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CHAPITRE III QUI S'ACHÈVE EN COUP DE FOUDRE

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Pour la troisième fois le rideau se releva, parmi des salves crépitantes d'applaudissements. Et, se tenant par la main, les deux petites jongleuses à qui le public faisait fête revinrent saluer encore, et sourire, et jeter des baisers à pleines menottes. Mais, cette troisième fois, les galeries hautes, bondées de matelots, de soldats et de filles en cheveux, furent seules à crier bravo, parce que les loges s'étaient vidées comme d'un coup de baguette magique entre le premier et le second rappel: l'aristocratie du Casino se précipitait vers le bar, afin d'y conquérir à la course les huit tabourets qui seuls font face au comptoir des barmen, et d'où l'on domine triomphalement le troupeau pressé des retardataires, réduits à se battre pour obtenir un cocktail, et à crier comme des aveugles pour ne pas passer fâcheusement inaperçus....

Tacticienne expérimentée, la marquise Dorée avait enlevé, du premier assaut, les deux tabourets les plus enviables,—ceux du fond de la salle, où n'atteignent pas les éclaboussures des liquides renversés;—et, s'établissant dans ces positions de choix, elle y avait établi Célia à côté d'elle. Maintenant, le bar regorgeait, et la porte ne cessait cependant pas de livrer passage au flot des derniers venus; si bien que la cohue devenait entassement. Et il faisait bon être assis à l'aise, devant des verres pleins où trempaient deux pailles, et regarder avec compassion la foule des gens debout qui avaient soif.

—Nous voilà où il faut être,—déclarait la marquise Dorée.—Laissez-moi faire: avant la fin de l'entr'acte, je vous aurai présenté tous mes amis les mieux posés.

Dans le même instant, une femme, qui entrait au bras d'un grand garçon de bonne mine, aperçut Célia, et, se faufilant tant bien que mal, lui tendit la main par-dessus plusieurs épaules pressées:

—Bonsoir, madame!... Vous êtes casée, vous!... vous avez de la veine!... Voulez-vous être gentille? demandez au barman de me battre un Martini ... et vous me le passerez: le comptoir est trop loin de moi.... Ah! que je vous présente mon ami!... le lieutenant de vaisseau Malte-Croix ... madame Célia....

C'était la jeune Farigoulette, qui s'acquittait fort galamment de son rôle d'introductrice. Le lieutenant de vaisseau, toujours par-dessus plusieurs épaules, baisa la main de Célia.

—Je vous avais déjà aperçue plusieurs fois avec Riveral, avant son départ pour la Chine.... Maintenant que vous voilà veuve, j'espère qu'on vous rencontrera parfois, madame?

—Ça y est!—fit Farigoulette, tragi-comique:—il va me tromper avec vous, cet homme papillon!... Tant pis pour moi, d'ailleurs: je n'aurais pas dû vous l'amener, vous avez un trop joli chapeau.... Et d'ailleurs, pourvu qu'il ne me trompe pas avant demain, je n'ai rien à dire: nous ne sommes mariés que pour cette nuit!...

Elle riait aux éclats, avec une belle gaieté de petite fille qui s'amuse de tout son cœur et en toute innocence. Un des hommes qu'elle bousculait pour se rapprocher de Célia l'emprisonna tout à coup dans ses bras:

—Elle va bien, cette gosse! Vous permettez, Malte-Croix?

Sans même attendre l'acquiescement du seigneur et maître, il embrassait l'enfant sur les deux yeux, non sans gourmandise.

-Voilà!—dit-il en la lâchant.—Ça vous apprendra à dire des abominations, sans même vous en apercevoir! Et buvez maintenant votre ignoble mixture, que je vais vous passer ... sans que votre amie au joli chapeau ait à se déranger....

La marquise Dorée se penchait à l'oreille de Célia:

—Un autre officier,—expliqua-t-elle.—Ils se connaissent tous, et sont très intimes.... C'est tout à fait reçu, ce qu'il vient de faire: embrasser une femme devant son amant.... Ils trouvent que ça n'a pas d'importance ... à moins que l'amant ne soit amoureux, naturellement ... mais alors on le sait....

