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I
« MOI TOUTE »

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— Dites à M. Borax de venir me voir avec ses projets.

— Bien, monsieur.

Un instant après, M. Borax est dans mon bureau. Ce vieil employé à figure chafouine, aux vêtements élimés — je lui donne cependant huit cents francs par mois — aux allures de rond-de-cuir timide et persécuté, serre avec une sorte de dévotion respectueuse la main que je lui tends, bienveillante et rapide.

— Eh bien, monsieur Borax, avez-vous trouvé quelque chose ?...

— Peut-être, monsieur... Toute la nuit, j’ai cherché, mais ce matin encore, je n’avais rien. Ou, du moins, je n’avais que des idées banales... Mais, tout à l’heure, entre deux additions, l’inspiration m’a, je crois, visité. Vous savez qu’elle est capricieuse et ne vient que lorsque ça lui plaît...

— Voyons, monsieur Borax, puisque vous avez accouché, présentez-nous l’enfant.

Le bonhomme hésite, secoue la tête, ouvre la bouche, la referme, lève les yeux au ciel, sourit et prononce enfin :

— Moi toute...

Et comme je reste silencieux — en effet, la question vaut que j’y réfléchisse — Borax reprend :

— J’en ai d’autres.

— Allez-y, sortez-les, vos idées !

— Elles me paraissent moins bonnes.

— Nous verrons bien.

— Rêve d’almée... Un soir, nous deux... Caresse de fleurs.

Mais aussitôt je m’écrie :

— Non, pas cela... On dirait que nous cherchons des titres de valses lentes.

M. Borax s’incline, puis redit d’une voix douce, chantante, comme enamourée :

— Moi toute...

Je répète lentement, très lentement :

— Moi toute... Moi toute... Moi toute...

Décidément, ce n’est pas mal. Il y a, dans ces deux mots, du charme, de la coquetterie, du mystère : ils distillent, ils dégagent eux-mêmes un parfum intime, amoureux, voluptueux... Moi toute ! Cela fera très bien sur les flacons de ce nouvel extrait, dans les annonces, sur les affiches, sur l’écran des cinémas, sur les rideaux de théâtre. J’imagine aussitôt déjà l’image qui illustrera le texte annonçant cette nouvelle création de Paquignon, le grand parfumeur parisien : une femme blonde, aux grands yeux langoureux, au sourire à la fois chaste et prometteur, très décolletée, quasi-nue, dans un encadrement de roses, de dahlias et d’œillets, avec quelques petits amours joufflus, des oiseaux bleus et des papillons multicolores qui voltigent tout autour. Moi toute... Mais c’est très bien. C’est admirable ! Mieux encore que Caresse mystérieuse, voire que Rose mouillée, ce triomphe de la parfumerie moderne : Rose mouillée — encore une trouvaille de Borax — s’est vendue dans le monde entier et sous toutes formes... J’en ai même fait de la poudre de riz, malgré son nom humide. Moi toute doit plaire aussi à la clientèle : un nom aguichant, une vigoureuse publicité, une présentation originale, un produit bien mis au point et voilà, par ordre d’importance, les conditions du succès.

Je suis donc très satisfait, mais un grand patron comme moi ne peut prodiguer éloges, félicitations et remerciements à ses employés : un mot bienveillant doit suffire.

À M. Borax qui, vaguement inquiet, attend ma sentence, je dis avec bonté :

— Moi toute est à étudier... Il y a quelque chose... Je vais y penser. Vous, monsieur Borax, cherchez encore, pendant vos loisirs.

— Je cherche toujours, monsieur, même quand je suis à mon guichet, même quand je fais ma caisse !

— Continuez, mais prenez garde de vous tromper dans vos comptes. Pas de distractions dangereuses !

Et comme M. Borax se dirige vers la porte, je le rappelle pour lui dire :

— Présentez-moi un bon de cent francs... Je le signerai.

— Oh ! monsieur...

— Mais non, mais non. C’est bien juste. Allez, mon ami !

Après tout, cent francs pour une idée qui n’est que littéraire, poétique, cent francs pour deux mots, deux simples petits mots, cela me paraît très bien. Mais il faut avoir le geste, tout au moins de temps en temps... Au fait, M. Borax est flatté de baptiser nombre de mes produits : il s’élève ainsi au-dessus de son emploi de caissier, il devient un de mes collaborateurs intellectuels, il prend de l’importance et sa vanité est satisfaite, sans compter qu’un billet de cent francs, qui tombe de temps en temps du ciel, ne lui est pas du tout désagréable.

Et dire que j’aurais pu ignorer toute ma vie l’imagination étonnante, le talent extraordinaire de ce brave M. Borax en qui, pendant tant d’années, je n’ai vu qu’un simple aligneur de chiffres, un caissier pareil, dans sa petite cage, derrière son guichet, à tous les caissiers ! Il a fallu, pour que se révélât à moi le Borax poète, inventeur de noms délicieux, originaux, bientôt célèbres, il a fallu remuer les foules, organiser, à grand renfort de publicité, un formidable concours auquel prirent part plus de 500.000 personnes de tous sexes, de tous âges et de toutes nationalités. J’avais la perle chez moi et j’allais la chercher au fond de l’Océan !... Mon concours du « Plus joli nom de parfum » — doté de nombreux prix — fut, quoi qu’on en ait dit, parfaitement loyal. Le jury — que composaient des écrivains célèbres, de jolies actrices, des hommes politiques éminents — jugea en toute indépendance : je me défendis même de prendre part à ses travaux. De sélection en sélection, après de longs et orageux débats, il désigna comme vainqueur du gigantesque tournoi le mystérieux envoyeur de ce nom de parfum qui était, vraiment, un chef-d’œuvre : J’en ai mis partout... Quelle simplicité, quel goût et aussi quelle évocation subtilement sensuelle dans ces mots appliqués à l’odeur voluptueuse qu’une femme a mêlée aux effluves de sa chair ! Ce n’est rien peut-être, mais encore fallait-il y penser. J’en ai mis partout est devenu le parfum préféré des demi-mondaines et aussi de pas mal de bourgeoises, de femmes du vrai monde. Mais quelle surprise quand le lauréat, ayant été invité à se faire connaître, se présenta à moi sous l’aspect de M. Théodore Borax, mon propre caissier ! Quoi, ce bonhomme vulgaire, ridicule, voué aux besognes les plus prosaïques, avait de ces idées-là ? Tout d’abord, je fus inquiet : un caissier doit être, avant tout, un homme de chiffres, et s’il a de l’imagination il risque d’avoir, aussi, des distractions. Puis, je songeai, dans un éclair : « Si le gagnant du concours est un de mes employés, je vais être soupçonné de supercherie... Rien de plus dangereux, car mes concurrents sauront tirer parti d’une histoire où la maison Paquignon a tout l’air de se moquer du public. » M. Borax devina sans doute mes scrupules, car il me dit, en baissant la tête : « Monsieur, j’ai failli ne pas me faire connaître. J’aurais sans doute mieux fait. Mais j’ai pensé que toute complication pouvait encore être évitée. Que mon nom ne soit pas publié : il suffira peut-être d’annoncer que le lauréat occupe une situation qui l’oblige à garder l’incognito. Quant au prix de 10.000 francs, mon Dieu, j’y renonce... Il me semble que c’est mon devoir. »

Les choses s’arrangèrent à peu près de la sorte ; je crus cependant convenable d’accorder cinq cents francs à M. Borax, mais ne voulant pas tirer le moindre bénéfice de l’aventure, je fis insérer dans les journaux un communiqué ainsi conçu :

Concours du plus joli nom de parfum.

