essayé d’en déterminer certaines aux lettres typiques de chaque division; mais j’ai dû en omettre bien davantage. Il faudroit remarquer avant tout que les prénoms sont susceptibles d’être ainsi désignés par leur initiale, ce qui est d’ailleurs commun à toutes les langues; mais ce qui doit tous les jours devenir plus rare, la multiplicité de ces initiales équivoques engendrant une confusion inexplicable et dangereuse. Le renouvellement de la société telle qu’elle est, ou même celui du Calendrier canonique y pourvoira nécessairement tôt ou tard.
ABRUTISSEUR. Se dit des Turcs, BOISTE.– Il falloit dire: On ne l’a dit qu’une fois, et on l’a dit des Turcs; mais, s’il peut se dire, on le dira de tout ce qui abrutit, et il deviendra adjectif. On peut parier contre: c’est un néologisme barbare.
ABSINTHE, s. f. Genre imposé par analogie aux mots de la langue qui ont la même désinence. Etymologiquement il seroit masculin, comme en latin.
Malherbe a dit:
Tout le fiel et tout l’absinthe...
et l’Académie, qui ne connoît, pas ce genre du mot absinthe, ne lui connoît pas non plus cette acception.
ACADÉMIE. Court de Gébelin le fait dériver de l’oriental Cadm ou Qadm dont on a fait Cadmus et qui signifie l’orient. C’est une très-plaisante idée.
Mais pourquoi une société de gens de lettres françois, qui ne s’occupent pas du grec, a-t-elle tiré son nom des jardins d’Académus? autant vaudroit l’avoir emprunté de l’oriental Cadm ou Qadm.
ACCESSIT. T. de collège, emprunté du latin: récompense donnée à un écolier qui a le plus approché du prix. GATTEL.–M. Gattel a oublié l’accessit d’Académie qui ne se donne pas toujours à des écoliers.
ACCORTEMENT. Adverbe excellent qui siéroit encore à merveille dans le genre simple et naïf, s’il reste un genre simple et naïf à notre ambitieuse littérature.
Ma bouche accortement saura s’en acquitter.
CORNEILLE.
ACCORTISË. Mot charmant renouvelé par Voltaire. Il n’est point remplacé par courtoisie qui indique une disposition générale du caractère, tandis qu’ accortise a rapport à une circonstance déterminée.
ACCOUTUMANCE. La Harpe dit très-bien: Cours de littérature, t. XII, p.162. L’oreille étant de tous les sens le plus docile à /’accoutumance, et le plus rebelle à la nouveauté. Dans cette acception, ce mot n’a point de synonime satisfaisant.
ACEPHALE. Les Dictionnaires ont oublié une acception de ce mot tout grec. On appelle acéphale un vers qui commence par une brève.
ACERBE. Les vieux glossaires définissent très-bien le sens primitif par cette phrase excellente: Qualité d’un fruit cru, qui n’a pas mûri.
Les derniers, en rendent l’idée par ces mots: Un milieu entre l’aigre, l’acide et l’amer. Il est difficile de comprendre ce que c’est qu’un milieu entre trois choses dont l’une n’a aucun rapport avec les deux autres.
ACOUSTIQUE. Tout le monde sait que ce mot vient du grec , écouter; mais d’où vient écouter, si ce n’est aussi d’? Le patois acouter est donc beaucoup plus conforme à l’étymologie que le vocable françois. Il y a dans notre langue mille exemples de semblables bizarreries. C’est le peuple qui, sans s’en douter, parle la langue savante, parce que, plus fidèle aux traditions, il ne reçoit que fort tard les modifications du langage.
ACROUPTONS. Sur la croupe, BOISTE.–Il faudroit écrire à croupetons, avec la particule préposée, si ce mot pouvoit être françois. Il est, patois, et quiconque l’écrira, l’écrira comme bon lui semble.
ACYROLOGIE. Manière de parler impropre: sperare pour timere dolorem dans Virgile. J’espère que vous vous portez bien, pour, je pense ou il paroît, etc. Omis.
ADAGE. Proverbe, maxime, style plaisant. WAILLY.–Pas toujours.
ADAM. Josephe dit qu’il signifie rouge, et il en conclut que la terre dont Adam fut tiré étoit rouge. Cela n’est pas encore bien clair; mais Adam est un des premiers vocables de l’enfance, et convenoit fort bien au nom de l’homme que ce mot a désigné jusqu’ici dans cinq ou six langues du Levant.
ADJECTIF. C’est une chose extraordinaire en grammaire et en logique qu’un adjectif devienne l’attribut, d’un autre, comme le Perfide généreux d’Héraclius.
Il faut nécessairement alors que l’esprit fasse un substantif d’un de ces deux attributs; et, si le choix n’en est pas déterminé par une circonstance très-sensible, il résulte de leur assemblage un vague qui nuit à l’effet.
On ne peut décider jusqu’à quel point la poésie pourroit parvenir à faire une beauté de cette hardiesse; mais, dans Héraclius, elle ne me présente qu’un défaut.
ADORER, ad os.–C’est le premier signe d’adoration; on a ensuite mis la main sur le cœur, et puis on s’est prosterné; puis on s’est couché sur la terre. L’adoration a d’abord été restreinte à Dieu, aux êtres surnaturels, aux abstractions; voilà un mot fort éloigné de son étymologie. Ce que les hommes ont le plus raffiné c’est, l’abaissement.
ADRAGANTE. adj. f. ADRAGANT. s. m. Barbarismes. Il faut dire tragacanthe.
AEROPHOBE. Qui craint l’eau, BOISTE.– Voilà une singulière définition. Tous les poissons sont nécessairement aérophobes, mais on sait s’ils craignent l’eau.
