Читать книгу Voyage en Égypte et en Syrie - Tome 1 - Constantin-François Volney - Страница 4
ÉTAT PHYSIQUE DE L'ÉGYPTE CHAPITRE IV. Des vents et de leurs phénomènes
ОглавлениеCES vents du nord, dont le retour a lieu chaque année aux mêmes époques, ont un emploi plus vrai, celui de porter en Abissinie une prodigieuse quantité de nuages. Depuis avril jusqu'en juillet, on ne cesse d'en voir remonter vers le sud, et l'on serait quelquefois tenté d'en attendre de la pluie; mais cette terre brûlée leur demande en vain un bienfait qui doit lui revenir sous une autre forme. Jamais il ne pleut dans le Delta en été; dans tout le cours de l'année même, il y pleut rarement, et en petite quantité. L'année 1761, observée par Niebuhr, fut un cas extraordinaire que l'on cite encore. Les accidens que les pluies causèrent dans la basse Égypte, dont une foule de villages, bâtis en terre, s'écroulèrent, prouvent assez qu'on y regarde comme rare cette abondance d'eau. Il faut d'ailleurs observer qu'il pleut d'autant moins que l'on s'élève davantage vers le Saïd. Ainsi, il pleut plus souvent à Alexandrie et à Rosette qu'au Kaire, et au Kaire qu'à Minié. La pluie est presque un prodige à Djirdjé. Nous autres habitants de contrées humides, nous ne concevons pas comment un pays peut subsister sans pluie45; mais dans l'Égypte, outre la somme d'eau dont la terre fait provision lors de l'inondation, les rosées qui tombent dans les nuits d'été suffisent à la végétation. Les melons d'eau, connus à Marseille sous le nom de pastèques, du mot arabe battik, en sont une preuve sensible; car souvent ils n'ont au pied qu'une poussière sèche; et cependant leurs feuilles ne manquent pas de fraîcheur. Ces rosées ont de commun avec les pluies qu'elles sont plus abondantes vers la mer, et plus faibles à mesure qu'elles s'en éloignent; et elles en diffèrent en ce qu'elles sont moindres l'hiver, et plus fortes l'été. A Alexandrie, dès le coucher du soleil, en avril, les vêtements et les terrasses sont trempés comme s'il avait plu. Comme les pluies encore, ces rosées sont fortes ou faibles, à raison de l'espèce du vent qui souffle. Le sud et le sud-est n'en donnent point; le nord en apporte beaucoup, et l'ouest encore davantage. On explique aisément ces différences, quand on observe que les deux premiers viennent des déserts de l'Afrique et de l'Arabie, où ils ne trouvent pas une goutte d'eau; que le nord, au contraire, et l'ouest chassent sur l'Égypte l'évaporation de la Méditerranée, qu'ils traversent, l'un dans sa largeur, et l'autre dans toute sa longueur. Je trouve même, en comparant mes observations à ce sujet en Provence, en Syrie et en Égypte, à celles de Niebuhr en Arabie et à Bombai, que cette position respective des mers et des continents est la cause des diverses qualités d'un même vent qui se montre pluvieux dans un pays, pendant qu'il est toujours sec dans l'autre; ce qui dérange beaucoup les systèmes des astrologues anciens et modernes, sur les influences des planètes.
Un autre phénomène aussi remarquable, est le retour périodique de chaque vent, et son appropriation, pour ainsi dire, à certaines saisons de l'année. L'Égypte et la Syrie offrent en ce genre une régularité digne de fixer l'attention.
En Égypte, lorsque le soleil se rapproche de nos zones, les vents qui se tenaient dans les parties de l'est, passent aux rumbs de nord, et s'y fixent. Pendant juin, ils soufflent constamment nord et nord-ouest; aussi est-ce la vraie saison du passage au Levant, et un vaisseau peut espérer de jeter l'ancre en Cypre ou à Alexandrie, le quatorzième et quelquefois le onzième jour de son départ de Marseille. Les vents continuent en juillet de souffler nord, variant à droite et à gauche du nord-ouest au nord-est. Sur la fin de juillet, dans tout le cours d'août et la moitié de septembre, ils se fixent nord pur, et ils sont modérés, plus vifs le jour, plus calmes la nuit; alors même il règne sur la Méditerranée une bonace générale, qui prolonge les retours en France jusqu'à soixante-dix et quatre-vingt jours.