« Pour des raisons personnelles, le gagnant, qui serait une haute personnalité du monde diplomatique, refuse de se faire connaître et renonce au prix de 10.000 francs. M. Honoré Paquignon, d’accord avec le jury, a décidé de répartir cette somme entre les dix concurrents classés après l’auteur de J’en ai mis partout, ce parfum évocateur et délicieusement parisien qui donne à la femme moderne un charme si troublant. »

Le pauvre M. Borax était ainsi transformé en diplomate ! Il n’en parut pas autrement fier et, sans aucune amertume, il se piqua même de montrer plus de zèle encore derrière son guichet grillagé et sa plaque de cuivre. Mes secrètes appréhensions s’évanouirent... J’avais le modèle des caissiers et, par surcroît, un homme à idées précieuses pour la parfumerie : je l’engageai donc à me chercher d’autres noms d’extraits, ce qu’il fit avec un bonheur constant. Après tout, c’est un passe-temps comme un autre, et cela vaut mieux pour un caissier que de jouer aux courses ou de fréquenter les petites femmes !

Je vais donc lancer Moi toute, qui ne tardera pas à figurer brillamment, j’en suis sûr, dans ma collection des « Odeurs célèbres ». Les temps sont favorables à la parfumerie. Depuis quelques années, cette industrie est en pleine ascension... Jadis, la plus grande partie de notre clientèle était étrangère : nous ne vivions guère que d’exportation. Aujourd’hui, la France en fabrique à peine assez pour sa propre consommation, de ces extraits, de ces lotions, de ces crèmes, de ces pâtes, de ces produits de beauté en tous genres dont usent toutes les femmes, les pauvres comme les riches, les vieilles comme les jeunes, les campagnardes comme les citadines ! C’est la guerre qui a fait la fortune de la parfumerie, la guerre qui a libéré la femme, qui l’a rendue plus frivole, plus coquette, plus entreprenante aussi (il le fallait) dans la chasse à l’homme... La vraie victoire, c’est celle du bâton de rouge ! Si la poudre a tant parlé, c’était pour assurer le triomphe de la poudre de riz ! Après les gaz asphyxiants, les odeurs suaves... Toutes nos contemporaines sont parfumées et maquillées. Elles veulent séduire, conquérir, garder par tous les moyens. Mais les hommes ont aussi recours à notre science et à notre art pour améliorer leurs avantages naturels. L’amour, sous toutes formes, est en pleine vogue... On rêve d’être aimé pour soi-même. Don Juan est à la mode... Et Riquet à la houppe veut plaire tout comme un autre. Alors à nous les artifices, les cosmétiques, les pommades, les parfums ! Cupidon n’a pas que des flèches dans son carquois : il y cache des flacons, des boîtes, des articles qui portent sans doute ma marque universellement connue.

Je ne m’occupe en rien de l’élaboration de Moi Toute... C’est l’affaire de mes chimistes pour qui le plus poétique des parfums n’est qu’une formule réalisée industriellement. En revanche, je me charge en personne de tout ce qui concerne la présentation des produits, je choisis les modèles de flacons, de boîtes, je suggère des idées d’affiches, de chromos-réclame, j’organise la publicité à laquelle je sais donner des formes originales. On ne joue guère de comédies, de revues sans qu’il y soit question de mes parfums, de ma poudre de riz, de ma crème de beauté. J’ai fait survoler Paris par un avion qui écrivait, en lettres de fumée, le nom de mon savon à barbe Rasibus ; un 14 juillet, j’ai parfumé avec mon triple-extrait Une nuit viendra l’eau du petit bassin de la place Pigalle ; j’ai proposé au bourgmestre de Bruxelles de transformer en vaporisateur le Mannekenpiss, j’ai loué la Tour Eiffel pour faire apparaître, sur ses quatre faces, en caractères de feu, les noms de mes principaux extraits, le savon Vénusia, la poudre Sultane, la Crème de Junon et la pâte dépilatoire des Filles de marbre. Ce dernier produit, entre parenthèses, obtient un succès fou... La guerre aux poils superflus est déclarée : les femmes finiront par ne plus les admettre nulle part. Ces poils, superflus chez elles, sont pour moi des plus utiles, car je leur dois une grande partie de ma fortune. Quand ils auront tous disparu, j’organiserai une campagne de presse pour les remettre à la mode, et je lancerai un produit — ce sera peut-être le même — qui les fera repousser. La foi accomplit des miracles : cela se voit bien dans la parfumerie !

Pour Moi toute, il va falloir que je fasse un chef-d’œuvre de lancement. Le choix de la femme dont l’effigie figurera sur les flacons, sur les affiches, dans les annonces, qui deviendra en quelque sorte le symbole vivant du nouveau parfum, ce choix est la première question qui se pose. Elle est d’importance... Il s’agit de découvrir un visage dont les traits, l’expression répondent bien à ce qu’évoquent ces mots suggestifs : Moi toute. Faut-il faire appel à une artiste à la mode ? Hélas ! les plus jolies de nos comédiennes, de nos divettes, de nos danseuses, de nos stars se sont galvaudées... Il en est qui, par amour de la publicité, vont jusqu’à prêter leur nom et leur portrait à des réclames pour les produits les plus prosaïques. La charmante Mireille Myrrha affirme sur tous les murs de France qu’elle n’est fraîche et rose que parce qu’elle facilite ses fonctions digestives en usant du purgatif des Chanoinesses de Chatel-Guyon. La délicieuse Simone de Fontanges, de la Comédie-Française, sourit sur tous les prospectus, sur toutes les affiches, sur tous les panneaux, sur tous les écrans à la gloire de la pommade Panafieu, souveraine contre l’eczéma, les dartres, l’herpès, l’acné, les démangeaisons nocturnes, etc... Et il m’est impossible de voir Liliane de Sylve, la jolie danseuse nue, sans songer — ce qui gâte un peu mon plaisir — qu’elle affirme dans tous les journaux à grand tirage avoir raffermi ses seins et réduit son ventre de six centimètres en suivant la méthode du professeur de beauté Antonio Poldès, s’être débarrassée de ses cors, œils de perdrix et ongles incarnés en employant la Providence des pieds du père Anselme, et même avoir régularisé ses fonctions les plus intimes en prenant des pilules Virginia. J’ai beau savoir que ces attestations sont fallacieuses, de telles confidences me gâtent le plaisir que j’ai à contempler ces seins, ce ventre, ces pieds et tout ce que me montre la plus dévoilée de toutes nos ballerines. Moi, au moins, j’associe le nom et la beauté de nos vedettes à des parfums, à des fards, à des produits qui ne sont pas contraires à toute poésie. Même ma pâte des Filles de marbre, qui détruit les poils superflus, n’évoque rien de désobligeant : elle embellit la femme, elle donne à sa chair la netteté, le poli du paros, elle purifie, elle idéalise...

