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II
MOI, MA FEMME, MA FILLE ET MON FILS

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Table des matières

Je suis un bourgeois.

Un bourgeois, et je m’en vante.

J’ai l’orgueil de ma classe, de ma réussite, de ma fortune, du rôle que je joue dans la société, de ma façon de penser, d’agir, d’être : je suis un bourgeois de bourgeoisie bourgeoisante et, alors que tant de mes pareils ne semblent pas convaincus de leur supériorité, moi, je dis que je fais partie de la véritable élite moderne.

La civilisation est l’œuvre des bourgeois. La science, l’industrie, le commerce, la littérature, l’art, la politique, la religion, tout est bourgeois, quoi qu’en disent ceux qui nous méprisent et nous haïssent. Quand un ouvrier aime son métier, y excelle et y réussit, il monte en grade et se mue bourgeois. Devient-il meneur révolutionnaire ? Il s’embourgeoise encore bien plus et on ne le voit jamais reprendre sa place à l’établi. Les écrivains sont tous des bourgeois et c’est même chez eux que j’ai relevé les vanités, les préjugés, les ridicules — car nous en avons — les tares spécifiques dont on nous fait le plus souvent grief à nous, bourgeois sans fausse honte, sans hypocrisie, sans chiqué. Flaubert, ce bourgeois sans le savoir, a dit : « Le bourgeois se reconnaît à ceci qu’il pense bassement. » Chaque fois que j’ai rencontré des écrivains, des artistes, j’ai constaté qu’ils vivaient de leurs autels non comme des prêtres mais comme des bedeaux et même comme des chaisières. Ils aiment plus que nous l’argent, les consécrations mondaines, les faveurs, les honneurs officiels. Ils font aux puissants une cour empressée et humiliante. Ils n’ont pas changé depuis le temps où leurs pareils étaient tout heureux et tout aises de s’asseoir au bout de la table d’un grand seigneur, que dis-je ? au bout de la table de ses domestiques. Et cependant, le grand seigneur, aujourd’hui, c’est n’importe quel ministre, quel sous-secrétaire d’État, quel député, voire quel conseiller municipal ! C’est moi, à l’occasion, car je protège les Arts et les Lettres, je suis un Mécène : je commande des textes de publicité à d’orgueilleux poètes qui sont trop heureux de gagner ainsi quelques louis en papier, je fais peindre des modèles de chromos, des affiches, des étiquettes par des artistes connus qui accourent quand je les appelle et me soumettent timidement leurs esquisses après avoir longuement attendu dans mon antichambre. C’est aussi le directeur d’un de ces journaux qui font ou défont les succès, les gloires, les fortunes. Mais, ce directeur, ce prince de la presse, je le fais attendre aussi, je lui tiens la dragée haute, je le traite en simple fournisseur. Car, moi, les journaux, je leur paie la publicité qu’ils me font et dont ils vivent, et c’est ce qui me permet de traiter cavalièrement le Giboyer qui fait trembler les « chers maîtres ». Autrement dit, je suis à deux échelons au-dessus de n’importe quel vaniteux littérateur. Je prétends au surplus que la parfumerie est un art qui en vaut pas mal d’autres. Plaire au nez de mes contemporains et contemporaines est aussi noble et à coup sûr plus difficile que de charmer leurs yeux ou leurs oreilles. Pour créer, présenter et lancer mes produits, je dois avoir de l’imagination tout autant, sinon plus, qu’il n’en faut pour écrire un roman. Je dirige, j’inspire toutes sortes de prétentieux intellectuels et si M. Théodore Borax, mon caissier, trouve des noms de parfums, moi, au moins, je choisis les meilleurs — et c’est dans le choix, là comme ailleurs, qu’est le vrai génie.

Enfin, le bourgeois que je suis ne se croit inférieur à personne, tout en s’estimant supérieur à beaucoup. Ce sont des gens comme moi qui font la grandeur, la prospérité, la gloire de leur pays. Mes parfums sont connus, aimés, préférés dans le monde entier... Il y a cinq cent mille Américaines qui sentent ma Rose mouillée, qui se mettent sur les lèvres de mon rouge Carmencita, qui enlèvent leurs poils superflus en usant de ma pâte des Filles de marbre, qui, demain, raffoleront de Moi toute... Voilà-t-il pas des noms célèbres qui valent bien les titres de bouquins, de pièces de théâtre, de tableaux sur lesquels compte naïvement notre propagande ? Mes œuvres répandent, avec leurs effluves, le goût et même l’amour de notre chère patrie... Il y a comme un extrait de la France dans tout flacon qui porte la marque et la signature d’Honoré Paquignon.

Ma fierté bourgeoise ne transige pas, je l’ai dit, avec cette sorte de fausse honte qui fait que tant de mes pareils ne consentent pas à être entièrement et exclusivement ce qu’ils sont. Et c’est ainsi que je me vante d’être un parvenu, c’est-à-dire un super-bourgeois.

