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I
BON DIEU DE BOIS

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Table des matières

—Monsieur le curé! Monsieur le curé!

Valérie courait à travers le jardin, cherchant l’abbé Pellegrin qu’elle trouva enfin devant un talus fleuri sur lequel des cailloux artistement disposés inscrivaient ce nom: «Poilu».[1] Le prêtre était assis sur un antique banc de pierre et, la pipe aux lèvres, coiffé d’un vaste chapeau de paille, il lisait son bréviaire en somnolant quelque peu.

[1]Voir Mon Curé chez les Riches.

—Monsieur le curé, dit la vieille bonne, il y a là un monsieur qui veut absolument vous voir... C’est, paraît-il, pour une chose très importante et très pressée.

En même temps, elle lui tendit une carte de visite ainsi libellée:

ACHILLE DE SAINT-PREUX

CRITIQUE D’ART

Commandeur de l’Ordre royal d’Isabelle-la-Catholique

Le curé de Sableuse ne parut pas impressionné du tout.

—Une chose très importante et très pressée? fit-il en souriant... Serait-ce que ce type a envie de se confesser? Au moins, vous l’avez fait entrer au salon, comme un pauvre?

—Bien sûr, monsieur le curé... Mais il a l’air très comme il faut, il est très poli et il a son auto devant la porte.

—On y va.

L’abbé Pellegrin, suivi de Valérie, regagna le presbytère dont l’étroite porte s’encadrait de lierre et de glycines. Il pénétra dans la pièce aux volets clos qui était baptisée «salon» et qui n’avait, pour justifier ce titre, que quelques sièges recouverts de tapisseries au crochet, une petite bibliothèque de bois noir, de pieuses lithographies et un parquet merveilleusement ciré. Dans un fauteuil était assis un personnage à visage obscur sur lequel des lunettes d’écaille ouvraient des manières de hublots lumineux... A l’entrée de l’abbé, l’inconnu se leva et prononça avec un accent bizarre:

—Je vous demande pardon, monsieur le curé, de venir ainsi vous troubler dans vos saintes occupations...

—Pas du tout, j’allais piquer un petit somme.

—Raison de plus pour m’excuser... Mais vous me pardonnerez quand vous connaîtrez le but essentiellement charitable de ma visite.

—Je vous accorde mon absolution, répondit cordialement le prêtre. Ma porte est toujours ouverte à ceux qui demandent... A plus forte raison, à ceux qui donnent!

—Je suis venu dans une intention que vous apprécierez, car il s’agit de vous aider à secourir vos pauvres...

—Alors, il y a du bon!

Le curé appela Valérie et lui dit:

—Apportez une bouteille de vin blanc... Celui des jours de fête. Et ouvrez les volets. On aime à voir la tête d’un brave homme!

La lumière soudaine révéla le visage maigre et dur de M. Achille de Saint-Preux, critique d’art. Sur ses lèvres minces s’allongeait un sourire attentif et persévérant de diplomate désireux de mener à bien une mission délicate.

M. de Saint-Preux commença par célébrer les mérites du petit vin blanc que lui avait servi, non sans quelque solennité, le curé de Sableuse.

—Vous êtes connaisseur! fit celui-ci, flatté.

—Un peu... Connaisseur, je le suis surtout en matière d’art.

—Vous êtes critique?

—Critique, oui... C’est-à-dire que je voyage beaucoup pour me documenter sur les belles choses qui abondent en France. Mes moyens me permettent de me livrer entièrement et d’une façon tout à fait désintéressée à ces passionnantes études artistiques qui sont le but de ma vie.

—Vous aimez les peintures, les sculptures?... Je comprends ça. Mais, vous savez, moi, ce que je trouve le plus intéressant, le plus passionnant, comme vous dites, c’est ce qui vit. L’art, ce n’est qu’un chiqué, une blague... Et ils me font rigoler, les types qui prétendent être plus adroits que le bon Dieu!

—Oh! monsieur le curé!... fit M. de Saint-Preux d’un air à la fois déférent et scandalisé. Puis:

—Mes voyages, que je fais en auto, sont très fatigants. Et j’avoue que si je n’étais pas soutenu par l’amour de l’art, parfois, je serais tenté de renoncer à cette noble mais rude mission.

—Encore un coup de vin blanc... pour vous remettre?

—Avec plaisir, monsieur le curé.

Après un silence, le commandeur de l’ordre royal d’Isabelle-la-Catholique reprit:

—Je viens de visiter votre église... Elle n’est pas sans intérêt au point de vue archéologique et même artistique.

—Bah! Il y en a vingt dans le diocèse qui sont plus pépères... Je veux dire plus dignes de votre attention.

—Permettez...