D'autres femmes se montraient, entourées d'autres hommes, qui, tous, en effet, se tutoyaient, et chiffonnaient indistinctement toutes leurs voisines. Célia observa toutefois, du premier coup d'œil, qu'en dépit de l'écrasement général, propice aux menues brutalités, personne n'était brutal. Davantage, on traitait les demi-mondaines avec déférence, voire avec respect. La familiarité même n'excluait pas la courtoisie. Le geste du lieutenant de vaisseau Malte-Croix était courant; et l'on baisait toujours les mains avant de baiser les joues ou les nuques.

Petite Horreur et la Mie T.S.F. se frayaient à leur tour un chemin vers le comptoir. Toutes deux saluèrent de loin la marquise et Célia. Elles étaient seules, sans cavalier. Et elles commandèrent elles-mêmes leurs cocktails. Mais, quand elles voulurent les payer, le barman refusa leur argent. Célia, prêtant l'oreille, entendit le dialogue:

—C'est réglé, madame.

—Par qui?

—Par quelqu'un qui vient de partir ... et qui a pris à son compte toutes les soucoupes de dames seules....

—Mais qui, ce quelqu'un?

—Nous ne savons pas son nom....

Célia se retourna vers la marquise, qui avait écouté, et qui sourit victorieusement:

—Hein! Qu'est-ce que je vous disais, cette après-midi? Voilà des choses qui n'arriveraient guère chez Maxim's!...

Par ailleurs, la comparaison s'imposait. Moins vaste, et surtout sensiblement moins luxueux, mais à peu près semblable de couleur et de style, le bar toulonnais singeait encore le bar parisien par tous les détails d'organisation, d'ameublement et de service. Mais l'analogie s'arrêtait là. Et Célia n'avait pas besoin du dire de la marquise pour constater que beaucoup de choses arrivaient en effet ici, qui n'avaient aucune chance de jamais arriver là-bas, et réciproquement....

Ici, la note dominante était la politesse. Tout le monde était bien élevé, ou s'efforçait de le paraître. Et notamment les femmes, à très peu d'exceptions près, se montraient gracieuses et délicates envers chacun, et même entre elles....

Il en vint une pourtant qui fut l'exception.

Elle avait fait une entrée tapageuse, criant fort et réclamant impérieusement un tabouret, quoiqu'il n'y en eût plus depuis longtemps, et quoiqu'il fût visible qu'on n'en pouvait point faire. Prenant ensuite des mains d'un barman, par-dessus deux rangs de consommateurs, la coupe de Champagne qu'elle avait demandée, elle en renversa la moitié sur une robe et sur un veston, et ne s'excusa pas.

—Qui est-ce?—demanda Célia à la marquise.

—Rien,—répondit dédaigneusement celle-ci.—Une Marseillaise, grossière comme pain d'orge, et que pas une femme correcte ne peut fréquenter. On l'appelle la Joliette, probablement parce qu'elle a dû être fille à matelots, autrefois: la Joliette, vous savez, c'est le port de Marseille....

—Elle n'est pas laide....

—Mais si vulgaire!...

Refoulant des deux coudes les gens qu'elle avait éclaboussés, la nouvelle venue venait d'atteindre le comptoir. Elle se retourna alors, s'adossant à la barre d'appui; et Célia put l'examiner de profil, après l'avoir examinée de face. Elle n'était pas laide, en effet, et sa vulgarité même ajoutait au charme animal et violent qui se dégageait d'elle. Grande et robuste, musclée, découplée, on lui passait facilement ses mains trop fortes, sa taille un peu lourde et son cou épais. Le visage, taillé à la grecque, et régulier dans chacun des traits, s'accommodait bien d'un front très bas, rétréci à l'extrême entre les sourcils touffus et la masse gonflée des cheveux. Ces cheveux aussi, chargés de henné, et fauves comme une crinière, hurlaient avec la peau, une peau chaude et mate de brune; mais ce furieux contraste était comme une sorte d'appât, frelaté, falsifié, et d'autant plus fort, qui allumait le sang des hommes.

—Elle, doit tout de même avoir du succès,—dit Célia.

—Guère,—fit la marquise.—Ici, on n'aime pas ce genre poissard.