Le parvenu est un victorieux : il a triomphé dans la lutte pour la vie. Le mot qui le désigne et que prononcent, avec une moue dédaigneuse, les imbéciles, les ratés, les vaincus, ce mot ne me blesse pas : je m’en enorgueillis, je m’en pare, je m’en décore. Est-ce que tous les vrais grands hommes n’ont pas été des parvenus ? La belle affaire d’être Louis XIV ! Il suffit de prendre la peine de naître... Mais parlez-moi de Napoléon. Voilà mon type ! Seulement, je le lâche dès qu’il commence à déchoir. Je l’admire aux Tuileries, à Schoenbrunn, à l’Escurial ou dans le palais du roi de Prusse, lorsque, d’un geste très simple, très naturel, il s’empare de l’épée du grand Frédéric... Mais à Sainte-Hélène, il me fait l’effet d’un failli ; je lui en veux d’avoir fourni aux rois de droit divin et à tous les fils à papa l’occasion de dire avec un petit rire agaçant : « Ainsi finissent tous les parvenus ! » Moi, je ne suis pas de ceux qui vont à Sainte-Hélène... Et je ne touche pas du bois, d’autant plus que j’écris avec un stylo en or.

J’ai commencé ma carrière comme simple vendeur aux « Galeries Saint-Martin », sur le boulevard du même nom. Et tout de suite, la parfumerie me happa... La destinée m’avait désigné pour une œuvre de rénovation qui s’imposait. La parfumerie française attendait un homme... Je devais être cet homme-là. Aux Galeries Saint-Martin, je montrai bientôt qui j’étais... Le patron ne me résista pas (la patronne non plus, mais ceci est une autre histoire) et bientôt il fit de moi le chef du rayon. J’eus des idées, je créai le « Parfum de Mimi-Pinson » qui n’était vendu qu’entre midi et deux heures et réussissait assez bien. Mais, comprenant mon erreur, je le baptisai : « Triple-extrait des Duchesses » et j’en vendis trois fois plus : il faut être psychologue dans une spécialité qui s’adresse surtout aux femmes ! Le premier à Paris, je devinai l’avenir de l’hygiène de la peau, je pressentis le succès des savons de luxe, des crèmes de beauté, des pâtes qui mastiquent et nivellent les rides, des vernis pour ongles, des carmins, des hennés, des rimmels, etc... Je fus le prophète de ce maquillage qui, réservé jadis aux seules actrices, courtisanes et femmes du grand monde, devait s’étendre par la suite à toute la démocratie féminine. Et, ma réputation grandissant, je quittai les modestes « Galeries Saint-Martin » pour entrer aux « Grands Magasins de la Parisienne » où je brûlai les étapes... De la Parisienne, je passai au « Meilleur Marché » où je modernisai le rayon de la parfumerie, qui devint l’un des plus prospères de la maison. Je m’étais fait des relations dans le monde des fabricants et des grossistes... Le moment était venu de voler de mes propres ailes. J’avais une idée : remplacer le savon en poudre pour la barbe par un savon mou, en bâton. Je croyais — l’avenir prouva combien j’avais raison — que l’homme moderne, au visage américanisé, prendrait de plus en plus l’habitude de se raser lui-même, d’autant que d’ingénieux appareils, récemment inventés, lui permettaient de s’en tirer avec un minimum de risques. S’il me fallait synthétiser notre progrès moderne en énumérant trois inventions particulièrement marquantes et originales, je dirais : avion, stylo, rasoir mécanique !

Mon produit réussit admirablement, grâce à ses qualités et aussi à une amusante affiche qui représentait le Père éternel rasant sa longue barbe devant un miroir tenu par deux anges et disant : « Avec le savon Rasibus, ça va tout seul et je vais paraître six mille ans de moins ! »

Mais ces histoires de barbes et de rasoirs risquent de paraître ennuyeuses et j’abrège le récit de mon ascension vers une fortune qui n’a été que la récompense légitime d’un effort soutenu. Je pressentais les destinées de la parfumerie et ses applications à l’hygiène esthétique. Je créai des spécialités qui répondaient aux aspirations de la femme nouvelle, c’est-à-dire mince, teinte et quasi nue. Alors que mes concurrents attardés fabriquaient des produits pour faire grossir les seins, moi je lançais ma « Pâte de Diane » qui les supprime. J’organisai à grands frais une campagne de presse qui mit les blondes à la mode et ma « Teinture de Ninon de l’Enclos » me rapporta un million, — un million d’avant-guerre ! L’audace croissante du décolleté, cette vogue du nu que nous devons au sport, aux romans de Pierre Louys et aux chorégraphies gréco-américaines d’Isidora Duncan me fit pousser, au cours d’une nuit d’insomnie, ce cri inspiré : « La femme, c’est la peau ! » J’avais découvert l’épiderme et, bientôt, je l’arrachais aux médecins et aux pharmaciens pour en faire un des plus fertiles domaines de la parfumerie moderne.