Sur la fin de septembre, lorsque le soleil repasse la ligne, les vents reviennent vers l'est, et sans y être fixés, ils en soufflent plus que d'aucun autre rumb, le nord seul excepté. Les vaisseaux profitent de cette saison, qui dure tout octobre et une partie de novembre, pour revenir en Europe, et les traversées pour Marseille sont de trente à trente-cinq jours. A mesure que le soleil passe à l'autre tropique, les vents deviennent plus variables, plus tumultueux; leurs régions les plus constantes sont le nord, le nord-ouest et l'ouest. Ils se maintiennent tels en décembre, janvier et février, qui, pour l'Égypte comme pour nous, sont la saison d'hiver. Alors les vapeurs de la Méditerranée, entassées et appesanties par le froid de l'air, se rapprochent de la terre, et forment les brouillards et les pluies. Sur la fin de février et en mars, quand le soleil revient vers l'équateur, les vents tiennent plus que dans aucun autre temps des rumbs du midi. C'est dans ce dernier mois, et pendant celui d'avril, qu'on voit régner le sud-est, le sud pur et le sud-ouest. Ils sont mêlés d'ouest, de nord et d'est; celui-ci devient le plus habituel sur la fin d'avril; et pendant mai, il partage avec le nord l'empire de la mer, et rend les retours en France encore plus courts que dans l'autre équinoxe.
DU VENT CHAUD, OU KAMSÎN
Ces vents du sud dont je viens de parler, ont en Égypte le nom générique de vents de cinquante (jours)46, non qu'ils durent cinquante jours de suite, mais parce qu'ils paraissent plus fréquemment dans les 50 jours qui entourent l'équinoxe. Les voyageurs les ont fait connaître en Europe sous le nom de vents empoisonnés47, ou, plus correctement, vents chauds du désert. Telle est en effet leur propriété; elle est portée à un point si excessif, qu'il est difficile de s'en faire une idée sans l'avoir éprouvée; mais on en peut comparer l'impression à celle qu'on reçoit de la bouche d'un four banal, au moment qu'on en tire le pain. Quand ces vents commencent à souffler, l'air prend un aspect inquiétant. Le ciel, toujours si pur en ces climats, devient trouble; le soleil perd son éclat, et n'offre plus qu'un disque violacé. L'air n'est pas nébuleux, mais gris et poudreux, et réellement il est plein d'une poussière très-déliée qui ne se dépose pas et qui pénètre partout. Ce vent, toujours léger et rapide, n'est pas d'abord très-chaud; mais à mesure qu'il prend de la durée, il croît en intensité. Les corps animés le reconnaissent promptement au changement qu'ils éprouvent. Le poumon, qu'un air trop raréfié ne remplit plus, se contracte et se tourmente. La respiration devient courte, laborieuse; la peau est sèche, et l'on est dévoré d'une chaleur interne. On a beau se gorger d'eau, rien ne rétablit la transpiration. On cherche en vain la fraîcheur; les corps qui avaient coutume de la donner trompent la main qui les touche. Le marbre, le fer, l'eau, quoique le soleil soit voilé, sont chauds. Alors on déserte les rues, et le silence règne comme pendant la nuit. Les habitants des villes et des villages s'enferment dans leurs maisons, et ceux du désert dans leurs tentes ou dans les puits creusés en terre, où ils attendent la fin de ce genre de tempête. Communément elle dure trois jours: si elle passe, elle devient insupportable. Malheur aux voyageurs qu'un tel vent surprend en route loin de tout asile! ils en subissent tout l'effet, qui est quelquefois porté jusqu'à la mort. Le danger est surtout au moment des rafales; alors la vitesse accroît la chaleur au point de tuer subitement avec des circonstances singulières; car tantôt un homme tombe frappé entre deux autres qui restent sains, et tantôt il suffit de se porter un mouchoir aux narines, ou d'enfoncer le nez dans un trou de sable, comme font les chameaux, ou de fuir au galop comme font les Arabes qui sentent venir la mofette, nom qui paraît en effet convenir à cet air: il est d'ailleurs constant qu'il est plus dangereux de Mossul à Bagdad qu'en aucun autre lieu; ce que l'on attribue à la qualité sulfureuse et minéralogique du pays qu'il parcourt depuis l'Euphrate. Il est remarquable qu'il n'incommode pas les caravanes qui sont alors sur la route de Damas à Alep; à Bagdad, il est mortel sur les minarets, sur les terrasses, sur le pont, et non dans les lieux bas. Si l'on ajoute qu'aussitôt après la mort il y a hémorrhagie par le nez et par la bouche, que le cadavre demeure chaud, enfle, devient bleu, et se déchire aisément, il paraîtra de plus en plus probable que cet air meurtrier est un air inflammable, chargé dans certains cas d'acide sulfureux.
