Читать книгу Histoire de l'abbaye d'Hautecombe en Savoie avec pièces justificatives inédites - Claudius Blanchard - Страница 9
Saint Bernard. — Origine de Cîteaux et de Clairvaux. — Descente des moines de Cessens sur les rives du lac. — Agrégation d’Hautecombe et d’Aulps à l’Ordre cistercien. — Saint Bernard passa-t-il en Savoie? — Fosseneuve.
ОглавлениеLa transformation d’Hautecombe étant due à la sollicitude de saint Bernard et son ombre bienfaisante planant sur les origines de ce monastère, nous sommes heureux d’être ainsi amené à esquisser les principaux traits de cette grande figure qui domine tout le XIIe siècle, et dont une plume éloquente a pu dire: «A qui cherche le type le plus accompli du religieux, saint Bernard se présente tout d’abord. Nul n’a jeté plus d’éclat que lui sur la robe du moine .»
Il naquit en 1091, au château des Fontaines, près de Dijon. Son père, Tecelin, était issu d’une des premières familles de la province, et sa mère, Alix, fille de Bernard, seigneur de Montbard, était alliée aux ducs de Bourgogne. Plus illustres encore par leur piété que par leur naissance, ils transmirent à une nombreuse famille, avec de riches blasons et de vastes domaines, un précieux héritage de vertus.
Bernard surtout se fit bientôt remarquer par la pureté de ses sentiments et la précocité de son intelligence. Aussi, ses parents n’hésitèrent point à l’envoyer à Châtillon-sur-Seine, petite ville située à une vingtaine de lieues au nord-ouest de Dijon, chez des chanoines réguliers qui y tenaient une école célèbre. Ses progrès y furent rapides; il apprit à parler et à écrire la langue latine avec une élégante facilité ; il cultiva la poésie et se passionna même avec excès pour les belles-lettres.
Mais la science sans but pratique ne satisfaisait point sa grande âme, éclairée des lumières de la raison et de la foi. Se rappelant les paroles de l’apôtre: «Celui-là est coupable qui, ayant la connaissance du bien qu’il doit faire, ne le fait pas,» il éprouvait les douloureuses perplexités de l’adolescent obligé de choisir, au seuil de la vie, la sphère d’activité qui absorbera toute son existence.
Bientôt il se sent destiné à servir Dieu loin des périls du monde. Sa parole persuasive entraîne plusieurs parents et amis; il les réunit à Châtillon dans une maison commune, et là, sous sa direction, tous travaillent à leur propre sanctification, afin de se rendre plus aptes à procurer celle des autres.
Cette surprenante réunion d’une trentaine d’hommes appartenant aux meilleures familles de la Bourgogne, vivant au milieu de la foule, adonnés aux longues prières et aux austérités cénobitiques sous la direction du plus jeune d’entre eux, excita d’abord l’admiration de leurs compatriotes. Mais à peine six mois s’étaient écoulés que, suivant une chronique du temps, on les tenait pour suspects. Bernard s’occupa dès lors de donner une forme de vie régulière à sa communauté, et, au lieu de suivre l’exemple donné à la même époque par plusieurs saints personnages qui, voulant se retirer du monde, fondaient un institut nouveau, il choisit, par humilité, le modeste ordre naissant de Cîteaux , destiné à jeter tant de gloire sur la grande famille bénédictine.
La règle de saint Benoît, qui, depuis le Mont-Cassin, s’était étendue sur tout l’Occident, avait subi de nombreuses atteintes dans son application. Cluny, après l’avoir fait revivre pendant le Xe et le XIe siècle, tombait sous le poids de ses immenses richesses, lorsque plusieurs moines bénédictins, animés d’un noble désir de perfection, fixèrent leur retraite dans la forêt de Molesme, sous la direction de saint Robert. Cet établissement, comme enivré de son rapide développement, dévia bientôt de sa première direction, et saint Robert le quitta avec six religieux, qu’il choisit parmi les plus fervents, pour s’enfoncer dans la solitude de Cîteaux, au diocèse de Châlons, située au sud et à cinq lieues de Dijon.
Plus tard, quatorze autres religieux de Molesme se joignirent à eux et, l’an 1099, ils achevèrent la construction d’une chapelle en bois, qu’ils dédièrent à la mère de Dieu, dont le nom se lira désormais sur le frontispice de toutes les maisons cisterciennes.