—C’est vrai que nous avons un chemin de croix qui est à la hauteur. Justement, je viens de lui donner un coup de vernis avec l’aide du bedeau. M. le comte de Sableuse, notre ancien châtelain, l’a fait faire, il y a vingt ans, à Paris. C’est presque de l’ancien déjà! Et le saint Joseph? Vous avez vu notre saint Joseph, monsieur le critique d’art? Il vient de Paris aussi, de la maison Bouasse-Lebel, place Saint-Sulpice. C’est un don de Mme Cousinet, la femme du député, notre nouveau châtelain. Mme Cousinet, c’est Lisette de Lizac. Vous en avez bien entendu parler à Paris... Ah! un numéro pas ordinaire! Et même un vieux tableau aussi... Ça devrait vous intéresser comme critique d’art! Allons, encore un verre de vin?...

M. de Saint-Preux observait le curé d’un regard plus aigu. Il prononça:

—Oui, j’ai admiré votre chemin de croix, votre saint Joseph, votre Jeanne d’Arc...

—N’est-ce pas qu’elle est bien avec ses yeux émaillés qui regardent le ciel, sa cuirasse et son épée que j’ai réargentées moi-même?

—Elle est superbe!

—C’est le grand modèle du catalogue. Allons, encore un verre?

—Comment donc! Mais vous avez d’autres œuvres d’art dans votre église?

-Oui, quelques vieilles peintures qui auraient même bien besoin d’être remises à neuf... Ah! si j’avais du temps... et de la couleur!

—J’ai remarqué aussi, près de la porte de la sacristie, une espèce de statuette...

—Ah! oui, un Christ en bois sculpté. C’est tout piqué des vers... Et ça n’a plus de formes. S’il ne s’agissait pas de notre Sauveur, je vous assure que je mettrais cette antiquité au rancart. Songez que mes paroissiennes me disent que Notre Seigneur n’a jamais été vilain comme ça... C’est vrai: il avait de longs cheveux bouclés, des yeux bleus, une barbe blonde, le teint d’une jeune fille, enfin, quoi, ayant pu choisir, il s’était fait beau, beau comme un Dieu!...

M. de Saint-Preux eut un imperceptible sourire, puis, très catégorique:

—Cette statuette est, en effet, bien laide... C’est le grossier travail d’un pauvre tailleur d’images. Dans votre charmante église, où il y a de si jolies choses, cela détonne un peu...

Le critique d’art avala une gorgée de vin, fit claquer sa langue, puis:

—Mais je suis venu, dit-il, pour vous parler de vos pauvres... Vous en avez beaucoup?

—Je suis bien servi. Et le pire, c’est, que je ne peux pas grand’chose pour eux... M. Cousinet, qui a racheté le château de Sableuse, me fait la tête depuis les élections, sous prétexte que je n’ai pas pistonné sa candidature. Non mais!... Or, si l’unique richard du patelin me laisse tomber, c’est le déficit dans mon budget, la mouise inévitable, et les pauvres, tout comme le curé, doivent se mettre la ceinture. Pour moi, ça n’a pas d’importance... Je peux maigrir encore. Mais je pense à mes vieux, à mes malades, à mes gosses surtout, et j’en ai des tas sur les bras! Je sais bien que le bon Dieu a dit qu’il ne fallait pas s’en faire: «Ne vous mettez pas en peine, a-t-il dit, de ce que vous mangerez, ou de ce que vous boirez, et n’ayez pas l’esprit inquiet.» Mais cela n’empêche pas que, parfois, pour que tout ce monde-là mange à peu près à sa faim, il faut que le curé se débrouille!

M. de Saint-Preux prit un air affecté pour dire:

—Votre impuissance à secourir tous ces malheureux doit profondément affliger un noble cœur comme le vôtre, monsieur le curé. Et je vous assure que le mien ne reste pas insensible... Aussi suis-je venu vous offrir les moyens de soulager ces misères.

—Encore un petit coup de blanc?

—Avec plaisir... Je représente un groupe de bienfaiteurs américains, des gens très riches qui, sachant que mes tournées me permettent de voir, de deviner bien des choses, me laissent toute latitude pour choisir les bénéficiaires de leur générosité. Voilà pourquoi, cher monsieur le curé, je mets à votre disposition la somme de 5.000 francs.

—Cinq mille balles?... Mince! Je veux dire... Excusez-moi, quand je suis content, c’est comme quand je ne le suis pas, j’en lâche parfois qui ne sont pas faits pour aller dans le monde.

—Je sais, je sais, monsieur le curé... Mais ce langage savoureux, un souvenir du front, paraît-il, ne me choque pas du tout. Il a contribué autant que votre rude franchise et votre charité à vous rendre populaire. Qui ne vous connaît et ne vous aime dans la région? Ne vous défendez pas! Je ne suis à Sableuse que depuis une heure et j’ai déjà entendu parler de vous avec une sympathie, une affection, un amour, un...

—N’en jetez plus!

—Enfin, voilà, je vous apporte 5.000 francs pour vos pauvres. Et, de plus, je promets, à titre de don personnel, de vous envoyer d’ici huit jours, franco de port et d’emballage, un Christ grandeur nature avec des cheveux bouclés, des yeux bleus et une barbe blonde qui plairont certainement à vos paroissiennes. Avec des couleurs inaltérables et une auréole dorée à la feuille... Ce qui se fait de mieux!