Ce ne sont pas mes souvenirs personnels que je raconte là, c’est de l’histoire !

Bref, mes usines s’étendaient à vue d’œil... La guerre survint. Je me crus ruiné... N’annonçait-on pas que cette terrible secousse serait suivie d’une ère de farouche austérité ? Un académicien avait dit : « Après une pareille leçon, nous ne danserons plus le tango et nous retournerons aux sublimes tragédies de Corneille ! » C’était une prédiction sinistre et elle me fit trembler... Mais cet académicien se trompait, fort heureusement, comme se sont toujours trompés les académiciens. Il oubliait et j’oubliais moi-même que les guerres et les révolutions sont aphrodisiaques : les femmes surtout y trouvent l’occasion de faire mille folies, moins cruelles, il est vrai, et moins bêtes que celles des hommes. Nous l’avons bien vu entre 1914 et 1918. Et depuis, les femmes — pas toutes, certes, mais enfin pas mal — ont continué de plus belle, avec les encouragements et la collaboration des rescapés du grand massacre, des jeunes gens grandis au son du canon et des jazz-band, enfin des étrangers à change, sinon à sentiments élevés. Rien ne pouvait être plus favorable à une industrie comme la mienne. Et c’est ainsi que je devins ce que je suis, c’est-à-dire un homme qui possède près de trente millions.

Des aigris, des ratés, des utopistes condamnent l’ordre de choses actuel... Ils prétendent que l’injustice triomphe et qu’il faut tout chambarder. Mais ce sont eux qui se montrent injustes. J’admire, moi, au contraire, la société où un petit vendeur des « Galeries Saint-Martin » peut, par son intelligence et son travail, conquérir fortune, puissance et célébrité. Voilà pourquoi je suis conservateur ou, pour parler plus exactement, républicain modéré. Voilà pourquoi, cette société qui m’a compris, aidé, élevé, je l’aime d’un cœur reconnaissant et suis prêt à la défendre contre ses vils calomniateurs !

Mme Paquignon — je ne crois pas avoir encore dit que je suis marié — m’a accompagné tout le long de cette route en lacets. Elle a débuté comme moi et avec moi. Je l’ai connue aux « Galeries Saint-Martin » où elle était vendeuse au rayon des jouets. Nous étions jeunes, nous nous plûmes, nous nous aimâmes. Elle n’avait pas le sou, moi non plus... Je l’épousai telle quelle et depuis nous sommes heureux. Moi, du moins...

Car peut-être Clotilde ne tire-t-elle pas de l’existence que je lui ai faite tout le bonheur possible. Elle appartient à cette curieuse espèce de gens que le succès intimide, gêne, effraye... Ma femme est restée très simple — comme moi, d’ailleurs — mais avec un bizarre parti-pris de résistance au vent qui nous a poussé vers la fortune. C’est, à coup sûr, la meilleure des créatures, ses vertus sont l’ornement de mon foyer et, certes, j’aurais tort de me plaindre... Cependant, je lui reproche de ne pas s’être mise au diapason de ma vie : elle est restée petite bourgeoise alors que, moi, je suis un grand bourgeois. Elle eût été, j’en suis certain, admirable dans l’infortune : je la trouve faible, inquiète, et comme découragée dans la victoire et l’opulence. Ah ! c’est qu’il faut avoir du cran aussi dans la réussite ! Bien des gens gâtent leur bonheur en trouvant que la mariée est trop belle... Ma femme, elle, me trouve, sinon trop beau, du moins trop favorisé par les dieux. La pauvre n’a pas fini de trembler... Elle en verra d’autres !

Je la gâte, faut-il le dire, de toutes façons. Nous habitons un hôtel luxueux, elle dispose d’une limousine personnelle, son collier de perles est un des plus beaux de Paris et elle est Mme Honoré Paquignon. Nous recevons beaucoup ; nos dîners, nos réceptions sont relatés dans les journaux les plus élégants et il n’eût tenu qu’à Clotilde de devenir une personnalité mondaine, mais elle n’a pas d’ambition et même il lui arrive de parler avec une nuance de regret des « Galeries Saint-Martin », où, à nous deux, nous ne gagnions pas 500 francs par mois !