AFFRE. Mot d’ un usage énergique, regretté par Voltaire, et dont est fait l’adjectif affreux. On ne sait à quel propos M. Boiste le donne pour persécution; avec, ou d’après le critique de l’Academie.
AGA. interj. de surprise, BOISTE.–D’indication. C’est l’impératif antique du vieux verbe agarder ou regarder; et un caractère de l’impératif est, comme on sait, de perdre la terminaison de l’infinitif.
AGATE. Du grec , tiré lui-même , un arbre ou une fleur épineuse, parce que la plupart des agates paroissent contenir des plantes de cette espèce.
Le savant Périon fait venir de ce mot le nom de l’églantier, qu’on prononçoit de son temps aglantier ou agantier. Cette particularité orthographique équivaut à une démonstration.
Il n’est personne qui n’aperçoive dans le même mot l’étymologie du nom de l’acacia.
AGE. 5. m.–Féminin dans ce passage de Malherbe:
Que d’hommes fortunes en leur âge première
Trompés de l’inconstance à nos ans coutumière....
AGRICULTEUR, s. m. Néologique et barbare culteur n’étant pasfrançois; dites agricole.
BOISTE.
–Agricole n’est jamais qu’adjectif. La raison de M. Boiste pour rejeter ce mot est très-mauvaise. C’est que le composant culteur n’est pas françois. Dans législateur, lateur n’est pas françois, et législateur est bon. Et puis cole n’est pas plus françois que culteur.
AGUET. N’a d’usage qu’au pluriel, ACADÉMIE. –Il est employé au singulier d’une manière très-heureuse, ce me semble, dans le vers suivant:
Quand l’aguet d’un pirate arrêta leur voyage.
MALHERBE.
AHALER, ADHALER. Deux néologismes assez utiles, dont le premier paroît d’une composition plus pittoresque et plus heureuse.
AH AN. Suer d’ahan, phrase de définition, Dict. de l’Académie; inusitée suivant son critique. Elle est dans Costar.
AHURI. Interdit, stupéfait, maladroit; ce que j’apprends à toute la France qui n’a jamais vu ce mot que dans les dictionnaires, et qui ne l’y a pas plus remarqué, que cinquante autres barbarismes; c’est du patois de Paris ou de sa banlieue.
AI. prononcé É.A quoi conduisent de prétendues améliorations d’orthographe dans une langue qui n’est pas renouvelée simultanément? à tout confondre.
J’ai écrit ailleurs: Le mot j’aimerois, orthographié selon la ridicule méthode de Voltaire nous a fait perdre une valeur de prosodie et une nuance de prononciation.
Dans ce vers de Corneille:
Le prince pour essay de générosité.
Scudéry reprenoit la rime léonine d’essay et de générosité.
L’Académie déclara qu’il n’y avait pas même de consonnance, et l’Académie eut raison. Il n’y avoit cependant de différence, entre ces deux opinions, que de la prononciation de Scudéry à celle de Chapelain.
AIGAIL. On dit en poésie l’aigail des prés, des fleurs. Il est peu usité, GATTEL.–Si peu usité qu’on ne l’avoit jamais vu que dans Jacques du Fouilloux, avant de le voir là.
L’orthographe égail est très-mauvaise, parce qu’elle ne rappelle aucunement l’étymologie, qui est le patois aigue, fait du latin aqua.
AIL. Le pluriel étoit autrefois aulx.
M. Boiste donne aux, et M. Gattel aus; dans l’usage le plus commun c’est ails; et dans le bon usage ce n’est rien de tout cela. On dit généralement de l’ail; et ce mot ne se pluralise jamais.
AIMABLEMENT. Ce charmant adverbe a de belles autorités: saint François de Sales, Bourdaloue, madame de Sévigné; il en a de plus fortes encore, l’utilité, l’analogie, l’harmonie: il faut espérer que tout cela le recommandera un jour à l’Académie.
AIMANT. adj. C’est un vieux mot renouvelé et qui a bien son mérite. Il a l’autorité de Mascaron et de madame de Genlis, ce qui me le fait croire très-propre à l’ascétisme et à l’amour. Comme ce sont deux passions qui ne s’épuiseront pas de long-temps dans le formulaire des prédicateurs et dans le cœur des dames, on peut croire qu’il vivra,
AIMOSCOPIE. Inspection du sang. BOISTE. – Comme l’orthographe étymologique d’après les Grecs est très-irrégulière, j’admettrois celle-ci, à condition que l’on écriroit aimoptysie aimorragie, aimorrhoïdes. Je dirai cent fois qu’il n’y a point d’orthographe passable sans harmonie; mais c’est une chose extraordinaire que le nombre de mots tirés du grec qui ont été introduits dans notre langue par des gens qui ne savoient pas le grec.
ALCHIMIE. Remarquez que ce mot est le même que chimie, avec l’article al des Arabes, qui n’y paroît qu’une redondance inutile. On a cependant conservé l’un et l’autre pour deux acceptions très-différentes, car l’un représente une science et l’autre une folie, mais qui ont été presque identiques a une époque ou les folies de l’homme se meloient dans toutes ses sciences.
ALCORAN. Dans tous les mots qui viennent de l’arabe, cette syllabe al est un article mal à propos incorporé au substantif, et qui fait sur l’article françois une superfétation ridicule et vicieuse, céla est généralement connu: mais faut-il imiter certains parleurs délicats qui affectent de supprimer maintenant cette syllabe oiseuse; et doit-on réléguer l’ancien nom de l’alcoran au nombre des mots passés de mode? oui, si l’on étend ce principe aux mots alembic, algèbre, almanach, et à leurs co-dérivés, autrement ce sera là une réforme inutile comme toutes les réformes partielles.
ALDIN, e. Lettre italique, TRÉVOUX.–On appelle aldines les lettres italiques, parce qu’elles furent introduites par les savants Aldes, imprimeurs de Rome et de Venise.