Poissard n'était pas mal trouvé. Comme pour justifier l'appréciation, la Marseillaise commençait de proférer des mots sans courtoisie à l'adresse de son voisin le plus proche, coupable principalement de ne lui prêter aucune espèce d'attention.

—C'est du propre!—grommelait-elle.—Des matelots, à présent! Tout à l'heure, ici, on coudoiera des apaches!

L'homme en question n'était pas proprement un matelot. Mais, à peu de chose près, il en portait l'habit. Son veston, de drap rude, s'ouvrait sur un jersey bleu; et il n'avait point de chemise. Une cravate de laine, nouée lâche, lui tenait lieu de faux col.

—C'est un peu vrai, au fond,—chuchota Célia.—Il n'a pas fait grande toilette, pour venir au Casino, celui-là!

—Oh!—fit observer la marquise Dorée,—personne ne fait grande toilette pour venir au Casino.... Et puis, quoi? Il n'est pas gênant, ce matelot: il ne dit rien à personne et il ne bouge pas de son tabouret. La Joliette n'a qu'à le laisser tranquille.... Il ne lui répond même pas!...

Un tumulte soudain l'interrompit. Une femme très jolie et très pâle, qui ne faisait point de bruit et qu'on n'avait pas encore distinguée de la foule, venait d'être reconnue par un groupe nombreux, qui, tout à coup, l'acclama:

—Jannik!... Hourrah!... Bravo, Jannik!... On s'embêtait, au bar, sans Jannik!...

On la portait en triomphe. Elle se débattit un peu, ripostant, d'une voix menue comme un biniou:

—Taisez-vous donc!... Vous êtes toqués, tous!... Comme si on ne pouvait pas se passer de moi!... Allez, allez! si L'Estissac n'était pas venu m'arracher de ma chaise-longue....

Elle riait. Son rire s'acheva en une quinte de toux.

La marquise Dorée s'était levée, debout sur les barreaux de son tabouret:

—Jannik!... bonjour!...

La réponse vint, très gaie, quoique entrecoupée par les dernières secousses de la quinte:

—Bonsoir, Dorée!... Comme vous voilà belle!... C'est la petite amie dont vous m'avez parlé, qui est là, à côté de vous?... Bonsoir, madame!... Il faudra venir me voir, à Tamaris, avec Dorée!... Moi, je suis tellement patraque que je ne fais plus de visites.... Il faut m'excuser!... Bientôt, je ne pourrai plus sortir qu'en corbillard!...

—Voulez-vous bien vous taire, petite oiselle de malheur!—gronda son cavalier, très paternel.

C'était une sorte de géant, haut de six pieds, large à proportion, et dont la barbe assyrienne se nuançait de noir et de roux, comme il advient aux barbes que la brise marine a pénétrées souvent et imprégnées. Fort comme Hercule, cet homme semblait s'inquiéter uniquement d'abriter sa fluette compagne contre les remous et les heurts, et de la conduire en sûreté vers la tasse de tilleul que, sur un signe de lui, les barmen avaient, en grande hâte, préparée pour elle.

—C'est L'Estissac,—soufflait la marquise Dorée à l'oreille de Célia.

—L'Estissac?

—Eh oui! le duc!...

Et comme Célia, ignorante, continuait d'écarquiller les yeux:

—Pas possible que vous ne le connaissiez pas de nom?... Hugues de Guibre, duc de la Masque et L'Estissac!... Un des plus grands seigneurs de France, ma chère!... lieutenant de vaisseau ... et trois cent mille francs de rente.... Hein! personne ne s'en douterait, à le voir ici, simple comme il est!... Ah! il ne pose pas, lui!... Vous allez voir!...

Et elle appela, familièrement:

—L'Estissac!... bonsoir!... Vous allez bien?...

Le duc salua, très courtois:

—Je vais toujours bien, moi.... Et vous aussi, d'ailleurs!... Mes compliments, chère amie: vous avez l'air d'une rose France!...

Mais, en se tournant vers elle, il avait aperçu l'homme au jersey bleu et à la cravate de laine, qui continuait de subir impassiblement les grogneries de sa voisine, la Marseillaise Joliette. Et il fit un pas, la main tendue:

—Bah!... Vous, ici, Lohéac?

—Moi,—fit l'homme au jersey, laconique.—Content de vous voir.

