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CHAPITRE IV. LA SÉLECTION NATURELLE OU LA PERSISTANCE DU PLUS APTE
EXEMPLES DE L'ACTION DE LA SÉLECTION NATURELLE OU DE LA PERSISTANCE DU PLUS APTE

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Afin de bien faire comprendre de quelle manière agit, selon moi, la sélection naturelle, je demande la permission de donner un ou deux exemples imaginaires. Supposons un loup qui se nourrisse de différents animaux, s'emparant des uns par la ruse, des autres par la force, d'autres, enfin, par l'agilité. Supposons encore que sa proie la plus rapide, le daim par exemple, ait augmenté en nombre à la suite de quelques changements survenus dans le pays, ou que les autres animaux dont il se nourrit ordinairement aient diminué pendant la saison de l'année où le loup est le plus pressé par la faim. Dans ces circonstances, les loups les plus agiles et les plus rapides ont plus de chance de survivre que les autres; ils persistent donc, pourvu toutefois qu'ils conservent assez de force pour terrasser leur proie et s'en rendre maîtres, à cette époque de l'année ou à toute autre, lorsqu'ils sont forcés de s'emparer d'autres animaux pour se nourrir. Je ne vois pas plus de raison de douter de ce résultat que de la possibilité pour l'homme d'augmenter la vitesse de ses lévriers par une sélection soigneuse et méthodique, ou par cette espèce de sélection inconsciente qui provient de ce que chaque personne s'efforce de posséder les meilleurs chiens, sans avoir la moindre pensée de modifier la race. Je puis ajouter que, selon M. Pierce, deux variétés de loups habitent les montagnes de Catskill, aux États-Unis: l'une de ces variétés, qui affecte un peu la forme du lévrier, se nourrit principalement de daims; l'autre, plus épaisse, aux jambes plus courtes, attaque plus fréquemment les troupeaux.

Il faut observer que, dans l'exemple cité ci-dessus, je parle des loups les plus rapides pris individuellement, et non pas d'une variation fortement accusée qui s'est perpétuée. Dans les éditions précédentes de cet ouvrage, on pouvait croire que je présentais cette dernière alternative comme s'étant souvent produite. Je comprenais l'immense importance des différences individuelles, et cela m'avait conduit à discuter en détail les résultats de la sélection inconsciente par l'homme, sélection qui dépend de la conservation de tous les individus plus ou moins supérieurs et de la destruction des individus inférieurs. Je comprenais aussi que, à l'état de nature, la conservation dune déviation accidentelle de structure, telle qu'une monstruosité, doit être un événement très rare, et que, si cette déviation se conserve d'abord, elle doit tendre bientôt à disparaître, à la suite de croisements avec des individus ordinaires. Toutefois, après avoir lu un excellent article de la North British Review (1867), j'ai mieux compris encore combien il est rare que des variations isolées, qu'elles soient légères ou fortement accusées, puissent se perpétuer. L'auteur de cet article prend pour exemple un couple d'animaux produisant pendant leur vie deux cents petits, sur lesquels, en raison de différentes causes de destruction, deux seulement, en moyenne, survivent pour propager leur espèce. On peut dire, tout d'abord, que c'est là une évaluation très minime pour la plupart des animaux élevés dans l'échelle, mais qu'il n'y a rien d'exagéré pour les organismes inférieurs. L'écrivain démontre ensuite que, s'il naît un seul individu qui varie de façon à lui donner deux chances de plus de vie qu'à tous les autres individus, il aurait encore cependant bien peu de chance de persister. En supposant qu'il se reproduise et que la moitié de ses petits héritant de la variation favorable, les jeunes, s'il faut en croire l'auteur, n'auraient qu'une légère chance de plus pour survivre et pour se reproduire, et cette chance diminuerait à chaque génération successive. On ne peut, je crois, mettre en doute la justesse de ces remarques. Supposons, en effet, qu'un oiseau quelconque puisse se procurer sa nourriture plus facilement, s'il a le bec recourbé; supposons encore qu'un oiseau de cette espèce naisse avec le bec fortement recourbé, et que, par conséquent, il vive facilement; il n'en est pas moins vrai qu'il y aurait peu de chances que ce seul individu perpétuât son espèce à l'exclusion de la forme ordinaire. Mais, s'il en faut juger d'après ce qui se passe chez les animaux à l'état de domesticité, on ne peut pas douter non plus que, si l'on choisit, pendant plusieurs générations, un grand nombre d'individus ayant le bec plus ou moins recourbé, et si l'on détruit un plus grand nombre encore d'individus ayant le bec le plus droit possible, les premiers ne se multiplient facilement.