Aldines se dit aussi adjectivement de leurs précieuses éditions dont M. Renouard a donné une curieuse histoire.
ALFANGE.
De nos honteux soldats les alfanges errantes
A genoux ont jeté leurs armes impuissantes.
VOLTAIRE. Orphelin de la Chine.
Il est, à remarquer que Voltaire, qui a souvent essayé de créer des mots, y a rarement réussi. La langue étoit faite; celui-ci ressembloit trop par le son et par le sens à phalanges, qui est très-bien, et qui étoit déjà consacré dans les classiques. Voltaire fut plus heureux pour hordes, qu’il hasarda dans le même ouvrage, et qu’on a depuis employé jusqu’à l’abus; mais ce dernier mot n’avoit pas d’analogue exact, et les mœurs mêmes des Tartares nous avoient été si peu connues jusqu’alors, qu’il devenoit une nécessité de la langue. Dans les vers cités, qui ne sont d’ailleurs pas bons, les comédiens de province lisent et prononcent phalanges, sllfanges n’est pour eux qu’une faute d’impression. C’est bien pis: c’est une faute de prétention.
ALGAZELLE. Gazelle d’Arabie, WAILLY, BOISTE.–Et nom d’Arabie. C’est gazelle avec l’article.
ALLÉ, ÉTÉ. Dans quel cas ces deux mots peuvent-ils s’employer indifféremment?
Je suis allé à Paris en telle année, j’ai été à Paris en telle année, sont de très-bonnes locutions, parce que lorsqu’on est allé à Paris, on y a été, pour peu qu’on y restât.
Mais est-il permis de dire indifféremment avec M. Girard: Je suis allé le voir, ou j’ai été le voir? Que dis-je? faut-il s’emporter comme lui contre les gens qui n’adoptent pas cette dernière locution? Cette question ne peut se résoudre que par une courte analyse.
Le verbe être détermine un état; c’est même là sa fonction spéciale dans le langage. Il ne peut donc pas être suivi d’un infinitif qui en détermine un autre. Pour vous assurer de sa propriété, ramenez la phrase à l’infinitif être: cette règle est infaillible.
Etre à Paris est du très-bon francois; être le voir est barbare: On dit Je suis allé le voir, j’ai été chez lui.
La nuance de ces expressions, dans le cas même où elles peuvent être indifféremment employées sans faute grammaticale, est cependant très-importante à saisir, car c’est elle qui détermine la physionomie de l’idée. Quelqu’un qui diroit: J’ai été à Paris en poste, ne diroit pas ce qu’il veut dire, s’il vouloit faire entendre qu’il a pris la poste pour y aller. La logique et la langue exigent je suis allé. Il en seroit de même, dans certains cas, pour cette dernière locution.
Les beaux parleurs et les écrivains maniérés enchérissent ridiculement sur cette petite difficulté, en substituant l’aoriste au prétérit. C’est très-mal s’exprimer que de dire: Nous y fûmes, pour nous y allâmes, et il n’y a rien de plus commun. Quant à cet aoriste même dans le sens de nous y avons été, il peut être fort bon en son lieu: le style a tant de secrets!
ALLUMETTE. Petit brin de bois souffré par les deux bouts, GATTEL.–Il y a des allumettes faites de carton, de brins de chanvre, de chaume de graminées; il y en a qui ne sont souffrées que par un bout; il y en a même qui ne sont pas souffrées, et qui sont beaucoup moins commodes. Il ne faut pas d’ailleurs disputer pour si peu de chose.
ALPES. Montagnes d’Italie fort renommées. GATTEL.–On ne voit pas comment une montagne peut être plus ou moins renommée. Les Alpes sont d’ailleurs des montagnes qui n’appartiennent pas plus à l’Italie qu’à la France ou à la Suisse. On appelle de ce nom de grandes montagnes primitives qui coupent les continents: les Alpes helvétiques, les Alpes suédoises, etc., et dont le nom vient probablement de la racine alb, parce que leur sommet est couvert de neige; enfin il ne falloit pas négliger l’adjectif alpin, qui est très-usité par les voyageurs et par les naturalistes.
ALPHABET. Cette dénomination même est impropre dans notre langue, quoiqu’elle désigne bien les deux premiers éléments de la collection de nos lettres, mais parce qu’elle le fait par de fausses appellations; elle convenoit aux Grecs qui nommoient alpha la première des voyelles, et beta la première des consonnes. Pourquoi ne pas s’en tenir chez nous aux mots abécédaire et abécé, qui ont au moins une construction naturelle et intelligible à tout le monde?
AMALGAMATION, AMALGAME. s. f. Terme de chimie; union d’un métal ou d’un demi-métal avec le mercure, GATTEL.–
1o Amalgamation est un barbarisme.
2o Amalgame est un substantif masculin et non un substantif féminin.
3o Amalgame n’est pas exclusivement un terme de chimie.
4o Tous les mélanges d’éléments étrangers, et non pas seulement celui d’un métal et du mercure, peuvent se qualifier d’amalgame.
5o Amalgame est utile et commun dans une foule d’emplois figurés.
AMBUBAGE. S. m. BOISTE.–Écrivez ambubaies, et ajoutez pluriel.
Flûte des Syriens, BOISTE.–Joueurs de flûte qui venoient de Syrie.
Ambubaïarum collegia, pharmacopolœ.
De l’oriental avuv ou abub, une flûte, nasalé ambub. Ce mot n’est d’ailleurs nullement françois.