Le curé de Sableuse, ébloui, se récria:

—Ce sera trop beau pour ma pauvre église!

—Pas du tout. Je suis très heureux de vous offrir ce témoignage de ma respectueuse admiration pour votre noble caractère...

—Ça va! Mais comment vous remercier?

—Ne me remerciez pas.

—Ah! vous parlez que je vais prier pour vous... Mes prières, c’est ce que j’ai de mieux à vous proposer, avec mon vin blanc!

M. de Saint-Preux s’inclina et dit:

—Monsieur le curé, croyez que j’apprécie votre bonne intention et votre vin délicieux à leur juste valeur. Mais voici: j’ai pensé que le Christ en question—une très belle œuvre, vous verrez—remplacerait avantageusement la statuette dont l’aspect disgracieux décourage la piété de vos paroissiennes. Alors, c’est bien simple, j’emporte le vieux et je vous envoie le neuf. Quant aux 5.000 francs, les voici...

Et le critique d’art, qui parlait avec volubilité, tira de son portefeuille dix billets de cinq cents francs... Il les plaça en éventail dans sa main et continua:

—La charité est aussi une religion. Nous pouvons la pratiquer ensemble.

Puis, attendri:

—Ça fait du bien d’être bon... Ah! je vais leur raconter notre entrevue, à ces philanthropes américains. Et sans doute m’inviteront-ils à vous faire un nouveau don. Ils sont si riches!... Sans compter qu’avec le change, ils peuvent, en France, multiplier leur générosité par trois au moins sans dépenser un dollar de plus: c’est très avantageux.

Tout en parlant, M. de Saint-Preux disposait les billets sur la table en deux longues rangées. Et Valérie, qui venait d’entrer, s’exclama en joignant les mains:

—En v’là-t-il, de l’argent, Sainte Vierge!

L’abbé Pellegrin ne songeait plus guère à la statue neuve et bien moins encore à la vieille image sculptée: il pensait à ses pauvres, à ses malades, à ses gosses, il les voyait tendant vers lui des mains suppliantes et il se disait: «Ah! voilà une galette qui tombe à pic! C’est la manne dans le désert et c’est Dieu qui me l’envoie, car ce critique d’art et ses Américains ne sont que les instruments de la Providence.»

Le commandeur de l’ordre royal d’Isabelle-la-Catholique demanda, comme pressé d’en finir:

—Nous sommes bien d’accord, n’est-ce pas, monsieur le curé?

Et, sans attendre la réponse, il poussa les billets bleus vers le prêtre qui répondit:

—Ça colle admirablement. Et puis, voyons, pourrais-je refuser? Je n’en ai pas le droit.

M. de Saint-Preux se leva et, devenu autoritaire, il prononça:

—Allons à l’église... Je vais vous débarrasser de ce vieux bois troué de vers.

L’abbé Pellegrin était embarqué. Il répondit, mais après un court silence:

—Allons.

Après avoir ramassé, non sans nouvelles protestations de reconnaissance, les merveilleux fafiots, l’abbé Pellegrin, suivi du critique d’art, se rendit à l’église toute voisine... Trois heures sonnèrent lentement, dans le silence vaste. Une ombre fraîche et une vague odeur de cire et d’encens remplissaient l’humble nef, régnaient autour des colonnes trapues et de l’autel naïvement orné de fleurs des champs; devant le tabernacle, rougeoyait la lueur toujours présente qui, dans les temples déserts, veille et palpite comme une prière en face du Dieu abandonné.

L’abbé Pellegrin s’agenouilla un instant, cependant que M. de Saint-Preux, les yeux plus brillants derrière ses lunettes, se dirigeait vers la statuette convoitée, maintenant conquise... Il en admira la beauté simple et rude et songea que ce chef-d’œuvre de l’art gothique, revendu et payé au poids des bank-notes, ferait mieux dans la galerie de quelque fastueux amateur du Minnesota ou du Wisconsin que dans une église de campagne encombrée de ridicules bondieuseries.

Le curé l’avait rejoint et demandait, hésitant:

—Vous l’emportez tout de suite?

—Mais oui... J’ai dit au chauffeur de venir me rejoindre. Nous repartirons dans quelques minutes avec l’objet.

—Avec... l’objet? C’est que...

—C’est que... quoi, monsieur le curé?

—Maintenant je me sens moins décidé. Ce Christ n’est pas beau, certes, mais il y a si longtemps qu’il est là, au milieu de nous. On s’y était habitué. Et puis, je me demande si j’ai bien le droit...

—Quelle idée! Combien de curés ont remplacé des vieilleries sans intérêt par des statues, des tableaux, des objets d’art qui font un effet magnifique dans leurs églises! Tenez, le curé de Marcouville s’est procuré ainsi un saint Roch...

—Oui, je l’ai vu, il est vraiment pépère. Son chien surtout est épatant. Il ressemble à Poilu...

—Poilu?

—Oui, un brave clebs que j’avais ramené du front et qui a été mon meilleur ami.