Quinze ans après sa fondation, l’abbé Étienne, entouré du petit nombre de moines exténués que l’épidémie et les macérations ne lui avaient point enlevés, priait sur les marches de l’autel, désespérant du succès de l’œuvre fondée par son prédécesseur, lorsqu’une trentaine d’hommes, conduits par l’un des plus jeunes d’entre eux, frappent à la porte du couvent. Bernard se jette aux pieds de saint Étienne et le prie de les recevoir dans son monastère. Étienne les introduit tout ému, et bientôt, édifié de leur ferveur, il les admet au noviciat. L’année suivante, leurs vœux furent prononcés; Bernard avait vingt-trois ans.
Cîteaux avait, dès ce jour, traversé la crise de l’enfantement. L’exemple de ces gentilshommes quittant le bien-être et les joies du foyer, sacrifiant le brillant avenir que leur position sociale leur promettait, pour se vouer à une vie pauvre, abjecte et oubliée, fut contagieux. Le nouveau monastère ne put contenir tous les postulants, et l’année suivante, peu après la profession de saint Bernard, il fallut envoyer une première colonie de moines à la Ferté, puis une deuxième à Pontigny; et enfin, en 1115, la maison-mère, toujours trop étroite, dut laisser partir un nouvel essaim. Bernard, bien qu’il entrât seulement dans sa vingt-cinquième année, fut choisi pour en être le chef. Suivant l’usage de Cîteaux, toute la communauté se réunit dans l’église; l’abbé de la maison-mère déposa une croix entre les mains de celui qui devait être revêtu de la dignité abbatiale; puis Bernard et les douze moines qui lui étaient confiés prirent congé de leurs frères et entonnèrent, en partant, une grave psalmodie.
Ils se rendirent dans une terre couverte de bois et de marécages, offerte par Hugues, comte de Troyes, à l’abbé Étienne, et située au diocèse de Langres, sur les confins de la Champagne et de la Bourgogne. Bientôt une partie du sol fut défrichée et ils y élevèrent d’humbles cellules autour d’un oratoire, dans le voisinage d’une source qui coule encore aujourd’hui. Plus tard, ce premier établissement, ayant justifié par sa prospérité le nom prophétique de claire vallée, Clairvaux, donné par saint Bernard à cette gorge, appelée antérieurement vallée d’absinthe, vit ses habitants, trop à l’étroit, transférer leur demeure à l’entrée du vallon.
C’est à côté de ces secondes constructions, qu’au XVIe siècle on en éleva de riches et étendues, comprenant église, chapitre, bibliothèque et autres édifices dont la majeure partie se voit encore aujourd’hui.
La grande renommée de saint Bernard attira à Clairvaux, comme précédemment à Cîteaux, de nombreux novices. En 1118, Clairvaux donnait déjà le jour à deux nouveaux essaims, qui fondèrent les monastères de Trois-Fontaines et de Fontenay. Sept ans après, arrivait du fond du Dauphiné le jeune Amédée, fils du seigneur d’Hauterive, dont saint Bernard devait faire un des premiers abbés d’Hautecombe.
Au commencement de l’année suivante (1119), saint Étienne, le vénérable abbé de Cîteaux, convoqua tous les abbés de sa filiation, alors au nombre de douze, pour fixer définitivement les statuts du nouvel Ordre. Cette assemblée mémorable, connue sous le nom de Premier Chapitre général de Cîteaux, donna une forme définitive aux constitutions, en rédigeant la grande Charte de charité et arrêta les usages des monastères cisterciens, qui furent ainsi transmis à la postérité .
Malgré les agrandissements successifs des bâtiments, qui pouvaient abriter jusqu’à 700 moines, le monastère de Clairvaux ne pouvait suffire aux arrivées toujours croissantes de nouveaux postulants. La popularité de son illustre abbé devint telle, que, de tous côtés, on demandait des ouvriers évangéliques formés à son école. Déjà plusieurs villes du territoire actuel de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, possédaient des colonies issues de Clairvaux. Pour en fonder de nouvelles et les unir entre elles par les liens de la fraternité chrétienne, saint Bernard parcourut ces différentes contrées dès l’année 1122. «Montrez-vous mères en caressant et pères en corrigeant,» disait-il aux abbés de ces monastères.
Profitant d’un voyage que les intérêts de son Ordre lui prescrivaient, il se rendit à Grenoble vers la fin de l’année 1123; il y fut magnifiquement reçu par saint Hugues, évêque du diocèse, et de là, franchissant les montagnes, il alla visiter à la Grande-Chartreuse les disciples de saint Bruno, auxquels il portait un attachement particulier .