J’ai cru qu’elle redoutait une prospérité qui, faisant de moi un homme riche, célèbre, par conséquent tenté par les femmes, l’exposait à être trompée... Certes, je ne suis pas un mari impeccable — ce phénomène n’existe pas plus que le phénix ou le serpent de mer, — mais, enfin, mes aventures sont rares et sans importance ; je n’ai pas le temps et les femmes, à part la mienne, ne sont pour moi que des poupées auxquelles je ne demande même pas de dire « Maman » au moment psychologique. L’avouerai-je ? J’ai surtout pratiqué la petite théâtreuse, la poule sans lendemain et même — ceci prouve combien mes infidélités comptent peu — j’ai été longtemps l’habitué fidèle de certains endroits où l’amour, débarrassé de toutes ses complications, je parle des sentimentales, se fait avec tout le confort, toute la discrétion et tous les agréments souhaitables : c’est le rêve pour un homme qui n’a pas de temps à perdre et qui est soucieux de respectabilité.

— Et Mlle Micheline Romanet ? me demanderez-vous d’un air narquois...

C’est la première fois que cela m’arrive. Mes frasques n’ont jamais abouti à une liaison, même éphémère, car j’aime le changement et j’ai horreur des histoires. Au surplus, j’estime que Micheline n’a guère plus d’importance que les autres. Elle se fait, en ce qui me concerne, de grandes illusions... Le moment venu, je donnerai congé à la maîtresse comme j’ai renvoyé la dactylo ; je ne suis pas de ces imbéciles que les femmes mènent par le bout du nez et qui se compromettent dans des aventures ridicules. Je saurai m’arrêter à temps avec un « Au revoir et merci », sans réplique.

Quoi qu’il en soit, ma femme ne sait rien, ne se doute de rien. Et même elle m’a dit en voyant le portrait de Mlle Romanet qui illustre les annonces de Moi toute :

— Elle est très bien, cette personne.

Puis :

— Qui est-ce ?...

Je répondis à tout hasard :

— Une inconnue, un modèle, une petite femme de théâtre, je ne sais pas bien.

Mme Paquignon sourit, me lança ce regard clair, loyal et bon que j’aime tant chez elle et prononça :

— Tu aurais dû mettre son nom, à cette petite, sous son portrait. Cela lui aurait fait du bien. Elle doit avoir envie d’arriver, elle aussi...

Ce à quoi je répliquai en riant :

— Son nom et peut-être aussi son adresse... Si je t’écoutais, Cloclo, tu m’en ferais faire un métier ! Est-ce mon affaire à moi, Honoré Paquignon, de lancer les poules ?

Ma femme, il est vrai, a des préoccupations familiales dont je ne suis ni la cause ni l’objet.

Nous avons un garçon et une fille, et je dois dire qu’ils ne nous donnent pas que des satisfactions. Nul n’est grand homme, paraît-il, pour son valet de chambre (Fortuné, qui me sert depuis quinze ans, a cependant pour moi de la vénération), mais il est certain que, de nos jours, un père n’a guère de prestige auprès de ses enfants. Il y a rupture entre les jeunes et ceux qu’ils appellent les vieux... C’est ainsi que, moi, je n’obtiens de Pierrette et de Maurice que le tribut d’une affection assez vague, peut-être même jugée par eux conventionnelle et périmée. En tout cas, point d’admiration, point de respect, point de soumission du cœur ni de l’esprit. Entre eux et moi, aucune communauté d’idées ; ils me considèrent — si c’est là me considérer — comme une manière de survivant, un personnage rococo, un pompier ridicule.

Maurice m’a dit, à moi qui ai rénové toute une industrie et qui passe, même chez mes concurrents, pour un audacieux :

— Papa, tu n’es pas à la page !...

Et Pierrette m’a déclaré avec un rire ironique :

— Papa, tu n’es pas un type up to date !

Et, comme je ne comprends pas l’anglais, elle m’expliqua :

— Il y a des choses que tu ne piges pas... Non, ce que tu peux ne pas être moderne, c’est fou !

Ce qui est fou, c’est qu’une jeune fille de vingt et un ans, un jeune homme de dix-neuf se permettent de juger de la sorte un homme qui est non seulement leur père, mais encore un homme qui a prouvé et continue à prouver, de l’avis de tous, un sens remarquable, je pourrais dire merveilleux, de son époque.

Ils pourraient tout au moins reconnaître que je me suis montré des plus modernes dans la façon dont j’ai compris leur éducation. J’ai même été, je crois, trop moderne... Car cette éducation, j’aurais dû la vouloir plus sévère, plus traditionnelle, plus bourgeoise enfin. Mais je suis si occupé ! Et, d’autre part, ma femme est trop bonne, trop faible. Bref, Pierrette a été élevée à la diable et je me vois aujourd’hui le père, non pas de la douce et affectueuse jeune fille que j’avais rêvée, mais d’un singulier petit phénomène qui, les cheveux taillés à la garçonne (cela ne lui va d’ailleurs pas mal), l’allure désinvolte et sportive, la cigarette au bec, dit carrément à sa mère :

— Moi, je suis pour la revanche des femmes... Notre heure est venue ! Tu me fais de la peine, tiens, maman, avec ton air de victime résignée. Tu as tout de l’esclave... Nous, les nouvelles couches, on veut être libre. Nous avons des idées et des muscles et nous avons décidé de ne plus nous laisser faire par les hommes !