—Le Christ que je vous enverrai sera tout aussi beau que ce saint Roch... Tenez, je lui ferai mettre des étoiles d’or partout; vous ne trouverez pas mieux dans tout le diocèse, même à la cathédrale!

En même temps, le «critique d’art», montant sur une chaise, s’apprêtait à prendre l’image sculptée et, déjà, ses mains avides la touchaient, la saisissaient... Mais l’abbé Pellegrin l’arrêta brusquement en s’écriant:

—Minute... Vous avez l’air bien pressé!

—Je dois être rentré à Paris ce soir... Et la route est longue. Allons, ne perdons pas de temps.

—C’est que si je vous laisse emporter cet objet, comme vous dites, je crains d’avoir des ennuis... On dira que je l’ai vendu!

—Vendu? Pas le moins du monde... La somme que je vous ai remise, c’est pour vos pauvres. Et votre vieille statuette, je vous la remplace par du neuf... Personne ne peut rien vous reprocher. Monsieur le curé, vous faites une bonne affaire!

—Je n’aime pas les affaires, même quand elles sont bonnes.

M. de Saint-Preux prit un temps, puis:

—Après tout, je ne veux pas vous forcer la main... Gardez-le, votre rossignol, mais restituez-moi les 5.000 francs.

—Ne m’avez-vous pas dit qu’ils étaient destinés aux pauvres?

—Vous me traitez tout-à-coup avec je ne sais quelle méfiance, moi, un commandeur de l’ordre royal d’Isabelle-la-Catholique! C’est inadmissible... Tant pis pour vos pauvres, monsieur le curé, mais un tel procédé m’autorise à retirer un don que je vous avais fait sans aucune arrière-pensée, croyez-le bien.

—Que je vous rende la galette? Ah! non... Vous rigolez! j’en ai besoin.

Et le bon curé, regardant la grossière et poussiéreuse image où il ne reconnaissait pas le Sauveur, songea que ce n’était là qu’un peu de matière, un morceau de bois à demi pourri... Il songea aussi que les 5.000 francs de ce visiteur un peu bizarre mais généreux lui permettraient de secourir des êtres vivants, de donner quelque joie à des âmes chrétiennes. Le Christ lui-même ne s’était-il pas donné, non pas en effigie mais en personne, pour soulager la détresse humaine?

Ces raisons balayèrent les inquiétudes, les scrupules du prêtre. Prenant la statuette dans ses bras, il la porta jusqu’à l’automobile que le moteur secouait d’un frémissement impatient. M. de Saint-Preux le suivait avec un sourire de triomphateur. Mais comme il allait placer l’«objet» sur les coussins de la voiture, l’abbé Pellegrin eut une dernière résistance:

—Ah! s’exclama-t-il, c’est plus lourd que je ne croyais...

—Allons, monsieur le curé, vous en faites des histoires pour un bon dieu de bois!

Et comme le prêtre reculait, comme prêt à fuir avec son fardeau, le «critique d’art» bondit sur lui et, d’un geste aussi inattendu que violent, lui arracha la statuette qu’il jeta dans l’auto... Après quoi, s’élançant sur le siège à côté du chauffeur, il ordonna:

—En route... Et en quatrième!

Puis, comme la voiture prenait son élan, il se tourna vers le prêtre en s’écriant avec un rire sarcastique:

—Je l’ai... Je le garde. Au revoir, Monsieur le curé!

Ahuri, l’abbé Pellegrin ne put que s’exclamer:

—Non mais, des fois!... Vous parlez d’un culot!

Quelques jours après, l’abbé Pellegrin était convoqué à l’évêché pour «affaire urgente».

Il fut d’abord reçu par l’abbé Lanthier qui lui parut plus mystérieux, plus inquiétant que jamais.

—Monseigneur me fait venir à son rapport, lui dit le curé, et j’avoue que je n’en mène pas large. J’ai les foies, comme nous disions au front.

Et comme le secrétaire de Mgr Sibuë restait silencieux, il reprit:

—C’est que, mon vieux, Sa Grandeur ne m’a pas à la bonne, vous le savez. De quoi s’agit-il? Avez-vous des tuyaux?

L’abbé Lanthier leva les yeux au plafond, soupira et répondit d’une voix douce:

—Je ne puis marcher sur les brisées de Monseigneur. Dans quelques minutes, vous serez renseigné.

—Je le devine, il y a encore des chichis. Décidément, je n’ai pas de veine.

—Comment pouvez-vous dire cela? j’estime au contraire, monsieur le curé, que vous êtes comblé... Monseigneur, par exemple, vous traite avec une indulgence, une bonté que vous devriez reconnaître au lieu de lui attribuer je ne sais quels sentiments d’hostilité contre vous. Comme si ce saint prélat ne s’élevait pas au-dessus de telles misères! Songez qu’il vous a rendu, généreusement, votre curé de Sableuse...

—Grâce à l’intervention de Mme Cousinet, plus connue sous le nom de Lisette de Lizac: je suis protégé par les femmes, comme si j’étais un joli petit vicaire de paroisse mondaine. Et Mme Cousinet est dans les huiles, les saintes huiles. Je sais que Monseigneur la pelote...