AME. Je ne sais quel étymologiste a avancé l’idée, plus ingénieuse que solide, qu’il y avoit ici autre chose qu’une contraction De l’anima des Latins, savoir une vive mimologie de l’expiration. Dans la formation de ce mot, les lèvres, à peine entr’ouvertes pour laisser échapper un souffle, retombent closes et sans force l’une contre l’autre. Dans le mot vie, au contraire, elles se séparent doucement et semblent aspirer l’air: c’est le mimologisme de la respiration. En anglois, le mot be, qui est de même nature et de même touche, signifie être; et ce qu’il y a de singulier c’est que, dans le même verbe, am signifie je suis. Bit, en esclavon, est le même que be ou bi en anglois.
AMI. Claverct, avec qui il était ami, avait été celui qui avait fait courir cette pièce, VOLTAIRE.–
Comme ce nom est une grande autorité, à fort juste titre, et que peu de personnes ont écrit plus purement que l’auteur de cette phrase, il n’est pas inutile de dire aux jeunes gens et aux étrangers qu’elle est extrêmement mauvaise, et qu’on n’est pas ami avec quelqu’un.
AMIANTE. s. m. Matière minérale dont on fait de la toile incombustible. GATTEL.–Il ne faut pas que nos neveux se persuadent, d’après cela, qu’il y avoit en France l’an de grace1800 une manufacture de toile d’amiante, dont on faisoit des linges qui résistoient à l’incendie. M. Gattel vouloit dire: dont on prétend qu’il a été fait de la toile incombustible.
Il n’est pas certain que l’amiante soit absolument inaltérable au feu; et il est moins certain encore que ce soit un substantif masculin, car il est toujours féminin dans l’usage.
AMPHISBÈNE. Il ne faut plus définir ce mot, serpenta deux têtes, comme le font les Dictionnaires. Il n’y a point de serpents à deux têtes. Les amphisbènes tirent ce nom de ce que leur queue et leur tête se confondent par la dimension, et de ce qu’on leur a attribué la propriété fort douteuse de se diriger dans tous les sens.
AMPHITRYON. M. Boiste écrit, mal Amphitrion. Le mot de Sosie:
Le véritable Amphitryon
Est l’Amphitryon où l’on dîne,
a consacré ce mot dans le sens proverbial d’homme qui donne à manger. Il est devenu un substantif de la langue, comme Harpagon, comme Tartufe.
ANACHRONISME. Faute qui consiste.... à placer un fait dans un siècle où il n’étoit pas encore arrivé, GATTEL.–Et si c’étoit dans un siècle postérieur à celui où il est arrivé, comment nommeroit-on cette faute?
ANAGRAMME. Petite production ou l’on trouve dans le nom de quelqu’un en retournant les lettres de ce nom, un sens bon ou mauvais. GATTEL.–Et si c’étoit. dans un mot qui ne fût pas le nom de quelqu’un, comment appelleroit-on cette petite production?
Quant au sens bon ou mauvais, il paroît effectivement indispensable qu’il soit l’un des deux.
ANAGNOSTE. Esclave qui lisoit pendant les repas, BOISTE.–Le mot tout grec dont il est ici question ne signifie que lecteur.
Rabelais se félicite d’avoir été lu devant Francois Ier par un excellent anagnoste.
ANECDOTE. Grande déviation de sens. Anecdote vient du grec , non publié, et on entend par anecdotes les nouvelles les plus répandues. Il a bien fallu faire inédit pour l’ancienne acception, et surtout il faut bien recommander ce mot aux lexicographes qui le dédaignent.
ANERIE. Ce livre est plein d’dneries. ACADÉMIE, GATTEL.–On a déjà dit que cette phrase étoit singulière dans un Dictionnaire.
Quelle ânerie dans ce médecin dans cet avocat! GATTEL.–Tontes les vérités ne sont pas bonnes à dire.
ANGULAIRE. Qui a un ou plusieurs angles. GATTEL.–On ne connoît point de figure au monde qui n’ait qu’un angle.
ANGUSTIE. Il ne se dit que d’un chemin. GATTEL.–Il ne se dit pas.
ANIER.
Un dnier son sceptre à la main, etc.
L’Académie avoit oublié ce mot; il est utile, et La Fontaine l’emploie assez bien.
ANIMAL. Peut-on dire animal de somme au lieu de bête de somme, comme l’a fait La Fontaine? Je ne le crois pas. Voilà une de ces délicatesses de synonymie qui constituent l’esprit d’une langue; et comment les reconnoître dans une langue morte, puisqu’elles échappent quelquefois aux contemporains eux-mêmes?
ANNONCER. Les curés annoncent les fêtes, les comédiens leurs pièces, les ministres protestants, etc. GATTEL.–M. Gattel ne faisoit pas des épigrammes en définition comme Furetière et Richelet. Cette phrase d’exemple est un exemple d’inconvenance.
ANTENNES, s. f. pl. Cornes (BOISTE) que quelques insectes portent sur la tête, GATTEL.–
1o Quand on dit qu’un insecte a perdu une antenne, ce mot est singulier.
2o Des antennes ne sont pas des cornes.
3o Ce ne sont pas quelques insectes, mais tous les insectes qui portent des antennes.
4o Les insectes ne portent pas les antennes sur la tête, mais à la tête. On ne porte sur la tête que des corps étrangers.
Une antenne est un filet creux, mobile, articulé, qui accompagne la tête des insectes, et qui a été considéré par les uns comme l’organe de l’ouïe, par les autres comme un supplément du tact.
ANTHERA. Terme de pharmacie. Le jaune qui est au milieu de la rose, GATTEL, WAILLY, BOISTE.–
1o Anthera est un mot latin.
2o Anthère, qui est le véritable mot, n’est point un terme de pharmacie.
3o Les anthères sont jaunes dans la rose; mais dans beaucoup de plantes elles sont d’une autre couleur, et il ne falloit pas donner lieu de croire que la rose seule avoit des anthères.