Toutes les artistes connues sont mobilisées par la publicité. Or, je ne veux pas pour Moi toute d’une marraine banale. Assez de Mistinguett, de Raquel Meller et de Huguette Duflos ! Il me faut du nouveau... Et d’ailleurs un joli visage anonyme suffit, pourvu qu’il ait l’expression voluptueuse, le sourire aguichant qui conviennent. Je pourrais faire appel à une femme du monde... Cela m’est arrivé. La comtesse de Chantourney, la marquise de Traversin m’ont prêté leurs attraits aristocratiques et fourni d’enthousiastes attestations écrites en longues lettres pointues pour la publicité de mes extraits Nuit d’amour et Feuilles de rose. Mais ces nobles dames se sont montrées des plus exigeantes : il leur a fallu beaucoup d’argent, et elles ont fini par se plaindre parce que je ne leur faisais pas assez de réclame sur les murs. Elles étaient jalouses du Bébé Cadum !

N’empêche que, depuis, je suis harcelé par un tas de femmes du grand monde qui m’offrent gratuitement leurs yeux, leur bouche, leurs nichons et tout ce que je voudrai pour ma publicité : elles ne demandent qu’à s’afficher, même sur les boulevards extérieurs ! Ah ! les comtesses, les marquises et même les duchesses ont bien changé depuis Paul Bourget !

Mais je ne veux plus de ces grandes dames : je cherche plutôt une petite femme vraiment jolie et bien faite. C’est que j’ai l’intention de la montrer aussi dévêtue que possible. Moi toute... Enfin, quoi, presque toute !

Oui, mais où dénicher ce numéro que je veux original, caractéristique, digne du lancement formidable que je vais faire ?

J’ai mon modèle. Une trouvaille ! Car c’est au hasard bienveillant que je la dois.

J’avais remercié ma dactylo personnelle, Alice, une petite chipie qui prétendait me régenter. Se croyant ma secrétaire, alors que je n’ai besoin que d’une machine à sténographier et à copier, cette vaniteuse, cette ambitieuse, prenait avec moi, Honoré Paquignon, grand industriel, parfumeur célèbre, un ton insupportable. Elle se permettait de discuter mes idées, de répondre d’autorité à des lettres d’affaires, de me toiser parfois d’un regard dans lequel je lisais de l’ironie, du dédain... Avec cela, plutôt laide et sans coquetterie : elle n’usait même pas de mes produits, ne se mettait ni poudre, ni rouge, ni rimmel, et se refusait à essayer de ma crème de Junon, encore que son épiderme manquât de fraîcheur et que son nez fût tout picoté de déplorables petits points noirs ! « Je ne me maquille pas comme une poule ! » me disait-elle... Tenir de tels propos devant un homme dont la fortune et, j’ose dire, la gloire ont été faites par la majorité des maquillées de France, de Navarre et de l’étranger ! De plus, je l’avais surprise plusieurs fois en train de lire Le Grand Soir, un journal qui répand dans le peuple et même dans mon personnel les idées les plus subversives. Alice ne cachait pas toujours ses sentiments révolutionnaires et posait à l’« intellectuelle »... C’est un genre dont j’ai horreur. Bref, j’ai renvoyé Alice avec un mois d’indemnité. Elle m’a d’ailleurs dit d’un air menaçant :

— Nous nous retrouverons !...

Une petite annonce dans le Journal fit affluer à mes bureaux, rue des Capucines, plus de cent candidates à l’emploi vacant. Je résolus de les passer en revue dans le vaste hall où sont exposés des échantillons de mes produits et qui sert d’antichambre à mon cabinet directorial. Il y en avait de tous genres : élégantes, mal ficelées, jolies, vilaines, timides, provocantes étaient mêlées. Comment choisir au milieu de tant d’inconnues qui, à en juger par les réponses de quelques-unes prises au hasard, avaient toutes leur brevet, ainsi que les meilleures références, et se déclaraient prêtes à débuter sur-le-champ aux conditions fixées : 450 francs par mois, avec progression selon les services rendus ?

C’est alors que parmi tous ces visages anxieux, narquois, renfrognés ou souriants, j’aperçus le type rêvé de Moi toute : une assez grande fille, aux cheveux coupés d’un joli blond cendré, aux yeux allongés et expressifs, aux lèvres un peu charnues mais d’un beau dessin, au visage intelligent, caractéristique, fait pour attirer les regards et les retenir. Vêtue avec toute l’élégance qu’on peut demander à une dactylo, elle montrait le commencement d’une gorge ravissante et des bras nus d’une ligne et d’une blancheur parfaites. Révélation inespérée, merveilleuse ! J’en ressentis comme un saisissement... Je pense que lorsque Raphaël vit pour la première fois la Fornarina, il dut recevoir le même choc et se dire, comme moi : « Avec elle, je ferai un chef-d’œuvre ! » Lui faisait de la peinture ; moi, je fais de la publicité... Ce sont deux arts qui se complètent et même qui se valent !

Je suis l’homme des décisions rapides et catégoriques : ce n’est pas sans raison que l’on m’a surnommé le Napoléon de la parfumerie. Je désignai l’élue d’un index impérieux en prononçant :

— Vous, mademoiselle !...

Puis, tenant à me montrer, comme toujours, courtois et généreux, je dis aux évincées :

— Mesdemoiselles, je vous remercie de votre démarche et m’excuse de ne pouvoir y donner une suite favorable pour chacune de vous...

J’entendis quelques murmures :

— Il nous juge sur la mine... Faut lui taper dans l’œil !

— On n’est pas à son goût, quoi !

— C’est bien la peine d’être honnête !

— Il n’y en a que pour les poules !...

Et une petite brune, aux yeux vifs, lança à voix presque haute :

— Les singes, c’est tous des cochons !

Mais je fis semblant de ne pas avoir entendu. Et c’est sans me départir de mon sourire inaltérablement bienveillant — les grands patrons doivent avoir le sourire professionnel des chefs d’État — que j’ajoutai :

— Mesdemoiselles, je désire que vous emportiez, malgré tout, un agréable souvenir de votre visite à M. Honoré Paquignon. Permettez-moi de faire remettre à chacune de vous un échantillon de ma nouvelle crème de beauté Lys d’amour... Elle embellit et assainit la peau et empêche les nez de briller !

Des cris d’enthousiasme s’élevèrent, et tandis que deux de mes garçons de magasin commençaient la distribution au milieu d’une joyeuse bousculade, j’invitai ma nouvelle employée à me suivre dans mon bureau.

Ce bureau, meublé à l’américaine, est vaste, imposant. Un ordre strict y règne. Pas de bibelots, pas de sièges profonds et moelleux qui incitent à la paresse et aux vaines conversations. J’ai affiché en face de la chaise réservée aux visiteurs ces deux textes que j’ai composés moi-même : « Le bavard perd son temps et vole celui des autres. » « Asseyez-vous, ne vous étendez pas ! »

La remplaçante d’Alice prit place sur la chaise et, montrant du doigt la deuxième pancarte, s’exclama en étouffant un rire :

— Alors, faut pas s’étendre ?