—Oh! monsieur le curé!

—Je veux dire qu’il n’a rien à lui refuser: pensez donc, la femme d’un député influent qui demain peut-être sera ministre!

L’abbé Lanthier eut un geste impatient et reprit:

—Ne parlez pas ainsi de Monseigneur... Vous lui devez de la reconnaissance car il vous a toujours pardonné, jusqu’ici, vos incartades.

—Mes incartades? Dites donc, mon petit Lanthier, il me semble que vous attigez...

—Sa Grandeur est animée du seul esprit de justice, tempéré cependant par une mansuétude toute paternelle.

—Ça va. Je regrette tout de même le cardinal... Ah! celui-là, c’était un bon type!

—Monseigneur Sibuë a toutes ses vertus et, en plus, ces qualités administratives, cette énergie, cette autorité qui manquaient à Son Éminence. Nous avons, monsieur le curé, un grand évêque...

—Oui, et nous aurons bientôt un grand vicaire général.

—Que voulez-vous dire? fit l’abbé Lanthier d’un air innocent.

—Gros malin! Allons, à quand cet avancement? Dame, quand on est à l’état-major, près du grand chef, on prend vite du galon. C’est tout naturel. Tandis que nous, au front...

Un timbre électrique résonna et l’abbé Lanthier, qui de renfrogné était devenu hostile, dit au curé de Sableuse d’une voix sèche:

—Monseigneur vous attend... Bonne chance!

L’évêque de Merville accueillit le curé de Sableuse avec ces mots qu’il prononça d’un air agacé:

—Décidément, nous jouons de malheur... Encore une histoire, monsieur le curé! Et cette fois, c’est très grave.

L’abbé Pellegrin pâlit, rougit et bredouilla:

—Qu’est-ce que j’ai bien pu faire, Monseigneur?

—Vous me le demandez? Voyons, vous le savez bien.

—Je cherche... Ah! il s’agit peut-être de mon sermon de dimanche dernier. C’est vrai, j’ai été un peu fort. J’ai dit, à propos du dernier mandement de Votre Grandeur sur la toilette des femmes à l’église, que le bon Dieu préférait voir chez lui de jeunes et jolies chrétiennes, même décolletées, que tant de vieilles toupies collet-monté dont la dévotion vient trop tard pour que ça lui fasse plaisir. Le bon Dieu n’a pas assez de succès auprès des femmes qui font honneur à sa fabrication... A sa place, je serais vexé. Voilà ce que j’ai dit, Monseigneur, mais à Sableuse, ça n’a aucune importance, car mes paroissiennes ne suivent pas la mode... Il n’y en avait qu’une dans l’église qui, par l’audace de sa toilette, pouvait justifier certains blâmes, et c’était, comme par hasard, Mme Cousinet.

Mgr Sibuë sursauta et, avec un regard plus sévère:

—C’est à Mme Cousinet, dit-il, que vous devez d’être rentré à Sableuse. Cette dame est une de nos plus généreuses bienfaitrices et son mari est des nôtres. Vous ne pouvez d’ailleurs obliger une Parisienne à s’habiller en paysanne... Mais ce n’est pas pour parler chiffons que je vous ai fait venir, monsieur le curé. Et puisque vous semblez avoir déjà oublié le fait qui m’oblige à vous demander des explications, je vais donc rafraîchir votre mémoire.

—J’attends, Monseigneur.

—Répondez-moi: qu’est devenu le Christ du XIIIe siècle qui ornait l’église de Sableuse?

L’abbé Pellegrin resta comme médusé. Jusque-là, il s’était efforcé de croire que son aventure avec M. de Saint-Preux n’avait aucune importance, que personne, en dehors du «critique d’art», ne s’intéressait à ce vieux morceau de bois troué de vers dont la disparition ne paraissait pas avoir été remarquée. Cependant, le curé gardait une anxiété au fond du cœur, il pressentait des complications, des histoires. La brusque et précise question de l’évêque l’atteignait au vif de sa secrète inquiétude. Et sur son large et naïf visage se peignit un trouble presque douloureux.

—Voyons, répondez! insista Mgr Sibuë en ajustant sur son nez mince des lunettes d’acier.

—Je vais vous expliquer, mon... mon...

—Vous vous expliquerez tout à l’heure. Auparavant, dites-moi si, oui ou non, ce Christ est encore en votre possession.

—Non, Monseigneur.

—Qu’en avez-vous fait?

—Je l’ai échangé contre une statue toute neuve, grandeur nature, avec des étoiles d’or partout... M. de Saint-Preux doit me l’expédier ces jours-ci.

L’évêque haussa les épaules et d’une voix coupante:

—Avouez que vous l’avez vendu.

—Vendu? Oh! Monseigneur!...