Ma femme — qui me raconte ces scènes incroyables — répond :

— En voilà des théories et un genre !

— C’est le nouveau genre féminin, maman. Et ces théories, nous allons les mettre en pratique. Car nous sommes des tas de jeunes filles et de jeunes femmes à penser que la tyrannie de l’homme a assez duré.

— Tu es folle !

— Pauvre maman ! Tu me rappelles la poule qui avait couvé des œufs de cane et qui...

— Voilà maintenant que tu me traites de poule, moi, ta mère !

D’ordinaire, cela tourne à la dispute et aux larmes, mais il n’y a que ma femme qui pleure : Pierrette est une orgueilleuse qui affecte de se défendre de toute émotion et qui cache ses sentiments sous une ironie sarcastique où, sous l’assaut de nos reproches, elle se réfugie comme dans une place imprenable. On n’a pas souvent raison avec une femme qui pleure, jamais avec une femme qui raille !

Quant à mon fils, il porte les cheveux longs, il se serre dans un veston cintré qui lui moule les hanches et lui fait une poitrine avantageuse, il a des sourires, des sons de voix, des gestes, des attitudes qui devraient être, plutôt, celles de sa sœur... Pierrette affecte l’allure virile, Maurice a l’air d’une fille manquée.

Oui, moi qui suis si simple, si naturel, si fortement attaché aussi à ce qu’on appelle avec dédain les conventions — c’est-à-dire les bases mêmes de la Société — je me trouve affligé, de par une étrange fantaisie du destin, d’une fille excentrique et d’un garçon pas comme les autres. J’étais cependant tout indiqué pour avoir des enfants tels que mérite de les avoir un bon et brave bourgeois français !

J’avais espéré — j’espère encore, au fond — que Maurice deviendrait le premier de mes collaborateurs et continuant, l’heure venue, mon œuvre, illustrerait à son tour, dans la parfumerie, le nom de Paquignon. Mais il semble bien que ma dynastie doive tourner court... Maurice n’a pas le feu sacré ou, du moins, il n’a pas celui-là.

Maurice est poète.

Poète !

J’ai un fils poète !

Encore s’il était poète comme Victor Hugo ou Edmond Rostand, je me dirais : « Après tout, c’est très honorable aussi et cela peut donner de très jolis résultats ! » Mais Maurice méprise profondément l’auteur de Ruy Blas et celui de Cyrano de Bergerac.

— Ce sont, affirme-t-il, des types sans aucun talent.

Et si je me permets de protester, il tranche :

— Papa, tu n’y connais rien... La poésie, ce n’est pas ce qu’ont cru ces imbéciles, ni ce que tu crois toi-même.

— Qu’est-ce que c’est donc ?

Et Maurice, avec un geste mignard qui m’agace, me répond :

— Quelque chose d’énorme !... Nous sommes les premiers à l’avoir compris.

« Nous », ce sont des amis de mon fils que j’ai parfois aperçus chez moi et qui ont, comme lui, des cheveux longs et ondulés, de petites manières et de grandes prétentions à je ne sais quelle supériorité intellectuelle : ils sont tous très riches, ce qui ne les empêche pas d’afficher, à l’occasion, des théories politiques singulièrement avancées.

Maurice et ses pareils ont fondé — en grande partie à mes frais, je vous prie — une revue intitulée, je ne sais pourquoi, Le Bilboquet et qui, imprimée sur papier de luxe, coûte 30 francs le numéro : il est vrai que personne ne l’achète.

Pour m’extirper de temps en temps quelques billets de mille, Maurice me fait de la publicité, si toutefois une revue lue exclusivement par ses rédacteurs peut faire de la publicité à qui et à quoi que ce soit. Mes produits sont vantés dans le Bilboquet ! Mais en quels termes, juste ciel, et avec quels dessins ! Impossible de comprendre un mot à ces textes composés de mots qui doivent avoir été mélangés dans un sac et tirés au hasard comme des numéros de loto ! Quant aux images, ce sont, ou des espèces d’épures tracées par des géomètres ivres, ou des évocations d’êtres larvaires qui semblent sortis du cauchemar d’un pensionnaire de Bicêtre... Heureusement, personne ne voit ces annonces qui sont, paraît-il, très artistiques et très littéraires : elles dégoûteraient la clientèle !

Le Bilboquet ne contient, d’autre part, que des poèmes indéchiffrables et des dessins sans queue ni tête... Et dire que je suis un de ses commanditaires, que son rédacteur en chef s’appelle Maurice Paquignon, que j’ai un fils qui ne partage aucune de mes idées, aucun de mes goûts, aucun de mes sentiments !