Une autre qualité de ce vent est son extrême sécheresse; elle est telle, que l'eau dont on arrose un appartement s'évapore en peu de minutes. Par cette extrême aridité, il flétrit et dépouille les plantes; et en pompant trop subitement l'émanation des corps animés, il crispe la peau, ferme les pores, et cause cette chaleur fébrile qui accompagne toute transpiration supprimée.
Ces vents chauds ne sont point particuliers à l'Égypte; ils ont lieu en Syrie, plus cependant sur la côte et dans le désert que sur les montagnes. Niebuhr les a trouvés en Arabie, à Bombai, dans le Diarbekr; l'on en éprouve aussi en Perse, en Afrique, et même en Espagne: partout leurs effets se ressemblent, mais leur direction diffère selon les lieux. En Égypte, le plus violent vient du sud-sud-ouest; à la Mekke, il vient de l'est; à Surate, du nord; à Barsa, du nord-ouest; à Bagdad, de l'ouest; et en Syrie, du sud-est. Ce contraste, qui embarrasse au premier coup d'œil, devient à la réflexion le moyen de résoudre l'énigme. En examinant les sites géographiques, on trouve que c'est toujours des continents déserts que vient le vent chaud; et en effet, il est naturel que l'air qui couvre les immenses plaines de la Lybie et de l'Arabie, n'y trouvant ni ruisseaux, ni lacs, ni forêts, s'y échauffe par l'action d'un soleil ardent, par la réflexion du sable, et prenne le degré de chaleur et de sécheresse dont il est capable. S'il survient une cause quelconque qui détermine un courant à cette masse, elle s'y précipite, et porte avec elle les qualités étonnantes qu'elle a acquises. Il est si vrai que ces qualités sont dues à l'action du soleil sur les sables, que ces mêmes vents n'ont point dans toutes les saisons la même intensité. En Égypte, par exemple, on assure que les vents du sud, en décembre et janvier, sont aussi froids que le nord; et la raison en est que le soleil, passé à l'autre tropique, n'embrase plus l'Afrique septentrionale, et que l'Abissinie, si montueuse, est couverte de neige: il faut que le soleil se soit rapproché de l'équateur pour produire ces phénomènes. Par une raison semblable, le sud a un effet bien moindre en Chypre, où il arrive rafraîchi par les vapeurs de la Méditerranée. Dans cette île, c'est le nord qui le remplace; on s'y plaint qu'en été il est d'une chaleur insupportable, pendant qu'il est glacial en hiver: ce qui résulte évidemment de l'Asie mineure, qui, dans l'été, est embrasée, pendant qu'en hiver elle est couverte de glaces. Au reste, ce sujet offre une foule de problèmes faits pour piquer la curiosité d'un physicien. Ne serait-il pas en effet intéressant de savoir:
1º D'où vient ce rapport des saisons et de la marche du soleil à l'espèce des vents et aux régions d'où ils soufflent?
2º Pourquoi, sur toute la Méditerranée, les rumbs de nord sont les plus habituels, au point que sur 12 mois on peut dire qu'ils en règnent 9?
3º Pourquoi les vents d'est reviennent si régulièrement après les équinoxes, et pourquoi à cette époque il y a communément un coup de vent plus fort?
4º Pourquoi les rosées sont plus abondantes en été qu'en hiver; et pourquoi les nuages étant un effet de l'évaporation de la mer, et l'évaporation étant plus forte l'été que l'hiver, il y a cependant plus de nuages l'hiver que l'été?
5º Enfin pourquoi la pluie est si rare en Égypte, et pourquoi les nuages se rendent de préférence en Abissinie?
Mais il est temps d'achever le tableau physique que j'ai commencé.
45
Lorsqu'il tombe de la pluie en Égypte et en Palestine, c'est une joie générale de la part du peuple; il s'assemble dans les rues, il chante, il s'agite et crie à pleine tête, Ya, allah! ya mobârek! c'est-à-dire: O dieu! ô béni! etc.
46
En arabe, kamsîn; mais le k représente le jota espagnol, ou ch allemand.
47
Les Arabes du désert les appellent semoum ou poison; et les Turks châmyelé ou vent de Syrie, dont on a fait vent samiel.