—Oui, vous avez fait cela, vous, un prêtre! Vous avez vendu un objet d’art, un chef-d’œuvre admirable, à un de ces pillards d’églises qui parcourent les campagnes pour abuser de l’ignorance, de la bêtise et parfois—j’ai honte de le dire—de la cupidité de certains desservants. Vendre une image de Notre-Seigneur, est-ce possible! Et le pire, c’est que votre acte inqualifiable va nous attirer de graves difficultés avec l’administration, car ce Christ du XIIIe siècle, dont vous ne pouviez disposer en tout état de cause, devait être classé prochainement par le ministère des Beaux-Arts. Je venais précisément d’en être avisé... Ah! vous nous mettez dans de jolis draps et vous-même vous pouvez vous attendre à être poursuivi pour abus de confiance et détournement. Ce sera d’ailleurs bien fait!

L’abbé Pellegrin baissa la tête, comme écrasé par ce réquisitoire.

—Quelles explications pouvez-vous fournir? Je les attends avec curiosité.

Et comme le curé de Sableuse se taisait, Mgr Sibuë continua:

—Encore si l’affaire ne s’était pas ébruitée... Mais il y a scandale! Et malheur, dit l’Écriture, à celui par qui le scandale arrive. Lisez-vous les journaux, monsieur le curé?

—Je lis la Feuille d’annonces de Sableuse et la Semaine religieuse.

L’évêque prit sur sa table un journal de Paris et l’ayant déplié, montra au pauvre homme un article intitulé: Comment on pille nos églises; arrestation d’un étrange amateur d’art. Puis, scandant les mots, appuyant sur certaines épithètes, il lut ces lignes:

«A la suite de diverses plaintes, la police vient d’arrêter, rue Mogador, un Levantin du nom de Samuel Zaphyri, qui se faisait appeler Achille de Saint-Preux, et se disait commandeur de l’ordre royal d’Isabelle-la-Catholique. Cet individu s’était spécialisé dans le commerce d’objets d’art religieux qu’il se procurait en usant des moyens les moins délicats. Il exploitait la pauvreté ou la naïveté de certains curés de campagne à qui il proposait, souvent avec succès, l’échange d’authentiques chefs-d’œuvre plus ou moins ignorés contre une camelote fabriquée dans le quartier Saint-Sulpice. Zaphyri offrait aussi de l’argent aux ecclésiastiques dans l’embarras en leur disant: «Ce sera pour vos pauvres!» Nombre d’ecclésiastiques, qui ignoraient la valeur des objets d’art convoités par l’insinuant personnage, sont tombés dans ce piège habilement tendu. On cite parmi les dernières dupes de l’aventurier l’abbé Pellegrin, desservant de l’église de Sableuse (Eure), qui lui aurait livré un magnifique Christ en bois sculpté datant du XIIIe siècle. Interrogé à ce sujet, Zaphyri a déclaré: «L’objet m’a été vendu 5.000 francs... J’ai fait une affaire, tout simplement, sans exercer aucune pression sur le curé qui a paru enchanté de l’aubaine et qui m’a même fait boire de son petit vin blanc. S’il y a un coupable, ce n’est certainement pas moi.» Ajoutons que cet étrange amateur d’art, d’ailleurs soupçonné de nombreux vols avec effraction dans diverses églises, ravitaillait l’Amérique en chefs-d’œuvre de tous genres et de tous styles. Son appartement était rempli de statues, de tableaux, de reliquaires, de chandeliers, de chefs-d’œuvre de notre art médiéval: toutes ces merveilles devaient prendre le chemin de l’Amérique. L’instruction qui vient d’être ouverte nous réserve maintes surprises.» Voilà, monsieur le curé... Est-ce assez clair?

Le curé de Sableuse s’était dressé, rouge d’indignation.

—Une affaire? s’écria-t-il d’une voix tremblante... Ce salaud ose dire qu’il a fait une affaire avec moi? Non, mais chez qui? La vérité, Monseigneur, c’est qu’il m’a empaumé en me disant: «Ce que je vous donne, c’est pour vos pauvres.» Et des pauvres, des malades, des vieux, des orphelins, j’en ai des floppées à Sableuse. Alors, quoi, je n’ai pensé qu’à eux... Ce sont mes enfants et leurs plaintes me font mal. Car je n’ai rien à leur donner, rien que de bonnes paroles, des consolations, des espérances, des biftecks courant d’air, quoi!...

—Les secours spirituels de notre sainte religion...

—Ça retape les âmes, mais ça ne remplit pas les ventres. Dieu lui-même n’a pas distribué des boniments à ceux qui le suivaient: il leur a balancé du solide, des pains et des poissons pour tout le monde, il a fait un miracle... C’est commode, c’est pratique! Moi! j’ai eu mon miracle aussi: cinq mille balles me sont dégringolées du ciel, on peut le dire. Et je les aurais refusées? Ah! ça, jamais... Je les ai pris des deux mains, ces beaux billets, et je les ai cassés au plus vite en petits morceaux qui ont fait du bien partout où je les ai laissés tomber. Voilà l’affaire que j’ai faite, Monseigneur! Je ne la regrette pas et même si c’était à recommencer...