—Content aussi, mon vieux! Que faites-vous à Toulon?

—Je tire bordée. Mon bateau est à Saint-Louis du Rhône.

—Votre bateau? Quel bateau? Vous êtes devenu marin?

—Pas marin: portefaix. J'ai un engagement à bord d'un des gladiateurs de Lyon.

—Non?

—Si.—A votre santé, l'Estissac!...

Et l'homme au jersey, calme comme bronze, vida son verre.

—L'Estissac!—appelait encore la marquise Dorée;—venez donc une minute.... J'ai une petite amie à vous faire connaître....

—Je viens,—fit le duc.—A tout à l'heure, Lohéac! Montez dans ma loge, le numéro trois... nous causerons....

Il vint auprès des deux femmes, et d'abord exigea qu'on bût d'autres cocktails, en l'honneur de Célia.

—Dites?—questionna la marquise, parlant à mi-voix;—c'est un ami à vous, ce monsieur si drôlement habillé?

Le duc se tenait derrière les deux tabourets, son bras droit autour des épaules de Célia, son bras gauche autour des épaules de la marquise. Il sourit, légèrement railleur:

—C'est un ami à moi, oui, mon enfant!

—Et il est portefaix?... sans blague?...

—Sans blague!... puisqu'il le dit, ça a des chances d'être vrai!...

—Mais ... comment s'appelle-t-il?

—Il s'appelle le comte de Lohéac.... Et il est aussi marquis de Villaine.... Un de vos confrères en marquisat, vous voyez!...

—Ne vous fichez pas de moi!... Mais voyons!... ce n'est pas possible?... Il est comte, marquis, et portefaix?

—Portefaix, marquis et comte.... Assez riche, par surcroît ... ou, du moins, à son aise: un million dans chaque poche, à peu près....

—Alors il est fou?...

—Non: il s'ennuie. L'an dernier, je l'ai rencontré dans un cirque: il était clown. Mais ça ne l'a pas amusé suffisamment. Le voilà portefaix. Je doute que ça l'amuse. Ah! mes petites filles! celle de vous qui réussira la tâche difficile de distraire cet homme n'aura pas perdu sa journée,—d'aucune manière: bonne affaire, et bonne action....

Il regarda les deux femmes l'une après l'autre, avec une sorte de brusque mélancolie:

—Essayez, si le cœur vous dit?...

Mais, du bout de la salle, Jannik le rappelait:

—L'Estissac?... je remonte!... On sonne la fin de l'entr'acte....

Il la suivit.

Les gens, maintenant, quittaient le bar, moins vite toutefois qu'ils ne l'avaient naguère envahi. On n'avait point de hâte à regagner sa loge ou son fauteuil, pour revoir les éternels duettistes, ou rentendre la sempiternelle chanteuse «à diction». Et on s'attardait à bavarder, à prendre congé des femmes, à solliciter un rendez-vous....

Le portefaix comte et marquis n'avait pas bougé de son tabouret. Un coude sur la barre d'appui, et la tempe au poing, il regardait à terre, et semblait ne pas s'apercevoir du vide qui se faisait autour de lui:

La marquise Dorée se pencha vers Célia:

—Ce n'est pas si bête, ce qu'il nous a conseillé, L'Estissac.... Écoutez: voulez-vous qu'à l'autre entr'acte, je le prie de vous présenter ce Lohéac? regardez-le: il est très bien, quand on y fait attention.... Et, un original pareil, c'est peut-être amusant à civiliser....

Mais Célia regardait ailleurs:

—Dorée!—murmura-t-elle tout à coup, la voix changée;—voyez donc là!... dans la porte des coulisses ... vous connaissez?

La marquise vira sur son tabouret:

—Le petit Peyras?... Dieu! oui!... Tout le monde le connaît!

Elle s'interrompit net, pour jeter à sa protégée un coup d'œil inquiet:

—Ah! mais!... doucement, ma gosse! Vous n'allez pas vous toquer de ce gamin-là, par exemple?... Seigneur! c'est que ça a l'air d'être fait, ma parole!...