— Mademoiselle, répondis-je, vous verrez que cet avis, tout comme l’autre, n’est pas sans utilité. En affaires, les pires ennemis sont peut-être les raseurs... Après les raseuses, cependant, et il y en a beaucoup dans la parfumerie !

La jeune personne parut très impressionnée et, ayant contemplé le décor austère de mon bureau, elle prononça :

— C’est très sérieux, ici.

— Oh ! très sérieux ! Et il y a beaucoup de travail... Cela ne vous fait pas peur ?

— Au contraire, ça me va... Je ferai de mon mieux.

— Très bien. Votre nom, mademoiselle ?

— Micheline Romanet.

— Vous êtes chez vos parents ?

— Non, monsieur. Ma famille vit en province... Moi, je suis à Paris depuis un an.

— Où habitez-vous ?

— Rue Notre-Dame-de-Lorette, à l’hôtel Gavarni. Je cherche un logement, mais c’est si rare...

— Vous avez des références ?

— Pas encore, monsieur.

— Comment, pas encore ?

— C’est ma première place... Avant, je ne travaillais pas.

— Qu’est-ce que vous faisiez ?

Mlle Micheline Romanet hésita avant de répondre :

— J’avais un peu d’argent... Oui, un héritage. Seulement, la vie est chère. Vous comprenez... Je connais la machine à écrire et j’ai fait un peu de sténo. Alors, pour gagner ma vie, j’ai pensé à...

— Un peu de sténo ? Mais, mademoiselle, c’est qu’il m’en faut beaucoup. Je vous dicterai un nombreux courrier... J’ai besoin d’une personne qui sache bien son affaire !

— J’en sais assez pour me débrouiller... Et puis, quoi, vous pouvez toujours m’essayer. Ça n’engage à rien.

Elle me regardait bien en face, avec ses grands yeux expressifs, un peu faits, mais sans doute avec mon rimmel Fluide de Fathma, et un sourire résigné, d’ailleurs charmant, passait sur ses lèvres rouges, d’un rouge dû évidemment — je le reconnaissais — à mon raisin Carmencita. En pleine lumière, son visage prenait un éclat qui me parut extraordinaire... Quelle sensualité, inconsciente sans doute, dans ces traits qui n’étaient pas d’une pureté parfaite, mais qui avaient une beauté originale, curieuse, un peu bizarre même ! Quelle différence avec la figure revêche d’Alice ! Et aussi quel modèle pour Moi toute ! C’est cela, oui, je la prendrais à l’essai... Qui sait, elle réussirait peut-être fort bien. Et puis, j’aurais tout le temps de la faire photographier, de la faire peindre pour les affiches et même de la faire tourner — si elle s’y prêtait — dans un film de publicité. En tout cas, avec un mois d’indemnité, un petit cadeau et la gloriole de voir son portrait partout, elle s’en irait très satisfaite... La combinaison était donc excellente.

— Mademoiselle, dis-je avec quelque solennité, je vous prends à mon service, provisoirement, mais j’espère que ce provisoire deviendra définitif. Cela dépend de vous...

Et, tout à mon idée, je demandai brusquement :

— Avez-vous un beau décolleté ?

La nouvelle dactylo parut un peu interloquée — peut-être y avait-il de quoi — mais se ressaisissant aussitôt, elle répondit de l’air le plus posé du monde :

— On ne s’en plaint pas.

Puis, comme je la contemplais en silence, elle questionna avec un sourire narquois :

— Vous tenez à ce que je sois en grand décolleté quand vous me dicterez vos lettres ? Après tout, si ça peut vous faire plaisir...

Je devinai sa pensée : elle me prenait pour un de ces nombreux patrons qui compromettent leur dignité et leur autorité en demandant à leur dactylo un genre de travail qui ne figure pas au programme des cours de l’école Pigeon. Moi, Honoré Paquignon, président de la Chambre Syndicale de la Parfumerie française, officier de la Légion d’honneur, grand prix à toutes les expositions, conseiller du commerce extérieur, j’étais éclaboussé par un tel soupçon !... Ah ! je l’avoue, je faillis chasser sur-le-champ cette effrontée qui osait me croire capable d’abuser ainsi de ma situation, de mon pouvoir, de mon prestige ! Mais son beau visage et son buste charmant qui se dessinait sous une blouse de soie déjà très échancrée, me rappelèrent qu’ils étaient faits pour contribuer très efficacement au succès de Moi toute... Cela valait bien la peine de me dominer, d’autant plus qu’il ne s’agissait que d’un quiproquo et que j’allais, en quelques mots, édifier cette jeune personne trop imaginative sur la parfaite pureté de mes intentions.

— Mademoiselle, fis-je en mettant mes lunettes d’écaille pour avoir l’air encore plus imposant, je n’ai nullement le désir de vous voir en grand décolleté alors que je vous dicterai mon courrier. Je vous prierai même — c’est de règle dans mes bureaux — de vous habiller, sinon avec austérité, du moins avec une coquetterie qui n’ait rien... comment dirais-je ?... rien de... de...

— Rien d’excitant ? N’ayez pas peur, monsieur, je sais me tenir.

— Je n’en doute pas, mademoiselle, et ce mot n’est pas celui que je cherchais. N’importe, vous avez parfaitement compris. Je ne suis pas du tout un père la Pudeur, mais enfin, je tiens à ce que mon personnel, hommes et femmes, ait chez moi une conduite irréprochable à tous points de vue. Ce qui se passe au dehors, cela m’est égal, mais ici, pas d’histoires ! Je suis, à ce point de vue, très strict.

Mlle Romanet s’exclama :

— Alors, pourquoi est-il question de mon décolleté ? Ça n’a rien à voir avec la sténographie...

— En effet. Ce que je vais vous demander sort évidemment de vos attributions régulières.

— Probable ! fit mon employée avec un regard qui me parut assez hardi.

— Il s’agit d’un service d’ordre particulier qui n’a rien de désagréable et qui, au surplus, vous vaudra une gratification intéressante.

— C’est à voir... Que faut-il faire ?

Et, rapprochant sa chaise, elle s’accouda sur mon bureau, familièrement, ce qui me permit de mieux détailler son visage... Je ne l’en trouvai que plus jolie, plus séduisante, plus chargée de je ne sais quel fluide voluptueux, — toujours en me plaçant, bien entendu, au point de vue du lancement de Moi toute...

Et avec une froideur voulue, en homme d’affaires, j’expliquai :

— Prêtez-moi votre tête, vos bras, vos épaules pour la publicité d’un produit que je vais lancer... Je vous ferai photographier, dessiner, peindre, et votre portrait sera dans les journaux, sur tous les murs !

— Comme celui de Mistinguett ?

— Exactement.

— Oh ! chic !...

La dactylo semblait transportée de joie... Elle battit des mains et s’écria :

— Bien sûr que je vous prête ma tête, mes bras, mes... Je vous prêterai tout ce que vous voudrez, et comment ! Ma tête dans les journaux, sur les murs, partout ? Quel bonheur !... Et est-ce qu’il y aura aussi mon nom ?

— Ah ! çà, impossible !

— Zut ! C’est embêtant...

Cette liberté de langage me parut excessive et je ne l’eusse pas tolérée chez une autre de mes employées. Mais nous étions placés sur un terrain un peu spécial et je ne pouvais ajouter une observation à une déception.