—Toujours la même superbe! Vous ne reconnaissez jamais vos fautes et même vous affichez l’orgueil de les avoir commises. Vous devriez plutôt avoir honte...

—Monseigneur, j’ai pensé que la charité devait avoir le dernier mot. Après tout, cette statuette, ce n’est rien: un morceau de bois sculpté et mal sculpté pour mon goût et celui de mes paroissiens et paroissiennes. Je l’ai transformé en quelque chose de vivant et même de divin, qui est le bonheur des bonnes gens auxquelles j’ai pu apporter quelques secours depuis trop longtemps attendus. Le bon Dieu, celui qui n’est pas en bois et qui ne date pas du XIIIe siècle, car il est éternel, le vrai bon Dieu ne doit pas m’en vouloir d’avoir ainsi tiré parti de son image, d’autant qu’il ne la trouve certainement pas ressemblante: pas possible qu’il soit si moche que ça!

—Votre ignorance artistique égale votre inconscience. Et vous y ajoutez encore la vulgarité du langage: quel prêtre vous faites, monsieur Pellegrin!

—Je fais ce que je peux, Monseigneur.

—En attendant les résultats de l’enquête et les sanctions judiciaires qui la suivront sans doute, sans parler de celles que je prendrai moi-même, je vous laisse à votre curé de Sableuse, mais ce n’est que provisoirement, bien entendu. Je m’en expliquerai avec Mme Cousinet qui regrettera sans aucun doute de vous avoir accordé sa protection.

L’abbé Pellegrin ploya le genou, et tandis qu’une émotion profonde se reflétait sur son visage, il s’écria:

—Monseigneur, je le jure, je n’ai pas fait de mal... Ma conscience me l’affirme. Je ne demande qu’à être digne de votre bienveillance, qu’à mériter votre bénédiction...

Mais Mgr Sibuë répondit d’un air glacial, en lui faisant signe de se relever:

—Je suis bienveillant pour tous, même pour les coupables, et je les bénis, mais encore faut-il qu’ils reconnaissent leurs fautes. Ce n’est pas ce que vous faites, me semble-t-il... J’espère, cependant, que la réflexion vous éclairera et vous guidera sur le chemin du repentir. Soyez plus raisonnable, plus humble, n’invoquez pas votre conscience pour absoudre ce que la sagesse et la prudence de vos supérieurs et de vos vrais amis ne peuvent que blâmer. Un ecclésiastique doit être, en toutes choses, et avant tout, d’une circonspection extrême, monsieur le curé. Songez-y...

—Je comprends, Monseigneur, je n’y vais pas assez avec le dos de la cuiller!

Le prélat répondit, excédé, avec un geste qui mettait fin à cette conversation:

—Il suffit... Allez, monsieur!

Et le curé de Sableuse se retira, non sans avoir fait une profonde révérence à laquelle Mgr Sibuë, qui s’était penché sur ses paperasses, ne répondit pas.

Dans son hôtel de l’avenue de Messine, Mme Cousinet attendait avec impatience le retour de son mari qui avait été appelé d’urgence à la présidence du Conseil: M. Verdureau se voyait contraint, par un vote inquiétant de la Chambre, de changer la composition de son ministère et s’était enfin décidé à faire appel à M. Cousinet.

—Eh bien? demanda anxieusement l’ancienne vedette du Casino de Paris à celui qu’elle croyait déjà ministre et qui venait de s’effondrer, pâle et défait, dans un fauteuil.

—C’est raté, soupira M. Cousinet en s’épongeant le front.

—Comment, c’est raté!

—Verdureau m’a tout de suite dit qu’il ne voulait pas de moi à l’Instruction publique. Et sais-tu pourquoi? Parce que je ne suis même pas bachelier.

—Quel idiot!

—Alors, je lui ai demandé le sous-secrétariat des Beaux-Arts... Après tout, je suis collectionneur. J’ai des tableaux de maîtres et authentiques... Je les ai payés assez cher! Le sous-secrétariat des Beaux-Arts nous convenait fort bien... C’était ton engagement assuré à la Comédie-Française. Évidemment, on aurait un peu crié...

—Et pourquoi? se récria Mme Cousinet... D’abord, j’ai du talent, un talent bien au-dessus du genre music-hall. Et puis, qu’est-ce qu’il y a de choquant à ce qu’un type du gouvernement fasse engager sa femme dans un théâtre subventionné? Personne ne dirait rien s’il s’agissait de sa maîtresse!

—Possible, mais il faut faire notre deuil des Beaux-Arts.

—Tu n’as pas su parler avec assez d’énergie à cette moule de Verdureau. Ah! s’il m’avait fait appeler, je te prie de croire qu’il ne m’aurait pas résisté. On ne me résiste pas, à moi! Verdureau pas plus que les autres...

M. Cousinet, qui paraissait accablé, répliqua:

—Ma chérie, veux-tu que je te dise? Si ce délicieux sous-secrétariat, qui aurait fait mon bonheur et le tien, nous échappe, eh bien, c’est un peu de ta faute.

—Comment, de ma faute?