Les grands yeux noirs de la gosse s'étaient en effet fixés sur le gamin, et suivaient chacun de ses gestes avec un intérêt qui ne se dissimulait point.—Le gamin valait certes qu'on s'y intéressât. Il était tout bonnement délicieux: très jeune, vingt ou vingt-deux ans, peut-être; svelte et long comme un jeune arbre bien poussé; avec, sur les épaules tout de même carrées et solides, la plus fine et la plus ironique des frimousses, qu'une moustache en pointe rendait cavalière et presque belliqueuse.

—Ma gosse!—répétait la marquise Dorée, quasi maternelle.—Si vous prenez feu comme ça, sans savoir pourquoi, vous vous préparez des jours à pleurer et des nuits à ne pas rire!...

Mais Célia n'écoutait même pas:

—Dorée!—murmurait-elle encore;—Dorée!... puisque vous le connaissez?...

La marquise hocha deux fois la tête:

—Oui, n'est-ce pas?... puisque je le connais?... rien ne s'oppose à ce que vous fassiez la bêtise?... Ah! Seigneur! voilà les femmes!... Enfin! du moment que ça vous dit ... allons-y!...

Elle cria:

—Peyras!...

Le gamin se retourna.

—Venez par ici.... Vous avez fait un béguin....

Il se précipita:

—Se peut-il? Juste Ciel!... O jour trois fois béni!...

Il déclamait, burlesque. Ses yeux, des yeux de fille, fendus en amandes et bleus comme des bluets, étincelaient d'une malice blagueuse. Il avait saisi la main de la marquise, et continuait de plus belle:

—O femme adorée!... C'est vous, ma victime?

Elle haussa les épaules:

—Zut! Soyez donc sérieux, une fois dans votre vie, pour cinq minutes, espèce de maboul! Là!... Je vous présente à ma petite amie Célia.... Tâchez d'être gentil avec elle!.... Célia, je vous présente monsieur l'aspirant Bertrand Peyras ... qui sort de nourrice.... Tâchez d'être rosse avec lui!...

Elle sauta à terre et se sauva.

Seul à seule, Peyras et Célia, un brin décontenancés, se regardèrent; lui, muet; elle, couleur de cerise mûre.

Une bonne minute ils ne remuèrent ni n'ouvrirent la bouche. Mais leurs yeux s'étaient pris, et ne se lâchaient pas. Et, peu à peu, leurs bouches commençaient de se sourire.

A la fin, l'aspirant secoua tout d'un coup cette bizarre timidité,—qui n'était nullement dans son caractère.—Et, s'emparant du bras de «sa victime», sans préambule il chuchota:

—Vous y tenez beaucoup, à voir la fin de la représentation?

La victime secoua nettement la tête de droite à gauche.

—Alors....

Il s'en tint à ce seul mot, suffisamment expressif. Et, comme le bar du Casino a sa porte de sortie particulière et discrète,—une porte qui s'ouvre par derrière, sur une rue tranquille, où l'on ne risque pas d'être bousculé,—ce fut vers cette porte qu'ils allèrent, bras dessus, bras dessous....

A ce moment, le bar était presque vide. Il n'y restait, avec eux, que le silencieux Lohéac, toujours enfoncé dans sa rêverie, et la Marseillaise Joliette, qui, elle, ne rêvait pas et semblait fort encline à se mêler de ce qui ne la concernait en rien....

De tout ce qui venait de se passer, elle n'avait perdu ni un mot, ni un geste. Et dès qu'elle eût vu le nouveau couple se diriger vers la porte, elle s'empressa de s'y diriger aussi.

Elle y arriva en même temps qu'eux. Et, profitant du passage assez étroit, elle frôla Peyras, lui décochant une vive œillade, que Célia, juste à point, surprit au vol.

Il faillit y avoir du vilain. Furieuse, Célia lâchait déjà le bras de l'aspirant, et, d'un pas brusque, marchait sur sa rivale:

—Non? mais!... Ne vous gênez donc pas!...

—Ça vous prend souvent?—riposta l'autre, insolente.

Heureusement, Peyras était là:

—Mesdames!... Mesdames!... je vous en prie!...

Tacticien consommé, il s'était déjà glissé entre les deux adversaires. Et il leur jetait à chacune un leste coup d'œil,—si leste que chacune crut être seule à l'avoir reçu....

Puis, profitant de l'accalmie, il entraîna Célia, vite, vite....

Les petites alliées

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