— On ne saura pas que c’est moi ! reprit Mlle Romanet avec une moue dépitée.

— Il s’agit d’une publicité, non pour vous, mais pour un parfum qui s’appelle Moi toute...

— Moi toute ? C’est pas mal pour un parfum...

— N’est-ce pas ?

— Oui, c’est rigolo, ça fait penser à des choses... Alors, Moi toute, ce sera moi ? Ah ! bien, dites donc, ce n’est pas la peine d’avoir son brevet supérieur.

— Il s’agit, mademoiselle, d’une chose exceptionnelle...

— En effet. Mais quel dommage que ça ne me fasse pas un peu de réclame !

— À quoi bon ? Une dactylographe n’a pas besoin d’être connue comme une artiste...

— Oh ! mais j’espère bien ne pas rester dactylo à perpète... Je veux arriver, moi aussi !

L’étonnante jeune personne ajouta avec un rire qui me montra des dents ravissantes et me fit même penser à une publicité pour mon dentifrice Ta Bouche, ajouta, dis-je :

— Pourquoi n’aurais-je pas de la chance, comme une autre ?

Six semaines après, les journaux de Paris et de province, publiaient, en page entière, la première réclame célébrant ma nouvelle création, Moi toute, l’exquise senteur « dont les effluves ajoutent à la beauté de la femme moderne un attrait ensorcelant, un fluide irrésistible ». Cette phrase est de moi, car je révise, je complète et souvent même je refais entièrement les textes qui me sont proposés par mon agent de publicité. C’est là peut-être l’essentiel de ma tâche : la parfumerie doit tout à la mode et la mode est une question de lancement.

Sur chaque annonce, s’étalait le portrait de Suzanne... Et, certes, l’effigie de cette jeune femme devait aider au succès de Moi toute. Mais, entre temps, il y avait eu une complication, et dans ce récit sincère de ma vie, il m’est impossible de la cacher.

Mlle Romanet était devenue ma maîtresse.

Oui, en dépit de principes jusque-là rigoureusement respectés, j’avais eu cette défaillance : je m’étais départi, vis-à-vis d’une de mes employées, de l’attitude pleine de réserve qui doit être celle d’un patron dans ses rapports avec l’élément féminin de son personnel !

Où et comment cela s’était-il fait ?

Non pas, certes, dans mon bureau. J’ai déjà dit que son installation était rigoureusement administrative : à moins d’être hussard, et je ne suis plus d’âge à servir dans la cavalerie, surtout si elle est légère, il me paraît impossible d’obtenir avec le concours d’un mobilier si peu approprié aux faits et gestes de l’amour, les faveurs d’une jeune personne, même quand elle y met toute la bonne volonté souhaitable.

C’est dans mon auto que j’oubliai, pour la première fois, mes principes, sans aller cependant jusqu’à les immoler définitivement : j’avais encore des scrupules. D’autre part, et pour des raisons du même ordre que celles que je viens d’exposer, l’amour et l’automobile me paraissent incompatibles, d’autant plus que je tiens à ne pas me déconsidérer aux yeux de mon chauffeur.

Je conduisais Micheline chez le photographe Samuel quand, la voiture ayant viré un peu court, cette jeune employée, qui était assise auprès de moi à une distance très normale, perdit l’équilibre... Elle poussa un petit cri et tomba dans les bras que je tendais tout bonnement pour la retenir. Mes mains sentirent la tiédeur, touchèrent les formes de cette poitrine palpitante et mes yeux aperçurent deux jambes fines, gantées de soie transparente, qui après s’être levées dans le désarroi du choc, retombaient non sans avoir eu le temps de me révéler un commencement de jarretelles jaune paille et même un coin d’épiderme qui me parut — l’œil est très observateur en pareil cas — très frais, très blanc, très satiné... Avec les robes étroites et courtes que la mode leur impose, les femmes sont exposées à perdre ainsi tout contrôle sur certaines des parties les plus intéressantes de leur personne. Mais la tête de Mlle Romanet s’était, par un autre hasard, posée sur mon épaule. Des cheveux courts, dont je reconnus le parfum — c’était ma Rose mouillée — me chatouillaient la joue. Et soudain, je ne sais comment cette rencontre se fit — je le jure ! — les lèvres de ma voisine se joignirent aux miennes...

Ce baiser ne dura que quelques secondes. Je repoussai doucement Mlle Romanet et, fort embarrassé, ne sachant que dire ou que faire, je me renfonçai silencieusement dans mon coin...

— J’ai eu peur, dit-elle, j’ai cru à un accident !

Un accident ? Mais il avait eu lieu, et il était même assez grave... Je le compris fort bien et j’eus un instant l’idée de faire arrêter la voiture puis d’inviter la demoiselle à descendre. Mais cette énergie me manqua... Je me sentais troublé, agité, j’avais très chaud, j’étouffais presque. Je baissai la vitre et aspirai l’air vif... Je devais avoir l’air congestionné. Le regard que je glissai vers ma compagne croisa le sien. Elle sourit et me dit :

— Cela devait arriver.

— Pourquoi ? fis-je avec une naïveté qui m’étonna moi-même, car j’ai la prétention de n’être pas plus godiche en amour qu’en affaires.

— Pourquoi ? Mais parce que j’ai lu dans vos yeux, dès le premier jour, que vous aviez envie de moi.

— Par exemple ! Je vous assure...

— Et comme il n’y a pas moyen de vous résister, alors... alors, voilà !

Et d’une voix nette, décidée, elle prononça :

— Pourquoi pas, après tout ?

— Permettez...

— Il est bien temps de vous permettre ! Ce n’est plus la peine de faire des chichis... Maintenant, c’est couru !

— Je ne suis pas ce que vous croyez, mademoiselle Romanet !

— Moi non plus, monsieur Paquignon !

Elle se mit à rire et, se penchant vers moi, me dit d’un air gamin :

— Tu as de mon rouge sur tes lèvres... Du tien plutôt, car je n’emploie que le rouge Carmencita.

Sans tenir compte de la surprise que me causait ce tutoiement improvisé, elle me passa son mouchoir qui dégageait aussi le parfum Rose mouillée, décidément plus troublant que je ne croyais... J’enlevai ce rouge compromettant, non sans peine, car il tient admirablement, et j’allais sans doute trouver enfin l’énergie nécessaire pour remettre ma secrétaire à sa place — elle se serrait maintenant contre moi — quand l’auto s’arrêta. Nous étions arrivés... Il fallait descendre et renvoyer à plus tard — mon chauffeur étant curieux et ayant l’ouïe fine — une explication devenue nécessaire.

Je me complais à décrire les phases de ma résistance qui ne fut cependant ni héroïque, ni prolongée.

Micheline avait raison, comme le frère de Marguerite : ce qui doit arriver arrive à l’heure dite. Et on a beau être un important monsieur de cinquante-six ans, doué — je peux le dire sans fausse modestie — de prudence, d’esprit de décision et de bon sens, on a beau être Honoré Paquignon lui-même, on ne lutte pas victorieusement contre l’impérieuse destinée, se servît-elle pour arriver à ses fins d’une simple petite dactylo à 450 francs par mois !

La séance chez le photographe aggrava tout de suite la situation.

