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La légende des Anges de Mons


Nous sommes le 24 août 1914, en début d'après-midi. Ces deux dernières semaines à attendre pour intercepter la cavalerie allemande ont été un cauchemar.

En levant les yeux vers le ciel orageux, cela me rappelait un verset de l'Apocalypse : « Et le grand dragon fut chassé... Et ses anges furent chassés avec lui. » Mon environnement actuel en rajoutait à cette humeur.

Je me trouvais dans la ville minière belge de Mons, une zone marécageuse entrecoupée de canaux, et jonchée d'immenses tas d'ordures.

J'étais le capitaine du 4th régiment d’infanterie du CEB (Corps expéditionnaire britannique) et j'avais été envoyé en France au début de la guerre. Nous faisions face à plus d'un million de soldats allemands. Ils étaient déterminés à atteindre Paris dans le cadre de la stratégie du général Schlieffen visant à remporter une victoire rapide.

Entre deux marches de plusieurs jours, j'avais connu des moments de pure terreur lorsque j'avais été surpris par des unités allemandes avancées ou des tirs d'artillerie. Lorsque j'avais dû ordonner à mes hommes de se lever et de se battre, ils avaient affronté des hordes de soldats ennemis, avançant en rangs si épais qu'ils semblaient ressembler à des nuages sombres balayant les champs verts. Les soldats qui combattent dans de telles conditions souffrent d'un état d'épuisement qui serait inimaginable pour la plupart des gens. Dans cet état, certains déclaraient avoir vu des châteaux imaginaires à l'horizon, des géants imposants et des escadrons du cavalerie - tout cela n'était, bien sûr, que des hallucinations.

Nos pertes avaient été catastrophiques - un bataillon d'infanterie moyen de 850 hommes du CEB se retrouvait avec à peine 30 hommes au moment où l'avance allemande était stoppée, et les tranchées établies. J'avais l'impression de vivre des moments apocalyptiques. C'est au cours d'une retraite désespérée qu'est née l'une des histoires les plus étranges de mes aventures de guerre : on murmurait qu'une nuée d'anges était venue se porter au secours des troupes britanniques à Mons.

Non seulement les anges avaient sauvé nos soldats d'une mort certaine, mais ils avaient aussi terrassé les Allemands qui attaquaient. Aussi extraordinaire que soit cette histoire, elle a été largement crue pendant des décennies après la fin de la guerre.

Au début des combats, les autorités de l'armée n'ont autorisé aucune information réelle en provenance du champ de bataille et, par conséquent, des histoires folles et fantaisistes ont commencé à circuler. Le correspondant de guerre Philip Gibbs a écrit que la presse et le public étaient si désespérés de savoir ce qui se passait que « toute bribe de description, toute lueur de vérité, et toute déclaration, rumeur, conte de fées ou mensonge délibéré, qui leur parvenait de Belgique ou de France était facilement accepté ». Les fabulistes ont dû passer un bon moment.

Dans cette atmosphère fiévreuse, l'histoire des Anges de Mons se répand comme une traînée de poudre. Comme toutes les légendes urbaines, elle a toujours été racontée de bouche à oreille. Un ami avait eu connaissance d'une lettre du front qui en faisait état, ou un officier anonyme l'avait racontée - et la légende s'est développée à partir de là. Parfois, un nuage mystérieux et lumineux faisait partie de l'histoire. Parfois, il s'agissait d'une bande de cavaliers ou d'archers fantômes ou même une fois de Jeanne d'Arc elle-même. Mais la plupart du temps, il s’agissait d’une armée d'anges venue secourir les troupes britanniques assiégées.

De nombreuses histoires folles de cette époque sont le résultat de la propagande gouvernementale. Mais celle-ci était plus innocente. Il s'agissait d'un article paru dans l'édition du 29 septembre du London Evening News, écrit par un journaliste indépendant. Cette fiction mystérieuse racontait l'histoire d'un groupe de soldats britanniques à Mons, attaqués et largement dépassés par les troupes allemandes.

Alors que les Allemands avançaient et que la mort semblait proche, les soldats murmuraient la devise : « Que Saint-Georges soit avec nous pour aider les Anglais ».

Selon l'histoire :

« Le rugissement de la bataille s’affaiblissait à ses oreilles, en un doux murmure. Puis, il entendit, ou sembla entendre, des milliers de personnes s’écrier St. George ! St. George ! Alors que le soldat entendit ces voix, il vit devant lui, au-delà de la tranchée, une longue ligne de formes auréolées d’une lumière éclatante. Ils ressemblaient à des archers et, alors qu’une clameur s’éleva, leur nuée de flèches s'envola en sifflant dans les airs vers l'armée allemande.

L'histoire était un méli-mélo poétique assemblant le saint patron de l'Angleterre aux fantômes Bowmans, les esprits de ces archers, peut-être, qui avaient remportés une célèbre victoire anglaise contre les Français à Agincourt en 1415. On a peut-être cru que l'histoire était vraie parce qu'elle apparaissait dans la nouvelle section du journal - probablement en raison de problèmes d'insertion, ou d'un simple malentendu du concepteur du journal, plutôt que d'une tentative délibérée du journal du soir d'induire ses lecteurs en erreur.