Il est permis de croire que, pour rejoindre sa cellule, il traversa la Savoie, contrée intermédiaire entre la Bourgogne et le Dauphiné, et que peut-être il visita les religieux de Cessens. Ainsi serait corroborée cette assertion de l’ancienne chronique, que, vers cette époque, soit pendant l’année 1125, sur les instances de saint Bernard, traversant cette contrée, les moines du premier couvent d’Hautecombe se seraient transférés sur l’autre rive du lac du Bourget.
Cette active sollicitude avait fait de saint Bernard le centre et l’âme de l’Ordre de Cîteaux, bien qu’il ne fût que simple abbé de Clairvaux. Malgré son amour et son désir de la retraite, il fut mêlé à tous les grands événements contemporains et il fut l’oracle de son siècle. «On avait une si haute idée de sa science et de sa piété, dit un de ses biographes, que les princes le faisaient juge de leurs différends. Les évêques recevaient ses décisions avec respect et lui envoyaient les plus importantes affaires de leurs diocèses. Les papes s’empressaient de le consulter, regardant ses avis comme des lois. Les peuples partageaient ces sentiments de confiance en ses lumières et de vénération pour sa personne. Enfin, on peut dire que, du fond de sa solitude, il gouvernait toutes les églises de l’Occident.»
Cependant, sa mission politique et religieuse ne s’accomplissait point sans qu’il fut souvent tiré de sa retraite. Appelé par Dieu à diriger son Église pendant les luttes douloureuses qu’elle eut à soutenir au XIIe siècle contre la puissance civile et contre sa propre anarchie, manifestée surtout par le schisme, Bernard préside des conciles, se rend auprès des deux grands souverains du moyen-âge, le pape et l’empereur, et parvient à les réconcilier; il vole de France en Italie, d’Italie en Allemagne, partout, en un mot, où la cause de l’Église le réclame. Après avoir été l’oracle du concile de Pise, après avoir rallié Milan et les autres villes de la Lombardie à Innocent II, il regagne, au printemps de 1135, sa chère cellule abandonnée depuis plusieurs années.
Son voyage à travers le nord de l’Italie, la Suisse et la France ressemblait à une pompe royale. En Suisse, les pâtres descendaient de leurs montagnes pour se joindre à son cortège; et les bergers des Alpes, quittant leurs troupeaux, venaient se jeter humblement à ses pieds, ou poussaient des cris aigus du sommet des rochers, pour lui demander sa bénédiction. Il arriva enfin à Besançon, d’où il fut conduit jusqu’à Langres; et là, non loin de la ville, il trouva ses religieux qui l’attendaient, impatients de revoir leur père. «Tous, dit un chroniqueur, se mirent à genoux et l’embrassèrent, chacun lui parlant à son tour, et, pleins d’allégresse, ils le ramenèrent à Clairvaux.
Ce récit de son retour en France, extrait des Annales de Cîteaux, indique qu’il dut passer par le Valais et, dès lors, dans les environs de l’abbaye d’Aulps. Rien ne prouve qu’il s’y rendit. Mais ce qui permet de hasarder cette supposition, c’est que l’abbaye d’Aulps, comptant alors bientôt un demi-siècle d’existence, était déjà importante; c’est qu’elle était sortie de Molesme comme celle de Cîteaux, dont plus tard était issu à son tour Clairvaux; c’est qu’enfin, cette même année, saint Guérin réforma le genre de vie de ses religieux, et que, l’année suivante, son monastère fut agrégé à l’ordre de Cîteaux et affilié spécialement à Clairvaux.
Visita-t-il «ses pauvres frères d’Hautecombe?» Nous l’ignorons; mais nous pouvons affirmer qu’ils entrèrent définitivement dans la grande famille cistercienne, quelques mois après son nouveau passage dans les Alpes. Au milieu de la divergence des rares documents qui peuvent éclairer l’histoire du monastère à cette époque, nous croyons devoir admettre, avec l’auteur de l’ancien récit de sa fondation , que, vers 1125, sur les conseils de saint Bernard, les religieux de Cessens descendirent à Charaïa et adoptèrent les principes de l’institut de Cîteaux; mais, avant d’y être régulièrement agrégés, ils vécurent encore quelques années, peu nombreux, ayant à lutter contre l’âpreté du sol et du climat. Touché de leurs bonnes dispositions, saint Bernard aurait facilité leur entrée dans son ordre en faisant compléter le nombre de treize religieux qu’ils n’avaient pu réunir, et qui était nécessaire pour former une abbaye cistercienne.