Micheline, me tutoyant de plus belle, me dit :

— Je devine ce que tu veux... Quelque chose de très décolleté. Moi, cela m’est égal, je suis bien faite. Et puisque ton nouveau truc s’appelle « Moi toute », je trouve même que plus j’en laisserai voir, mieux ça vaudra, d’abord pour toi, ensuite pour le photographe, enfin pour tout le monde.

Un peu gêné, je répondis en évitant à la fois le « tu » et le « vous » :

— Non, n’exagérons rien... La publicité doit être correcte : pas de nu ou, du moins, pas plus qu’il ne convient.

— Ça va... Moi, tu comprends, je m’en moque, car la réclame ne sera pas pour moi. Et puis tu es là pour me dire si j’en montre trop.

Le photographe, qui avait apporté une sorte de peplum, nous laissa seuls. Et Suzanne, tranquillement, lentement, commença à se dévêtir. Je pus constater que ses dessous étaient très soignés, voire luxueux et je me dis que le temps des grisettes en longue chemise de percale à simple feston était bien révolu... Sainte simplicité des petites femmes de ma jeunesse, qu’es-tu devenue ? Mlle Romanet m’apparut bientôt en chemise de soie vert d’eau et cette chemise était si courte, si courte, que, déjà, mon regard que je m’efforçais de rendre indifférent n’avait plus grand chose à souhaiter. Ce déshabillage audacieux, qui m’était en quelque sorte imposé, faisait naître en moi des sentiments contradictoires : d’abord une stupeur quelque peu scandalisée, car enfin la jeune personne y mettait vraiment peu de formes — je ne parle pas des siennes, — elle me tendait une sorte de guet-apens, elle abusait d’une situation que j’avais créée, certes, mais dans un but purement commercial, sans songer à en tirer aucun bénéfice d’ordre galant ; et puis, il y avait chez moi une sorte d’anxiété qui me faisait battre le cœur plus vite, qui me séchait la gorge, un désir quasi-brutal qui me fit tendre des mains un peu pressées vers ce corps tentateur, irrésistible, triomphant...

— Ah ! non ! fit-elle, pas si vite, et pas comme ça ! On n’est pas ici pour batifoler. Soyons sérieux.

Et, d’un petit air tranquille :

— Faut-il que j’enlève ma liquette aussi ?

À ce moment, le photographe rentra. Il devait avoir l’habitude de ces déshabillages, car il ne lança à son modèle qu’un regard professionnel et dit avec jovialité :

— Là, maintenant, cherchons le drapé...

— Ma chemise ne gênera pas ? reprit Suzanne.

— Il y en a si peu ! fis-je avec la pudeur qui, décidément, lui manquait.

— En effet, approuva le disciple de Nadar. Non, laissez-moi faire. J’ai l’habitude de ce genre de pose... Les « Nymphes mondaines », c’est très demandé. La comtesse de Saint-Genêt, la marquise de Chanterolles sont venues, la semaine dernière, se faire photographier en demi-nu artistique. J’ose dire que je les ai très bien réussies... Vous verrez ça, bientôt, dans Fémina. Je lui donne une série « Les grandes dames dans l’intimité ».

Tout en parlant, l’opérateur arrangeait d’une main experte les plis du peplum sur les formes de Mlle Romanet. Vraiment, il modelait l’étoffe souple et sous ce voile hypocrite le corps de la jeune femme semblait plus nu que la nudité même.

— Un sein, monsieur Paquignon ? demanda le photographe.

— Je crains que ma clientèle...

— Non, ce sera très gentil. Vous savez, maintenant, les seins sont parfaitement admis en photographie, même dans les journaux d’information. Je ne parle pas des publications mondaines : elles en sont arrivées au nombril. Le niveau esthétique du public s’élève...

— Vous voulez dire qu’il descend. Enfin, essayez...

— Un nichon ? fit Micheline d’une voix douce... Lequel ?

— Celui de gauche, répondit le photographe, à cause de l’éclairage.

Alors, d’un geste charmant qu’il me semble voir encore et qui décida de ma défaite — mais n’était-elle pas devenue certaine ? — Micheline fit glisser le long de son bras l’un des rubans qui retenaient sa chemise. Et son sein apparut, blanc, pur, idéal...

Mais à quoi bon ces détails ?

Le fait est le fait. Le soir même, j’invitais Mlle Romanet à dîner dans un restaurant d’artistes, à Montmartre, et l’inévitable — que je ne cherchais plus du tout à éviter — s’accomplit. Il me fut aisé de constater que mon employée ne manquait ni d’expérience, ni de bonne volonté, ni même de zèle. Ce sont des vertus que j’apprécie beaucoup, mais qui s’en vont, hélas ! comme le reste : dans tous les domaines de l’activité, la qualité du personnel baisse à vue d’œil. Mon employée s’était montrée, ce soir-là, parfaitement qualifiée pour remplir les fonctions de maîtresse, alors qu’elle manquait comme dactylo, comme secrétaire, de la plus élémentaire compétence. Après tout, ne faut-il pas employer les gens, hommes ou femmes, selon leur talent ?

Sur l’oreiller, dans cette chambre d’hôtel à double issue où je l’avais conduite et où nous vidâmes, en plus d’une bouteille de Champagne, la coupe des voluptés jusqu’à deux heures moins le quart du matin, je dis à Micheline :

— Je t’ai prise à l’essai... Expérience faite, je ne te garde pas : tu ne fais pas du tout mon affaire !

— Moi ? Eh bien, mon chéri, qu’est-ce qu’il te faut !

— Il me faut une bonne secrétaire... Alors, je te flanque à la porte comme dactylo, mais je te garde comme petite amie. Ça te va ?

— Mon Dieu...

— Je verrai à régler ta situation...

— Ne t’en fais pas pour ça, mon chéri.

— Ah ! coquine, tu n’as pas perdu ton temps... Enfin, avoue-le, tu avais décidé de me jeter le grappin dessus. La dactylographie, pour toi, c’était un prétexte...

Ce à quoi elle me répondit avec une gravité soudaine :

— Pour une femme seule et qui veut arriver, tout est prétexte. Mais encore faut-il l’occasion et la chance...

— Tu te charges de les faire naître. Voyez-moi cette petite roublarde ! C’est un succès, car je peux te dire qu’il ne m’est jamais arrivé, à moi, Honoré Paquignon, de...

— Eh bien, quoi, n’est-ce pas tout naturel ? Je suis jeune, pauvre, ambitieuse, et, sans me vanter, je suis jolie. Toi, tu es riche...

— Vieux, laid...

— Mais non, mon chéri. D’ailleurs cela n’a pas d’importance. En tout cas, nous étions faits pour nous rencontrer.

— Tu crois cela ?

— Oui, la preuve, c’est que nous voilà couchés tous les deux. Seulement, tu reconnaîtras que j’ai agi honnêtement avec toi... D’abord, je n’ai pas intrigué pour t’approcher. Je me suis présentée au milieu de cent poules et c’est toi qui m’as choisie.

— Comme dactylo !