Je voudrais arracher Maurice à ce snobisme ridicule, l’éloigner de ces milieux bizarres où il se complaît et parfois, j’ai parlé haut, j’ai failli casser les vitres... Mais Maurice se mettait à pleurnicher, il avait comme des crises de nerfs et ma pauvre femme intervenait en disant :

— Laisse-le, ce petit... J’aime autant qu’il fasse de la littérature que de l’avion ou même de l’auto. C’est moins dangereux...

Et quand Maurice, triomphant, était sorti, elle ajoutait :

— Cela te coûte aussi moins cher que les maîtresses qu’il pourrait avoir... Tu as un fils qui ne court pas la gueuse et tu te plains !

Évidemment, Maurice a une conduite irréprochable. À son âge, je me souciais moins de courtiser les Muses que de serrer de près les petites femmes... Il est vrai que je n’étais qu’un simple vendeur sans prétention à l’intellectualité et que j’avais une santé plus robuste que celle de ce pauvre Maurice, très joli garçon sans doute, mais délicat, fragile et d’une nervosité quasi-maladive. Mais, je l’avoue, je préférerais un garçon moins affiné, moins sensitif, moins « fleur de serre »... Il risquerait peut-être de se casser la figure dans une voiturette pétaradante, ses maîtresses — cyniquement lâchées — viendraient faire du potin à la maison, mais je serais fier de ce gaillard déluré, décidé, probablement réaliste et pratique. C’est ainsi que je comprends les Paquignon ! Maurice, lui, ne semble pas être de ma race et j’en suis réduit, pour me consoler, à me dire que la plupart des hommes supérieurs ont eu, comme moi, des rejetons atrophiés au point de vue physique et au point de vue moral, souvent même aux deux.

N’est-ce pas une fatalité d’être ainsi incompris chez soi, par les siens ?

Je suis cependant, me semble-t-il, dans le vrai, dans le réel, dans le bon sens.

Mais je finirai par croire que le bon sens est, de nos jours, une aberration ou, tout au moins, une originalité quasi-saugrenue. Le nombre diminue des gens qui, comme moi, restent solidement accrochés à des principes, à des goûts, à des convictions qui, cependant, ont fait la grandeur et la force de la société.

Il y a une règle bourgeoise de penser et de vivre dont beaucoup de mes pareils s’écartent avec une lâcheté honteuse. J’en vois qui encouragent les pires concessions aux idées révolutionnaires en faisant passer le souci de la hiérarchie, de l’autorité, de l’ordre après je ne sais quelle sentimentalité néfaste... Ce sont ces patrons qui renoncent avec complaisance à leurs prérogatives légitimes, qui admettent, par exemple, leur personnel à la participation aux bénéfices ou consentent à discuter, sur le terrain de l’égalité, avec des meneurs, des révoltés ! Ils se laissent entraîner par ce qu’ils appellent le progrès social, sans comprendre qu’ils tressent de leurs propres mains la corde avec laquelle ils seront pendus. Je vois de ces bourgeois responsables trahir leur classe en flattant les partis avancés, en se faisant même envoyer au Parlement par une plèbe dont ils deviennent les serviteurs, les esclaves... C’est inouï !

Et, partout, je vois se multiplier ces inquiétants lâchages... Ainsi, je rencontre, dans des milieux qui devraient être résolument bourgeois, des gens dont le sourire devient dédaigneux quand je leur déclare tout net :

— Moi, je vénère l’armée ; je suis abonné à la Comédie-Française où j’ai vu jouer trente-trois fois le Monde où l’on s’ennuie ; j’aime Faust et m’ennuie aux opéras de Wagner ; je déteste les peintres de la nouvelle école et j’ai fait faire, jadis, le portrait de ma femme par Carolus Duran ; je ne trouve rien d’acceptable dans le système communiste et, bien qu’ayant la prétention d’être aussi Parisien que n’importe qui, je ne fréquente pas les bals-musette, les cabarets d’apaches et les caveaux soi-disant artistiques où des chanteuses poitrinaires chantent avec une voix de contralto des refrains sinistres... Je m’y suis peut-être laissé entraîner un soir, mais je n’y suis jamais retourné !

Pour un peu, ces déclarations feraient scandale... Les bourgeois de la dernière et même de l’avant-dernière édition sont vaguement antimilitaristes, anarchistes ; ils vont applaudir des pièces baroques dans des théâtres impossibles ; ils préfèrent à nos ballerines nationales en tutu des femmes sauvages qui dansent la bamboula et même des hommes qui se trémoussent tout nus aux sons de musiques canaques ; ils n’admirent que les barbouilleurs du Salon des Indépendants ; ils vont chercher des sensations bizarres dans des boîtes innommables où, de temps en temps — pas assez souvent — la police fait des rafles et les trouve mêlés à des marchands de coco, des filles des deux sexes et des rastas.