ANTOLOGIE. RESTAUT, GATTEL, BOISTE.– On écrit anthologie par respect pour l’Académie, et surtout pour l’orthographe.
ANTHROPOPHAGE. Il ne faut qu’une simple éducation primaire pour parler correctement une langue de première origine. Pour parler correctementune langue composée, ou de seconde création, il faut une sorte d’érudition qui ne se rencontre pas même chez toutes les personnes qui font profession d’écrire. Il résulte alors souvent du faux emploi d’un mot usuel, mais dont l’acception originelle se refuse à l’analyse, quand elle n’est pas dévoilée par la connoissance d’une langue antérieure, les désordres les plus bizarres, et les équivoques les plus ridicules d’applications. Un auteur écrivoit dernièrement que les lapins étoient anthropophages, parce qu’il entendoil par anthropophages les animaux qui se mangent entre eux. Un historien, aujourd’hui assez célèbre, mais dont l’esprit de parti n’a pas négligé le succès, parle à plusieurs reprises, et avec une merveilleuse confiance, des deux monarques de Sparte. Il n’est question dans les journaux que de combats polémiques. Les artificiers de nos fêtes composent des feux hydrauliques, et trouvent des imprimeurs qui les affichent. Enfin on vient d’inventer une manière de lithographier sur carton, et on feroit un volume d’exemples du même genre. Dans un siècle où l’on n’est pas économe de mesures répressives, n’auroit-on pas pu charger une censure spéciale de prévenir ce scandale littéraire, si honteux pour un âge de lumière et de perfectionnement? Les livres et les belles-lettres réclament leur Caritidès comme les enseignes.
AORISTE. Il n’est personne qui ne connoisse cette délicatesse de notre langue, de le substituer au simple passé, quand il s’agit d’un temps concret, d’une époque dont il ne reste rien. Je m’y arrête seulement pour remarquer que Voltaire a mal à propos critiqué ces deux vers de la scène III du quatrième acte du Cid:
Nous partîmes cinq cents; mais, par un prompt renfort,
Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port.
L’aoriste y est fort bien, car il s’agit de la veille. Au reste, il est bon de remarquer que cette utile nuance étoit à peine déterminée du temps de Corneille, et que nous l’avons long-temps négligée, comme les Latins.
Or nous dites, huy matin quand il deut monter à cheval, fustes vous à son disner? FROISSART, vol. IV, chap. XLIII.
Certes, damoiselle, tant vous puis-je dire que hu y matin entrasmes nous premiers ez foretz. PERCEFOREST, Vol. I, chap. XLI.
Je laissay huy matin en ce temple deux glaives. Ibid., vol. II, penult. chap.
Pleust à Dieu que présentement je J’eusse dedans la orque des bons et beats pères Concilipetes lesquels ce matin nous rencontrasmes! PANTAGR., liv. IV, chap. xix.
Ce matin peut toutefois se considérer comme un temps achevé.
AOUST. Et de là, oût, mot commun dans La Fontaine, qui désigne l’époque où l’on récolte les grains.
Voltaire vouloit qu’on dît Auguste, et Auguste vaudroit mieux, surtout si Juillet se disoit Jules. Ce qui vaudroit mieux encore ce seroit de réformer, si on le pouvoit, les noms barbares et inconvenants de ce ridicule calendrier; mais ce qui vaut le mieux dans la théorie n’est pas toujours exécutable dans la pratique.
Il faut donc nous résigner à compter pour les septième, huitième, neuvième et dixième, les neuvième, dixième, onzième, et douzième mois de l’année; à célébrer la circoncision de Jésus-Christ le premier du mois de Janus, et la fête de son auguste mère le vingt-cinq du mois de Mars. Quant au jour de la Passion, il est consacré à Vénus.
Dans la société, il n’y a que le temps qui soit créateur: les hommes n’improvisent pas une idée; ils n’improviseroient pas une lettre. Auguste ne put parvenir à donner le droit de cité à un mot; et un de nos rois de la première race ne réussit pas mieux à faire accueillir quelques nouveaux caractères d’écriture à des barbares fort indifférents sur l’alphabet qu’ils déchiffroient à peine.
APEPSIE. s. m. GATTEL.–Substantif féminin.
Maladie qui consiste à ne point digérer, GATTEL. –Le défaut de cette phrase consiste à n’être pas françoise.
APHTE. Tout mal qui naît dans la bouche. GATTEL.–Demandez à un dentiste!
API. Autrefois apic. C’est le nom d’une pomme dont on ignore l’étymologie. Ne seroit-ce pas , sans amertume? c’est la plus douce des pommes.
M. Gattel ne s’occupe pas de cela. Il définit l’api une sorte de pomme fort connue; cela est vrai.
APOCOPE. Dans son excellent Dictionnaire latin-francois (puissions-nous avoir un Dictionnaire François de ce mérite!), M. Noël définit l’apocope une figure qui consiste à retrancher quelque chose de la fin des mots. Et, quand c’est du commencement, comme dans Clodovicus, dont nous avons fait Ludovicus; dans gibbosus, dont nous avons fait bossu; dans fibula (fiboula), dont nous avons fait boucle; dans glis, gliris, dont nous avons fait loir, comment appelle-t-on cette figure, si ce n’est apocope? Il est vrai de dire que ces derniers exemples sont rares; et, que s’il y a une bizarrerie étrange à remarquer dans les caprices des langues, c’est la formation d’un mot duquel disparoissent les lettres caractéristiques de l’étymologie; mais il faut s’attendre à tout dans l’étude de la parole humaine: il n’y a pas une page de nos glossaires qui ne porte quelque trace de l’anathême de Babel.