Toutefois, il ne faut pas oublier que certaines variations fortement accusées, que personne ne songerait à classer comme de simples différences individuelles, se représentent souvent parce que des conditions analogues agissent sur des organismes analogues; nos productions domestiques nous offrent de nombreux exemples de ce fait. Dans ce cas, si l'individu qui a varié ne transmet pas de point en point à ses petits ses caractères nouvellement acquis, il ne leur transmet pas moins, aussi longtemps que les conditions restent les mêmes, une forte tendance à varier de la même manière. On ne peut guère douter non plus que la tendance à varier dans une même direction n'ait été quelquefois si puissante, que tous les individus de la même espèce se sont modifiés de la même façon, sans l'aide d'aucune espèce de sélection, on pourrait, dans tous les cas, citer bien des exemples d'un tiers, d'un cinquième ou même d'un dixième des individus qui ont été affectés de cette façon. Ainsi, Graba estime que, aux îles Feroë, un cinquième environ des Guillemots se compose d'une variété si bien accusée, qu'on l'a classée autrefois comme une espèce distincte, sous le nom d'Uria lacrymans. Quand il en est ainsi, si la variation est avantageuse à l'animal, la forme modifiée doit supplanter bientôt la forme originelle, en vertu de la survivance du plus apte.

J'aurai à revenir sur les effets des croisements au point de vue de l'élimination des variations de toute sorte; toutefois, je peux faire remarquer ici que la plupart des animaux et des plantes aiment à conserver le même habitat et ne s'en éloignent pas sans raison; on pourrait citer comme exemple les oiseaux voyageurs eux- mêmes, qui, presque toujours, reviennent habiter la même localité. En conséquence, toute variété de formation nouvelle serait ordinairement locale dans le principe, ce qui semble, d'ailleurs, être la règle générale pour les variétés à l'état de nature; de telle façon que les individus modifiés de manière analogue doivent bientôt former un petit groupe et tendre à se reproduire facilement. Si la nouvelle variété réussit dans la lutte pour l'existence, elle se propage lentement autour d'un point central; elle lutte constamment avec les individus qui n'ont subi aucun changement, en augmentant toujours le cercle de son action, et finit par les vaincre.

Il n'est peut-être pas inutile de citer un autre exemple un peu plus compliqué de l'action de la sélection naturelle. Certaines plantes sécrètent une liqueur sucrée, apparemment dans le but d'éliminer de leur sève quelques substances nuisibles. Cette sécrétion s'effectue, parfois, à l'aide de glandes placées à la base des stipules chez quelques légumineuses, et sur le revers des feuilles du laurier commun. Les insectes recherchent avec avidité cette liqueur, bien qu'elle se trouve toujours en petite quantité; mais leur visite ne constitue aucun avantage pour la plante. Or, supposons qu'un certain nombre de plantes d'une espèce quelconque sécrètent cette liqueur ou ce nectar à l'intérieur de leurs fleurs. Les insectes en quête de ce nectar se couvrent de pollen et le transportent alors d'une fleur à une autre. Les fleurs de deux individus distincts de la même espèce se trouvent croisées par ce fait; or, le croisement, comme il serait facile de le démontrer, engendre des plants vigoureux, qui ont la plus grande chance de vivre et de se perpétuer. Les plantes qui produiraient les fleurs aux glandes les plus larges, et qui, par conséquent, sécréteraient le plus de liqueur, seraient plus souvent visitées par les insectes et se croiseraient plus souvent aussi; en conséquence, elles finiraient, dans le cours du temps, par l'emporter sur toutes les autres et par former une variété locale. Les fleurs dont les étamines et les pistils seraient placés, par rapport à la grosseur et aux habitudes des insectes qui les visitent, de manière à favoriser, de quelque façon que ce soit, le transport du pollen, seraient pareillement avantagées. Nous aurions pu choisir pour exemple des insectes qui visitent les fleurs en quête du pollen au lieu de la sécrétion sucrée; le pollen ayant pour seul objet la fécondation, il semble, au premier abord, que sa destruction soit une véritable perte pour la plante. Cependant, si les insectes qui se nourrissent de pollen transportaient de fleur en fleur un peu de cette substance, accidentellement d'abord, habituellement ensuite, et que des croisements fussent le résultat de ces transports, ce serait encore un gain pour la plante que les neuf dixièmes de son pollen fussent détruits. Il en résulterait que les individus qui posséderaient les anthères les plus grosses et la plus grande quantité de pollen, auraient plus de chances de perpétuer leur espèce.