En effet, pendant qu’il ramenait Guillaume X d’Aquitaine à l’Église catholique, Godefroy, prieur de Clairvaux, qu’il appelait un autre lui-même, détacha de ce monastère une colonie de moines qui, réunis à ceux se trouvant déjà à Charaïa, réalisèrent le nombre prescrit par les Règles générales de Cîteaux. Le couvent d’Hautecombe, constitué dès lors en abbaye régulière, fut incorporé définitivement à l’ordre de Cîteaux comme une filiation de l’abbaye de Clairvaux. L’arrivée des religieux de cette maison paraît avoir eu lieu le 14 juin et l’installation définitive et régulière du nouveau monastère le 16 août , mais, dans tous les cas, pendant l’année 1135.
Vivian ou Bivian, ami particulier de saint Bernard, et qui favorisa sans doute la réalisation de ses désirs, fut le premier abbé de cette communauté cistercienne. C’était un homme d’un âge mûr et d’une vertu éprouvée. La barbarie des habitants voisins, entravant la prospérité de son abbaye, le poussa à se rendre à Rome, probablement pour obtenir quelque faveur particulière destinée à la protéger contre leur brutalité. L’abbé de Clairvaux le recommanda à Haimeric, chancelier du Saint-Siège, par une lettre écrite vers 1136, où on lit:
«Je désire et je demande que, par amour pour Dieu et pour nous, le porteur de cette lettre, le vénérable Vivian, abbé d’Hautecombe, auquel je suis, à cause de sa piété, uni par une étroite amitié, ressente les effets de la vôtre dans son affaire .»
Peu après leur agrégation à son institut, saint Bernard donna aux moines d’Hautecombe une nouvelle preuve de sa sollicitude, qui a passé à la postérité. Écrivant à Arducius, récemment promu à l’évêché de Genève, après avoir déploré le peu de mérite de sa vie antérieure et l’avoir exhorté à honorer au moins à l’avenir sa nouvelle dignité, il lui recommande ses pauvres frères des Alpes, qui sont auprès de lui, les religieux de Bonmont et d’Hautecombe. «Nous ferons en eux, ajoute-t-il, l’épreuve de l’intérêt que vous nous portez .»
Sur la foi de l’ancien récit de la fondation d’Hautecombe et sur les assertions de Guichenon, induit en erreur peut-être par ce même document, la plupart des écrits publiés sur cette abbaye fixent à l’année 1125 la translation de la communauté de Cessens sur les rives du lac, son agrégation à l’ordre de Cîteaux et encore la donation de l’emplacement du nouveau monastère, faite par Amédée III, comte de Savoie, au bienheureux Amédée d’Hauterive, qui passe pour premier abbé d’Hautecombe.
Il y a là plusieurs inexactitudes. Bien qu’elles ne soient pas importantes au point de vue de leurs conséquences, néanmoins nous croyons devoir les relever.
Nous avons vu comment on peut concilier l’assertion de l’ancienne chronique avec le récit de Manrique et faire concourir les dates de 1125 et 1135 dans l’exposé de la transformation de ce monastère et de son entrée dans l’Ordre qu’illustrait saint Bernard. Mais, quant à la charte de fondation concédée par Amédée III, elle est évidemment postérieure à ces deux dates.
En effet, Vivian, l’ami de saint Bernard et le coopérateur de ses desseins, fut abbé d’Hautecombe jusqu’en 1139. Alors seulement Amédée d’Hauterive lui succéda; il ne put donc recevoir l’acte de fondation avant cette date.
Un auteur de la fin du siècle dernier , suivi dans quelques notices plus récentes , put éviter ces contradictions, en avançant que Vivian était le successeur et non le prédécesseur d’Amédée d’Hauterive. Les partisans de cette opinion se basent, d’une part, sur la prétendue date de 1125, qui serait apposée à la fin de la charte de donation de la terre de Charaïa, faite par Amédée III, comte de Savoie, à saint Amédée, abbé d’Hautecombe; et d’autre part, sur la lettre de saint Bernard, relative à Vivian, dont nous avons parlé plus haut .