APPAT. D’ad et pastu, comme amorce d’ad et morsus. C’est une extension spirituelle que celle de ces mots à l’expression des piéges des passions, et même des séductions les plus innocentes de la beauté. Amorce est vieilli en ce sens: Appas est resté, mais seulement au pluriel, ce que les Dictionnaires oublient, car ils en font un substantif particulier, et n’indiquent pas qu’il n’a point de singulier et ne peut pas en avoir. Ce qu’il y a de plus remarquable dans l’orthographe de ce pluriel c’est la suppression très-ancienne du t étymologique. Corneille, qui étoit excellent grammairien, et supérieur en ce point comme en tout point à tous les écrivains de son temps, a dit dans l’Illusion comique:
J’en ignorois l’éclat, l’utilité, l’appas,
Et la blâmois ainsi ne la connoissant pas.
Et ailleurs:
Je veux bien m’exposer au plus cruel trépas,
Si ces rares présents n’ont un mortel appas.
Mais ce n’est pas seulement suivant moi une liberté pardonnable, comme l’appelle le spirituel annotateur, M. François de Neufchâteau; c’est la liberté d’un temps où ces délicatesses de la langue n’étoient pas observées, où ces conditions n’étoient pas établies. On ne diroit pas aujourd’hui un appas, ni dans l’acception propre, ni dans l’acception figurée.
APOSTROPHE, s. f. Apostropha, œ, se trouve dans Asconius Pedianus; apostrophe, es, dans Quintilien. L’un et l’autre sont féminins, et ce genre est très-étymologique en françois. Chapelle, qui écrit très-purement, a dit toutefois dans son joli Voyage: «l’apostrophe est un peu violent, ou l’imprécation un peu forte;» il a d’autant plus de tort qu’il écrivoit ce passage en prose; mais les classiques ont beau jeu pour prendre leur revanche avec le Dictionnaire.
APPROCHANT. Il est approchant de huit heures, GATTEL.–Je ne sais pas quelle heure il est; mais approchant de est un solécisme.
APPOINTÉ-CONTRAIRE. Terme de droit que La Fontaine a transporté assez heureusement dans le style de la fable. Cette expression n’a rien de distingué, mais elle n’est pas essentiellement condamnable, et l’abbé Desfontaines, qui a blâmé un fabuliste de son temps pour l’avoir employée, devoit se rappeler peut-être que celui-ci n’en avoit point fait usage sans l’autorité de son modèle.
APPRENDRE. Verbe à sens réciproques. Il signifie enseigner ou être enseigné. Remarquons cependant qu’il n’a jamais la première de ces acceptions sans gouverner un datif: je lui ai appris, ou j’ai appris à lui. Dans le cas contraire, il reste passif.
A bien examiner cette phrase de d’Ablancourt: Il apprit des singes à danser, il est clair que les singes sont à l’ablatif, et que le maître à danser est un singe. C’est le contraire de ce que d’Ablancourt veut dire.
APPROXIMATION. Terme de mathématiques; opération par laquelle on approche de plus en plus de la valeur d’une quantité sans la trouver exactement, GATTEL.–
1o Approximation n’est pas exclusivement un terme de mathématiques.
2o L’approximation n’est pas une opération, c’est un résultat.
3o L’approximation n’est pas un résultat qui approche de plus en plus, mais le plus possible; car, s’il approchoit de plus en plus, il n’y auroit pas de raison pour qu’on ne trouvât à la fin la quantité exacte. Il faudroit seulement que l’opération durât le temps nécessaire.
APRÈS A FAIRE, etc. Cette locution est défendue par quelques écrivains très-estimés. Vaugelas la regardoit comme un barbarisme, et je ne vois pas qu’elle soit consacrée par l’usage d’un classique.
ARAIGNE. La Fontaine a employé ce mot dans deux de ses fables, sans le faire passer dans l’usage. On ne l’a revu dès-lors que dans les poésies de Bonneville.
On donne beaucoup d’étymologies différentes au mot araignée. Il me semble qu’il ne faut pas chercher la véritable hors du grec, dont la fable d’Arachné est tirée. Or, ce mot vient évidemment d’, l’action de nuire, et de , je file, qui est aussi entré en construction dans Athénée, un des noms grecs de Minerve.
On dit par ellipse, ôter les araignées d’un plancher, pour en ôter les toiles d’araignée, GATTEL. –Je ne sais si c’est par ellipse que les chambrières disent cela; mais on fait très-bien d’ôter les araignées elles-mêmes quand on peut.
ARANÉIDES. Famille d’aptères, BOISTE.– Les araignées étoient une famille d’aptères. Les aranéides sont une nouvelle classe du genre animal, bien déterminée par M. Duméril, et parfaitement établie par M. Walckenaer.
ARGOT. , otiosé. L’argot est la langue de ces fainéants de profession que l’oisiveté conduit au crime.
Jargon est le même terme à peine modifié. Baragouin est fait de et d’.
On a dit autrefois narquin, un mendiant; narquois, le langage des narquins. La lettre n se rattache souvent aux voyelles initiales; et cette synthèse arrive surtout par son échange contre l’article apostrophé avec lequel elle se confond aisément: l’argot, nargot et narquois. Les mendiants, les manœuvres, les filles publiques, les filous, les conspirateurs, et les sociétés secrètes, ont des langues particulières qui sont autant d’argots différents. Les comédiens en ont un qui gagne jusqu’à un certain point la bonne compagnie quand les actrices sont jolies. Je ne parle pas des alchimistes, des cabalistes, des mesméristes, et même de certains sophistes, dont l’argot passe de mode.
La langue des sciences est devenue une espèce d’argot moitié grec, moitié latin, qui a un très-grand avantage, celui d’être, par ses étymologies, presque inaccessible à la foule; mais il faut prendre garde de l’introduire dans la littérature pure et simple sous peine de n’être plus entendu en France que des gens qui savent autre chose que le françois.