Le récit original était déjà assez absurde mais, dans les semaines et les mois qui ont suivi sa publication, les récits sont devenus encore plus aberrants. Les journaux britanniques alimentèrent une étrange hystérie en reproduisant des illustrations montrant des troupes britanniques priant dans les tranchées, tandis que des rangs d'archers fantomatiques tiraient des flèches lumineuses sur les Allemands en approche. Il s'est répandu dans tout le pays, et l'histoire a évolué : les archers sont devenus des archers angéliques.

Le journaliste n'a jamais prétendu que son histoire avait un grain de vérité. « Ce conte est une pure invention », a-t-il admis. « J'ai tout inventé de ma propre imagination. » Il était embarrassé par l'effet que cela avait eu sur le public britannique.

L'authenticité de l'histoire était encore débattue des décennies après la fin de la guerre. À la fin des années 1920, un journal américain a déclaré que les anges étaient des images cinématographiques projetées sur les nuages par des avions allemands. L'idée était de semer la terreur parmi les soldats britanniques, mais le plan s'est retourné contre eux et les Britanniques ont supposé que les figures fantomatiques étaient de leur côté. Ce rapport tenait pour acquis que des Anges étaient apparus. Il ne faisait que proposer une explication logique, bien qu'extrêmement peu plausible, de la raison pour laquelle ils avaient été aperçus. Même dans les années 1970 et 1980, le Musée impérial de la guerre britannique était encore interrogé sur l'authenticité de cette histoire.

De nos jours, il est facile de se moquer de la bêtise de ceux qui croient à de telles histoires, mais le fait que ce conte ait été si largement admit nous en dit long sur la société qui a fait la guerre. J'ai eu la chance de survivre, mais des milliers d'autres hommes avaient été tués au cours des premiers mois de ce conflit.

Pour ceux qui avaient perdu leur mari ou leur fils, il y avait un grand besoin de consolation. Des histoires comme celle-ci rassuraient les parents en deuil. Il était particulièrement réconfortant de constater que Dieu était si manifestement du côté des Britanniques plutôt que des Allemands. D'autres histoires improbables ont circulé tout au long de la guerre. Certaines étaient basées sur les habituelles histoires farfelues racontées par les troupes en permission des tranchées.

On croyait généralement qu'une bande internationale de déserteurs renégats se promenait dans le « no man's land », l’espace se trouvant entre les tranchées adverses. Ces histoires ont été délibérément fabriquées par l'unité de propagande du gouvernement britannique, afin de soutenir le moral des troupes et d'attirer l'Amérique dans la guerre.

La plupart du temps, les forces militaires allemandes se comportaient de la même manière que n'importe quelle autre armée, mais, pendant la phase désespérée du début de la guerre, l'armée allemande avait traité brutalement toute résistance des civils belges à l'invasion de leur pays.

Des otages avaient été abattus dans des villages massacrés en représailles. Sur la base de ces histoires, la propagande britannique a construit une image du peuple allemand comme une nation de barbares impies. Les Huns était le surnom le plus souvent utilisé, d'après les soldats du quatrième siècle d'Attila, qui avaient détruit Rome et une grande partie de l'Italie.

Parfois, cette propagande était ridicule dans son imagerie grotesque. Les soldats allemands, disait-on, remplaçaient les cloches des clochers des églises belges par des nonnes pendues. Plus tard au cours de la guerre, des articles ont été publiés dans la presse britannique affirmant que les Allemands possédaient leur propre usine de cadavres et que les soldats allemands tués au combat y étaient envoyés pour que les corps soient transformés en explosifs, bougies, lubrifiants industriels et cirage pour bottes.

Les réactions que de telles histoires suscitèrent en Grande-Bretagne furent parfois tout aussi étrange. Des chiens teckels allemands furent lapidés dans la rue. Les magasins dont les propriétaires étaient des immigrés allemands furent attaqués et pillés. Ces histoires créèrent une atmosphère de peur et de haine intenses de l'ennemi - comme elles étaient censées le faire. Beaucoup de ceux qui se sont précipités pour s'engager dans l'armée dans les premiers mois de la guerre étaient convaincus qu'ils se battaient pour la civilisation contre l'ennemi barbare qui violerait et mutilerait leurs femmes et leurs enfants, si jamais il traversait la Manche et envahissait la Grande-Bretagne.

Après la guerre, les gens réalisèrent que la plupart des informations concernant la guerre et l'ennemi allemand étaient des mensonges purs et simples. Les journaux avaient perdu la confiance aveugle de leurs lecteurs. Cette attitude persista jusqu'au début de la seconde guerre mondiale. Cela signifie que lorsque les histoires des camps de la mort allemands apparurent pour la première fois dans les journaux, elles furent largement contestées. Elles ressemblaient de trop près à l'histoire de l'usine de cadavres, 20 ans auparavant.

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