—Oui, Verdureau m’a dit: «Mon cher, tout ce que vous voudrez, mais pas ça! Vous comprenez, je ne peux pas confier les Beaux-Arts à un homme mêlé à l’histoire du curé de Sableuse... Car enfin, c’est votre protégé!». J’ai eu beau lui répondre que c’était celui de ma femme. Rien n’y a fait... Pour Verdureau, pour mes amis, pour mes ennemis, c’est tout juste si je ne suis pas accusé d’avoir bazardé, de concert avec ce diable d’abbé Pellegrin, le fameux Christ du XIIIe siècle dont parlent tous les journaux depuis huit jours. Ah! tu as eu une riche idée le jour où tu es allée demander à l’évêque de Merville la réintégration de ce phénomène dans sa cure! L’affaire Pellegrin est devenue un peu l’affaire Cousinet... Le châtelain et le curé de Sableuse, on vous les fourre dans le même sac, et Verdureau lui-même trouve que je suis compromis. «En tout cas, m’a-t-il dit, vous n’êtes pas indiqué pour protéger nos œuvres d’art contre les pillards d’églises... Mais comme je tiens à vous être agréable, je vous promets le haut commissariat de l’éducation physique!». C’est peu, mais c’est quelque chose.

Mme Cousinet ne paraissait pas enchantée du tout.

—L’éducation physique? s’exclama-t-elle. Ça n’a aucun intérêt. Je ne tiens pas du tout à voir défiler des gymnastes ou pédaler des coureurs cyclistes. Tandis que les Beaux-Arts...

—N’en parlons plus. Mais cela ne fait rien, j’en veux à cet imbécile de curé qui, non seulement ne m’a aidé en rien à devenir député, mais encore m’a empêché de devenir sous-secrétaire d’État. Et dire que je lui ai donné une statue de saint Joseph...

—Moi, une statue de Jeanne d’Arc! soupira l’ex-vedette du Casino de Paris.

Elle allait et venait, les sourcils froncés, la lèvre amère.

—En voilà un, s’écria-t-elle, que je vais faire saquer... L’évêque de Merville ne me refuse rien, lui! Je lui avais demandé la grâce de l’abbé Pellegrin que je trouvais rigolo dans son répertoire. Mais en voilà assez... Ce comique ne m’amuse plus. Qu’on nous en débarrasse, et cette fois, pour de bon.

—Oui, mais il est bien tard. L’affaire Saint-Preux-Pellegrin prend des proportions fantastiques. Tu ne lis donc pas les journaux?

—Je lis Comœdia et la Semaine religieuse de Merville.

—C’est cela, tu n’es au courant de rien. Eh bien, apprends que l’abbé Pellegrin est devenu, lui aussi, une grande vedette... La presse, qui monte en épingle l’histoire des pillards d’églises, a découvert à Sableuse un curé qui, s’il ne te distrait plus, lui paraît, à elle, un type bien fait pour amuser les badauds. Il en reçoit, des reporters, et il leur en tient, des propos dans son langage d’ancien poilu! Ton abbé Pellegrin a du succès dans les journaux et surtout dans les feuilles avancées, socialistes, révolutionnaires... Ah! c’est qu’il ne se gêne pas pour étaler des opinions bien faites pour flatter les pires ennemis de la Société! Et comme il n’a pas pour deux sous de réflexion, cet imbécile se laisse entraîner... Le Christ du XIIIe siècle est bien oublié dans tout cela. Notre bavard dit n’importe quoi, n’importe comment, à n’importe qui. C’est charmant! Un prêtre qui trahit ainsi la bonne cause, celle de l’ordre, du capital! Où allons-nous? Et le pire, c’est que ce maudit curé devient de plus en plus populaire... Toute la France le connaît. Mes collègues, à la Chambre, me parlent de lui, me demandent des détails sur ce numéro extravagant et je sens bien qu’ils le trouvent, au fond, sympathique. S’ils l’avaient, comme moi, dans leur département, peut-être changeraient-ils d’avis! Pour moi, j’estime que l’abbé Pellegrin devient une manière de danger public... Il flatte les détestables appétits de la foule, et il nous fait rater, à moi sûrement, un sous-secrétariat d’État, à toi, peut-être, la Comédie-Française! C’en est trop... Des curés comme ça, n’en faut pas!

—C’est ce que je dirai à Monseigneur. Sois tranquille: je demanderai a Sa Grandeur de le résilier, et, cette fois, pour de bon.

—Nous aurons mieux: l’abbé Pellegrin est poursuivi... Il doit comparaître devant le Tribunal correctionnel de Merville avec son complice, cette espèce de Levantin qui se faisait appeler comte de Saint-Preux. Ah! nous verrons la tête qu’il fera, le curé, devant les juges! Ce jour-là, il aura sans doute moins de bagout. Ses boniments en argot auront, en tout cas, moins de succès.

Et M. Cousinet ajouta, très digne:

—La justice fera, je l’espère, son devoir: le curé de Sableuse sera sévèrement condamné!

Mon curé chez les pauvres

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