Au reste, il n’y a rien de plus douteux que ces étymologies si faciles à soutenir. Argot vient peut-être, comme alfana vient d’equus, d’une origine bien plus éloignée, de zingano ou zingaro, bohémien. C’est le langage qu’ils ont eux-mêmes appelé le zergo, contraction de zingaro qui est tout-à-fait dans le goût de l’argot. De zergo nous aurions fait gergon, comme dans le livre de Pêchon de Ruby: La Vie généreuse des mattois, gueux; bohémiens etcagoux, contenant leur façon de vivre, subtilités et gergon, etc. Paris, 1622, in-8o. De là jargon, argot, et le reste. Le Libro Zergo a été imprimé à Venise, en1565, petit in-8o, et quelques autres fois, ce qui n’empêche pas qu’il soit fort rare.
ARTISAN.
L’artisan exprima si bien
Le caractère de l’idole, etc.
On diroit aujourd’hui artiste, dans cet exemple, malgré l’autorité de La Fontaine et de Boileau, et ce nom même se gagne quelquefois à meilleur marché.
ASPIC, plante. De spica nous avons fait aspic ou espic, qui est devenu épi. Par extension, nous avons donné ce nom à une plante aromatique dont les fleurs sont disposées en épi, et son nom primitif ne s’est pas modifié avec l’autre. Voilà donc deux mots parfaitement identiques, qui ne sont plus homonymes, et dont il est même assez difficile de trouver l’origine commune.
ASSASSIN. Poét.fig. Yeux assassins, WAILLY . –Cette expression est très-figurée, mais elle n’est poétique que dans le langage de Mascarille.
ASSONAH. Livre qui contient les traditions de la religion musulmane, WAÏLLY.–C’est un livre de lois et non pas un livre de traditions. Renvoyé d’ailleurs à la Bibliothèque orientale: la bibliographie du Levant n’a rien à démêler avec notre langue.
ASSOTER. On dit plus souvent assotir. WAILLY.–Les gens qui parlent bien ne disent ni l’un ni l’autre.
ASSURER. Dans le sens de donner de la sécurité, on ne dit plus que rassurer. L’ancienne expression paroissoit très-logiquement faite.
Un oracle m’assure; un songe me travaille.
CORNEILLE.
Il est probable qu’on a voulu éviter la confusion de sens dans l’emploi de ce mot trop riche en acceptions.
ASTUCE. L’étymologie de ce mot n’est pas inutile a l’histoire morale des langues. Il vient d’aoru, ville, et s’est pris d’abord pour le langage poli de leurs habitants. Voilà une expression originairement synonyme d’ urbanité et de politesse, qui ne signifient souvent pas autre chose.
M. Noël s’est trompé peut-être en pensant qu’ astu, latin, signifioit Athènes par excellence. Il n’a jamais été employé qu’une fois à ma connoissance, et c’est dans l’Eunuque de Térence où celui-ci a pu affecter un grécisme.
Astu, adverbe, qui équivaut à notre adverbe astucieusement, si l’on veut permettre que notre adverbe astucieusement soit françois, confirme son étymologie.
Astuce signifie aussi mauvaise finesse, WAILLY. – Et qu’est-ce que finesse, M. le lexicographe?
Ruse, artifice. WAILLY.–On eu pourvoit conclure qu’il y a de bonnes finesses, et cela n’est pas délicat.
Le critique de l’Académie dit fort bien: Notre langue se distingue de toutes les autres par de nobles scrupules.
ATOURS. Du latin adornare, comme orner et sa famille. On a dit d’abord aourner, aorner, et tous les deux se trouvent dans Rabelais; il disoit qu’on se devoit porter vestir et aourner chacun selon sa condition; ailleurs, c’est, dit le moine, pour aorner mon langage. Il est probable qu’atourner s’est pris au même sens, car on en voit encore le participe dans La Fontaine:
Ce chien-ci donc étant de la sorte atournë, etc.
Quant au joli mot d’atours, les Dictionnaires ont peut-être tort de lui donner le nombre singulier que je n’ai jamais vu dans les auteurs.
Au reste il faut tirer du vers de La Fontaine la conséquence qu’ atourner ne signifie pas exclusivement parer une dame, qui est la définition reçue, puisque le fabuliste l’a fort bien dit d’un chien.
ATT A CHER. La différence des prononciations, en multipliant les mots, a servi à l’enrichissement de la langue, parcequ’elle a multiplié les acceptions. Attacher et attaquer ont été originairement la même chose.
ATTELABE. Coléoptere aquatique, à tête de sauterelle, corps d’araignée (LINNÉ). BOISTE. – Linné seroit fort étonné qu’on lui attribuât cette singulière définition; et, quant à cette description, je garantis qu’il n’y a pas de coléoptere au monde auquel elle puisse convenir.
Linné a donné le nom d’attelabus à des insectes auxquels Fabricius l’a conservé, et en outre à différentes espèces de clérus, de trichodes, de spondylis, d’upis.
Geoffroy l’a très-improprement appliqué aux lusters. Les nouveaux entomologistes françois l’ont unanimement maintenu pour la famille que Geoffroiavoit composée d’une partie des attelabus de Linné, sous le nom de hecmares.
AUBOURS. Arbre dont les feuilles sont employées contre l’asthme, WAILLY.–Cette définition n’est pas très-satisfaisante quand il s’agit de désigner une plante inconnue. Aubours est le nom patois du faux ébénier des Alpes, espèce de cytise dont on est libre d’employer les feuilles contre l’asthme, au hasard de n’en pas guérir.
AUCUNEMENT. Adverbe à sens extrêmes. Il signifie d’aucune maniéré, et il a signifié en quelque maniéré qui ne le vaut pas.
Il s’est conservé pour le même usage dans le style de la pratique; et c’est peut-être à cette faveur toujours funeste aux mots qui en sont honorés qu’il doit d’être exclus du beau langage.