— Tais-toi donc... Tu m’as prise parce que je te plaisais plus que les autres. C’est toujours la même chose, avec les hommes ! Et quand c’est fait, ils disent que c’est nous qui avons commencé. Après, tu m’as demandé si j’étais bien faite. Cela n’a rien à voir avec la Remington ou l’Underwood. On n’est pas tenue d’être une sténo épatante et d’avoir des nichons qui se tiennent pour 450 francs par mois ! As-tu pensé à ça, monsieur Honoré Paquignon ? Enfin j’ai joué franc jeu et tout de suite. J’aurais pu faire l’hypocrite, te prendre par le cœur...

— Moi ? Je n’ai pas de cœur.

— Si, mais tu ne t’en es peut-être jamais servi et alors tu es encore plus en danger qu’un autre, surtout à ton âge. C’est l’histoire de bien des grands patrons et de pas mal de petites dactylos. Tu vois que je te dis toute ma pensée, carrément. Reconnais que je me suis comportée en bonne fille qui n’y va pas par quatre chemins. Il est vrai que c’est toi-même qui m’as mise sur le bon, dans ton auto... Sans faire de chiqué, je me suis déshabillée pour te donner l’envie de coucher avec moi. C’est loyal, ça, c’est naturel. Et je prétends que j’ai fait, honnêtement, mon métier de femme !

Puis, avec amertume :

— Alors, bien entendu, tu me prends pour une grue !...

— Non, mais...

— Mais quoi ?

— Je n’en suis pas moins, pour toi, le premier venu. Et cependant...

— Le premier venu ? On est toujours, à un moment donné, le premier venu. Qu’est-ce que cela fait si on se plaît ? Eh bien, mon petit, tu me croiras si tu veux, mais tu me dis... Tu as un genre qui me revient, tu ne manques pas de chic, tu es quelqu’un et tu es très gentil, même quand tu mets tes lunettes d’Américain pour avoir l’air terrible. Tu vois, c’est une déclaration...

À la fois sceptique et flatté, je répondis :

— Bah ! Tu me dis ça... Va, je ne me fais pas d’illusions !

— Moi non plus. Les illusions, c’est toujours un excédent de bagages, surtout pour une femme. Enfin, quoi, on verra. Sait-on jamais !

— Rhabillons-nous... Il faut que je sois à mon bureau à neuf heures du matin : le patron doit donner l’exemple.

— J’y serai aussi.

— Non... Après ce qui vient de se passer, tu ne dois plus venir rue des Capucines. Je tiens beaucoup, je te l’ai dit, à la correction, tout au moins extérieure... Et je dois être impeccable, tout le premier.

— Impeccable ? Tiens, tu me fais rigoler...

— Impeccable chez moi, devant mon personnel, afin de pouvoir exiger de lui la même tenue...

Micheline se mit à rire et s’exclama :

— Et tu crois que ça réussit ?

— Sans doute. Il ne manquerait plus que ça !

— Tu es mal renseigné... Écoute, il y a quinze jours à peine que je suis dans ta boîte. Eh bien, j’en ai appris de belles en bavardant avec les uns et les autres. Ton personnel, mon petit ? Mais il rigole quand tu n’y es pas et même quand tu y es... Ah ! c’est du propre, ce qui se passe chez toi ! Tiens, je vais t’en donner des exemples. Ton chef de comptabilité, le grand barbu, couche avec deux de ses dactylos : l’autre soir, à la sortie, elles se sont même crêpé le chignon, ou ce qui en reste.

— Comment, M. Vidal, lui que je crois si sérieux ?...

— Oui, mon cher ! Et ta première manutentionnaire s’envoie ton garçon de bureau. On les a surpris dans le magasin des échantillons... Et il n’y avait pas à s’y tromper !

— Madame Potier et Frédéric, c’est impossible !

— Naturellement. Ton chef du contentieux pelote, lui, toutes les femmes... Dès le deuxième jour, il a voulu savoir, lui aussi, si j’étais bien faite. Mais au lieu de me questionner, comme toi, il a cherché à se rendre compte... Alors, je lui ai flanqué une claque...

— M. Timbalier, un employé modèle, qui ne se trompe jamais !

— Avec moi, il s’est trompé. Et ton caissier ? Ah ! celui-là !

À ces mots, je sursautai et bien que je fusse en caleçon, je me récriai, pathétique :

— Ah ! non, ne touche pas à M. Borax ! M. Borax est le doyen de mon personnel et...

— Tu sais, les doyens, il ne faut pas s’y fier plus qu’aux autres. Au contraire ! Toutes les femmes te diront que les hommes, plus c’est vieux, plus c’est cochon.

— Mon caissier est d’une conscience, d’une exactitude, d’un dévouement...

— Possible, mais c’est un vieux dégoûtant. Il m’a invitée à aller feuilleter chez lui des albums de photographies qui, paraît-il, sont aussi amusantes qu’instructives.

— M. Borax !

— Lui-même... Aussi, tu m’amuses avec la sévère discipline qui règne dans ton administration ! Et, tu sais, je ne t’en aurais jamais rien dit si je n’étais pas devenue ta maîtresse... Avant, j’étais avec eux ; maintenant, je suis avec toi. Mais ce n’est pas une raison pour les mettre à la porte. Qu’est-ce que cela peut te faire que ces pauvres gens mêlent un peu d’amour à leur margarine ?

— Chez moi, cela me déplaît. Et puis, le travail en souffre.

— Que veux-tu, ce sont tes parfums qui leur montent à la tête. Ça sent trop la Rose mouillée chez toi...

— Tes révélations me plongent dans un ahurissement sans bornes.

— Mais j’y pense, ce n’est pas tout. J’ai même oublié le principal : ça ne va pas dans ton usine de Rueil ! Les ouvriers et les ouvrières sont communistes et prêts à tout saccager... Tes flacons sont en danger, mon petit : gare la casse !

— Hein ? Quoi ? Le bolchevisme étendrait ses tentacules jusque dans mes usines ? Je n’en crois rien...

— Libre à toi. Mais moi, je suis renseignée... Dans tes bureaux, il y a aussi des révolutionnaires et ceux-là ont des tuyaux. Si tu les entendais !

— En tout cas, c’est très exagéré. Quelques mauvaises têtes peut-être, j’y consens. Dame, parmi six cents ouvriers et ouvrières, et en banlieue ! Mais s’il y avait des symptômes graves, je serais prévenu par le chef de mon personnel, le colonel de Persicot, un homme énergique, un gaillard qui aime l’ordre et s’entend à le faire respecter.

— Comme tu voudras, mon chéri !...

Cette conversation catastrophique, précédée d’exercices un peu fatigants, m’avait donné la migraine... J’avais hâte de respirer l’air frais — j’ai des tendances à la congestion — et aussi de rentrer chez moi.

— Quand et où nous reverrons-nous ?

À vrai dire, je posais cette question presque par politesse... Je venais de faire un copieux festin d’amour et rassasié, je ne me souciais guère, je l’avoue, de mon prochain repas, d’autant plus que je n’ai qu’un appétit très modéré. Mais je m’attendais à ce que Suzanne, anxieusement, me proposât bien vite un nouveau rendez-vous. Pas du tout. Avec nonchalance, elle me répondit :

— Je t’écrirai !

Le lendemain, je recevais dans mon bureau le colonel comte Antoine de Persicot, convoqué par téléphone et venu de Rueil par les moyens les plus rapides.