Toute cette divergence d’opinions a été causée par Guichenon. Dans le volume des preuves de l’Histoire de la Maison de Savoie, il a publié l’acte de fondation de l’abbaye d’Hautecombe, et il a cru devoir y ajouter de sa propre autorité la date de 1125, bien qu’elle n’existât nullement dans l’original. Il l’avoue lui-même dans son récit du règne d’Amédée III. Mais, dit-il, par les circonstances que cet acte contient, par la confirmation qu’en fit Arducius, évêque de Genève, et par les autres titres du monastère d’Hautecombe, on apprend qu’il eut lieu l’an 1125.
Or, il y a là une erreur évidente.
Arducius fut évêque de Genève de 1135 à 1183 . Par conséquent, cette confirmation, qui, du reste, ne porte pas de date, ne peut prouver que la donation remonte à l’an 1125. Elle indiquerait, au contraire, qu’elle eut lieu sous son épiscopat et par conséquent au plus tôt en 1135; l’absence de confirmation de cette donation de la part du prédécesseur d’Arducius conduit à la même conclusion.
Les historiens sont unanimes à reconnaître qu’Amédée était abbé d’Hautecombe en 1144, quand il fut appelé au siège épiscopal de Lausanne. Or, par la lettre 54e de saint Bernard, il est constaté que Vivian était abbé en 1136. Il a donc précédé saint Amédée.
De plus, nous verrons que saint Amédée ne commença son noviciat à Clairvaux qu’en 1125. Il ne pouvait donc pas être abbé d’Hautecombe cette même année.
Enfin cette même lettre de 1136, qu’invoquent les partisans de l’opinion contraire, nous sert de preuve contre eux.
Par cette lettre, saint Bernard recommande Vivian, abbé d’Hautecombe, à Haimeric, chancelier de l’Église romaine à cette époque. Or, Haimeric paraît pour la dernière fois comme chancelier le 20 mai 1141. Par conséquent, la cessation des fonctions d’Haimeric prouve aussi que Vivian n’a point été abbé après 1141, et qu’il précéda Amédée, encore abbé d’Hautecombe au commencement de 1144 .
Retenant donc que Vivian était abbé d’Hautecombe en 1135, et peut-être dès 1125, nous devons suivre l’opinion la plus probable et admettre avec Manrique qu’il conserva. cette dignité jusqu’en 1139. Cette même année, saint Amédée lui succéda et reçut, pendant sa prélature, l’acte de fondation de la nouvelle abbaye, ou plutôt la confirmation de cette fondation, faite en 1135, probablement sans acte solennel. Ce qui le prouve encore, c’est que le titre de fondation parle d’une «terre appelée autrefois Charaïa et maintenant Hautecombe.» Ainsi, au moment où il fut Passé (entre 1139 et 1144), le nom de Charaïa ou Charaya avait déjà été changé, et il l’avait été lors de l’arrivée des moines, qui précéda de plusieurs années la rédaction de ce titre.
D’après une chronique de l’abbaye de Fosseneuve, au diocèse de Terracine, ce dernier monastère aurait été fondé cette même année (1135), par une colonie venue d’Hautecombe. Ce fait paraîtra peu vraisemblable quand on se rappellera que les statuts de l’ordre de Cîteaux défendaient à tout abbé de recevoir une terre pour fonder un nouveau monastère, à moins que son abbaye ne possédât soixante religieux profès, et, d’autre part, que l’abbaye d’Hautecombe, à peine établie, était loin d’être prospère. Il faut donc admettre que cette abbaye de Fosseneuve existait déjà avant cette époque et qu’elle ne fit alors que s’affilier à Hautecombe en embrassant la règle de Cîteaux.
Son fondateur fut un des ancêtres de saint Thomas d’Aquin. Ce grand docteur de l’Église y mourut pendant l’année 1274, en se rendant de Naples au concile de Lyon. Cet événement, joint aux miracles opérés à son sépulcre et au souvenir du moine Gérard, sorti de Fosseneuve pour aller à Clairvaux et subir ensuite le martyre, a rendu ce monastère célèbre .
Du reste, il devint le centre de plusieurs abbayes. En 1162, celle de Curatium, au diocèse de Martorans, en Calabre, lui fut affiliée; en 1167, ce fut celle de Marmasol, au diocèse de Terracine; et, en 1179, celle de Ferraria, au diocèse de Tiano, qui vinrent augmenter son importance .
Si l’on en croit le P. Le Nain, Hautecombe aurait encore eu pour abbaye filiale, dès 1199, celle de Saint-Ange, en Grèce, dans le diocèse de Constantinople.