Certes, tous les bourgeois, toutes les bourgeoises n’en sont pas là, loin s’en faut, mais il en est de plus en plus qui se livrent à ces excès. Ils appellent cela « être à la page », expression dont ils raffolent et qui revient sans cesse dans les propos de mon fils et de ma fille.

Le pire, c’est que cette minorité donne le ton et fait la loi à la majorité. J’ai moi-même des inquiétudes, des hésitations. Je me demande si j’ai vraiment raison et, parfois, je concède... Oui, il m’est arrivé de faire semblant de m’amuser à des pièces mortellement ennuyeuses, de goûter tel écrivain imposé par une soi-disant « élite » et dont j’ai laissé tomber l’« immortel chef-d’œuvre » trois minutes après l’avoir ouvert, d’accorder un « talent énorme » à tel peintre qui, en vérité, me paraît un infâme barbouilleur ; je suis même allé jusqu’à cacher, moi aussi, mes vraies idées politiques et sociales... Mais ce n’étaient là, au fond, que des accès de timidité, des moments de faiblesse après lesquels je me retrouvais avec toutes mes certitudes, avec toute ma force !

Cette force m’est souvent indispensable, non seulement dans mes affaires, mais encore et même surtout chez moi.

Ainsi, l’autre soir, comme je venais de rentrer à la maison, ma fille m’a dit avec un air dur, farouche qui, tout de suite, m’a fait peur :

— Papa, j’ai à te parler...

— Je t’écoute, ma petite Pierrette, mais je t’en prie, ne me dis pas de choses désagréables.

— Je mène ici une vie stupide... J’en ai assez !

Abasourdi, je balbutiai :

— Moi qui te croyais si heureuse ! Car enfin ta mère et moi faisons tout pour cela.

— Alors, c’est bien simple, j’ai décidé d’en finir avec l’existence sans intérêt et sans but qui est la mienne comme celle de toutes les jeunes filles bourgeoises.

— Comment, sans but ? Et le mariage ? D’autant plus que la fille de M. Paquignon n’a qu’à lever son petit doigt...

— Justement. C’est trop facile, ça aussi. Et puis, le mariage ne me dit rien, du moins pour le moment. Je veux être libre...

— Libre ? Qu’est-ce que tu entends par là ?

— Je veux gagner ma vie : pour une femme, c’est ça, la liberté !

N’en croyant pas mes oreilles, je me récriai :

— Tu raisonnes comme une gamine. Gagner ta vie ! C’est à mourir de rire... Et qu’est-ce que tu feras, s’il te plaît ? Sténo-dactylo ? Si c’est là ton ambition, je te prends à mon service : j’ai précisément besoin d’une secrétaire... Mais encore faut-il que tu apprennes ton métier.

Pierrette haussa les épaules.

— Je te dis, papa, que je veux être libre.

— Tu rêves peut-être de faire du théâtre ou de la littérature, toi aussi ?

— Pas du tout... J’entends ne dépendre des hommes à aucun point de vue.

— Alors quoi ? Chauffeuse de taxi ?

Pierrette ne répondit pas tout de suite. Je crus avoir deviné et m’exclamai :

— Tu te moques de moi !

— Je parle très sérieusement et c’est toi qui plaisantes... Je ne pense pas à empoigner le volant d’un taxi, mais enfin, il s’agit d’automobilisme. J’ouvre un garage !

— Un garage ? Ma fille ouvre un garage ?

— Oui, rue de Longchamp. Un garage modèle... Nous avons même prévu une plate-forme pour les avions, car nous pensons à l’avenir. Ce sera une affaire magnifique... Nous sommes six jeunes filles associées. Je peux te donner les noms : Jeanne Pionnel...

— La fille de l’avocat ?

— Elle-même. Simone Turquet...

— La fille de l’ancien ministre ?

— Parfaitement. Juliette Pannetier...

— La fille du médecin ?

— Tu y es... Marie-Anne de Saint-Hélier.

— La fille du président du Jockey-Club ?

— Comme tu es renseigné ! Sarah Lyon... Tu ne la connais pas, celle-là ? C’est la plus forte... Un sens des affaires, une énergie ! C’est elle qui nous dirigera, qui mènera la barque. Enfin, il y a moi, Pierrette Paquignon. Tu vois, cinq bourgeoises et la fille d’un duc, et nous avons pris la résolution de prouver que nous sommes bonnes à quelque chose, que nous pouvons vivre par nous-mêmes, en travaillant, en nous rendant utiles. Nous sommes choyées, adulées, tout ce que tu voudras, mais nous nous embêtons affreusement. Si tu crois que c’est drôle, d’être une jeune fille du monde ! Nous avons le sentiment humiliant d’appartenir à une variété d’animaux de luxe... On ne nous demande que de faire la belle, tiens, comme on demande à un petit chien de faire le beau. Et on nous donne des morceaux de sucre, sous toutes sortes de formes. Avons-nous une cervelle ? Il n’en est pas question... Peut-être vaut-il mieux que nous fassions semblant de n’en pas avoir. Être jeune fille, quel métier ! Et le mariage avec un monsieur qui ne nous demandera, lui aussi, que d’être agréable, de jouer à la poupée — la poupée, c’est nous — et de lui apporter beaucoup d’argent, le mariage que nous mijotent nos bons parents et qui sera pour nous une autre servitude, ça nous dégoûte... Nous préférons nous débrouiller toutes seules. Mais pour cela, d’abord il nous faut gagner notre vie... Et voilà pourquoi, papa, nous fondons, rue de Longchamp, le Fémina-garage. Tu verras, ce sera épatant !