Lorsqu'une plante, par suite de développements successifs, est de plus en plus recherchée par les insectes, ceux-ci, agissant inconsciemment, portent régulièrement le pollen de fleur en fleur; plusieurs exemples frappants me permettraient de prouver que ce fait se présente tous les jours. Je n'en citerai qu'un seul, parce qu'il me servira en même temps à démontrer comment peut s'effectuer par degrés la séparation des sexes chez les plantes. Certains Houx ne portent que des fleurs mâles, pourvues d'un pistil rudimentaire et de quatre étamines produisant une petite quantité de pollen; d'autres ne portent que des fleurs femelles, qui ont un pistil bien développé et quatre étamines avec des anthères non développées, dans lesquelles on ne saurait découvrir un seul grain de pollen. Ayant observé un arbre femelle à la distance de 60 mètres d'un arbre mâle, je plaçai sous le microscope les stigmates de vingt fleurs recueillies sur diverses branches; sur tous, sans exception, je constatai la présence de quelques grains de pollen, et sur quelques-uns une profusion. Le pollen n'avait pas pu être transporté par le vent, qui depuis plusieurs jours soufflait dans une direction contraire. Le temps était froid, tempétueux, et par conséquent peu favorable aux visites des abeilles; cependant toutes les fleurs que j'ai examinées avaient été fécondées par des abeilles qui avaient volé d'arbre en arbre, en quête de nectar. Reprenons notre démonstration: dès que la plante est devenue assez attrayante pour les insectes pour que le pollen soit régulièrement transporté de fleur en fleur, une autre série de faits commence à se produire. Aucun naturaliste ne met en doute les avantages de ce qu'on a appelé la division physiologique du travail. On peut en conclure qu'il serait avantageux pour les plantes de produire seulement des étamines sur une fleur ou sur un arbuste tout entier, et seulement des pistils sur une autre fleur ou sur un autre arbuste. Chez les plantes cultivées et placées, par conséquent, dans de nouvelles conditions d'existence, tantôt les organes mâles et tantôt les organes femelles deviennent plus ou moins impuissants. Or, si nous supposons que ceci puisse se produire, à quelque degré que ce soit, à l'état de nature, le pollen étant déjà régulièrement transporté de fleur en fleur et la complète séparation des sexes étant avantageuse au point de vue de la division du travail, les individus chez lesquels cette tendance augmente de plus en plus sont de plus en plus favorisés et choisis, jusqu'à ce qu'enfin la complète séparation des sexes s'effectue. Il nous faudrait trop de place pour démontrer comment, par le dimorphisme ou par d'autres moyens, certainement aujourd'hui en action, s'effectue actuellement la séparation des sexes chez les plantes de diverses espèces. Mais je puis ajouter que, selon Asa Gray, quelques espèces de Houx, dans l'Amérique septentrionale, se trouvent exactement dans une position intermédiaire, ou, pour employer son expression, sont plus ou moins dioïquement polygames.