AURE.
Aure, fais-les venir; je sais qu’ils t’obéissent.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Il aime donc cette Aure et me quitte pour elle.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les échos de ces lieux n’ont point d’autres emplois
Que celui d’enseigner le nom d’Aure à nos bois.
Dans tous les environs le nom d’Aure résonne.
Les vieux commentateurs de La Fontaine expliquent ce mot par vent frais d’été. C’est une expression utile et consacrée, mal à propos dédaignée par les Dictionnaires.
AURILLAS. s. m. Se dit des chevaux qui ont de grandes oreilles, WAILLY.–En Languedoc et en patois.
AUSSIERE. Grosse corde à trois tourons. WAILLY.–On ne voit pas ce que c’est qu’un touron. Or, si touron étoit, francois, il falloit le mettre à sa lettrine, et, s’il n’étoit pas francois, il ne falloit pas le mettre là.
AUTOMATISME. État des bêtes, WAILLY.– C’est, trancher une grande question, mais c’est la trancher bien légèrement, et plus légèrement peut-être qu’il n’est permis de le faire dans un Dictionnaire.
AUTOMNE. Maintenant masculin; ce qu’on a fait pour le conformer au genre des trois autres saisons. Les chimistes ont suivi cette méthode pour les noms des terres, des métaux, des demi-métaux. Cet esprit de régularité ne sauroit passer trop vite des sciences dans les langues; et aucune langue n’approchera de la perfection tant qu’il ne s’y sera pas étendu à toutes les applications dont il est susceptible.
AVACHIR, S’. Se dit des étoffes, du cuir. WAILLY. D’une branche qui penche, BOISTE. Des femmes qui deviennent trop grasses, BOISTE et WAILLY.–Cela n’est pas élégant en parlant des étoffes et du cuir; et, en parlant des dames, cela n’est pas galant.
AVANTAGEUX. On prend communément aujourd hui ce mot pour vain, confiant, présomptueux, et les Dictionnaires le consacrent en ce sens, où il n’est certainement pas françois. C’est une extension de province, qui a pu être accueillie par une gazette, mais qui ne mérite pas de l’être par une académie.
AVANT-COEUR. Maladie de cheval, WAILLT . –Il falloit dire du cheval ou des chevaux. Maladie de cheval est une expression figurée. Une forte maladie, une fièvre, un remède de cheval.
Ces délicatesses méritent d’autant plus d’égards dans nos Dictionnaires, que les étrangers ne sauroient les deviner.
AVANT-SCENE. Chez les anciens, la partie du théâtre sur laquelle les acteurs paroissoient. GATTEL.–Chez les anciens et chez les modernes, l’avant-scène est un espace au-devant de la scène, c’est-a-dire de l’espace où les acteurs paroissent.
Avant-scène a une autre acception oubliée. On entend par ce mot la partie de l’action qui a dû précéder celle qui fait le sujet d’un drame. L’exposition a pour objet le développement de l’avant-scène. La bataille de Pharsale est l’avant-scène de la Mort de Pompée.
AVEC. On a écrit avecque et même aveusque ce qui démontre bien l’étymologie ab usque cum.
Je ne remarque en passant cette ancienne et désagréable orthographe que pour rendre à Corneille cette justice, qu’il l’a réformée tant qu’il a pu dans ses tragédies, en les réimprimant; exemple utile dont il est fâcheux que Molière et La Fontaine n’aient, pas daigné profiter.
AVENTUREUX. Il vieillit . BOISTE.
–Il rajeunit.
Par quels faits d’armes valeureux
Plus que nul autre aventureux, etc.
MALHERBE.
Il en est de plusieurs mots comme de celui-ci. Chevreau blâmoit aussi valeureux dans le premier vers cité, comme une expression hors d’usage, et vaillance a été reproché, il y a cent vingt ans, comme je le remarque ailleurs, à l’auteur de l’épitaphe de Turenne.
AVENTURINE. Pierre précieuse, ACADÉMIE, BOISTE.–L’ aventurine n’est pas une pierre précieuse, c’est une composition fortuite, et de là vient son nom.
AVEUGLEMENT. Ce mot n’est plus synonyme de cécité. Cécité se prend au propre, et aveuglement au figuré.
AVOIR.
Ayez-la; c’est d’abord ce que vous lui devez,
Et vous l’estimerez après si vous pouvez.
C’est la chaste muse de Gresset qui a consacré cette infame acception; et où? dans une comédie représentée; et quand? au milieu de ce siècle timide où la grossièreté de George Dandin et de Sganarelle révolte les oreilles de l’auditeur le plus aguerri! Il est remarquable que la licence des anciens comiques ne soit jamais allé si loin que le bon ton.
AVRIL (poisson d’). Proverbe selon l’Académie, mais plutôt coutume de laquelle est résultée une expression qui est commune et non pas proverbiale. Un proverbe doit contenir une vérité morale ou une allusion historique.
Le critique de l’Académie prétend que cette locution tenoit à l’époque du premier jour de l’an, qui a été en avril jusqu’à la fin du seizième siècle. Cette explication peut être vraie, mais elle n’est pas exprimée avec justesse. L’année commençoit à Pâques, qui est tantôt en mars, tantôt en avril.
AYEUL ou AIEUL. D’avulus, diminutif d’avus, selon Ménage; et mieux encore d’ataviolus ou atayolus diminutif d’atavus. Nous prenons d’ailleurs ayeul en deux acceptions, où il peut se l’attacher à ces deux étymologies: dans la première, il représente avus, et dans la seconde, atavus, avec toute l’extension qu’on peut lui donner. C’est radicalement d’atta, mot de la langue puérile qui a produit le nom de père dans une foule de langues.