J’étais littéralement médusé et peut-être y avait-il de quoi. Certes, Pierrette m’avait habitué — si un père peut s’habituer à ces choses — à une indépendance d’esprit et d’allures qui ne cadrait pas avec ma conception de la jeune fille bourgeoise, mais, cette fois, les dernières bornes étaient franchies... Je me trouvais en face d’une espèce de petite exaltée qui faisait, en somme, sa révolution. Seulement, je ne suis pas de ceux qui abdiquent devant un coup de force et c’est avec toute la majesté de ma puissance paternelle que je prononçai :

— Et mon autorisation ? Tu oublies que j’ai voix au chapitre...

— Tu oublies, toi, que je serai majeure dans dix jours.

Le père devant céder devant ce brutal argument, l’homme d’affaires le remplaça.

— Et l’argent ? Il vous faut des capitaux...

— Nous en avons. Le père de Sarah Lyon croit à notre succès : il nous a promis un million prêté par lui et par quelques-uns de ses amis. Nous mêmes, nous demandons à nos familles de nous aider...

— Ah ! nous y voilà !... Tu veux être libre, tu secoues le joug de ma tyrannie et cela se termine par une demande de fonds. Alors, tu t’es imaginé...

— Je me suis imaginé, en effet, que tu nous consentirais une commandite de 200.000 francs. Qu’est-ce que c’est que cela pour toi ? Nous te promettons un intérêt de six pour cent... Notre affaire est très étudiée, très sérieuse et marchera, c’est certain : les garages, tu dois le savoir, toi qui as trois autos, manquent à Paris. D’ailleurs nous étendrons notre cercle d’action. Nous avons des idées et nous avons décidé de réussir. Ce que femme veut...

Pierrette prit place sur mes genoux et, m’ayant embrassé, ajouta :

— Voyons, tu ne vas pas me refuser ça ?... Deux cent mille francs... et qui te rapporteront ! Si j’étais à ta place, je serais fier d’avoir une fille qui ne consent pas à être un bibelot, une poupée, un être sans cervelle et sans ambition... Et puis, quoi de plus honnête que notre projet ? Notre modernisme est très correct : nous sommes des jeunes filles à la page mais c’est une page que tout le monde peut lire... Ce garage, nous nous y garons nous-mêmes ! Tu n’as pas le droit de m’en vouloir et même tu dois m’encourager, m’aider... Allons, sois gentil, mon petit papa chéri !

Et elle m’embrassa de nouveau, tendrement. Que faire ? Rabrouer Pierrette, ce n’était pas l’empêcher de réaliser son projet, mais c’était peut-être aggraver la situation. Les jeunes filles sont encore des enfants et déjà des femmes : double raison pour faire des bêtises. Après tout, ces deux cent mille francs — une bagatelle — me permettraient de radouber mon autorité paternelle un peu compromise, car je la consolidais ainsi avec l’autorité du commanditaire.

Je répondis donc :

— Je voulais t’offrir un collier de perles, justement à l’occasion de tes vingt et un ans... Puisque tu préfères un morceau de garage, soit !

— Ah ! papa, ce que tu es chic !

Et elle m’embrassa une troisième fois.

— N’empêche, lui dis-je, que pour réussir, tu sais employer des moyens très féminins. Et tes amies ont dû en faire autant...

Pierrette alluma une cigarette — j’ai eu le tort de lui permettre de fumer — et prononça :

— Sans doute... Mais nous prétendons bien rester femmes en toutes choses. Est-ce que tu nous confondrais avec ces féministes qui, au fond, sont honteuses de leur sexe ? Nous, nous en sommes fières et bien sûr, il y a de quoi !

Je soupirai :

— Dommage que ce ne soit pas ton frère qui ait eu l’idée, avec ses amis, de créer un garage... Je te l’avoue, j’aimerais mieux ça !

Mais ma fille, haussant les épaules, répliqua en riant :

— Maurice ?... Il est charmant, exquis, délicieux, et cela lui suffit... Tiens, on dirait une jeune fille ancienne manière. Le jour où ils seront tous comme lui, hein, crois-tu, papa, que ce sera nous, le sexe fort ?

Je suis un affreux bourgeois

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