Examinons maintenant les insectes qui se nourrissent de nectar. Nous pouvons supposer que la plante, dont nous avons vu les sécrétions augmenter lentement par suite d'une sélection continue, est une plante commune, et que certains insectes comptent en grande partie sur son nectar pour leur alimentation. Je pourrais prouver, par de nombreux exemples, combien les abeilles sont économes de leur temps; je rappellerai seulement les incisions qu'elles ont coutume de faire à la base de certaines fleurs pour en atteindre le nectar, alors qu'avec un peu plus de peine elles pourraient y entrer par le sommet de la corolle. Si l'on se rappelle ces faits, on peut facilement croire que, dans certaines circonstances, des différences individuelles dans la courbure ou dans la longueur de la trompe, etc., bien que trop insignifiantes pour que nous puissions les apprécier, peuvent être profitables aux abeilles ou à tout autre insecte, de telle façon que certains individus seraient à même de se procurer plus facilement leur nourriture que certains autres; les sociétés auxquelles ils appartiendraient se développeraient par conséquent plus vire, et produiraient plus d'essaims héritant des mêmes particularités. Les tubes des corolles du trèfle rouge commun et du trèfle incarnat (Trifolium pratense et T. incarnatum) ne paraissent pas au premier abord, différer de longueur; cependant, l'abeille domestique atteint aisément le nectar du trèfle incarnat, mais non pas celui du trèfle commun rouge, qui n'est visité que par les bourdons; de telle sorte que des champs entiers de trèfle rouge offrent en vain à l'abeille une abondante récolte de précieux nectar. Il est certain que l'abeille aime beaucoup ce nectar; j'ai souvent vu moi-même, mais seulement en automne, beaucoup d'abeilles sucer les fleurs par des trous que les bourdons avaient pratiqués à la base du tube. La différence de la longueur des corolles dans les deux espèces de trèfle doit être insignifiante; cependant, elle suffit pour décider les abeilles à visiter une fleur plutôt que l'autre. On a affirmé, en outre, que les abeilles visitent les fleurs du trèfle rouge de la seconde récolte qui sont un peu plus petites. Je ne sais pas si cette assertion est fondée; je ne sais pas non plus si une autre assertion, récemment publiée, est plus fondée, c'est-à-dire que l'abeille de Ligurie, que l'on considère ordinairement comme une simple variété de l'abeille domestique commune, et qui se croise souvent avec elle, peut atteindre et sucer le nectar du trèfle rouge. Quoi qu'il en soit, il serait très avantageux pour l'abeille domestique, dans un pays où abonde cette espèce de trèfle, d'avoir une trompe un peu plus longue ou différemment construite. D'autre part, comme la fécondité de cette espèce de trèfle dépend absolument de la visite des bourdons, il serait très avantageux pour la plante, si les bourdons devenaient rares dans un pays, d'avoir une corolle plus courte ou plus profondément divisée, pour que l'abeille puisse en sucer les fleurs. On peut comprendre ainsi comment il se fait qu'une fleur et un insecte puissent lentement, soit simultanément, soit l'un après l'autre, se modifier et s'adapter mutuellement de la manière la plus parfaite, par la conservation continue de tous les individus présentant de légères déviations de structure avantageuses pour l'un et pour l'autre.

Je sais bien que cette doctrine de la sélection naturelle, basée sur des exemples analogues à ceux que je viens de citer, peut soulever les objections qu'on avait d'abord opposées aux magnifiques hypothèses de sir Charles Lyell, lorsqu'il a voulu expliquer les transformations géologiques par l'action des causes actuelles. Toutefois, il est rare qu'on cherche aujourd'hui à traiter d'insignifiantes les causes que nous voyons encore en action sous nos yeux, quand on les emploie à expliquer l'excavation des plus profondes vallées ou la formation de longues lignes de dunes intérieures. La sélection naturelle n'agit que par la conservation et l'accumulation de petites modifications héréditaires, dont chacune est profitable à l'individu conservé: or, de même que la géologie moderne, quand il s'agit d'expliquer l'excavation d'une profonde vallée, renonce à invoquer l'hypothèse d'une seule grande vague diluvienne, de même aussi la sélection naturelle tend à faire disparaître la croyance à la création continue de nouveaux êtres organisés, ou à de grandes et soudaines modifications de leur structure.

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