Ce vieux militaire était à mon service depuis trois ans. Je ne suis pas de ceux qui, au lendemain de la guerre, se sont hâtés d’oublier les services rendus par les meilleurs artisans de la victoire. Pareille ingratitude me révolte ! J’ai estimé qu’il était de mon devoir de payer ma part de la dette que les détenteurs de la richesse ont, plus que quiconque, contractée envers les défenseurs du pays et plus particulièrement les officiers de carrière. Ayant appris que le colonel de Persicot — cinq citations, deux blessures, pas de fortune, 9.000 francs de pension — cherchait un emploi pour mettre un peu de beurre sur sa graine d’épinards, je lui donnai la place de chef de mon personnel ouvrier : 750 francs par mois, le plaisir de commander encore et de la considération. Il me semble que je fais bien les choses !

Le colonel de Persicot — belle figure, noble prestance, rosette de la Légion d’honneur — fit son entrée dans mon bureau avec une inquiétude visible... Évidemment, il pressentait une tuile.

— Colonel, lui dis-je après l’avoir invité à s’asseoir, que se passe-t-il à Rueil ?

— Rien à signaler, monsieur Paquignon. Calme plat.

— Mon service de renseignements me fournit, au contraire, des nouvelles assez inquiétantes.

— Votre service de renseignements ? Vous avez donc un deuxième bureau ?

Et le colonel se mit à rire, un peu jaune, il est vrai.

— Oui, j’ai une source personnelle de renseignements. Le chef d’une grande industrie doit user, à l’occasion, d’une police secrète... Eh bien, mon cher colonel, j’ai appris qu’un très mauvais esprit régnait dans mes usines. Il serait question d’une grève prochaine, je ne sais d’ailleurs pourquoi, car mes ouvriers n’ont aucune raison de se plaindre. Et il y aurait du bolchevisme dans l’air... Oui, du bolchevisme chez moi ! Voyons, monsieur le chef de mon personnel, qu’en pensez-vous, qu’en dites-vous ?

Je parlais haut et ferme ainsi qu’il convient à un homme d’action, résolu à regarder les gens et les événements en face.

Le colonel de Persicot parut moins surpris qu’embarrassé.

— Monsieur Paquignon, me répondit-il, je me proposais précisément de vous mettre un de ces prochains jours au courant de la situation.

— Il fallait le faire sans attendre.

— Je croyais préférable de laisser les choses se dessiner plus nettement.

— C’est cela, vous attendez que tout flambe pour m’apprendre qu’il y a le feu !

— Il n’y a pas le feu... À peine un peu de fumée et l’incendie est ailleurs.

— Où cela ?

Le colonel traça avec l’index un cercle dans l’espace et hochant la tête :

— Un peu partout... Mais chez nous, à Rueil, cela ne marche pas mal, par comparaison, bien entendu, par comparaison ! Il y a tout simplement dans le personnel cette espèce de vague mauvaise humeur, d’aigreur et de manie de la rouspétance qui sévissent aujourd’hui dans tous les corps, qu’ils soient civils ou militaires. Les hommes sont plus difficiles à mener qu’autrefois... Et une usine n’est pourtant pas une caserne : nous ne pouvons pas fourrer les mauvaises têtes dedans, nous ne pouvons même pas toujours les flanquer dehors, car la main-d’œuvre manque et les syndicats ont tôt fait de trouver dans le plus justifié des renvois un prétexte d’agitation, de grève même... Le plus sage est d’éviter les complications. Pas d’histoires ! Vous comprenez, j’ai trente-cinq ans de service dans l’armée...

— En somme, l’état d’esprit de mes ouvriers n’est pas bon.

— Il pourrait être meilleur, mais je le crois, étant donné les circonstances, très acceptable... Et puis, il nous faut bien l’accepter.

— Permettez, colonel, je suis le maître et...

— Le maître ?

Le colonel eut un sourire qui m’agaça quelque peu et, d’un hochement de tête, me fit comprendre qu’il doutait de ma puissance. Hélas ! j’en doutais, au fond, autant que lui, mais un grand chef doit, pour inspirer confiance, paraître convaincu tout le premier de sa supériorité intellectuelle et morale sur tous ceux qui sont appelés à lui obéir. Et c’est d’un air très ferme que je prononçai :

— Autorité, ordre, travail, voilà, colonel, ma devise de patron.

— C’est la mienne... Ajoutons-y, si vous voulez bien, justice et bonté.

— Cela va sans dire... La justice est dans mes principes. La bonté aussi, mais elle ne doit pas devenir faiblesse.

— Rassurez-vous. J’ai une vieille expérience des hommes et j’ai appris qu’on peut tout obtenir d’eux en les traitant, précisément, comme des hommes. Cela m’a toujours réussi... Et voilà pourquoi, à Rueil, le moral est, somme toute, rassurant, malgré l’active propagande des révolutionnaires. Les Français, en tout cas, tiennent bon ; il y a des cabochards mais braves types et raisonnables quand on sait leur parler. Les brebis galeuses, elles viennent de l’étranger : ce sont tous ces Polonais, Tchéco-Slovaques, Espagnols, Italiens, Chinois...

Et le colonel, avec un gros rire bonhomme, ajouta :

— Ah ! ceux-là !... J’ai beau avoir commandé un bataillon de la Légion étrangère, je n’arrive pas à les mettre au pas !

Mais j’écoutais à peine l’interminable discours du vieux militaire : la grande muette bavarde volontiers. Officier supérieur et même général dans la vie civile, je suis de l’école des silencieux. Et puis un mot me harcelait, me troublait, me persécutait, je l’avoue, un mot qui résumait toutes mes appréhensions :

— Enfin, dis-je, le bolchevisme... ?

— Bah !...

— Vous croyez ?

Et comme l’optimisme du chef de mon personnel me faisait du bien, j’insistai :

— Alors, vraiment, pas de révolutionnaires à Rueil ?

Le colonel haussa les épaules :

— Oh ! il y en a bien entendu, là comme ailleurs. Est-ce qu’il n’y en a pas partout ?

— Comment, partout ?

— Sans doute... J’en rencontre à chaque pas. Ça grouille... Il y en a de tous genres et les plus dangereux ne sont pas ceux que vous pensez.

Très fâcheusement impressionné, je me récriai :

— Vous croyez donc à la Révolution ?

Le colonel comte Antoine de Persicot, commandeur de la Légion d’honneur, chef du personnel de la maison Honoré Paquignon, me répondit, tranquillement :

— Je finirai par y croire si les bourgeois continuent à tout faire pour qu’elle éclate.

— Les bourgeois ? Mais, au contraire, ils sont...

— Foutus, monsieur Paquignon, s’ils ne changent pas, foutus, archifoutus !

— Vous prenez donc, colonel, les bourgeois pour des idiots ?

Le colonel de Persicot eut un sourire bizarre et prononça :

— Non, pour des maladroits, des hurluberlus, des gribouilles... Ils ont peur du feu et ils s’y jettent !

Je jugeai préférable de ne pas prolonger ce dialogue... Il n’entre pas dans mes habitudes de parler politique avec mes employés, même quand ils sont nobles, anciens colonels et dignitaires de notre ordre national !

Je suis un affreux bourgeois

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